Olivier Derivière (Interview) : De Dying Light 2 à A Plague Tale Requiem

Capable de travailler sur des projets à petit budget comme des grosses productions, le musicien autodidacte français Olivier Derivière a, depuis 2004, composé la musique de plus d’une vingtaine de jeux vidéo. Entre avril et mai 2022, juste après la sortie de Dying Light 2 dont qu’il continuait d’améliorer la musique, et du prochain, alors non daté, A Plague Tale : Requiem en cours de finalisation, il a pris le temps de nous expliquer son approche d’une profession encore en phase d’apprentissage.

Avant-propos

La musique de jeux vidéo a l’âge du jeu vidéo, soit comme le jeu Pong : 50 ans. Contrairement à la piste musicale d’un film lié sans jamais changer aux images, la musique de jeux vidéo fait partie intégrale du logiciel de jeu programmé sur des microprocesseurs et varie en fonction de l’action du joueur. Elle sonorise l’interactivité des jeux vidéo alors sur supports cartouches dans les premières consoles de jeu (Atari 2600, Megadrive, Super Nintendo…) et les bornes de salles d’arcade. Les mélodies existent mais le son est synthétique, limité. Au milieu des années 90 les jeux comme les logiciels s’installent sur des CD-ROM, puis des DVD. La musique atteint alors une qualité de CD audio. Des chansons pop, rock ou de la musique orchestrale donnent désormais vie aux jeux vidéo. Dans les années 2000, quand des disques durs aux temps d’accès plus rapides équipent les consoles et PC, la musique se complexifie en compagnie de jeux de plus en plus sophistiqués. Les jeux profitent de plus de pistes musicales et, surtout d’une meilleure intégration au gameplay. Avec l’arrivée des SSD (Solid-State Drive, disques à mémoire flash ultra rapide) sur PC et dans les dernières consoles, la musique s’enrichit encore avec de nouvelles possibilités liées à l’interactivité des jeux.

Profile express

Entre 2004 et 2021, Olivier Derivière compose la musique de plus d’une vingtaine de jeux vidéo dans son studio d’enregistrement aux portes de Paris. À partir de 6 ans, il étudie la musique classique, apprend les harmonies, les orchestrations, s’intéresse aux percussions mais, gamer depuis l’âge de 8 ans, il rêve de devenir programmeur de jeux vidéo. Il trouve alors un compromis en s’intéressant aux logiciels de composition musicale. Sa passion du jeu vidéo entraine sa connaissance de la musique, ou inversement. Résultat ? Ses BO illustrent de nombreuses productions françaises et internationales. Il semble se spécialiser dans les jeux d’aventure sombre (Alone in the Dark), ou « de survie » (Obscure), et puis quand l’occasion se présente il s’attaque à des jeux plus narratif (11-11 : Memories Retold), ou des jeux d’arcade comme le rétro Streets Of Rage 4. Son expertise lui permet ainsi de passer de musiques orchestrales sur un jeu d’aventure (Assassin’s Creed IV : Freedom Cry), à de l’électro au service d’un jeu d’aventure futuriste (Remember Me). Capable de travailler sur des projets indés comme des grosses productions, le très actif français Olivier Derivière fait désormais partie de la courte liste de compositeurs de musique de jeux vidéo connus dans le monde. 

Interview

« On a tendance à penser que la musique de jeu vidéo n’est faite que de blip et de blop »

Bliss : Question inévitable… Quelle différence entre une musique de film et de jeu vidéo ? Tu dis notamment que la musique de film concerne l’histoire alors que la musique de jeux vidéo accompagne le gameplay. Et si un jeu vidéo contient une histoire alors il faut écrire de la musique pour les deux ?

Olivier Derivière : Le terme “jeu vidéo” reste très réducteur. Il existe une multitude d’approches et d’expériences interactives. Le jeu vidéo est ce médium particulier où le spectateur est actif, contrairement au cinéma où nous sommes passifs. Dans les jeux les plus cinématographiques, avec une histoire, incluant des phases de passivité du joueur devant des cinématiques et des dialogues, il y a de fait une proximité avec le cinéma. Et cela se retrouve dans la musique du jeu qui emprunte alors ses codes au « grand frère » cinéma. À cause de ses contraintes et possibilités interactives, le jeu vidéo demande en réalité une toute autre approche créative et technique. Mais les codes de conception musicale propres aux jeux vidéo n’existent pas encore beaucoup. 

Bliss : On sait à peu près la quantité de musique et le nombre de pistes musicales fournies pour un film, mais de ton côté, combien de pistes musicales et même d’heures de musique fournis-tu en moyenne pour un jeu vidéo ?

O.D. : Tout dépend du jeu. Un film dure en moyenne plus de 2h alors qu’un jeu peut comptabiliser plus de 20h (voire 100h et plus, NDR). S’il s’agit d’un jeu de réflection, d’action pure, des genres étrangers à la narration, alors la quantité de musique à fournir varie de quelques minutes à 1h. En revanche, avec un jeu narratif, une production de jeu vidéo s’apparente à une production de série télé, et le nombre d’heures de musique se fait en fonction. Cela peut ainsi approcher plus de 6h de plages musicales comme avec le récent Dying Light 2… ou le prochain A Plague Tale : Requiem. 

Bliss : Dans une production en monde ouvert comme Dying Light 2 (voir chronique ici) tu « bruites » (mets en musique ?) de nombreux éléments et objets interactif… A titre d’exemple, combien de pistes musicales, micro ou majeures, sont disponibles à tout moment en cours de jeu en fonction de l’action et des manipulations du joueur ?

O. D. : Cette production a été une expérience très enrichissante. Dans une telle aventure en monde ouvert où le joueur est libre d’agir à sa guise dans le décor, j’ai illustré en musique une quantité d’activités uniques de gameplay qui se jouent et s’entendent en même temps que la musique narrative de l’aventure. Quand le joueur utilise des jumelles, par exemple, son geste déclenche des notes de musiques particulières qui donnent une humeur. Les séquences de Parkour où le joueur se déplace en équilibre à travers le décor et les dangers activent plus de dix variations musicales selon le contexte et le scénario. Si le joueur se contente de courir alors la musique reste en retrait. Lorsque le joueur pratique d’avantage de mouvements de Parkour, alors la musique s’amplifie jusqu’à atteindre ce que l’on a appelé le “Parkour flow”, une sorte de transe qui gratifie le joueur d’une musique encore plus excitante. 

Bliss : Initiative très inédite, après la commercialisation de Dying Light 2 tu as proposé à tes followers sur les réseaux sociaux de modifier ici ou là ta partition musicale malgré tes trois longues années de travail dessus, voire d’ajouter des pistes, à l’occasion d’une mise à jour du jeu. Pourquoi ? Et l’as-tu vraiment fait ?

O.D. : En effet, j’ai modifié des éléments musicaux très rapidement après les premiers commentaires des joueurs. Je trouve assez fascinant qu’un jeu vidéo puisse encore s’améliorer après sa commercialisation du fait des retours des joueurs. Souvent l’équilibrage du gameplay et la qualité technique de certains effets sont modifiés après la sortie, alors pourquoi ne pas faire la même chose avec la musique ?

Bliss : Il t’arrive de composer jusqu’à 3 musiques de jeux vidéo aux style très différents en une seul année, comment fais-tu ?

O.D. : Je ne sais pas. C’est une faculté qui ne s’explique pas. Je dirais que les jeux sont tellement inspirant et les équipes tellement passionnées que je peux naviguer à travers leurs univers sans trop de difficultés.

Bliss : Tu fais parfois appel à de prestigieux orchestres symphonique comme le Boston Symphony Orchestra, ou le Choeur d’Enfants de l’Opéra de Paris… Leur utilisation dépend du budget de la production ?

O.D. : Oui, mais j’ai toujours fait en sorte que la musique que je produisais soit interprétée par les meilleurs musiciens au monde. Pas parce que je pense que ma musique la mérite en soit, mais parce que ces orchestres l’élèvent à un niveau de musicalité incroyable. On a tendance à penser que la musique de jeu vidéo n’est faite que de blip et de blop mais quand on entend les musiciens de ces orchestres au service des jeux et des joueurs, l’expérience de jeu prend une autre ampleur…

Bliss : Tu as travaillé naturellement avec plusieurs studios et éditeurs français, mais comment t’es-tu retrouvé à collaborer avec les studios polonais Techland sur Dying Light 2 et Farm 51 sur Get Even ?

O.D. : Je collabore naturellement avec beaucoup de studios français comme Asobo, Spiders, Dontnod… dont les productions rayonnent partout dans le monde. Au-delà de nos frontières j’ai travaillé avec Disney à San Francisco, avec Ubisoft Québec, le studio d’animation anglais Aardman, des studios hongrois, polonais, et actuellement des allemands et des canadiens/américains. Le jeu vidéo est très international !

Bliss : Après les jeux Obscure 1 puis 2 de tes débuts, tu travailles à nouveau cette année sur une suite avec A Plague Tale : Requiem… Est-ce plus facile ou au contraire plus complexe pour notamment garder une similarité sans se répéter ? Est-ce aussi l’occasion de corriger, ou d’améliorer – si cela te semblait nécessaire, l’approche musicale du premier jeu ?

O. D. : C’est toujours la grande difficulté. Faire une suite directe oblige à apporter un vent frais sans trahir les pré-requis. Je pense que nous avons réussi cet exercice avec le studio Asobo (développeurs de A Plague Tale, mais aussi de Microsoft Flight Simulator 2020, NDR) mais seuls les joueurs/joueuses en décideront. L’essentiel est d’étendre l’univers pré existant vers de nouvelles zones émotionnelles. 

Bliss : De nombreux posts sur les réseaux sociaux à des Masters Class, tu as une approche très militante et pédagogique de ton travail, pourquoi ? La musique de jeu vidéo a-t-elle besoin d’être défendue, mieux reconnue ?

O. D. : Cela fait plus de 20 ans maintenant que je donne des conférences* et visite les équipes de création à travers le monde. La célébrité n’a jamais été mon objectif, je profite de ma notoriété pour tenter de sensibiliser les professionnels du jeu vidéo eux-mêmes sur la manière dont la musique interactive dans le jeu vidéo pourrait être plus distincte et qu’elle ne se suffise pas de faire de l’illustration façon cinéma. On parle souvent d’avancées technologiques dans le jeu vidéo tout en oubliant que la musique elle-même peut en bénéficier, au service de l’expérience interactive. Cela peut paraitre abstrait dit ainsi mais il suffit de voir les réactions des joueurs sur la musique réactive de Parkour de Dying Light 2 pour réaliser l’apport inouï que cela a sur le ressenti des joueurs. 

* Olivier Derivière participe à la série documentaire « Play » sur les métiers du jeu vidéo diffusée sur France TV Slash.

Propos recueillis entre avril et mai 2022.

François Bliss de la Boissière

(Interview éditée et écourtée parue dans le mensuel Comment ça marche en septembre 2022)

Notes complémentaires

  • En CD, vinyle ou streaming, la musique originale du jeu de survie Dying Light 2 interprétée par le London Contemporary Orchestra comptabilise 33 pistes pour une durée de 98 minutes. Mais le jeu complet contient plus de 6h de musique selon son compositeur Olivier Derivière.

À lire également, précédente interview en 2014…

Olivier Derivièvre : Talent brut


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Stranger Things (Saison 4) Volume 1 & 2

Netflix a gardé jusqu’à la dernière minute le plus grand secret sur le retour de sa série phénomène et les nouvelles péripéties surnaturelles de la bande de copains originaire de la petite ville de Hawkins.

À l’heure où ces lignes sont écrites juste avant le bouclage du mensuel (mai 2022), tout le monde aura vu la première salve d’épisodes de cette saison 4 (29 mai) qui en comptabilise neuf séparés en deux « volumes » (1er juillet) pour une durée totale deux fois plus longue qu’auparavant ont annoncé les frères Duffer créateurs de la série à qui Netflix ne refuse rien (30 millions de dollars par épisode, un record). Les épisodes durent ainsi 64, 75, 98 mn jusqu’u final à 150 mn (!!) et cela se ressent.

Trop de situations s’éternisent, le retour en groupe des copains et copines dispersés à la fin de la saison 3 prend trop de temps. Puisqu’elle se déroule en 1986, cette saison 4, rejoue le pot-pourri des films d’adolescents et d’horreur des années 80 en piochant aussi dans les 70s et 90s. La surenchère de décors, de la figuration généreuse et donc des costumes, coiffures et accessoires entraine l’hommage aux 80s jusqu’au fétichisme. Quand cela n’arrache pas un sourire.

Plus horrifique et parfois exagérément cruelle entre lycéens, ce début de saison 4 permet surtout de renouer avec les sympathiques, plus si jeunes, acteurs passés de l’enfance à l’adolescence, du collège au lycée. Pas toujours convaincant mais devenu un incontournable de la culture pop.

De Matt et Ross Duffer, avec Millie Bobby Brown, David Harbour, Winona Ryder… Série en 9 épisodes de 60 à 150 min sur Netflix.

François Bliss de la Boissière

(Publié en juillet-août 2022 dans le mensuel Comment ça Marche #140)

Kirby et le monde oublié : La vie en rose

Aux côtés des déjà bien étranges héros Nintendo, plombier moustachu (Mario), mini dino (Yoshi), champignon causeur (Toad), elfe (Link), bourgeons animés (Pikmin), calamars arroseurs (Splatoon), la boule rose Kirby apparait encore plus improbable.

Et pourtant, 30 ans après sa naissance en 1992 sur Game Boy, le personnage sans véritable forme continue de ravir toutes les générations. Sa particularité qui compense son apparence simpliste ? Kirby est un transformiste instantané. Glouton insatiable, sa bouche aspirateur brusquement géante engloutit tout ce qu’elle trouve sur son chemin. Kirby recrache ennemis et obstacles avalés devenus projectiles, ou acquiert aussitôt leurs pouvoirs tout en adoptant peu ou prou la forme de l’objet ou créature digérée. Une aptitude baptisée ici « transmorphisme ».

Ainsi, dans ce nouvel épisode plus ambitieux profitant pour la première fois d’un gameplay en 3D où Kirby se déplace dans toutes les directions, la boule rose va jusqu’à avaler un escalier qui lui sert de marche-pied, ou une voiture que le joueur se doit de piloter en fonçant à travers les murs destructibles. Chaque étape propose ainsi des mécaniques créatives et rigolotes de jeu et donc de challenge. Le tout bien sûr arrosé d’une overdose irrésistible de mignon. Un jeu estival parfait pour retrouver le sourire.

  • Support : Switch
  • Genre : action, platforme
  • 1 joueur, 2 joueurs en coopération locale
  • Démo gratuite téléchargeable
  • PEGI : à partir de 7 ans
  • Nintendo

François Bliss de la Boissière

(Publié en juillet-août 2022 dans le mensuel Comment ça Marche #140)

Weird West : Cow-boys de poche (Avis Express)

Premier jeu au budget limité d’une équipe où se retrouve des membres du studio français Arkane, dont son fondateur, cette simulation de far-west sombre imbibé de fantastique renoue avec les qualités immersives des jeux Dishonored.

Même si, plus modeste, l’interface de jeu avec caméra au-dessus et petits personnages manipulés de loin a d’avantage l’allure d’un jeu PC que console. Car très vite, manette en main, on identifie les qualités interactives et artistiques (visuels stylisés et bande son travaillée) qui font la marque de fabrique des talentueux développeurs et artistes.

  • Supports (téléchargement) : PC, Xbox One et Series, PS4 et PS5
  • Genre : action-aventure, jeu de rôle, simulation
  • VO anglaise sous-titrée
  • Inclus au lancement dans abonnement Xbox Game Pass
  • 1 joueur
  • PEGI : à partir de 16 ans
  • Wolfeye Studios

François Bliss de la Boissière

(Publié en juillet-août 2022 dans le mensuel Comment ça Marche #140)

Tunic : Génération 90 (Avis Express)

Remarquablement fignolée cette production indée rend hommage à la génération des jeux d’aventure en 2D des années 90.

Le jeu va jusqu’à offrir en cours de l’aventure un fac-similé de manuel de jeu dessiné à la main tel qu’en contenaient les boites de jeu de l’époque.

Jeu d’aventure, d’action et d’énigmes mécaniques pratiqué en « top-down » et 3D isométrique (vue de haut et en perspective), le très joli et maniable Tunic met en scène un petit renard qui, épée à la main, explore progressivement son mystérieux environnement.

Toute ressemblance avec le célèbre Zelda : A Link to the Past (1991) de Nintendo n’est pas fortuite.

  • Supports (téléchargement) : PC, Mac, Xbox One et Series
  • Genre : action-aventure
  • Inclus au lancement dans abonnement PC-Xbox Game Pass
  • 1 joueur
  • PEGI : à partir de 7 ans
  • Finji

François Bliss de la Boissière

(Publié en juillet-août 2022 dans le mensuel Comment ça Marche #140)