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La petite musique des jeux vidéo

De ses débuts il y a tout juste 30 ans jusqu’à aujourd’hui, le jeu vidéo a évolué très vite, techniquement et artistiquement. La musique illustrant les jeux vidéo est par exemple passée des sons bip bip 8-Bits de ses débuts aux compositions orchestrales d’aujourd’hui. La technologie a suivi cette évolution mais pas toujours la législation. Surtout en France où l’exception culturelle qui protège les auteurs-compositeurs au risque de compromette l’équilibre budgétaire nécessaire à la conception d’un jeu vidéo.

L’âge adulte artistique

Bien que restitués avec des moyens techniques alors limités à sa naissance dans les années 70 aux années 90, les thèmes musicaux des premiers jeux vidéo ont acquis une célébrité jusqu’à devenir des classiques et être interprétés par des orchestres symphoniques. L’apparition du support CD sur ordinateur, puis la première console PlayStation de Sony, a changé les choses au milieu des années 90 en permettant d’illustrer l’environnement sonore et musical des jeux avec une qualité optimale de reproduction. Habitué à concevoir des musiques synthétiques plus économiques à produire, l’industrie dans son entier n’a pas immédiatement basculée vers des compositions acoustiques. Aujourd’hui néanmoins, les mélodies que l’on entend sur les derniers jeux Mario sur Wii (Super Mario Galaxy…) ont été enregistrées par un vrai orchestre symphonique et s’apprécient dans toute leur grâce pendant que le joueur saute de planètes en planètes. 

Avec l’arrivée des ambitieuses consoles PlayStation 2 et Xbox dans les années 2000, les jeux vidéo ont commencé à se mettre en scène et à se dramatiser avec des partitions musicales dignes de productions hollywoodiennes. Certains compositeurs travaillent d’ailleurs dans les deux industries. Un des plus connus, Harry Gregson-Williams, a composé la musique du jeu Metal Gear Solid et des films Shrek, Narnia, Kingdom of Heaven… Immédiatement identifiables, les thèmes des séries de jeux japonais Dragon Quest, ou Final Fantasy, composé par le respecté Nobuo Uematsu, et américains, Halo composé par Martin O’Donnell, génèrent, comme ceux des films Star Wars, Indiana Jones ou Superman un culte lié à toute l’émotion que les notes de musique peuvent provoquer.

La musique de jeux vidéo en tournée

Depuis 2005, un orchestre symphonique dirigé par la baguette de deux chefs d’orchestre compositeurs de musique de jeux, Tommy Tallarico (Earthworm Jim, Prince of Persia…) et Jack Wall (Myst III et IV, Splinter Cell, Mass Effect 1 et 2…), interprète en public dans les plus prestigieuses salles de concert du monde les thèmes d’une sélection de jeux vidéo célèbres. Déjà passée deux fois à Paris, la dernière prestation de la tournée Video Games Live a eu lieu dans le Palais des Congrès de la capitale le 17 décembre dernier avec un nouveau chef d’orchestre, l’italien Emmanuel Fratianni, compositeur co-crédité sur le jeu Advent Rising. Ponctuellement, des invités rejoignent les prestations live. Kinuyo Yamashita, la compositrice japonaise du jeu Castlevania a par exemple participé aux concert donnés à Newark aux USA fin décembre 2010. Lors de la première représentation à Paris en 2009, le créateur français du jeu Rayman, Michel Ancel, est monté sur scène avec deux musiciens pour jouer en live le thème de son prochain jeu Beyond Good and Evil 2. Une captation du concert existe en CD Audio et il est possible d’écouter des extraits gratuits en streaming sur Deezer.

L’élite des OST

Réservés à une élite de passionnés qui devaient acheter à prix d’or des versions imports, les OST (Original Sound Tracks), ou bandes originales de jeux vidéo, ont commencé à être éditée en CD Audio. D’abord au Japon grâce aux compositions très appréciées sur les jeux de rôle des éditeurs Square et Enix, puis, peu à peu dans le reste du monde. De nos jours, les OST ne sont plus rares et se trouvent presque facilement dans le commerce en France. À commencer par les magasins de musique dématérialisée accessible sur les stores d’Amazon ou d’Apple. La musique des jeux Mass Effect 1 et 2 signée Jack Wall est par exemple disponible en 6 albums sur iTunes. Le store Apple référence également 10 OST des jeux vidéo japonais Final Fantasy : des bandes originales complètes ou des réinterprétations orchestrales ou au piano.

Musique étouffée en France

En pleine effervescence, la création de musique pour jeu vidéo est freinée en France par une situation juridique aujourd’hui bloquée. Encore considéré comme un simple logiciel informatique, le jeu vidéo ne peut pas s’appuyer sur un réel statut législatif et culturel. Un trouble légal qui peut créer des situations dramatiques comme le raconte Emmanuel Forsans, un ancien producteur de jeux vidéo en France, actuellement responsable de l’Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV).

« Les sociétés de jeux vidéo français ne veulent plus faire travailler les compositeurs français pour des raisons de droits d’auteurs inquantifiables à payer » explique Emmanuel Forsans. « Le jeu vidéo étant depuis son origine considéré juridiquement comme un logiciel et non une œuvre, l’usage jusqu’ici avait été de payer le travail d’un compositeur de musique de jeu vidéo une somme forfaitaire nette. Mais il y a quelque temps, un compositeur français est revenu sur cette convention et les tribunaux lui ont reconnu, comme pour les compositeurs de musique de films, un droit de propriété intellectuelle sur sa musique qui l’autorise à percevoir des droits d’auteurs, c’est à dire un fort pourcentage sur les ventes du jeu. Le studio de développement qui l’avait déjà payé une somme nette a été obligé de lui régler une somme rétroactive si élevée que l’entreprise a été mise en grande difficulté financière. Depuis, dans le milieu, plus personne n’ose faire travailler un musicien français. Même si la loi n’a pas été modifiée et que du côté de la Sacem (l’organisme qui collecte et redistribue les droits d’auteurs aux artistes), le jeu vidéo reste un logiciel, ce premier cas peut faire jurisprudence.« 

Musique de chambre entre le CNC, le SELL, le SNJV et la SACEM

Depuis plusieurs années et encore à ce jour, des discussions sont en cours entre la Sacem et le SELL (instance de représentation des éditeurs de jeux et de logiciels) autour de la définition du jeu vidéo et de ses composantes artistiques. Donnent-elles, ou pas, droit, à des rémunérations spécifiques liées à la propriété intellectuelle ? Déjà engagé dans le dossier jeu vidéo, le CNC (Centre National de la Cinématographie) arriverait un peu mieux plus à faire avancer les choses selon Emmanuel Forsans. Au cœur de cette négociation, c’est la définition même de ce qu’est le loisir interactif qui se pose. « Le jeu vidéo est un ensemble hétéroclite d’images, de sons, d’interactions » expliquait en 2009 Nicolas Gaume actuel Président du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), « il n’a pas de statut juridique mais des jurisprudences contradictoires« .

« On a un peu surprotégé les musiciens en France« 

Programme informatique composé d’éléments rudimentaires animés et bruités à ses débuts, le jeu vidéo a évolué vers un ensemble composite faisant appel à des talents dans de nombreuses disciplines, en plus des programmeurs informatiques : illustrateurs, graphistes, animateurs, scénaristes, dialoguistes, acteurs, cascadeurs, compositeurs et musiciens. Avec sa singularité interactive, l’assemblage des disciplines autour de la création d’un jeu vidéo ressemble de plus en plus à son grand frère le cinéma. Pour cet ancien producteur de jeux néanmoins, « on a un peu surprotégé les musiciens en France« . Dommage collatéral de ce flou juridique qui gèle les relations de travail, les éditeurs de jeux vidéo font appel à des compositeurs résidant ailleurs qu’en France. Installé dans de nombreux pays, le français Ubisoft utilise par exemple, sur sa série de jeux Assassin’s Creed, le talent du compositeur danois Jesper Kid installé à New York. Un imbroglio juridique autour de la notion d’auteurs et de leurs droits sur le point de se complexifier avant d’être résolu en France. Les jeux les plus récents commencent à faire participer le joueur dans la création de contenu utilisable à l’infini par d’autres joueurs en ligne (LittleBigPlanet2 sur PS3 par exemple). Le joueur participatif devient, de fait, co-auteur. Sera-t-il un jour en droit de réclamer des droits d’auteur ?

Note complémentaire : La chance aux chansons

Le succès des jeux de rythme musicaux Guitar Hero et Rock Band a créé une nouvelle économie florissante entre l’industrie musicale et le jeu vidéo. Chaque chanson pop ou rock incluse dans les jeux ou vendue au détail sur les magasins PlayStation ou Xbox en ligne rapporte quelques centimes aux auteurs. Pas de quoi changer la carrière des stars de la musique sauf que, les musiciens concernés, dont des rockeurs un peu oubliés, ont eu la satisfaction de voir naître un regain d’intérêt pour leur albums grâce aux jeux vidéo musicaux. Les comptes semblent ici bon pour tout le monde jusqu’à ce qu’un éditeur de jeu ait eu la curieuse idée d’utiliser les silhouettes des dites stars de la musique en omettant d’obtenir leur autorisation et donc de payer cette présence célèbre par avatar interposé. Des procès de plusieurs millions de dollars sont maintenant en cours. Mais c’est une autre chanson.

François Bliss de la Boissière

(Enquête publiée (ou pas) dans le mensuel Comment ça Marche #9 de mars 2011)

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