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RIP le jeu vidéo japonais : fin de la parenthèse enchantée

Devinette pamphlétaire : Pourquoi Bloodborne, Metal Gear Solid V, Xenoblade Chronicles X, Splatoon et Mario Maker n’apparaissent pas dans mon best of jeux 2015 ? Interrogation légitime et réponse directe sulfureuse malgré elle : parce que j’assume ouvertement en tant que joueur, puis en tant que critique, ne plus me reconnaître dans le toucher perclus de rhumatismes et d’arthrose de la majorité des productions japonaises.
Mieux, je le conteste et le dénonce aussi bien en tant qu’oeuvre (ou ce qu’il en subsiste) qu’en tant qu’objet de consommation hors de prix. Y compris ce qu’il reste des plus haut de gamme. C’était déjà vrai les années précédentes, c’est devenu une certitude maintenant que la dernière grosse production made in Konami malgré elle, est sortie. Et, même si on nous dit que, en chiffres, tout va bien chez Mario,  Nintendo a perdu son mojo.

Fin du jeu punitif et masochiste à la japonaise

Bien sûr MGSV est une réalisation soignée nettement plus accessible que les précédents MGS… pour un jeu japonais. Car, comparé à des équivalents occidentaux, la prise en main et les situations de jeu continuent de se réduire à des exercices de constriction et de masochisme plutôt que de générosité et d’élan vers l’avant. Pour une raison ou une autre, volontaire ou pas (technique, UI, gameplay…), il faut à chaque fois lutter CONTRE les jeux japonais pour y jouer. Aucun des bugs pourtant grossiers de Just Cause 3 ne heurtent autant le joueur et le plaisir de jeu que les hoquets techniques permanents et dilués dans le gameplay de Xenoblade Chronicles X ou la difficulté castratrice de Bloodborne. Les puristes indécrottables du jeu vidéo made in Japan s’accrochent et revendiquent des difficultés à leur mesure sans faire le distingo entre jeu d’adresse voulu par les auteurs, programmations mal fichues et culture de l’auto flagellation qui souvent s’additionnent. Grand bien leur fasse. En réalité, ni le marché planétaire ni les gamers dernières générations encore silencieux ne soutiennent cette culture dépassée du passé arcade.

Shadows of the colossus

Dans un jeu moderne, actuel donc, les développeurs ont la responsabilité auprès du public/consommateur de proposer un dosage de difficulté modulable et non d’imposer un mur infranchissable ou exigeant des efforts excessifs. Je considère cela comme une politesse minimum due au client. L’interface technique doit être au service du joueur et non faire plier celui-ci à ses exigences mal formulées ou mal programmées (oui, l’américain Fallout 4 en est aussi coupable en 2015). Nintendo en personne a fini par le comprendre en introduisant le Super Guide dans ses Mario en 2D. Les bacs d’occasions se remplissent trop vite de ces jeux survendus par une pseudo élite du jeu vidéo érigée en porte-parole collectif. Erreur incestueuse d’un milieu qui s’accroche à ce qu’il connaît, ou croit devoir reconnaître comme un passe indispensable, et fige le présent dans l’ombre des statues du passé. Si on comprend et partage l’amour et le respect du jeu vidéo japonais qui a donné sa seconde chance à une industrie mort née au début des années 80 (on l’a accompagné et même participé à sa reconnaissance transculturelle au tournant des années 90-2000 et jusqu’à il y a peu encore) il faut aussi admettre l’évidence même quand elle embarrasse. Même quand elle gagne peu à peu aussi l’intouchable Nintendo. Même s’il y aura encore de beaux restes. Même si Atsushi Morita, le président de Sony Computer Japon espère réveiller la scène japonaise à l’international. Ce que plusieurs créateurs japonais ont eux-même prédit et annoncé ces dernières années doit désormais être acté : le jeu vidéo japonais, en particulier sur console de salon, est mort*.

Nintendo rejoue Sega ?

Quand de mon petit coin du web j’appelle Nintendo à s’allier à Apple avant qu’il ne soit pour de bon trop tard, c’est un appel au secours raisonnable : il faut sauver le petit soldat Nintendo ! Il faut que Nintendo se sauve lui-même de lui-même. Splatoon et Super Mario Maker sont absolument adorables et ne souffrent pas des grincements mécaniques d’autres productions japonaises (encore que, sur Wii U, les limites se ressentent vite). Mais d’un point de vue créatif, Nintendo tourne en rond et se délite jeu après jeu. Dans aucun conte de fées il n’est acceptable que le bonheur se rémunère en argent comme l’a osé honteusement Tomodachi Life en 2014, entérinant malgré lui l’innocence perdue de Nintendo. Le storytelling Nintendo nous raconte que Splatoon a été conçu en interne par une nouvelle génération de développeurs. Sauf qu’on jurerait que Splatoon a été conçu par le Sega des années 2000. Les jeunes créateurs japonais chez Nintendo n’auraient donc pas d’autre porte de sortie créative que de singer le style de l’ex grand concurrent ?

Nintendo botte en touche

Que reprocher à Mario Maker à part arriver après (x3) LittleBigPlanet aux même fonctions « make it yourself » ? De déléguer aux joueurs la pseudo réalisation d’un nouveau Mario au lieu d’en concevoir un lui-même. Oui cela sonne comme de la mauvaise foi. Pas tout à fait. Offrir au peuple un piano à chacun ressemble en effet à un geste de générosité démocratique. Quel meilleur moyen pour déclencher des vocations, trouver le prochain Chopin ou, pour rester dans notre domaine, le prochain Miyamoto ou Yugi Naka ? Sauf que Nintendo n’est pas fabricant de pianos. Nintendo est le compositeur de génie dont on attend la prochaine mélodie, la prochaine symphonie. La critique en place a beaucoup raillé Wii Music qui allait déjà chercher la créativité du joueur au lieu d’offrir un jeu au sens traditionnel. J’avais salué l’insaisissable Wii Music, je grinche à ce Mario Maker industriel qui autorise Nintendo à botter en touche et à nous balader dans des « stages » de bric et de broc en attendant la NX et, on l’espère encore, un vrai et innovant Mario… Si possible à jouer, pas à faire soi-même maladroitement en kit. Mais, ok, that’s me.

Mettre pavillon bas

Voilà trop d’années maintenant que l’on se sent obligé d’expliquer régulièrement que le jeu vidéo japonais n’est plus que le souvenir de lui-même. Avec cette impression très désagréable de bégayer les mêmes faits et arguments (principe de base épuisant du journalisme), d’avoir à justifier, et donc de radoter. Sans doute parce que, même si les chiffres de ventes confirment * déjà (hors l’insulaire Japon et son boum sur mobiles s’entend) depuis longtemps le déclin populaire des productions japonaises (voir par exemple le dernier relevé des ventes dématérialisées), la culture manga-anime japonaise est si forte en France qu’elle continue d’irriguer les influenceurs et intellectuels du jeu vidéo incapables de remettre en question cette tranche de leur culture. Elle appartient pourtant désormais au passé et au rétrogaming. Après l’ultime effondrement de Konami et Kojima cette année, à quoi s’ajoute un Nintendo en perte ou en quête d’identité – on ne sait plus, je vais pour ma part considérer le dossier jeu vidéo japonais clos. Quelle que soit l’autorité que l’on me prête, ou pas, sur la culture du jeu vidéo, il ne m’appartient évidemment pas à moi seul de tirer le rideau sur tout un pan de la culture qui continuera d’exister dans nos coeurs, nos mémoires et nos musées. Mais puisque je prends la parole régulièrement, et parfois encore professionnellement, je m’engage à ne plus rappeler l’évidence en brandissant le même drapeau rouge d’alerte au soleil levant devenu couchant. Pour ne plus braquer ou blesser le lecteur désormais averti, et ne plus se trouver dans la posture du ruminant.

Âge d’or et dernières salutations

On essaiera avec curiosité, respect, et même amusement, les prochaines productions japonaises et en particulier les StarFox Zero, Dark Souls III, Final Fantasy XV, Street Fighter V et l’incongru remake Final Fantasy VII prévus en 2016. Mais sans en attendre rien de plus que précédemment. Et pour les « critiquer » on n’invoquera plus toute l’histoire du jeu vidéo pour tenter de ménager l’affection désormais hors sujet de la culture passéiste du jeu vidéo japonais. Pour tout dire, l’espoir (à dissocier du désir) qu’il nous reste encore vis-à-vis de The Last Guardian repose essentiellement sur le fait qu’un certain Mark Cerny et ses équipes sont venus à la rescousse (technique) de la Team Ico et Fumito Ueda. Et, oui, même si on a été échaudé par les limites techniques de Twilight Princess et Skyward Sword, on croit encore au prochain Zelda Wii U ou, surtout, NX.
Il faut sans doute encore un peu de recul pour refermer sans douleur la blessure. Mais peut-être qu’après l’avoir précisément datée, les historiens qualifieront la parenthèse enchantée pendant laquelle le Japon était maître du jeu comme le 2e Âge d’Or du jeu vidéo après celui des origines. L’histoire du jeu vidéo d’aujourd’hui et de demain s’écrit en Amérique du Nord et en Europe. Deal with it.

François Bliss de la Boissière

* Et sans doute aussi au Japon si l’on en croit le suivi méticuleux des chiffres de vente de Oscar Lemaire 

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Jeux vidéo : Japon made in USA

À la dérive depuis plusieurs années, le jeu vidéo japonais essaie de se réinventer en s’appuyant sur l’efficacité technologique de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Comment le Japon, bien aimée force vive du jeu vidéo mondial ressuscité au milieu des années 80 grâce à la première console Nintendo en est-il arrivé là ?

drapeau-japonais

« Je crois que le marché du jeu vidéo japonais finira bientôt comme l’industrie du film japonais« , dénonçait le développeur star de la Team Ninja, Tomonobu Itagaki, en 2009. « Ce que fait actuellement l’industrie japonaise du jeu vidéo est une forme moderne de sakoku (politique isolationniste du Japon du XVIIe siècle, NDR). » Voilà plusieurs années déjà que le déclin de la puissance fédératrice du jeu vidéo japonais est amorcée. Aujourd’hui, le jeu made in Japan représente moins de 10 % quand il pesait encore 50 % du marché mondial en 2002 ! Les causes sont multiples : débarquement massif de l’américain Microsoft dans le marché du jeu sur consoles qui a imposé à coup de budgets marketing et de développement le règne du blockbuster (Lire à ce sujet : Call of Duty Modern Warfare 2, 550 M$ de recettes : le triomphe à retardement de l’ère Bush) ; petit pas de côté d’un Nintendo affaibli au début des années 2000 qui a encouragé des productions économiques plus vite rentables sur DS et Wii ; conservatisme chronique des développeurs de jeu vidéo japonais au service d’un public insulaire imperméables aux productions venues d’ailleurs.

Ni Xbox 360, ni PlayStation 3

En 2007, l’atypique producteur Atsushi Inaba (Steel Battalion, Viewtifull Joe, Okami…) commençait à exprimer le malaise, tiraillé entre deux consoles nouvelles générations surpuissantes : « Travailler pour la Xbox 360 peut conduire à un succès aux USA mais pas au Japon où la console ne se vend pas » regrettait-il, « Le pouvoir de la marque PlayStation est bien en place au Japon mais la PS3 n’est pas répandue ailleurs« . Devant le foudroyant God of War américain au « goût de jeu japonais sans l’être », Inaba stigmatisait déjà un savoir-faire en perdition : « Vous ne voyez pas beaucoup de jeux japonais avoir du succès à l’étranger. » À la même époque le producteur et compositeur de Silent Hill, Akira Yamaoka, avouait son admiration pour les développeurs américains développant sous sa supervision l’épisode 5 du survival horror : « Leurs aptitudes graphiques et technologiques sont incroyables » disait-il alors. Handicap bêtement trivial : les puissants moteurs graphiques américains de plus en plus répandus dans les grosses productions 3D (Quake, Unreal…) étaient difficilement accessibles aux développeurs japonais parce que non traduits en japonais ! « Pendant qu’on attend la traduction, nous prenons une étape de retard par rapport à ceux qui comprennent l’anglais« . Fin 2009, Keiji Inafune, la star de Mega Man et Onimusha, enfonce le clou au Tokyo Game Show : « Le Japon est fini. Nous sommes fichus. Notre industrie est finie« . « Le Japon a au moins 5 ans de retard sur l’ouest » diagnostique ainsi le responsable de la recherche et du développement de Capcom.

Citoyen-Japonais du monde

Pour réussir dans le jeu vidéo aujourd’hui « il faut être un terrien d’abord et un japonais ensuite » affirme Tomonobu Itagaki. Même si les effets ne se font pas encore sentir, l’industrie japonaise a commencé à réagir. De façon spectaculaire avec l’acquisition en 2009 de l’éditeur britannique Eidos (Tomb Raider, le prochain Deus Ex…) par le méga éditeur Square-Enix jusque là grand spécialiste des jeux de rôles japonais (Final Fantasy, Dragon Quest). Et plus discrètement avec des éditeurs nippons envisageant sérieusement l’achat d’équipes occidentales ayant fait leurs preuves. Capcom vient ainsi de devenir majoritaire dans le studio canadien Blue Castle développeur de la suite de Dead Rising qui a réussi l’exploit de se vendre à 2 millions d’exemplaires en un mois. Échaudé par l’échec technique et commercial de Dark Void, une création, et de Bionic Commando, une re-création contemporaine, délégués à des studios respectivement américains et suédois, le même Capcom annonce en mai dernier qu’il ne confiera désormais que des suites de franchises bien établies à des studios occidentaux. Réincarné dans un héros aux cheveux noirs d’encre qui a choqué les puristes de la série, le prochain Devil May Cry est en cours de réalisation au sein du talentueux studio anglais Ninja Theory (Enslaved : Oddyssey to the West). Une méthode de collaboration est-ouest que Nintendo, là aussi précurseur, avait déjà tenté et réussi dans les années 90 et 2000 avec les anglais de Rare (GoldenEye 007, Donkey Kong…) et les texans de Retro Studios sur la série Metroid Prime et le prochain Donkey Kong Country Returns sur Wii. Aujourd’hui sur les étalages, à côté du transfuge Dead Rising 2, le nouveau Castlevania : Lords of Shadow de Konami a été réalisé par les espagnols de Mercury Steam sous la supervision de la star japonaise Hideo Kojima (Metal Gear Solid).

Néo cross-over

La mutation s’avère plus douloureuse du côté des développeurs japonais ambitieux encore indépendants. Malgré de gros efforts d’occidentalisation de leurs nouvelles créations. Les très américanisés Mad World de PlatinumGames et No More Heroes de Grasshopper ont fait un four sur Wii. Et il faudra guetter l’accueil mondial de l’étonnant, mais bâtard, Vanquish qui greffe, jusqu’à frôler la parodie high-tech, le modèle Gears of War à des affrontements mécha japonais. Son auteur, justement, l’insaisissable Shinji Mikami, a accepté de rejoindre l’éditeur américain Zenimax/Bethesda en compagnie de son studio attitré tokyoïte Tango Gameworks. L’auteur de Resident Evil côtoie ainsi les créateurs de Doom et Quake. Une situation inédite qui annonce peut-être une migration opportuniste vers l’ouest de quelques pointures japonaises courant après un vrai succès international. La crise identitaire du jeu vidéo à la japonaise s’apprête ainsi à donner naissance à un nouveau melting-pot économique et culturel américano-japonais sans que l’on sache très bien à qui il va profiter.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2011 dans Chronic’art)

 


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