Au moment où la version cinématographique de World of Warcraft rejoint la longue liste des adaptations calamiteuses de jeux vidéo en films. Au moment où, pour à nouveau tenter d’y croire, les regards se tournent désormais vers la version Hollywoodienne de Assassin’s Creed avec les géants Michael Fassbender, Mario Cotillard et Jéremy Irons. Au moment où l’on parle déjà d’une adaptation de The Division en film avec Jake Gyllenhaal dans le rôle principal. En se souvenant que le même Jake Gyllenhaal a joué bien malgré lui dans le sans queue ni tête film Prince of Persia. En se rappelant que Ubisoft a coûte que coûte des ambitions de cinéma, apparemment aujourd’hui avec Hollywood mais, comme le rappelle cet article de 2009, en s’y essayant par lui-même. En n’oubliant pas que le groupe multimédia Vivendi est aux portes d’Ubisoft après avoir englouti sans ménagement le cousin Gameloft… On relira cet article de 2009 au moment où, caméras et studios numériques au poing, Ubisoft s’auto déclarait apte à faire du cinéma…
Article écrit et publié en 2009…
En présentant une série de courts métrage réalisés en interne pour faire la promotion de son jeu vidéo Assassin’s Creed, l’éditeur Ubisoft annonce sans prudence faire du cinéma, comme si la maîtrise des outils technologiques donnait le savoir-faire. Hélas, jouer à faire du cinéma ce n’est pas encore être du cinéma…
Éditeur et développeur franco-international de jeux vidéo à succès, Ubisoft a présenté, dans une salle de cinéma des Champs-Élysées, le premier épisode d’un court métrage à l’enseigne de son prochain jeu vidéo Assassin’s Creed 2. L’événement, annoncé comme tel, vient du fait qu’Ubisoft a conçu l’intégralité de cette mini fiction en interne dans ses studios de Montréal. Premier d’une série de trois, le petit métrage de 12’ sous-titré « Lineage » et projeté exceptionnellement sur grand écran pour la presse sera diffusé sur YouTube à partir du 27 octobre et sur la chaine NRJ12 le 12 novembre. Le PDG d’Ubisoft, Yves Guillemot en personne, est venu expliqué sur scène les nouveaux enjeux pour la société qu’il a fondé en 1986 avec sa fratrie. « Le jeu vidéo fait son cinéma » prévient l’écran d’accueil de la projection. Et, en effet, Ubisoft fait tout pour. Quitte à s’y croire un peu trop.
Ubisoft flirte avec les auteurs d’Hollywood
Partenaire déjà singulier du cinéma depuis plusieurs années, Ubisoft privilégie la collaboration avec des cinéastes haut de gamme l’adaptation interactive de leurs films (l’exceptionnellement réussi King Kong de Peter Jackson, le prochain Avatar de James Cameron, les Tintin de Spielberg et Jackson). Une approche auteuriste d’Hollywood tout à fait réjouissante même si le résultat n’atteindra pas toujours l’ambition. Des partenariats et une promiscuité avec la Mecque du cinéma qui ont fini par déteindre sur l’éditeur de jeux vidéo devenu aspirant à faire du cinéma au point d’adopter une véritable politique d’édition. L’assemblage de l’entité Ubisoft Digital Arts (UDA) en 2007 à Montréal avait révélé l’ambition de créer des films en images de synthèse. Sous-entendu, sans faire appel à des structures extérieures spécialisées d’Hollywood dont on imagine le prix exorbitant des services. Ubisoft avait par exemple recruté le cinéaste français surdoué Florent Emilio Siri (Nid de Guêpes) en 2002 pour créer les cinématiques d’un épisode de sa série de jeu d’espionnage-action Splinter Cell, sans renouveler l’expérience. En 2008 Ubisoft a fait l’acquisition d’Hybride Technologies, un studio canadien de post production audiovisuel et d’effets spéciaux numériques âgé de 17 ans spécialisé en motion capture pour le cinéma (300, Sin City, le récent WhiteOut et le prochain Avatar de Cameron…). Réalisés en 15 jours par 190 personnes, les trois courts métrages Assassin’s Creed Lineage (38’ en tout) ont été conçus entièrement sur fond vert avec, différence notable des cinématiques de jeux vidéo : 21 acteurs utilisés en chair et en os à l’écran. Peaufinés, les décors de synthèse proviennent de ceux conçus pour le jeu vidéo à sortir en novembre prochain.
FMV, ou le spectre du mauvais cinéma
Techniquement, le court métrage qui utilise des technologies mixtes liées au jeu vidéo lui-même et aux méthodes cinématographiques de motion capture et d’assemblage de décors numériques autour des acteurs, n’appelle pas de remarque particulière. L’intégration visuelle fonctionne relativement bien et peut donner le change sur YouTube. En revanche, mouvements et placements de caméra, jeu non existant des comédiens, dialogués ou même dans le silence des regards, dialogues et enchainements des situations ne sauraient passer pour du « cinéma ». L’ensemble mime de loin le langage cinématographique sans en trouver la substance. Un voisin de projection dit tout haut ce que pensent les spectateurs les plus aguerris, « où est l’avancée depuis l’insertion d’acteurs réels dans les décors photoréalistes des jeux Myst des années 90 ? » ou le Full Motion Vidéo (FMV) désuet d’un Phantasmagoria ? Dans les mouvements de caméras impossibles à l’époque, les décors en 3D et… c’est à peu près tout. Le comble : l’absence de toute épaisseur humaine ou psychologique malgré la présence en chair et en os des acteurs, la platitude des chorégraphies des combats à l’épée, vedettes dans le jeu vidéo, sans envergure dans le court métrage. Si ce n’est du cinéma, c’est donc son frère ?
L’ambition plurimédia
Jusqu’où veut aller Ubisoft ? Dans une auto interview enregistrée et fournie par l’éditeur, le PDG d’Ubisoft Montréal Yannis Mallat tente de décrire l’objectif : « Étendre nos marques de jeux vidéo et les développer sur des plateformes additionnelles pour fournir une expérience globale à un vaste public« . Le multimédia d’hier devient plurimédia. « L’expérience globale » veut ainsi dire : infiltrer tous les média susceptibles d’arriver aux yeux ou aux oreilles du public visé par le jeu vidéo en préparation. Ubisoft a ainsi lancé un pôle édition de BD (Les Deux Royaumes) qui prolongera en bandes dessinées les histoires de ses héros de jeux vidéo. Un projet d’accompagnement plurimédia comme il en existe déjà pour les films. La nouveauté sans doute ici c’est qu’Ubisoft veut s’impliquer et contrôler chacune des déclinaisons de ses franchises.
Promotion : du viral au grand jour
S’il s’agit d’économiser sur la création de contenus promotionnels complémentaires à ses jeux en créant en interne des courts métrages prolongeant l’imaginaire des jeux, pourquoi pas. Electronic Arts a eu une initiative identique en lançant un long métrage animé en direct-to-vidéo pour encadrer le lancement de sa nouvelle franchise Dead Space en 2008. Les cinématiques, voire les machinima, de plus en plus répandus, empruntent déjà cette voie souvent réussie entre court métrage, sketchs et promotion (voir les hilarantes saynètes promo des jeux BattleField : Bad Company, Facebreaker…). « Les joueurs apprécient de connaître l’histoire qui précède celle du jeu vidéo, de faire connaissance avec les personnages avant leur aventure interactive » lance Guillemot à son auditoire essayant de transformer cette observation en loi universelle. Dans le cadre des jeux ambitieux et scénarisés cela fait sens même si l’énorme succès des jeux Wii et DS à prise en mains rapides et sans contexte prouve plutôt un comportement de masse inverse. Mais si l’intention est de faire du cinéma pour de bon comme semble revendiquer le vocabulaire employé sans prudence par Ubisoft pour ce premier essai de court métrage, les réserves restent de mise.
Péché capital n°7
L’envie de cinéma du jeu vidéo ne date pas d’hier et bute sur les mêmes problèmes depuis le début. Les outils ne font pas le savoir faire. Les grands studios de jeux vidéo ont désormais sous la main l’équipement pour faire du cinéma virtuel. Pas tout à fait au même niveau qu’Hollywood pour des raisons de budget, mais pas très loin. Et cela n’a jamais transformé les cinématiques de jeux vidéo en vrai cinéma. Les plus réussies du marché dans les séries Grand Theft Auto et Uncharted ne le sont que dans le contexte du jeu vidéo. Interprétation convenable d’acteurs bien choisis et mise en scène respectant un minimum la grammaire cinématographique font la blague entre deux phases de jeux. Projetées en l’état sur grand écran, ces séquences révéleraient aussitôt leurs limites techniques, leurs maladresses de réalisation, leurs dialogues de série B, leurs thématiques sans épaisseur ou consistance, même pour des « films d’action » ou de « distraction ». Le marché du film américain déborde de sous productions cheaps, de direct-to-video alimentant les chaines de télévisions, de VOD, et ce qui reste de vidéoclubs. Les séquences dites cinématiques des jeux vidéo plafonnent à ce niveau. Et, calés entre cinématiques, théâtre de télévision ou sous-production vidéo, les courts métrages Assassin’s Creed aussi.
La fusion passe par la confusion
Demain peut-être le cinéma et le jeu vidéo ne feront qu’un. Le spectateur choisira au lancement son degré de participation, active ou passive. La démarche ouverte d’Ubisoft est sans doute précurseur. Hollywood s’aventure bien avec ses gros sabots sur le terrain du jeu vidéo, soit en adaptant maladroitement des jeux vidéo en film, soit en montant de toutes pièces des studios de jeux vidéo tel Warner Bros Interactive ou Disney Interactive. Que le jeu vidéo de son côté tente de contrôler ses créations jusqu’au grand écran est tout à fait légitime. D’autant plus que le cinéma n’a jusque là fait que de très mauvaises adaptations des jeux vidéo. Au jour d’aujourd’hui cependant, quand la fusion des médias entraine – avant de renaitre probablement sous une nouvelle forme – une confusion des genres, il apparaît nécessaire de s’attacher à repérer ce qui fonctionne ou pas, ce qui progresse ou pas, ce qui fait avancer l’Histoire ou pas. Dénoncer au plus tôt les discours enjoliveurs qui tentent de faire prendre des vessies pour des lanternes ne doit pas censurer la démarche mais encourager à persévérer sans aveuglement. La petite conférence de présentation d’Ubisoft utilise si souvent le mot « film » au sein d’une salle de cinéma pour décrire l’essai, que cela oblige à préciser, sans disqualifier l’initiative promotionnelle, qu’il ne s’agit pas de cinéma. Pas encore en tous cas.
Voir aussi…
Jeux et cinéma : la (con) fusion…
François Bliss de la Boissière
(Publié en octobre 2009 sur Electron Libre)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.