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Olivier Derivière : Talent brut

Olivier Deriviere ne veut pas créer de la musique de jeu vidéo en se contentant de singer des partitions classiques ou du cinéma. Alors il argumente avec les créateurs, parfois les journalistes, et donne des masters class pour convaincre qu’il existe une autre voie.
Interview sans fausse note

Rapido bio

Encadré par une mère professeur de chant et un père « philanthrope mélomane », Olivier Deriviere fait des études de musique classique, se spécialise en percussions, mais avec dans la tête une seule obsession : devenir programmeur de jeux vidéo. Il obtient un Bac scientifique, part à Math-Info. Il se découvre finalement « piètre programmeur » et se lance dans la musique de jeux vidéo : Obscure I et II, le reboot de Alone in the Dark (2008), une collaboration régulière avec le studio français Spiders (Of Orcs and Men et le récent Bound By Flame). Entre deux compositions il donne des conférences autour du monde.

Le jeu vidéo doit conserver parce que, malgré ses 10 ans dans le milieu et sa quinzaine de collaborations entre 2004 et 2014, le compositeur français de la musique d’Assassin’s Creed IV : Freedom Cry et Remember Me a beau revendiquer une longue expérience, il ne fait pas son âge. Forcé par une appendicite sur le tard de mettre pied à terre dans son studio son parisien en avril dernier, Olivier Derivière dégage une énergie où se mélangent, dans un même élan de conquête, enthousiasmes et colères. À 35 ans il a la gnake du gamer-winner, et encore la fougue de l’ado. Celle qui distribue les critiques sans craindre de représailles d’un milieu qu’il maîtrise, qui tire à vue sur la compétition vivante et va chercher dans les intouchables morts les maîtres à composer. Avare en compliments pour autrui, Deriviere en mode autocritique ne se ménage pas non plus. Et il trie avec une ironie lucide ses flatteries. Quand The International Film Music Critics Association (IFMCA) attribue un award à la BO de Remember Me, le célèbre mixeur et ingénieur son des Seigneurs des Anneaux, John Kurlander, le félicite en lui disant : « Tu n’imagines pas combien c’est énorme d’avoir eu ce prix », le jeune et toujours pragmatique compositeur lui réplique : « J’imagine tellement pas qu’il n’y a personne qui m’appelle depuis ».

« Je ne prends jamais comme idée initiale une musique, mais le jeu et ce qu’il doit être.« 

Bliss : Comment vient votre inspiration ?

Olivier Derivière : Des chercheurs m’ont dit dernièrement, « Quand nous trouvons quelque chose, c’est par accident ». Dans la musique vous êtes soit dans les conventions, soit dans l’expérimentation sans savoir où vous allez. J’ai appris l’harmonie, l’orchestration, donc je fais avec ces conventions là, je les casse peut-être un peu mais avec cette base je sais où je vais, et je peux donc intérioriser les choses. Puis, comme il m’est arrivé avec Remember Me, je peux tomber par accident sur un truc qui fonctionne et le garder. Il n’y a pas de méthode, j’espère pas.

Bliss : Vous entendez la musique dans votre tête avant de la jouer ?

O. D. : Oui, d’une certaine manière, mais comme dirait Romain Gary, toute idée incarnée est déjà diminuée. Retranscrire ce que vous avez en tête est compliqué. Il y a beaucoup d’excellents musiciens qui ne savent pas retranscrire ce qu’ils ont dans la tête. D’autres connaissent très bien la musique mais ne sont pas du tout musicien. Par contre ils arrivent à écrire parce qu’ils sont dans les conventions. Donc je peux entendre des harmonies, surtout des mélodies, je suis quelqu’un de très thématique. Mais je ne prends jamais comme idée initiale une musique, mais le jeu et ce qu’il doit être.

Bliss : Comment se déroule votre collaboration sur un jeu ?

O. D. : Je discute longuement avec le responsable du jeu. Il me parle de son projet et par une espèce de projection, d’émulation je m’approprie son jeu. Mais il faut que je réalise si oui ou non je peux travailler avec lui, si nous sommes de la même sensibilité. Est-ce que quand il va dire bleu eh bien je vais répondre bleu. Et d’ailleurs comme il n’est pas possible pour moi de dépendre de trois versions différentes, si le producteur, le directeur créatif et le directeur audio intervenaient par exemple, je demande que soit indiquée dans le contrat la personne avec qui j’interagis et qui « valide » mon travail. Je ne leur impose personne mais ils doivent choisir mon interlocuteur unique. Cela fait dix ans que je fais ce métier, j’en connais les travers.

Bliss : Vos interlocuteurs arrivent avec une idée préconçue de la musique ?

O. D. : Oui, mais je leur demande immédiatement de ne pas me faire écouter ce qu’ils ont sous la main. Et ce n’est pas par égo. Un exemple : en écoutant mes musiques, un responsable d’un gros éditeur me dit un jour : « En fait tu fais de la musique ». Et moi je comprend ce qu’il veut dire quand il me dit ça. En gros ma musique raconte quelque chose. Il me dit alors : « Tu ne veux pas faire comme font les autres ? ». Je réponds bien sûr que non. Je fais un truc unique à chaque projet. Il me dit : « Ça nous rassurerait ». Donc nous n’avons jamais travaillé ensemble.

Bliss : La musique orchestrale du jeu vidéo pique tout au cinéma de nos jours, non ?

O. D. : Oui mais le cinéma a emprunté à la musique classique, à l’opéra… Donc la vraie influence vient d’abord de là. Le cinéma s’est inspiré de la musique classique et le jeu vidéo s’inspire du cinéma alors par effet domino, le jeu vidéo hérite de ça. Et c’est contre quoi je me bats énormément dans le jeu vidéo. Il y en a assez de faire du pseudo cinéma alors qu’il y a tellement d’autres choses possibles.

Bliss : Les jeux vidéo n’ont-ils pas intérêts à mieux développer des thèmes musicaux identifiables comme dans Halo ? 

O. D. : Je reproche justement à beaucoup trop de jeux de sonner pareil. Bungie a développé un univers assez unique avec la musique… À la première note on sait qu’il s’agit de Halo. Le jeu utilise un montage narratif musical par-dessus la structure narrative du jeu. La musique n’entre pas dans le procédé systémique habituel qui consiste à souligner chaque action avec de la musique. La musique raconte une histoire. Il y a un combat avec de la musique puis un autre sans. Pourquoi ? Parce qu’il y a un enjeu différent. En 2001, manette en mains, j’avais envie de pleurer en entendant ça.

Bliss : Jusqu’où un compositeur peut-il s’impliquer dans le travail sonore d’un jeu ? Créations des sons, casting vocal, mixage ?

O. D. : D’un studio à un autre ça se déroule complètement différemment, et d’une manière générale il est extrêmement difficile pour les compositeurs d’être influents sur un mixage. Très souvent la musique se retrouve dans le background. Pour des raisons qui peuvent être multiplies et que je ne vais pas énumérer là. Mais d’un autre côté si la musique n’apporte rien de plus à la dimension du jeu en étant placée devant, alors autant la caser dans le background. En revanche, quand la musique a quelque chose à dire et qu’elle se retrouve dans le fond, comme cela arrive souvent, c’est gravissime. Dans Alone in the Dark (2008) je me suis occupé du mixage sonore de tout le jeu. Avec Obscure 1 et 2, j’ai tout fait, la musique, les sons… Quand j’ai commencé, en 2003, je créais la musique, les sons, les bruitages, et j’intégrais tout. Je concevais et désignais aussi les outils, les « tools », la façon dont on « attache » un son sur un personnage, une action, un lieu. J’avais un programmeur extrêmement doué avec moi qui nous a permis de faire des trucs hyper poussés à l’époque sur PlayStation 2 et Xbox.

Bliss : Vous avez un exemple de cette intégration de la musique au gameplay ?

O. D. : Pour les séquences de combats de Remember Me j’ai écrit des musiques qui intègrent moins de mélodie sauf quand le joueur utilise des mouvements spéciaux. Plus les combos s’enchaînent plus la musique progresse et balance les grosses watts. Sauf que l’idée a échoué parceque le jeu était tellement dur que personne n’arrivait à enchainer les combos, donc personne n’a entendu le meilleure des pistes musicales. On a été nul sur ce coup là (rires).

Bliss : Les rôles de chacun sont-ils bien définis dans le jeu vidéo comme, par exemple, au cinéma ?

O. D. : Il s’agit justement là d’un des problèmes des productions de jeu vidéo, les rôles sont à définir à chaque fois. Du côté positif, cela provoque un processus organique et rock’n roll avec beaucoup plus de liberté. Il faut se battre pour ses idées et puis voilà. Du côté négatif, toute la procédure manque de vision, de professionnalisme et d’empirisme. Les gens n’ont pas d’expérience, à part ceux qui viennent du cinéma.

Bliss : La musique de jeux vidéo japonais fait l’objet d’un culte particulier, notamment en France, mais a-t-elle évolué avec le reste de l’industrie ?

O. D. : À l’époque dorée de la PlayStation 2, les japonais plaçaient la musique extrêmement en avant. Dans Final Fantasy VII il n’y avait quasiment pas de sons mais de la musique tout le temps. Et on parle de 60h à 100h de gameplay illustrées de musique. Aujourd’hui FFVII est porté aux nues, mais le compositeur Nobuo Uematsu se défend d’être un grand compositeur. Je dirais que c’est quelqu’un de respectable qui écrit de très belles mélodies, un très bon musicien pour en revenir à ce que je disais tout à l’heure. Vous reprenez du Ravel et du Debussy light et sans caféine et voilà. À titre professionnel je ne prends pas les commandes de musique classique que l’on me propose, ce n’est pas mon truc, mais j’ai étudié ces gens là, je vois le génie. Donc je n’ai aucun problème avec le fait qu’on s’en inspire, mais j’ai un peu de souci sur la sacralisation d’une musique qui, de nos jours, est tellement empruntée qu’elle tombe dans la mièvrerie et la répétition sucrée. Mais les gens en raffolent encore, du moment que cela vient du Japon c’est beaucoup plus accepté. Ce qui est marrant c’est que la musique des jeux vidéo japonais est beaucoup plus exploitable en concert que les musiques occidentales. Mais il faudrait étudier l’étymologie musicale de ce qu’on appelle, dans le jeu vidéo, la musique venant du Japon par rapport à celle de l’occident. On se rendrait sans doute compte qu’il n’y a pas grand chose de vraiment intéressant dans la musique de jeu vidéo.

Bliss : L’OST du DLC ACIV : Freedom Cry contient 70’ de musique tandis que celui du jeu complet Remember Me ne dure que 49’, pourquoi cet écart quantitatif inversé ?

O. D. : Une bonne BO dure 45 à 50’ maximum. C’est du travail d’assembler un soundtrack, de sortir un CD à partir d’une musique de jeux vidéo et j’ai travaillé avec les labels. Quand j’écris une musique de jeu, je n’écris pas pour faire un CD. La musique est adaptée au gameplay. Dans Remember Me il y a des morceaux qui font 2 à 8 mesures et des mesures où il n’y a rien, parce que cela dépend des actions du joueur. Les morceaux de musique sont morcelés. Alors quand on fait une piste de 3 à 4’ pour l’OST par la suite, il faut assembler certaines choses qui ne vont pas forcément ensembles. Sur Remember Me par exemple je n’ai retenu que les morceaux orchestraux, pas les electros, parce que c’était le plus intéressant. Si vous écoutez bien le soundtrack de Remember Me, les mouvements, chacun des mouvements, vous vous direz peut-être : « on dirait que cela aurait pu se terminer là » (rires). Mais l’ensemble a une consistance. Cela dit il reste encore 50’ d’orchestral non exploité. On n’avait pas les moyens de les enregistrer.

Bliss : À vous entendre, créer de la musique de films est presque facile à côté de la musique de jeux vidéo ! En plus de savoir écrire des thèmes, des contrepoints, il y a dans le jeu vidéo tout un travail de gestion des « systèmes »…

O. D. : Exactement. Quand mes confrères de musique de films me voient bosser ils me disent : jamais, jamais, jamais ! Et d’ailleurs, ça y est, le jeu vidéo revient un peu d’Hollywood et commence à réembaucher des spécialistes de la musique de jeu video.

Bliss : Pour le DLC Freedom Cry vous n’avez pas collaborer avec Brian Taylor qui vient du cinéma et qui a fait la musique de AC IV : Black Flag ? 

O. D. : Non pas du tout. S’il avait travaillé sur le DLC il aurait dû recomposer des choses pour s’adapter au sujet de l’esclavage et non plus de la piraterie et cela aurait sans doute coûté trop cher. Donc pour le jeu principal ça va, mais pour le DLC on prend un petit français dans une cave (rires).

Bliss : Est-ce qu’il y a des joueurs qui viennent vous voir en disant « j’ai aimé votre musique » et donc qui vous ont identifié en tant que compositeur ?

O. D. : Oui, il y en a. Je vais pas dire que ça ne fait pas plaisir. Mais vous savez, malgré ma quinzaine de projets musicaux je n’ai jamais fait ce qu’on appelle un « hit », j’ai toujours été dans l’ombre des projets, je n’ai jamais eu, comme certains confrères, ce sentiment de wouah ! ça y est j’ai réussi (rires). Alors je suis content qu’ils aient remarqué la musique et je les remercie.

Bliss : Le milieu classique dont vous venez ne vous reproche pas de faire de la musique de jeu vidéo ? Il n’y a pas de rupture culturelle ?

O. D. : Non pas du tout, au contraire. Ils sont très aimables avec le fait que je travaille pour le jeu vidéo. Ça les change… Et puis dans mes projets de jeux vidéo j’ai toujours fonctionné avec des orchestres classiques. Je fais appel aux Choeurs d’enfants de l’Opéra de Paris, au Boston Symphony Orchestra, aux Orchestres Philarmoniques de Londres et Bruxelles… Ils savent que j’ai toujours un rapport avec la qualité d’interprétation. Ils comprennent.

À propos de…

Alone in the Dark (2008) : « Le jeu était raté mais a fait parlé de lui, parce qu’il y avait quelque chose, une volonté. On pourrait écrire un livre sur le sujet. J’ai la chance d’avoir participé à des jeux qui se sont fait remarqués, même si cela n’a pas toujours été pour les bonnes raisons. »

Remember Me.  : « Don’t Nod a recruté le compositeur par concours anonyme. Je suis totalement contre ce procédé alors je leur ai fait un truc complètement barré. Et puis ils m’ont rappelé en disant : « c’est toi ». Là je me suis dit qu’il s’agissait de gens intéressants » (rires).

Assassin’s Creed IV : Freedom Cry : « Ubisoft m’a appelé au milieu de la production du jeu. Je leur ai dit : ça va être un peu compliqué. Mais on ne refuse pas de travailler sur une série comme celle-là. Ça c’est fait tellement vite que je suis reparti travailler aussitôt avec le studio Spiders sur Bound by Flame. »

Bound by Flame : « Sur les premières bandes-annonces de Bound by Flame on entend une autre musique que celle que j’ai fournie. Comme toujours ce sont des décisions marketing. J’ai composé 3 heures et demi de musique pour le jeu. »

Propos recueillis en avril 2014 par François Bliss de la Boissière

(Publié dans le bimestriel Games n° 4 Juillet-Août 2014)


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire.
Pour en savoir plus, n’hésitez pas à lire ma Note d’intention.

BEST OF JEUX 2013 : L’année à couper le souffle

Chaque année une ou plusieurs tendances technique ou artistique se dégagent, discrètes ou « in your face ». Comme si les créateurs se passaient le mot. En 2013 l’utilisation appuyée de la respiration haletante du personnage principal a brusquement fait basculer l’usage jusque là occasionnel à la surexploitation, à la limite du ridicule dans certaines productions ou situations à force d’être aussi appuyée.

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Surjouée comme à chaque trouvaille du jeu vidéo, l’utilisation de la respiration comme outil de ponctuation ou d’amplification sonore se justifie pourtant chaque jour un peu plus pour donner vie aux personnages virtuels. Et elle s’explique de plusieurs façons. Par-delà le suspens et l’excitation de l’action, le jeu vidéo cherche désormais à provoquer, ou plutôt à faire vivre, des émotions affectives à travers des héros à l’apparence et aux réactions de plus en plus proches des êtres de chair et de sang. Faire entendre, quitte à en rajouter dans la ventilation, tous les rythmes de la respiration doit déclencher chez le joueur une empathie charnelle, rendre crédible par mimétisme biologique les situations. Et donc faire croire à ce que vit et subit son héros de polygones. Après des années de motion capture où des acteurs récitaient leur texte derrière un micro, la performance capture s’est généralisée à la plupart des grosses productions. Sur le modèle défendu par Avatar au cinéma et Naughty Dog et Quantic Dream dans le jeu vidéo, les acteurs jouent ensemble et physiquement les situations dans un studio avec des accessoires. Quand un acteur grimpe une échelle ou se hisse sur un échafaudage, il suffit de lui demander de bien faire entendre son effort pour que son souffle enregistré devienne un outil sonore de mise en scène à part entière. Au cinéma cela serait surjoué, dans un jeu vidéo avec des personnages de cire numérique, cela aide à y croire davantage. La nouvelle Lara Croft en particulier, soit disant moins sexualisée (c’est tout l’inverse !) fait entendre de façon très explicite inspirations et expirations à tout moment. Sa respiration ponctue chacun de ses gestes, les plus intimes comme sa réaction démesurée aux cascades spectaculaires provoquées par le décor. Derrière elle, les Nilin de Remember Me, Elllie et Joel de The Last of Us et, bien sûr, la Jodie de Beyond : Two Souls, soupirent et grognent à qui mieux mieux. Et parfois sanglotent. Mélangé à des effets d’ambiance assez raffinés pour oser les silences et des partitions musicales de plus en plus nuancées et inspirées, le jeu des acteurs (en VO) a également nettement progressé cette année. Malgré quelques excès, 2013 est aussi l’année de la maturité sonore. Même les dialogues des NPC de Assassin’s Creed IV sont désormais justes et bien placés dans l’espace.

Et cela tombe bien que cette année 2013 exceptionnelle (millésime même) à tous points de vue soit aussi essoufflante à entendre qu’à vivre. Malgré d’ultimes chefs d’œuvre, les consoles PS3 et Xbox 360 étaient arrivées à bout de souffle. Et, à force d’accélération, tous les halètements entendus dans l’année ont fini par accoucher… d’une nouvelle génération de consoles de salon. Après tant de contractions, le soupir d’aise est de rigueur.

Mode d’emploi de ce best of : Sur le modèle du cinéma qui ne compare pas les longs métrages et les courts métrages, productions à gros budgets, jeux dits indés et jeux portables ont chacun leur top, même si les frontières sont poreuses. Toujours militant pour davantage de créations originales et moins de suites, les jeux inédits et les suites (identifiées comme telles) sont classés à part. Ce à quoi vient s’ajouter – pourquoi faire simple ? – une nouvelle tendance/catégorie indentifiable et à suivre : les reboots (où se glisse – parce qu’il fallait bien trancher – Bioshock Infinite) dont la réussite et la perche tendue par les nouvelles consoles vont forcément déclencher un mouvement général (Thief, Zelda ?, Prey ?…). Pour des raisons indépendantes de notre volonté, jeux Xbox One pas encore pratiqués en longueur, mais, pour les avoir essayés, aucun des trois premiers jeux Microsoft ne serait apparu dans ces tops. D’une manière générale, dans la volonté d’élever le jeu vidéo au-dessus de sa condition de défouloir et de série B ou Z, même si réussis, les jeux à base de violence excessive et souvent gratuite, ne peuvent pas devenir les symboles principaux d’une année jeu vidéo. L’absence de titres célèbres dans ces listes n’est donc pas accidentelle.

Top jeux inédits 2013

Autre tendance majeure installée dans la majorité des blockbusters : pouvoir détecter à distance les ennemis et objets d’intérêts et, tant qu’à faire, y compris à travers les murs. Hier réservé à l’équipement high-tech d’un Sam Fisher dans Splinter Cell, ou à la magie noire de Dishonored, toutes les excuses sont maintenant bonnes pour offrir au joueur un super pouvoir proche du méta game : vision d’aigle dans Assassin’s Creed, ouï hyper sensible dans The Last of Us, créature commandée à distance dans Beyond, magie ou hyper sensibilité de Lara Croft dans Tomb Raider ? Une aptitude toute au service du gameplay qui se double d’une dimension esthétique puisqu’elle offre une nouvelle interprétation visuelle du décor, souvent dans de jolis noirs et blancs éthérés. Le joueur est de plus en plus dans le jeu et au-dessus du jeu. Raison de plus pour prendre de la hauteur…

1 / Beyond : Two Souls
Au-delà des polémiques stériles autour d’un gameplay qui ne serait pas ci ou ça, Beyond est une œuvre cohérente à tous les niveaux : narratif, intellectuel, interactif. Il y a quelque chose de complet, d’autonome, dans l’expérience Beyond. David Cage est sur une piste qu’il faut encourager plutôt que critiquer. Elle n’élimine pas le reste de l’industrie aux arguments interactifs plus traditionnels.
(Quantic Dream / PS3)

2 / Remember Me
Sans doute le jeu le plus visionnaire (aux côtés de Bioshock Infinite) avec son néo Paris de 2084 tagué d’étiquettes virtuelles comme si tout le monde portait déjà des Google Glass 4egénération. Histoire et background particulièrement bien écrits et thème sur l’exploitation de la mémoire pour le coup vraiment adulte. Descendant plus qu’honorable des beat’em all japonais, le touché est un peu fuyant mais toujours fiable par rapport aux besoins du jeu. Avec regrets, Remember Me semble avoir rejoint les plus célèbres incompris de ces dernières années (Mirror’s Edge, Enslaved…). Ce qui promet une prochaine réhabilitation puis un culte.
(Dont Nod Entertainment / Xbox 360, PS3, PC)

3 / The Last of Us
Dommage que le talent tout terrain de Naughty Dog se laisse aller à la surenchère de violence gore sous prétexte de générer de l’empathie. Quel joueur adulte trouvera crédible une petite fille (mineure) capable de flinguer et poignarder à tours de bras et au corps à corps des humains (en plus des « infectés ») ? Surtout que, oui, Naughty Dog a aussi réussi à concrétiser dramatiquement les échanges de coups au corps à corps. Ce qui restera surtout au-delà du jeu des comédiens impeccables dans les cinématiques (en VO) : le stupéfiant « road movie » interactif qui présente une coupe transversale de l’Amérique traversée de villes en bourgades dévastées, d’universités abandonnées en lodges perdus dans la nature. L’énorme et minutieux travail architectural à partir de lieux réels laisse vraiment l’impression d’avoir visité tous ces endroits.
(Naughty Dog / PS3)

4 / Ni no Kuni : La Vengeance de la sorcière Céleste
Le double pedigree Level-5 et studio Ghibli ne suffit pas tout à fait à expliquer la douce magie qui émane de ce vibrant hommage aux jeux de rôles japonais. Tous les clichés y sont revisités mais transcendés et allégés des lourdeurs du JRPG traditionnel (combats tour par tour semi temps réel, exploration libre…). Une splendeur visuelle intemporelle, une interactivité sophistiquée mais accessible. Un conte appréciable par les enfants ET les adultes.
(Level-5 / PS3)

5 / Zelda : The Wind Waker HD
Pas « inédit » au sens commercial puisque déjà sorti sur GameCube en 2002 (soit au moins deux générations de nouveaux gamers en arrière), mais à jamais unique, s’agit-il là d’une suite, d’un reboot, d’un remake ? Un peu tout cela et bien plus. Car voilà surtout la preuve qu’il s’agit là, comme un dessin animé de Myazaki, d’un jeu indémodable, intemporel, transgénérationnel, transtechnologie, transcontinental… qu’il fallait absolument rendre accessible à tous sur une console contemporaine. La première et suffisante raison d’acheter une Wii U.
(Nintendo / Wii U)

Top suites AAA 2013

1 / Assassin’s Creed IV : Black Flag
Le choc inattendu d’une série trop vite essoufflée par des sorties annualisées. Sur la PlayStation 4 où tout l’espace terre-mer se dévoile sans pudeur, ce Blag Flag devient le descendant adulte de Wind Waker : orages et tornades en mer compris. Au point de filer presque un coup de vieux au chef d’œuvre pourtant indémodable de Nintendo.
(Ubisoft / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)

2 / Gran Turismo 6
Après un Gran Turismo 5 au bord de l’apoplexie et de l’accident industriel plombé par une interface inabordable, GT6 retrouve de manière totalement inespérée sa couronne de Real Driving Simulator. Non seulement parce que les menus se laissent enfin découvrir sans écueils majeurs, mais parce que la conduite a fait un grand bond en avant avec une gestion bien plus souple et organique des amortisseurs et des dérapages scotchant à la route.
(Polyphony Digital / PS3)

3 / Super Mario 3D World
2D et 3D modérée se confondent dans un festival d’épreuves plutôt courtes faisant à chaque seconde la démonstration de l’inventivité sans fin de Nintendo. Épuisant de créativité.
(Nintendo / Wii U)

4 / Pikmin 3
Sans doute la version définitive du concept de RTS à la sauce Nintendo amorcé il y a déjà bien longtemps sur GameCube. Sans surprise, un peu tard dans la grande chronologie du jeu vidéo mais irrésistible sur Wii U et son rendu photo réaliste.
(Nintendo / Wii U)

5 / Battlefield 4
En laissant de côté les différents bugs, dont ceux liés aux modes multijoueur, la campagne solo de Battlefield 4 déroule morceaux de bravoure sur morceaux de bravoure. Bien sûr les triggers happy pressés de s’éprouver en ligne n’y verront, comme dans le dernier et plutôt réussi aussi Call of Duty : Ghosts, qu’une succession de rides sans grands enjeux. Et pourtant, pour le joueur « ordinaire » de FPS qui prendra le temps d’apprécier le décor et la mise en scène autour de lui, chaque tableau est vraiment épique, la claque physique énorme. Sans compter l’esthétique classieuse saturée unique du moteur Frostbite.
(DICE / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)

Top reboot 2013

1 / Tomb Raider
Après des trailers maladroits et des polémiques mal venues, le projet de reboot de Tomb Raider a fait très peur, jusqu’à ce que, une fois en mains, le jeu fasse ses preuves, et quelles preuves ! Plus cascadeuse de haut vol qu’Indiana Jones, cette nouvelle Lara emprunte le meilleur de tous les trucs des blockbusters de ces dernières années avec, là surgit le choc le plus important, un aplomb et un polish interactif inédit dans la série.
(Crystal Dynamics / Xbox 360, PS3, PC, Mac, à venir : PS4, Xbox One)

2 / Bioshock Infinite
Autant caser dans la section « reboot » ce Bioshock au contexte complètement réinventé qui ne retient du premier épisode qu’une partie du gameplay FPS/RPG US. Ken Levine vise clairement très haut, trébuche avec des séquences de tir absurdes qui finissent par écorner le monde si méticuleusement édifié. Il n’empêche, après Rapture sous les eaux, la cité dans le ciel de Columbia a d’ores et déjà marqué pour toujours le jeu vidéo.
(Irrational Games / Xbox 360, PS3, PC, Mac)

3 / DmC Devil May Cry
Deux choses importantes à retenir de cette fabuleuse réinvention aussi jouable que splendide à voir, une double confirmation : le savoir-faire japonais en jeu d’action est bel et bien totalement dépassé par celui de l’occident ; le studio Ninja Theory est un des meilleurs monde, et sans doute le plus chic (Enslaved).
(Ninja Theory / Xbox 360, PS3, PC)

Top jeux indés 2013

La notion de jeux indés devient chaque jour un peu plus flou. Curaté par Steam ou en accès libre autonome sur ordinateur ? Publié par Microsoft sur Xbox Live… Arcade (appellation souvent déplacée, Brothers, qui s’y trouve, n’est pas un jeu « d’arcade ») ? Soutenu par Sony Computer ? Portable ou sur appareils de salon ? Une ligne pointillée sépare désormais tous ces jeux dont le véritable point commun serait d’avoir été créé avec un « petit » budget là aussi très variable.

1 / Brothers : A Tale of Two Sons
La démonstration bouleversante qu’un jeu vidéo peut émouvoir par le gameplay, et c’est un réalisateur de cinéma qui vient la faire en collaboration avec un studio de jeu vidéo.
(Starbreeze / XBLA, PSN, PC)

2 / Luxuria Superbia
Il suffit de toucher ce jeu ventouse sur iPad pour ne plus resté bloqué aux scènes de douche ou de lap dance en substituts de scènes de sexe censurées des grosses productions. Le sexe en jeu vidéo, c’est possible finalement. Même sur l’App Store Apple, qui l’eu cru ?
(Tale of Tales / IOS, Android, PC, Mac, Linux)

3 / The Stanley Parable
Une mise en abime complice, physique et mentale étonnante du joueur et du créateur. L’équipe de Galactic Cafe a visiblement bien retenu les pistes lancées par Portal et Portal 2… (Partie encore en cours mais déjà manipulé par le jeu de façon magistrale).
(Galactic Cafe / Mac, PC)

4 / Gone Home
Un descendant indoor de Myst, plus matérialiste et midinette, mais aussi plus proche de la vie réelle, plus psychologique. L’introspection en jeu vidéo a désormais un nom. Les nostalgiques des années 90 sont tombés les premiers amoureux de ce touchant hommage à une époque grunge chérie avant d’entrainer d’autres publics. Dommage que, techniquement, le jeu donne du fil à retordre à des gros iMac (PC ?) pas plus vieux que 2009.
(The Fullbright Company / PC, Mac, Linux)

5 / The Cave
Pas si classique ce revival du puzzle exploration de Ron Gilbert, drôlement malin et bien animé. On en rit encore.
(Double Fine Productions / XBLA, PSN, IOS, Android, PC, Mac, Linux)
Top jeux portables 2013

1 / Zelda : A Link Between Worlds
L’impact émotionnel de ce revival du classique SuperNintendo ne peut vraiment pas s’apprécier sereinement tellement il bouleverse les sens et fait trembler les doigts. Le plus beau compliment qu’on puisse lui faire consiste sans doute à craindre que toute l’énergie créatrice de ce A Link Between Worlds hyper dynamique sur 3DS rende très difficile de relancer l’original.
(Nintendo / 3DS)

2 / Luigi’s Mansion 2
L’original GameCube était et reste un jeu vraiment unique. Cette suite baptisée Dark Moon en VO (sans le chiffre 2 peut-être rassurant pour le marché européen, mais, au fond, insultant) confirme un mélange d’action, exploration, puzzle et ambiance vraiment fun, toujours surprenant et fondamentalement stupéfiant. Personne en 12 ans ne semble avoir exploité le système impayable de pêche à la ligne aux fantômes. Bulletstorm en avait peut-être trouvé une déclinaison en forme de FPS…
(Nintendo / 3DS)

3 / Tearaway
Comme LittleBigPlanet avant lui, Tearaway ne peut pas exister sans le talent poétique du studio Media Molecule seul capable d’injecter dans un jeu plein de surprises, de poésie, de folie douce, d’humour premier et énième degré. Un jeu capable de mélanger des concepts abstraits tout en exploitant toute la panoplie interactive tactile disponible sur PlayStation Vita.
(Media Molecule / PS Vita)

4 / Badland
Magnifique à regarder, étonnant à jouer, seul et même à plusieurs, le tout avec un seul doigt sur iPad. Une des plus complètes production artistique sur iPad avec un gameplay vraiment organique sans cesse surprenant.
(Frogmind / IOS, Android)

5 / Ridiculous Fishing
Dans la catégorie des jeux idiots (Angry Birds quelqu’un ?) faussement simpliste, Ridiculous (c’est dans le titre) Fishing remporte le pompon. Achever ses poissons au shotgun façon ball-trap après les avoir pêchés en eaux profondes, ça ne s’explique pas.
(Vlambeer / IOS, Android)

Top DLC 2013

Hier systématiquement réservés aux parties multi-joueurs en ligne au grand désarroi des amateurs de jeux narratifs prêts à prolonger l’histoire, les DLC de jeux d’action à vocation narrative auront eu droit en 2013 à de vrais chapitres additionnels. Mention spéciale au culotté et quasi high-concept Blood Dragon vaguement accroché à Far Cry 3.
> Dishonored : La Lame de Dunwall
> Dishonored : Les sorcières de Brigmore
> Far Cry 3 : Blood Dragon
> Bioshock Infinite : Buried at sea
> DmC Devil May Cry : La chute de Vergil

Le mot de la fin.

En 2013, la conclusion de trois jeux importants ont confirmé la maturité grandissante du jeu vidéo en général. (GARANTI SANS SPOILERS) Les dernières images et ultimes mots ou silences de Beyond : Two Souls, Brothers et The Last of Us impressionnent grandement par leur audace et capacité à prolonger leur vibration interne au-delà du mot FIN. Chacun de ces jeux se concluent logiquement en même temps que leur histoire, ferment bien leur boucle narrative et émotionnelle, et pourtant, ils continuent de résonner dans le joueur/spectateur bien après la dernière ligne du générique. Les trois jeux osent un véritable coming out au moment de leur conclusion, révèlent tout à coup une ambition thématique et un propos supérieur qui offrent au jeu vidéo, après Journey, une dimension intellectuelle et philosophique que les guetteurs du jeu vidéo vraiment adulte sauront apprécier.

François Bliss de la Boissière

 


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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