Archives par mot-clé : VR

Paper Beast : Un autre monde en VR

Respecté dans le monde entier depuis Another World en 1991 (voir Jeunesse éternelle) , le pionnier français Eric Chahi (entretien ici) revient avec un jeu en réalité virtuelle expérimental stupéfiant. Avis express…

Laser-pointeur en main, le joueur s’immerge dans un monde surréaliste à la beauté unique. Sans aucun mode d’emploi, il découvre en tâtonnant comment et pourquoi interagir avec de magnifiques créatures de papier. Le plus souvent pacifiques, celles-ci se laissent caresser ou attraper et aident à avancer dans un fascinant paysage minéral balayé par le vent, la pluie et les nuages. Une aventure organique et unique à tous points de vue : prise en main intuitive, décors malléables, créatures animées comme de vrais êtres vivants…

  • Sur PlayStation VR / PS4, PC / Steam VR
  • Genre : aventure/exploration/réflexion
  • 1 joueur
  • Compatible manettes Dualshock et PlayStation Move
  • VR : confortable
  • Pixel Reef

François Bliss de la Boissière

(Publié dans le mensuel Tout Comprendre #117 de juin 2020)

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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Best of jeux 2018 : Art vs Hard, battle royale ou déloyale ?

2018 est une année creuse malgré les trois titres qui occupent les têtes et les mains. Les rares blockbusters exploitent bien toutes les ressources de cette génération de consoles, mais dans les faits, nous sommes déjà dans la période molle où se préparent dans le secret les nouvelles consoles et leurs prochains champions. Avant de livrer mon regard sur les jeux de l’année, je me penche sur une problématique de plus en plus présente dans l’espace interactif. Plus c’est dur, mieux c’est ?

Devant la recrudescence, et surtout le culte, des jeux à la difficulté hardcore, je pose la question : la prise en main, la maniabilité d’un jeu vidéo est-elle en soi qualifiable d’« art ». Puisqu’il est admis (dans les milieux avertis au moins) que le jeu vidéo appartient au champ artistique, que les visuels, la musique, l’interprétation, le scénario d’un jeu vidéo appartiennent tous individuellement au champ artistique, peut-on, doit-on aussi extraire la maniabilité du jeu vidéo comme une expression artistique autonome ? Quel que soit son habillage audiovisuel. Si oui, alors comment différencier, la prouesse, l’exploit sportif, du geste artistique ? Et d’ailleurs si la maniabilité d’un jeu vidéo est un art, faut-il qualifier d’art la conception du programme lui-même ou doit-on aussi inclure celui qui l’exécute parfaitement, en l’occurence le joueur ? En danse, le ou la chorégraphe est un artiste et le ou la danseuse qui interprète est aussi un artiste. On dit aussi d’un sportif de haut niveau qu’il maîtrise son art mais il s’agit sans doute d’une facilité de langage.

L’art est-il maniable ?

Que dire de la relation du joueur avec la maniabilité du jeu vidéo ? Les jeux Nintendo mélangent depuis toujours complexité et accessibilité. Miyamoto, qui a dû mettre un peu d’eau dans son vin depuis, considérait dès les premiers Mario que échouer et recommencer était utile et faisait partie intégrante du plaisir interactif du jeu vidéo. Depuis, la parole collective des gamers hardcore qui s’identifient avec leur maitrise haut de gamme, dénonce la prolifération des jeux qui seraient, selon leurs critères, trop accessibles. À les entendre, plus la difficulté d’un jeu serait haute, plus le jeu aurait de la valeur, une valeur intrinsèque. Cette valeur est-elle de l’ordre de l’art ou de l’exploit dit sportif. La capacité d’y jouer est-elle une performance artistique ? Et d’ailleurs que sont les speed-runners qui rajoutent des contraintes de difficultés aux règles initiales d’un jeu (voir le récent speed-run de Portal) ? L’équivalent de sportifs de haut niveau ? Ou des performers artistiques underground ?

Le gameplay est-il un art isolé ?

Des jeux épurés des origines comme Pong, Tetris, Pac-Man se résument pratiquement à un pur geste mécanique. L’essence de cette mécanique de gameplay est-elle un art ? Si oui, plus la maniabilité serait complexe plus l’art interactif serait consommé ? Dans le langage implicite des gamers, la difficulté des jeux comme les Dark Souls ou cette année Celeste en 2D, les place dans un statut pseudo élitiste spécial. Cette difficulté pourtant laisse sur le bas-côté une autre majorité de gamers alors assez ouvertement méprisée, non seulement de ne pas réussir à dominer physiquement le gameplay, mais aussi de ne pas reconnaître dans ce degré de difficulté un aboutissement du jeu vidéo. Je parle évidemment ici de la difficulté d’un jeu aux mécaniques autonomes non multijoueur. Si le module d’interactivité d’un jeu vidéo est qualifiable d’art, est-ce sa difficulté d’accès qui lui donne de la valeur ou au contraire son accessibilité ? Si l’on accepte l’idée que le gameplay seul puisse être de l’art, puisque le propre de l’art est d’inclure le participant, de l’inviter et non de l’exclure, alors la difficulté d’accès d’un jeu n’est pas au sommet d’une échelle qualitative mais juste à une extrémité d’une graduation qui va d’un bout à l’autre. Si la haute difficulté d’un Dark Souls, d’un Super Meat Boy ou en 2018 d’un Céleste ou d’un Dead Cells est de l’art, alors la (fausse) simplicité interactive d’un Myst doit l’être aussi. Pour l’instant, ce n’est pas le discours ambiant dans le monde des joueurs.

Mes 10+ jeux préférés de 2018

1/ God of War

2/ Red Dead Redemption II

3/ Shadow of the Tomb Raider

4/ Moss / Astro Bot (VR) (ex aequo)

5/ Detroit Become Human

6/ Forza Horizon 4

7/ Gris

8/ Blossom Tales

9/ Dead Cells / Guacamelee! 2 (ex aequo)

10/ Shadow of the Colossus

God of War 2018

Pour beaucoup, Red Dead Redemption II sera le jeu de l’année et, indubitablement, la production hors norme de Rockstar a une fois encore déplacé le curseur qualitatif du jeu vidéo. Mais RDR2 reste une réalisation Rockstar avec ses avancées techniques et artistiques au fond attendues mais aussi ses vieilles habitudes et clichés de gameplay « émergeants » à la GTA. L’immensité des paysages transporte mais pas le destin du personnage, cow-boy-outlaw bien ordinaire du western. RDR2 est au fond la suite logique du premier Red Dead Redemption, sans déception, sans surprise, ce qui est en soi un accomplissement vu l’incertitude de toute production étendue sur autant d’années.

God of War hors sol

Côté réalisation, God of War de son côté n’a absolument rien à envier à RDR2. Le gameplay et toutes les mécaniques de jeu sont même mieux contrôlés. Tous les éléments de conception et de réalisation sont en harmonie pour créer un ensemble complètement homogène. Et surtout, God of War a osé prendre le risque de surprendre, non seulement en s’arrachant à la zone de confort de la série mais en inventant une nouvelle entité vidéoludique par-dessus un système de jeu rabâché. Le résultat est époustouflant de beauté et de prise en main. God of War a lui aussi, et sans doute de manière plus incisive, déplacé le curseur qualitatif du jeu vidéo.

Je t’aime jeux à thème

Derrière ces deux monstres, il est difficile de justifier une hiérarchie autre que le goût personnel. La réalisation de Shadow of the Tomb Raider en fait certainement un des meilleurs épisodes (quoique j’aurais tendance à préférer le précédent avec ses zones/chapitres plus open world), mais le jeu ne fait que dupliquer et raffiner les mécaniques de jeu initiées par le reboot de 2013. Forza Horizon 4 suit sa route aussi et arrive dans ce podium de tête poussé par une réalisation spectaculaire à tous points de vue. Que l’on soit fan ou pas des jeux de voitures. La sortie du nouveau jeu de David Cage a été en partie entachée par les polémiques autour de la gestion interne du studio, mais, encore une fois avec ses maladresses et fixettes interactives énervantes, Detroit : Become Human reste une aventure nécessaire grâce à sa thématique humains vs androids. Les jeux ambitieux à thèmes sont assez rares pour ne pas les rater.

Survendus

Cette année 2018, les vraies réussites AAA se comptent sur les doigts d’une main. Mettons les pieds dans le plat, il y a davantage de blockbusters ratés ou semi ratés que de réussites. Et je ne parle pas de réussite commerciale. Pourquoi Monster Hunter : World et toutes ses approximations de gameplay d’un autre âge trouve-t-il un tel public ? Ni No Kuni II faux frère banal du bijou Ni No Kuni premier du nom mérite-t-il son titre ? L’échec technique de Fallout 76 en 2018 n’était-il pas prévisible en jouant un Fallout 4 déjà limite ? Et Darksiders III ressuscité par miracle pour être renvoyé aussitôt au purgatoire des jeux mal dégrossis ? Et Just Cause 4, parait-il, n’est pas non plus à la hauteur de sa lignée. 

Marche arrière toute

Et, surtout, quid des réussites totalement originales ? Jamais le jeu vidéo n’aura tant ruminé. Dire qu’il y a encore 10/15 ans, les anciens gamers, et sans doute une grande partie des acteurs de l’industrie, craignaient la disparition du passé du jeu vidéo. C’est oublier la force de la nostalgie (et du commerce) qui déclenche des remakes, remasterisations et rééditions à tour de bras qui réjouissent autant qu’ils violent les souvenirs (les Secret of Mana, Crash Bandicoot, Spyro, Shenmue, les compilations Mega Drive, Street Fighter, Devil May Cry, Mega Man, SNK….). Seul le remake de Shadow of the Colossus ne peut être remis en question tellement la qualité et le respect de l’original sont au rendez-vous du chef d’oeuvre initial. Et que dire à Nintendo quand chaque réédition plein tarif sur Switch d’un jeu Wii U ne fait que répéter aux fidèles de la marque, oui la Wii U a été un échec, un coup pour rien. Tout cela serait très bien pour la culture du jeu vidéo et la préservation de son histoire si seulement le quota de créations inédites maintenait un équilibre. Ce n’est pas le cas.

Indés attendris

À toutes ces rééditions d’abord mercantiles je préfère encore les créations indés qui revisitent le passé pour, sans doute, vidanger les mémoires de jeunes gamers devenus concepteurs de jeux vidéo. À ce titre, le Blossom Tales (sorti fin décembre 2017 sur Switch) est un tel duplicata hommage de Zelda A Link to the Past que toute suspicion de plagiat disparaît face à tant d’amour dans la réalisation. D’ailleurs même Nintendo a été séduit sans s’offusquer au point d’encourager sa commercialisation sur Switch. Décidément à surveiller, l’éditeur allemand de Blossom Tales, FDG Entertainment, se spécialise ainsi dans ces revisitations de légendes du jeu vidéo comme avec le récent Monster Boy qui rejoue joliment la partition de la série Wonder Boy des années 80/90. Les très réussis Guacamelee! 2 et Dead Cells (le premier jeu procédural tolérable et très malin grâce à une prise en mains plaisante à chaque seconde) rejouent aussi des souvenirs qui vont de Super Metroid à Castlevania en passant par Prince of Persia (l’original de Jordan Mechner). Malgré tous les emprunts, ils dégagent quelque chose d’unique et donnent l’impression de pratiquer une expérience presque inédite. Gris enfin, lui aussi jouable en scrolling horizontal à l’ancienne, est plus difficile à définir. Peut-être parce qu’il croise les metroidvania avec des essais plus contemporains et une démarche plus arty comme Journey. Oui, on le sait pour de bon depuis Limbo et INSIDE, de l’animation traditionnelle au pixel art, les jeux en 2D sont désormais totalement maîtrisés et presque mieux placés pour créer des émotions sans rien concéder au gameplay.

Dans cet état d’esprit général du jeu vidéo d’abord tourné vers son passé, les jeux Moss (aventure-action) et Astro Bot (plateforme 3D) déclinent aussi des gameplays et mécaniques de jeux du passé. Sauf que, en réalité virtuelle, ces mécaniques familières d’hier semblent toutes neuves. Voilà donc une autre façon de réconcilier le jeu vidéo d’hier avec celui de demain.

Et non, je n’ai pas parlé de Fortnite, Spider-Man, Assassin’s Creed Odyssey et Smash Bros. Ultimate. Il fallait ?

François Bliss de la Boissière

GRIS – Key Art

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Ready Player One : Portrait en fuite d’une génération régressive

Déclaration : Ready Player One présente le jeu vidéo sous forme de caricature, de vue extérieure et superficielle plutôt que intérieure et vécue. Ready Player One n’est pas non plus le révélateur de la réalité de la réalité virtuelle (VR). Sans doute fidèle au livre, il est d’abord le condensé fétichiste et régressif de la culture pop des années 80-90. Ni moins, ni plus.

Mettons les choses au clair dès le départ, car l’enjeu était là. Ready Player One n’a pas la pertinence thématique ni même visuelle de A.I. et Minority Report. Il n’y a dans ce film épuisant de 2h20 aucune vision futuriste crédible, aucun vrai thème à débat sociétal ou philosophique. Ready Player One est un pur popcorn movie, un film de distraction sans autre enjeu que de proposer un grand ride en images de synthèse. Et d’essayer de faire passer le message : « Wouah la réalité virtuelle, oui mais Attention ». Oui, présenté de manière aussi simpliste que ça.
Le talent de Steven Spielberg, comme tout bon cinéaste, n’est pas à mettre en cause, puisqu’il consiste avant tout à épouser son sujet écrit. Et visiblement, le bouquin de Ernest Cline (sur ma table de chevet depuis un moment, mais pas lu, désolé) n’offre pas plus de profondeur que ce que l’on voit à l’écran. Cline est co-scénariste du film, il n’y a donc aucune raison de le croire trahi. Au contraire dirions-nous puisque, tout de même, la folie visuelle du film met en images ce que les mots de l’auteur ne font qu’évoquer.

Immersion de surface

La plus grosse surprise et peut-être sa plus grand déception, en plus d’une superficialité là où on pouvait espérer une vraie réflexion, consiste à suivre un film beaucoup plus en images de synthèse (CGI) qu’en prises de vues réelles. Spielberg n’a jamais fait tournoyer autant sa caméra que pour montrer tous les mondes de l’OASIS virtuelle (plus que dans les pires séquences de son Tintin). Sa caméra devenue folle fait des 360° autour des personnages avatars virtuels comme s’il fallait sans arrêt les dynamiser ou traduire un état intérieur excité du joueur/visiteur virtuel. En tant que gamer pratiquant, on peut qualifier cela d’insultant ou de trompeur. Le jeu vidéo ne se réduit pas à cet état d’hystérie permanent, sinon il ne concernerait que les plus jeunes et non plus les adultes (la moyenne d’âge du videogame player est à 35 ans de nos jours). Autre erreur d’appréciation à l’écran, parce que l’immersion en VR décuple les sensations et le ressenti : moins on en fait plus on supporte l’immersion et plus on y croit. Le monde virtuel fou-fou montré par Steven Spielberg est une vision infantile et en réalité impraticable de la VR. À moins que d’ici 30 ans (le récit se déroule en 2045), le genre humain accouche d’une humanité plus 2.0 qu’attendue. Le film ne le dit pas et, au contraire, montre des humains tout à fait semblables à aujourd’hui. Spielberg fait un amalgame du fond et de la forme entre le jeu vidéo (le plus clinquant et énervé) et l’immersion de la réalité virtuelle. Même si, nous sommes d’accord, plonger dans la réalité virtuelle, pour peu qu’elle soit agréable, donne envie d’y rester pour « ne plus revenir« . Il s’agit donc encore une fois après, par exemple, le plus mature Blade Runner 2049, d’un rétro futur. D’un futur naïf vu à partir, cette fois, des années 80… naïves. Même si le bouquin a été publié en 2011. Ce prisme gentillet d’un avenir techno dystopique ne présente ainsi pas une vision sérieuse de la société future comme le proposaient encore une fois A.I (écrit par Brian Aldiss dans les années 60 puis revisité par Stanley Kubrick) et Minority Report (écrit par Philip K . Dick lui dans les années 50). Tron : Legacy de Joseph Kosinski et bien sûr le Avatar de James Cameron en disent plus long sur ce futur mélange de la réalité physique et de la réalité virtuelle. L’erreur générique et démagogique de Ready Player One consiste à continuer à présenter les expériences en réalité virtuelle comme une fuite ludique et vaine de la réalité actuelle et non comme un portail vers une nouvelle évolution de l’homme.

Avec ou contre les jeux vidéo ?

Esthétiquement, le film est un fourre-tout de plus ou moins bon goût. Bien fignolées mais rarement attachantes ou singulières, les images de synthèse majoritaires oscillent et ne se décident pas entre cartoon à la Dreamworks animation, Final Fantasy le film (qui date tout de même de 2001) et Warcraft (le film), sans compter les survols de troupes innombrables au sol qui évoquent les pires travellings aériens factices du seigneur des Hobbits Peter Jackson. C’est à se demander qui commande les plans et la caméra dans les scènes d’action en CGI. Spielberg délègue-t-il ces plans là ? (la post production du film lui a en tous cas laissé assez de temps pour aller tourner le plus intellectuellement stimulant The Post). Parce que les rares scènes en images réelles de Ready Player One ressemblent d’avantage à sa grammaire cinématographique que le reste du métrage, surtout avec Janusz Kaminski toujours à la photo. Mis à part sans doute le visage aux grands yeux de l’héroïne interprétée par Olivia Cooke, les avatars virtuels des personnages réels restent tout de même assez quelconque (une affaire de goût, admettons) : des silhouettes élancées androgynes à la japonaise aux gros musclors à l’américaine. Nous sommes loin par exemple des fascinants Na’vi d’Avatar. Disons que d’un point de vu jeu vidéo, même avancé, tout cela est cliché et renvoie donc au petit procès en loucedé, ou alors involontaire, que Spielberg fait au jeu vidéo à travers ce film censé lui rendre hommage. Alors que les bons films de SF sont aussi désormais des films sur les interfaces, revoir Minority Report et puis Avatar, Ready Player One s’amuse beaucoup avec des projections holographiques speedées devant les joueurs virtuels sans que cela ne fasse avancer le schmilblick UX ni ne reflète la vérité des solutions déjà existantes en jeu vidéo et en VR.

Le théorème Kubrick

Pourquoi Spielberg a-t-il eu envie de faire ce film à 70 ans (le tournage a commencé en 2016) ? Pour reprendre la main sur les images de synthèse qu’il a lui même popularisé avec Jurassic Park ? Pour faire un pied de nez au cinéma de super-héros dont il dénonce l’hégémonie à Hollywood ? Sans doute un peu tout cela mais pas seulement. Avant d’aller lire toutes les interviews et attraper les making-of qui confirmeront ou pas ses intentions, une séquence particulière de Ready Player One explique assez clairement pourquoi le film, en plus d’autres raisons, s’est imposé à Spielberg. Elle restera sans doute dans les annales plus que toutes les autres mises bout à bout. Elle fonctionne d’ailleurs de manière quasi autonome, comme un niveau de jeu vidéo hors sujet (ou bonus, ou en DLC). En tout état de cause la séquence existe dans le flux du récit. Puisque l’essence du film consiste à revisiter tous les fondamentaux de la pop culture des années 80, du jeu vidéo balbutiant au cinéma alors insouciant (de John Hugues par exemple, cité à plusieurs reprises), Spielberg a dû prendre un plaisir singulier à piloter une séquence où les personnages (attention SPOILER ALERT) se retrouvent DANS une reconstitution du film The Shining de Stanley Kubrick. Faut-il rappeler brièvement le lien intime qu’ont développé Spielberg et Kubrick à la fin de sa vie ? Spielberg a réalisé A.I à la place de Kubrick, à la demande de Kubrick, après la mort de Kubrick, pour Kubrick. À cet anoblissement posthume du maître et à ce titre, sans doute seul Spielberg pouvait se permettre de recréer The Shining et de s’en moquer sans que la cinéphilie crie au tabou. Les personnages en CGI de Ready Player One se retrouvent catapultés dans l’hôtel célèbre où Jack Nicholson va perdre la tête. Toutes les scènes mythiques et flippantes y sont visitées et récrées (décors et personnages compris) avec un soin maniaque avant d’être détournées parce que bien sûr, il s’agit d’une version jeu vidéo qui part en sucette. Spielberg aime le jeu vidéo depuis longtemps, il a même participé à la création de plusieurs franchises (notamment Medal of Honor devenu par imitation la série à succès Call of Duty, excusez du peu), mais on est moins sûr qu’il apprécie ce que représente la VR. Le film tombe dans le travers de dénoncer facilement les travers de la réalité virtuelle car au fond, Spielberg s’inquiète surtout d’un incontrôlable concurrent au cinéma narratif classique. C’est donc tout à son honneur que de s’y frotter pour mieux l’absorber. Pour autant, sa vision reste distante, condescendante, un chouia péjorative et plutôt simpliste. Il abordera peut-être ce sujet une prochaine fois avec plus de maturité.

Fétichisme et régression des années 80

Il faudra alors oublier sa conclusion bêta enfantine. Rappeler aussi grossièrement que la réalité est mieux que la réalité virtuelle parce que, oui, on peut… y manger de vrais repas et que les câlins charnels c’est mieux, ressemble à la conclusion dirigée d’un devoir de rédaction d’école secondaire. Malgré toute l’esbrouffe technologique qu’il déploie et le futur « dystopique » qu’il décrit à la marge, le film est foncièrement régressif. Et fétichiste. Des VHS aux consoles de jeux, des Gremlins à Doom et Street Fighter, de Gundam à l’anti daté Géant de fer tout y passe en un éclair, ou appuyé, et nécessitera des nombreux arrêts sur image. Encore une fois, il reflète certainement à la lettre le livre de « J’ai grandi à l’époque parfaite«  de Ernest Cline. On doit sans doute voir, dans ce fétichisme de la consommation et des loisirs qui aura accouché d’une génération sans âge adulte baptisée « geek », le désenchantement et l’inquiétude actuelle d’une population ayant grandi dans les années 80-90. Cette époque parenthèse post Vietnam, post hippie, post mai 68, post luttes pour la libération de la femme et pour les droits civiques et anté 9/11. Pubs, drogues et paillettes glam des années 80 synthé ont servi de récréation, de pause sans doute, dans le bouillonnement sanglant, politique et intellectuel permanent de la civilisation. La musique pop a succédé à la musique rock, la jouissance et le spleen à la rébellion, le blockbuster fantaisiste au cinéma de la rue du nouvel Hollywood. Spielberg en personne et ses troupes d’alors (Tobe Hooper, Joe Dante, Robert Zemeckis…) en ont été les maitres d’oeuvre involontaires (Jaws est considéré comme le premier « blockbuster » du cinéma, avant Star Wars). On peut donc voir aussi dans ce Ready Player One, une encyclopédie en mouvement, une compilation de tous les symboles de la culture populaire des années 80-90 dont Spielberg a été l’instigateur. Une carte postale rechapée et signée par un de ces GO (gentil organisateur) de vacances culturelles de cette époque.
En échouant à faire passerelle entre le passé et le futur, Ready Player One devrait servir à poser pour de bon la tragique question, au cinéma comme ailleurs : peut-on faire du neuf avec du vieux ? Doit-on continuer à tenter de faire du neuf avec du vieux ? On restera curieux de voir la réception du film par le jeune public qui, même fan de jeux vidéo, ne reconnaitra absolument aucune des références jeux vidéo et cinéma vintage qui font le sel et le sang du film. Le récit au premier degré suffira-t-il à retenir leur attention ?
Fétichiste moi-même, je retournerai voir le film en IMAX 3D pour remonter, pour la énième fois, le fil du jeu de piste culturel jusqu’à ma chambre à m’auto dorloter des années 80.

François Bliss de la Boissière


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Best of jeux vidéo 2017 : #Balancetonjeu

Trois jeux Nintendo dans un top 10 d’une année vidéoludique, ce n’était pas arrivé depuis… longtemps. À quoi s’ajoute une nouvelle console qui cumule le succès d’une portable avec celui d’une console de salon ? Après bien des inquiétudes d’entreprises et de bourse (virtuelle), tout est bien qui continue bien pour Nintendo. Et toute l’industrie s’en réjouit comme si Nintendo -le papa ou la maman centenaire que nous aimons tous- retrouvait la forme après un passage à vide que l’on croit à chaque fois définitif. Derrière ce quadruplé software/hardware Switch Nintendo, repérer dans un ordre non dispersé les réussites de l’année devient plus compliqué. Surtout qu’il y a eu des reports vers 2018, un ou deux crash spectaculaires de licences attendues, et beaucoup trop de jeux qui monopolisent les gamers en ligne pour se taper inlassablement dessus dans des arènes. Si on réintroduit dans une liste AAA des jeux indés qui méritent autant de A que l’on veut bien leur attribuer, alors l’année 2017 retrouve quelques couleurs. Les explications de ces choix sont incluses sous le podium, sans peur des gros jeux (de mots).

Mes 10 jeux préférés 2017

  1. Horizon Zero Dawn/Zelda : Breath of the Wild (ex aequo *)
  2. Super Mario Odyssey
  3. Dishonored : Death of the Outsider/Uncharted : The Lost Legacy (ex aequo)
  4. Splatoon 2
  5. Prey
  6. Little Nightmares
  7. Last Day of June
  8. Rime
  9. Gran Turismo Sport
  10. Lone Echo VR

Zelda Breath of the Wild

UNE pour tous, tous pour UNE

Est-ce que le jeu vidéo mérite oui ou non de s’inscrire, voire de participer, aux débats publics et sociétaux ? Est-il oui ou non particulièrement légitime et nécessaire de plébisciter en 2017 une héroïne de jeu vidéo qui ne soit pas, pour une fois, une poupée gonflable animée ? L’année où la voix des femmes harcelées, écartées des responsabilités et des carrières, réduites par les hommes à des objets de consommation sexuelle, est enfin entendue ? Oui je le crois. Et même si le studio Guerilla n’a évidemment pas prémédité de se retrouver porte étendard de la reconnaissance des femmes avec Horizon Zero Dawn dans le jeu vidéo ou ailleurs, on n’oubliera pas de si tôt la décision créative toujours risquée de mettre une héroïne en vedette d’un jeu, particulièrement d’une licence de jeu toute neuve. Alors : Ahoy Aloy ! On saluera également le studio Ninja Theory qui depuis 10 ans, de Heavenly Sword à Hellblade en passant par Enslaved : Odyssey to the West, s’obstine contre vent et marées commerciales à inventer des super héroïnes fortes et originales. Au-delà de ce thème qui s’impose naturellement en 2017, il existe d’autres repères pour faire cette fameuse liste de meilleurs jeux d’une année. Le jeu vidéo étant aussi depuis sa naissance adossé au progrès informatique, l’arrivée de nouvelles consoles en 2017 incite aussi à réévaluer le rapport incestueux que le jeu vidéo entretien avec les nouvelles technologies et la puissance de calcul.

Tutorial 2017

Mon top 2017 n’est pas particulièrement original mais son ordonnance passe ainsi par plusieurs filtres, ou exigences à peine négociables. Il explique aussi l’absence de quelques jeux japonais particulièrement chéris par le lectorat franco-japonais.
Le jeu est-il agréable à manipuler (la fameuse Nintendo’s touch restant la référence ultime tous jeux confondus) ? Le jeu s’adapte-t-il à tous les niveaux de joueurs, du hardcore au débutant (non Cuphead, pas vraiment Destiny 2) ? Le jeu a-t-il des mécaniques de jeu originales, in game et éventuellement dans l’UI (gestion des compétences etc) ? Le jeu est-il intuitif ou impose-t-il au joueur d’interminables leçons de gameplays et de mécaniques en guise de… « tutorial » (mea culpa) ? Le jeu a-t-il une direction artistique visuelle et sonore distincte, adaptée à son gameplay et à ce qu’il cherche à exprimer (bravo Last Day of June, Little Nightmares, Dishonored…) ? Pour adultes ou enfants, avec ou sans l’accord Pegi, le fond et la forme du jeu sont-ils dignes et honorables, respectent-ils par exemple, même dans la fiction, la Déclaration Universelle des droits de l’homme (respect de la dignité humaine, exploitation gratuite d’actes de barbarie…) ? Cela parait idiot mais quand on regarde, par exemple, la séquence choc barbare, gratuite et dégueulasse hors contexte du prochain The Last of Us II, on doit saisir à quoi je fais allusion. De même avec le fondamentalement réussi Wolfenstein II dont le grotesque et le gore pourrait, devrait, se passer d’exploiter crapuleusement la Croix gammée nazie. La transgression underground du premier Wolfenstein est devenu une exploitation mercantile collectivement irresponsable au pays des suprémacistes blancs légitimisés par la présidence Trump (quand ce n’est pas en France). Ce terrible et honteux symbole de l’extermination de millions de gens devrait rester dans les livres d’histoire et ne pas devenir un prétexte ludique. Oui, à bannir aussi des films qui en jouent comme d’un hochet à sensations fortes. Le jeu, enfin, est-il à la hauteur technique de ses ambitions visuelles ou de gameplay ? Pour notre plus grande satisfaction, le jeu vidéo continue de faire la course technologique en tête. Le repère technico-artistique aujourd’hui sur console de salon est donc calé à la résolution 4K et au 60 FPS. Pas une obligation, mais la barre est désormais à cette hauteur.
Tout cela bien sûr sans chercher à entamer ou condamner la liberté d’expression des créateurs. Le jeu vidéo comme tout autre moyen d’expression a le droit de transgresser et de se la jouer punk-rock. Mais ils proposent, et nous disposons.
L’année 2017 n’est pas un très grand cru du jeu vidéo en général et ce malgré une belle diversité. En revanche il s’agit bien d’une grande année Nintendo. Et cela peut suffire.

*Ex aequo pourquoi ?

Si seulement Horizon Zero Dawn et Zelda : Breath of the Wild fusionnaient leurs savoir-faire, on obtiendrait sans doute le jeu miracle. Visuellement et techniquement Horizon est un choc et une réussite totale. L’immersion dans un monde sauvage dont la beauté naturelle couple le souffle (breath of the wild !) s’apprécie dans Horizon et non pas dans le Zelda de la Switch portant le titre. Bien sûr que chaque petit module de gameplay bac à sable de Zelda est une merveille mais, il faut le dire, d’un point de vue structurel, Nintendo ne fait que recopier les open world d’Ubisoft (Far Cry, Assassin’s Creed…) et Rockstar. Ce Zelda souffre notamment du même pêché de remplissage des activités. Cela fait un peu de peine de voir l’innovateur Nintendo à la peine ou la traine sur ce terrain. Peut-être qu’il n’y a plus rien à inventer de ce côté là ? Nous verrons bien avec Red Dead Redemption 2 ou Days Gone. Si les personnages en cell shading de ce Zelda sont indiscutablement magnifiques et merveilleusement animés, tout l’environnement qui donne son titre et son ambition au jeu n’est pas à la hauteur technico-artistique requis. Il ne faut pas oublier que jusqu’à Wind Waker inclus, TOUS les jeux Zelda ont proposé une avancée technique et artistique exemplaire. En avance sur la concurrence même. Ce n’est plus le cas depuis Twilight Princess et ce n’est pas parce que Link peut chevaucher à volonté Hyrule dans Breath of the Wild et couper les arbres qu’il faut excuser des textures répétitives et des animations de la végétation datées d’il y a…. 10 ans ? Quand le framerate baisse affreusement au coeur de la forêt d’Hyrule à l’approche du Master Sword, la magie Nintendo, et de Zelda, fonctionnent déjà moins (oui, le Majora’s Mask de l’an 2000 ramait terriblement sur Nintendo 64 avec son Expansion Pak). Le prétexte du jeu également portable ne suffit pas à excuser le résultat hoquetant sur grand écran. Horizon Zero Dawn n’a évidemment pas une prise en main aussi fiable et fine que le Zelda de Nintendo, mais tout ce que fait l’héroïne Aloy est beaucoup plus en harmonie avec son personnage et son environnement. En 2006, Twilight Princess était sorti en même temps qu’un Okami qui lui avait fait de l’ombre artistiquement et même techniquement. Après cette rencontre cosmique et involontaire des loups, une nouvelle coincidence inexpliquée voit sortir Horizon Zero Dawn et Zelda : Breath of the Wild simultanément en 2017. Deux jeux s’appuyant sur le même genre de gameplay d’aventure-action-chasse, sur la même thématique d’un monde oublié et en ruines dominé par d’étranges machines. Comme en 2006, la comparaison n’est pas en faveur de Zelda en 2017.

Et les autres ?

Je ne crois pas que l’on puisse faire le même procès technico-artistique de Breath of the Wild à Mario Odyssey, ni à Splatoon 2 d’ailleurs. Tel que ce Mario est organisé et présenté, il fonctionne de manière homogène. Pas de ralentissements, des environnements aux designs discutables (préférence personnelle pour le Royaume des champignons à la Terre) mais auto cohérents. Les textures sont par exemples remarquables quand bien même le photo réalisme, encore une fois, ne sied pas vraiment au petit père Mario. Une télé de qualité lissera les imperfections résiduelles liées à la définition (scintillements et jaggies). Si certains développeurs arrivent à créer des héritiers de Zelda dépassant le maître, personne à ce jour ne sait en revanche mieux faire un jeu Mario que Nintendo. Au bout des doigts, évidemment, Mario Odyssey est une merveille, de la joie interactive pure. Cette fois la légendaire magie Nintendo opère sans restrictions ou réserves.
Les chapitres additionnels de Dishonored et Uncharted montrent un bon exemple commercial et conceptuel. Vendus à part, sans que le jeu principal soit nécessaire (ni un level cap obligatoire), avec des gameplays adaptés aux joueurs découvrant éventuellement chaque série, le tout sans réduire la voilure ni l’ambition des jeux originaux ? Si le prix de vente est adapté (à 40€ à sa sortie Uncharted Lost Legacy était trop cher payé), voilà sans doute le meilleur avenir pour les DLC. Visuellement et architecturalement, Dishonored : The Death of the Outsider s’élève au même niveau de chef d’oeuvre consommé que Dishonored 2.
Avec son design toujours inspiré du Sega des années 2000, Splatoon 2 ne surprend pas mais la maîtrise du gameplay et du level design de chaque niveau du mode solo laisse pantois. Boudé apparemment par le public, le Prey de Arkane Austin au Texas manque de mises à jour et de rehauts visuels (une version optimisée 4K sur Xbox One X serait tellement la bienvenue), mais de base le jeu abrite une ambiance SF art déco formidable et un gameplay hyper sophistiqué. Pas aussi réussi que Dishonored mais pas très loin. De prime abord Little Nightmares semble prendre le chemin gaude-droite sombre de Limbo et INSIDE. En réalité, le jeu aux visuels inspirés de l’animation stop-motion à base d’argile dégage un gameplay différent qui tient compte de la profondeur notamment, et un propos bien à lui. La seule véritable similitude avec INSIDE est que l’on ne ressort pas de Little Nightmares indemne émotionnellement ni intellectuellement. Idem dans un tout autre registre avec Last Day of June. L’obligation de tourner beaucoup en rond et de subir la lourdeur inexorable des évènements en boucle et du gameplay donne tout son poids au drame auquel on participe activement. Quand le fond et la forme fusionnent, le jeu vidéo devient potentiellement un message à longue portée existentielle. Le tout mignon Rime héritier des visuels de Wind Waker marche aussi sur ce fil ténu entre poésie et game design. C’est en jouant alternativement à Gran Turismo Sport et Forza 7 que l’on reprend conscience (après des années d’errements et d’oubli) que la maîtrise technique de Polyphony Digital reste sans égal. Grâce à beaucoup de style, GT Sport en simili 4K sur PS4 Pro n’a absolument rien à envier au Forza 7 en vraie 4K sur Xbox One X (ou sur PC quand le jeu veut bien fonctionner). Qu’on se le dise, Gran Turismo a récupéré en 2017 sa couronne de simulateur de conduite. Laborieux, Project Cars 2 reste loin derrière ces deux là. Lone Echo sur Oculus Rift, enfin, est sous doute bien le seul jeu original en VR de 2017 à laisser sa marque. On est dans cette station spatiale, on est en apesanteur, on fait son boulot d’ouvrier de maintenance, on vise et on scanne son environnement, et on discute avec des humanoïdes dont la présence physique étourdit. Presque pas de surprise, le jeu a été conçu par le studio Ready at Dawn responsable du très chic (si si) et bien huilé The Order : 1886. La version VR vraiment réussie de Resident Evil VII confirme que, pour se retrouver au niveau requis des players, le jeu vidéo en réalité virtuelle, comme en aplat, doit être conçu par des talents confirmés du jeu vidéo traditionnel. Est-ce qu’il faut encore croire au potentiel de la VR, quitte à passer par l’AR intermédiaire avant ? Oui.

Two more things

À propos de la polémique absurde du jour : jeu = service = multiplayer = open world VS jeu solo et/ou narratif
Si l’on me suit sur twitter, et au cas où la sélection ci-dessus ne soit pas déjà assez explicite, on saura déjà que j’ai su apprécier la campagne malicieusement opportuniste du hashtag manifeste #SavePlayer1 de Bethesda. Et la controverse (justifiée évidemment) loot boxes made in 2017 ? Si j’en crois mes archives, elle est à l’ordre du jour depuis 2012…

Coups de coeur

  • La puissance de la Xbox One X et de tous les jeux « optimisés » 4K, Dolby Atmos
  • La réactivité de l’UI de la Switch, notamment connectée aux réseaux sociaux
  • What Remains of Edith Finch
  • Resident Evil VII VR
  • Metroid : Samus Returns
  • Hey! Pikmin
  • Sonic Mania
  • Gravity Rush 2
  • Mario + Lapins Crétins : Kingdom Battle
  • Monument Valley II

Déceptions

  • Destiny 2
  • 2 Dark
  • Farpoint PSVR
  • Mario Kart 8 Deluxe

Flop sans appel (malgré les discussions claniques pour/contre)

  • Mass Effect : Andromeda
  • Star Wars Battlefront II

Pas joué (mais je devrais)

  • Hob
  • Cuphead

François Bliss de la Boissière

Horizon Zero Dawn


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

La réalité virtuelle est-elle en train de réinventer le surnaturel ? La VR nous incitera-t-elle à interroger notre identité et celle de l’autre ? Autant de thèmes évoqués avec candeur et optimiste par un des meilleurs représentants de la VR en France : Michel Reilhac.

Dernière partie d’un entretien avec le chantre français de la réalité virtuelle Michel Reilhac que ma passion pour le sujet a plutôt entrainé vers la discussion. Il m’en excusera. Sa participation à un débat sur la VR à la Gaîté Lyrique à Paris révélait une gourmandise et un courage certain pour évoquer le présent et le futur de la réalité virtuelle. Aussi fous soient-ils. Ainsi, avec sa complicité, nous sommes partis des rudiments de la VR d’aujourd’hui jusqu’aux hypothèses métaphysiques qu’impliquent l’avènement de la réalité virtuelle. Sans peur.

Bliss : Parmi les applications évidentes après le tourisme (à lire ici), la réalité virtuelle va aussi trouver des utilités pédagogiques…

Michel Reilhac : Oui. Je pense par exemple à une installation très forte qui s’appelle The Machine to be Another. Il s’agit d’un face à face de deux personnes équipées chacune d’un casque avec une caméra frontale qui filme l’autre. On voit dans le casque le corps de l’autre. C’est à dire qu’on est l’autre. Si on est face à face, moi je suis vous et je me vois moi en face. Il y a tout un dispositif de mimique pour reproduire les mouvements. Par exemple je vais bouger ma main mais ce que je vais voir de mon corps dans le casque est votre main. Et si vous, vous refusez de bouger la main et que vous la laissez immobile, je vais bouger avec mon corps physique mais mon corps virtuel aura une autre position. Toute l’idée de ce dispositif est de voir comment on peut arriver à interagir l’un avec l’autre en s’écoutant et se regardant en dupliquant, en quelque sorte, nos mouvements, pour être ensemble et faire en sorte que cela se reflète. À un moment ils nous font nous lever et on va l’un vers l’autre, on se touche les mains… C’est un truc incroyable. Chloé Jarry qui était au débat de la Gaité Lyrique, développe un dispositif similaire pour un projet qui s’appelle The Enemy qui permet à deux personnes de camps opposés dans un conflit d’être à la place de l’autre, d’être l’ennemi. Un palestinien devient israélien et l’israélien devient palestinien et les deux en temps réel sont l’autre et vont échanger par la voix et par le mouvement pour essayer, d’une certaine manière, de se comprendre.

Bliss : Vous pensez qu’on ne fera plus la différence entre le réel concret et le virtuel ? Que le cerveau ne va plus faire la différence ? Mais peut-être que cela n’aura pas d’importance, si le corps physique n’est pas en danger, le cerveau pourra se laisser y aller…

Michel Reilhac : Encore une fois, pour la raison que j’évoquais tout à l’heure, il ne s’agit plus d’une représentation du monde mais de l’expérience d’un monde. Et ça fait toute la différence. Je pense vraiment que nous n’avons pas encore commencé à mesurer ce que ça veut dire de se retrouver dans un autre monde que celui de la réalité physique. Et au fur et à mesure que les technologies qui restituent la véracité, presque la palpabilité de cet univers virtuel vont s’améliorer, vont devenir de plus en plus réaliste, nous allons être de plus en plus investis, nous allons croire de plus en plus à ces mondes…

Bliss : Puisque vous évoquez les possibilités de mimer le corps en réalité virtuelle, il y aura donc également des applications dédiées à la rééducation physique et neurologique. La réalité virtuelle devrait accélérer plein de domaines d’études, et pas seulement le loisir ou même l’expression artistique…

Michel Reilhac : Je ne sais pas comment mais je suis sûr que tout un champ de la psychologie, de l’analyse, de la psychiatrie va investir et explorer ça. C’est évident que la VR permet de devenir quelqu’un d’autre. Ou d’être plus soi-même. C’est évident. Pour l’instant la seule chose à quoi cela me fait penser c’est The Machine to be Another. Mais je suis sûr qu’il y a d’autres dispositifs qui peuvent permettre de faire ça. J’ai entendu parler d’un projet en développement chez Arte qui consiste à vivre l’expérience de quelqu’un en train de devenir aveugle. Il s’agit de comprendre ce que cette personne vit en perdant progressivement la vue, ce qu’elle ressent et ce que ça implique.

Bliss : Ce dispositif The Machine to be Another fait tout de suite penser par extension que les gens handicapés, paralysés ou mutilés, à qui donc il manque des membres, vont pouvoir investir un espace de réalité virtuelle où il seront « entiers » et debout. Comme dans le film Avatar de James Cameron…

Michel Reilhac : Et aussi tous les gens qui pour une raison ou pour une autre sont mal dans leur peau dans la réalité physique. On vit quand même une époque où on est oppressé par des diktats esthétiques, hommes comme femmes, où chacun est supposé ressembler à certains critères assez normatifs. Il y a beaucoup de gens très mal avec ça et qui, parce qu’ils ne correspondent pas à ces critères se trouvent très malheureux ou intimidés ou délaissés par la réalité physique. À partir du moment où dans un monde de réalité virtuelle de plus en plus crédible et de plus en plus réaliste ils pourront être un canon, ils y passeront de plus en plus de temps.

Bliss : Je ne suis même pas sûr que l’on ait besoin d’être un peu asocial ou avec un physique ingrat ou de douter de soi-même pour avoir envie de se projeter dans un corps virtuel sublimé. Je pense que tout un chacun va rêver de se retrouver dans une enveloppe de « surhomme » comme le jeu vidéo le propose déjà. Je ne sais pas si ce surhomme rejoint le concept philosophique, mais enfin il y a une aspiration à un homme augmenté quelque part. Aujourd’hui alors que cette réalité virtuelle balbutie on arrive à imaginer déjà beaucoup d’applications transformatives. Alors allons-y franchement. À la vitesse où l’on a vu Internet changer le monde en… 15 ans, quid de la VR d’ici 20 ans ?

Michel Reilhac : 20 ans est  un temps énorme. Ça parait dingue. Je pense que la tendance lourde, profonde vers laquelle on se dirige, est le no interface, pas de truchement, pas de joystick, pas d’écran, pas d’objets qu’on porte. Au mieux on portera une sorte de bijou ou de noyau qui sera activé par le biais de technologies hologrammes, de réalité augmenté et de réalité virtuelle. On pourra naviguer de dimensions virtuelles en dimensions physiques et faire des mélanges des deux espaces de manière très fluide. Je pense que nous allons vers des dispositifs entièrement mobiles, des choses qui seront utilisables partout.

Bliss : Est-ce qu’on risque de se retrouver comme dans le film américain The Surrogates avec Bruce Willis où les gens sont allongés tout le temps pour se projeter dans des avatars plus jeunes qui vivent leur vie à leur place ? Ça fait des êtres humains qui acceptent de se mettre dans un semi coma pour vivre une vie rêvée… Le cauchemar…

Michel Reilhac : Non je ne le crains pas. Comme je le disais tout à l’heure, il existe déjà une contre culture qui exprime la nécessité de se rendre compte que dans ces univers virtuels là, comme dans les réseaux sociaux, l’homme n’a pas la satisfaction de tous ses besoins. Nous avons besoin de nous rencontrer physiquement, de voir des gens. Nous restons grégaire. On va valoriser des expériences dans le monde physique et en même temps on pourra basculer sur des dimensions virtuelles…

Bliss : Déjà beaucoup de gens pensent aujourd’hui qu’on se perd en passant autant de temps sur ordinateur et les réseaux sociaux, qu’on casse déjà les liens sociaux physiques… Pourtant il me semble ça cohabite.

Michel Reilhac : Je trouve que ça cohabite aussi. Selon mon expérience, on apprend de plus en plus à percevoir la hiérarchie des réponses à un même besoin. Par exemple quand j’ai le besoin de satisfaire ma soif je peux boire de l’eau au robinet ou retrouver des amis dans un bar et payer 20 € un cocktail hyper sophistiqué, ou je peux m’acheter un soda dans la rue parce que je suis pressé et que je bois pendant que je marche. Il y a une gamme absolument dingue de manières de satisfaire chaque besoin. Je pense que la réalité virtuelle s’inscrit dans le même menu, dans la même gamme de possibilités que le cinéma, la radio ou les livres etc.

Bliss : On saura se unplugger ?

Michel Reilhac : Je pense que oui, vraiment.

Bliss : Et si on regarde le futur dans 50 ans ?

Michel Reilhac : Ah ça ce n’est pas possible (rires).

Bliss : Vous connaissez bien sûr le concept de la Singularité et de l’avènement d’une intelligence artificielle supérieure. On ne va pas refaire Skynet et Terminator mais s’il existe un jour une intelligence artificielle qui se met à communiquer de manière autonome avec l’homme, j’ai l’impression que l’espace de la réalité virtuelle serait l’endroit privilégié de son apparition. Un espace virtuel où elle serait déjà chez elle. Dites moi si je délire…

Michel Reilhac : Siri est déjà les prémices très rustique de ça. Que l’on puisse commencer à parler à nos machines de manière intuitive, c’est le début de cette hypothèse.

Bliss : Her, le film de Spike Jonze était bien sur ce registre.

Michel Reilhac : Oui et c’est pour ça qu’il est fort, parce qu’il parle d’un futur possible. Mais il y aussi la série Black Mirror qui sous un angle très noir montre aussi des possibilités terribles, de la manière dont ce qu’on vit aujourd’hui pourrait évoluer.

Bliss : Est-ce que quelque part on ne rejoint pas le surnaturel tel que les légendes, mythologies et religions ont scénarisé chacune à leur manière ? L’homme n’est-il pas en train de se créer pour de bon une autre dimension qu’on a imaginé et craint sous différentes formes au fil des siècles ?

Michel Reilhac : Il y a dans la réalité virtuelle un aspect boite de Pandore qu’on est en train d’ouvrir. Et pour ma part, la meilleure attitude à avoir avec ça est un esprit, au plan personnel d’action, généreux et ouvert. Et de chercher le mieux dans ce dispositif. D’autant plus que maintenant, l’avènement de la réalité virtuelle comme première étape d’un processus qui ne fait que commencer, mettons vers la singularité, est irréversible. Que l’on soit contre ou pour, on va être obligé de vivre avec. À partir du moment où il y a quelque chose d’inéluctable moi je préfère essayer de le comprendre, de le maîtriser et de l’utiliser le mieux possible.

Bliss : Dernière question en pirouette. Est-ce qu’avec la réalité virtuelle, l’homme n’a pas réussi à s’inventer ou se créer le corps astral

Michel Reilhac : C’est super intéressant comme question parce que ça ouvre aussi tout un champ de possibilités. Et ça rejoint une partie de la préoccupation que j’ai dans mon prochain projet Wait for me. À quoi on touche quand on existe dans la réalité virtuelle ? À quoi on touche quand on commence à se dupliquer ? Qu’est-ce qu’on éveille en nous qui est peut-être de l’ordre du magique ? Peut-être de l’ordre du surnaturel. En tous cas de dimensions qu’on ne connait pas…

Bliss : Une expérience à tendance transcendantale sans doute parce que l’homme a quand même pour manie de chercher la transcendance pour lui-même ou pour les choses qui l’entourent…

Michel Reilhac : Oui. Je pense qu’une porte s’est potentiellement entrouverte vers une dimension magique ou spirituelle, en tous cas transformative pour l’humain. C’est sûr. Ça prendra du temps mais il y a quelque chose de cet ordre là que l’on peut entrapercevoir dans la réalité virtuelle.

Lire également…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4

Médias traditionnels crispés et circonspects devant la réalité virtuelle, conservatisme historique du cinéma français, institutions toujours à la traine… Avant de proposer du divertissement et du tourisme virtuel décomplexé en France, la VR devra encore convaincre beaucoup de monde…

Dans cette troisième partie du long entretien qu’a bien voulu m’accorder Michel Reilhac il y a quelques mois, un des pionniers français de la réalité virtuelle explique le pourquoi d’un contexte général culturel peu favorable à la VR en France mais botte en touche le potentiel de diabolisation de la réalité virtuelle. Malgré le scepticisme, les critiques et une technologie encore balbutiante, « la réalité virtuelle est une lame de fond qui touchera tout le monde »…

Bliss : Ces dernières années, la réalité augmentée a commencé à se développer très franchement avec notamment les Google Glass et le projet Hololens de Microsoft, et puis tout à coup les technologies de réalité virtuelle ont fait un boom et se concrétisent plus vite…

Michel Reilhac : Mais ça recommence. Google ressuscite le projet sous le nom de Project Aura. Il va y avoir une sorte de fusion entre ce qu’on distingue encore entre réalité augmentée, réalité mixte et réalité virtuelle. Tout cela va progressivement se mélanger à différents degrés d’immersion. Je suis certain que dans peut-être deux ou trois ans nous porteront sur nous des lunettes connectées par Bluetooth ou équivalent à un boitier logé dans notre poche. Ce seront des lunettes pas encombrantes que l’on pourra mettre et enlever aussi facilement que des lunettes de soleil.

Bliss : D’ici deux ou trois ans vraiment ?

Michel Reilhac : Oui je le pense. Je suis stupéfait de la vitesse à laquelle cette technologie progresse.

Bliss : Mais en réalité les concepts s’inventent plus vite que leur concrétisation matérielle. Malgré tous leurs efforts, les casques Oculus Rift et HTC Vive peinent à trouver une bonne ergonomie. Ce sont encore des choses qui font sourire de l’extérieur. Tant que les gens n’ont pas essayé un casque récent pour voir ce qui se passe à l’intérieur, nous sommes dans le souvenir rigolo des années 90… Malgré les progrès, les difficultés mécaniques et ergonomiques persistent…

Michel Reilhac : Oui mais ça va se stabiliser. Nous en sommes au tout début, l’impatience collective est énorme. Et nous sommes incroyablement intransigeant. Il faut que tout soit parfait tout de suite parce qu’on a été nourri aux films d’Hollywood, à Minority Report, avec des interfaces de folie. Moins que cette version rêvée, et le produit devient irrecevable. Tout le tâtonnement de la technologie est beaucoup plus difficile aujourd’hui. À moins de lancer un produit avec une expérience utilisateur totalement fluide et une interface impeccable, le public rejette en disant : ça ne marche pas. Toujours parce qu’on est en-dessous des attentes. Quand les frères Lumière ont commencé le cinéma à la fin du 19e siècle, ils n’avaient pas ce problème parce qu’il n’y avait aucune attente ni la surenchère techno que l’on vit aujourd’hui. Pour eux, le cinéma au début a pu bénéficier – d’une certaine manière – du plein impact magique de cette nouvelle technologie. Aujourd’hui nous ne sommes plus du tout à ce niveau.

Bliss : Disons aussi qu’aujourd’hui les gens sont surtout plus informés.

Michel Reilhac : Et tellement plus blasés…

Bliss : Blasé aussi par rapport aux coûts de l’achat de ces gadgets qu’on nous demande de racheter assez fréquemment. Les gens commencent à compter leurs sous par rapport aux promesses. Mais du coup il va y avoir une nouvelle fracture numérique avec la réalité virtuelle. Quand les casque seront là en 2016, il y aura encore des gens qui seront mis de côté. Ceux qui n’y arrivent pas physiquement déjà, quelque soit l’âge après tout. Ceux qui en auront carrément peur… Il va y avoir une rupture. Ça va être un peu comme Facebook, il y a ceux qui y sont et ceux qui n’y sont pas. On a l’impression qu’on ne les entend plus. Il y aura ceux qui vont fréquenter la réalité virtuelle et les autres ?

Michel Reilhac : En même temps il va y avoir une réappropriation. Regardez comment le public de Facebook a vieilli petit à petit, ou qui a grandi avec et qui est toujours sur Facebook. C’est pour cette raison que Snapchat a un tel succès. C’est un vrai réseau où les jeunes peuvent aller en étant sûrs de ne pas retrouver leurs parents. Mais sur Facebook il y a tout le monde, y compris des gens du 3e âge. L’appropriation a été plus longue mais elle existe quand même. Le téléphone portable pareil. Au début seuls les jeunes s’en servaient, et puis finalement le portable est totalement devenu un outil du quotidien pour tous.

Bliss : La société avec ses médias, notamment en France, et ses habitudes de chiens de garde méfiants, semblent ne pas avoir bien compris ce qu’il se passe avec l’avènement de la VR. À votre avis à quel moment vont-ils saisir ce qui arrive ?

Michel Reilhac : Je crois qu’ils ont très bien compris. Les médias sont quand même très informés mais ils sont totalement paralysés en interne par leur organisation humaine. C’est très visible sur les chaînes de télévision. C’est terrible à quel point elles ne peuvent pas se repenser parce qu’elles sont fossilisées autour d’une organisation en silos, en spécialisations. Ce qui se traduit par une forme de territorialité du pouvoir extrêmement forte avec des enjeux de pouvoir, des enjeux de susceptibilité, des enjeux d’autorité qui sont vraiment la règle dans le milieu audiovisuel. Le problème n’est pas l’information, les gens de la télévision savent grosso modo ce qui se passe, mais leur énorme difficulté à s’adapter. Le milieu dans lequel il y a un vrai rejet d’information est plutôt le cinéma. Le milieu du cinéma est incroyablement rétrograde.

Bliss : En France ?

Michel Reilhac : Oui, en France, le milieu du cinéma est ultra conservateur. Pas aux États-Unis. Là-bas tous les grands studios ont lancé des départements de contenu en réalité virtuelle. Tous les studios se posent la question de comment réagir, comment retrouver une réactivité qu’ils n’ont plus. C’est d’ailleurs le secret d’énormes compagnies comme Google, Apple, Amazon ou Facebook qui sont capables de se scinder. La restructuration de Google en Alphabet, par exemple, est un signe de cette volonté de retrouver de l’agilité. Je suis frappé du conservatisme incroyable du milieu du cinéma en France. Je le connais très bien puisque j’en viens.

Bliss : Vous allez à la rencontre du cinéma français avec vos projets en réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : Beaucoup, oui.

Bliss: Quels retours avez-vous ?

Michel Reilhac : Certains sont très curieux, mais la majorité des réactions est négative… Je pense encore à quelqu’un vu récemment qui est un des plus gros vendeurs…

Bliss : Vous parlez de distributeurs, de producteurs, de créateurs ?

Michel Reilhac : De tout. Il y a vraiment un rejet en disant qu’il ne s’agit que d’un gadget, que ça ne remplacera jamais le cinéma…

Bliss : Cela rejoint mon interrogation de tout à l’heure. Vous dites que l’audiovisuel français n’est pas forcément sceptique devant la VR mais que le cinéma français si. Ce techno scepticisme ne serait-il pas celui de tous les milieux culturels en France ?

Michel Reilhac : Oui. Mais je le comprends. Car il y a une forme d’aristocratie dans les supports traditionnels. Par exemple aujourd’hui, lire un livre sur un beau papier d’une belle édition est un plaisir incroyable. Je préfère encore lire un livre comme ça que de le lire sur ordinateur ou tablette. Je fais une hiérarchie très claire de la nature du plaisir. Je suis ravi d’aller faire un repas gastronomique de temps en temps. Et je saurais très bien faire la différence avec m’acheter un sandwich à midi. La gradation du plaisir reste. À quel endroit dans cette échelle du plaisir médiatique va se retrouver l’expérience en VR ? On ne sait pas encore. Pour le moment c’est une expérience plutôt en bas de l’échelle. parce que techniquement ce n’est pas encore au point. Comme vous le disiez, les angles de vue ne sont pas encore parfaits, la définition n’est pas bonne, les casques sont encore inconfortables, on a l’air ridicule en les portant etc. Mais comme dans toute courbe d’innovation, nous sommes dans un processus où ce sont les early adopters, les gens qui s’enflamment pour la nouveauté qui commencent par adorer vraiment. Et je m’identifie à ce groupe là. On va voir si tout ça va générer progressivement un phénomène de masse et d’adoption.

Bliss : Par rapport au tourisme virtuel aperçu dans les années 2000 mais vite éventé où on nous proposait de visiter tel monument ou telle cathédrale à distance en virtuel… La réalité virtuelle telle qu’elle existe aujourd’hui devrait remettre cette activité au premier plan, non ?

Michel Reilhac : Oui, l’immobilier est un domaine qui innove beaucoup puisque la visite d’appartement est pour le moment un gadget très cool. Le technologue créatif avec lequel je travaille à Londres est en train de préparer un projet de reconstitution de tous les châteaux de la couronne d’Angleterre. Je sais que tous les grands sites commencent à travailler dessus. La Tour Eiffel a un projet, la pyramide d’Egypte a un projet, le palais de Buckingham et tous les autres. Il s’agit de filmer l’intégralité du château en images réelles, ce n’est pas de la modélisation, et ensuite par le biais d’appareils pour le moment pas encore standardisés, de pouvoir se balader dedans. C’est à dire décider si l’on on va à droite, à gauche etc. C’est évident que ça va arriver.

Bliss : Mais en France n’est-ce pas l’État gestionnaire patrimonial qui est censé s’en occuper un petit peu ? Sinon des entreprises privées comme Google vont encore prendre la main, proposer leurs services et puis devenir propriétaire des dits monuments en version virtuelle… Google a bien photographié la terre entière…

Michel Reilhac : Ce serait vraiment vendre encore plus son âme au diable. Ce n’est pas tellement la technologie pour filmer ou rendre la visite possible où ses entreprises high-tech sont fortes, c’est dans la diffusion. Parce que techniquement, filmer un lieu en réalité virtuelle ne présente pas un enjeu insurmontable…

Bliss : Le savoir faire existe en France vraiment ?

Michel Reilhac : Nous ne sommes pas nombreux mais je ne crois pas que cela soit si insurmontable. Il suffit que quelqu’un s’accroche à un projet et…

Bliss : Je parlais plus d’une volonté institutionnelle, l’État, les ministères… Ils en sont encore à envisager timidement le numérique dans les écoles, à y mettre des tablettes du bout des doigts… Combien de temps leur faudra-t-il pour intégrer la VR ?

Michel Reilhac : Oui, voilà. Mais il y a toujours une frange pionnière. Au CNC il y a une direction des nouveaux médias qui soutient déjà la VR. La ville de Paris vient d’ouvrir un fonds de transmédia et de réalité virtuelle pour faciliter le financement de ce genre de projets. J’ai reçu un coup de fil par exemple de la direction de la Philharmonie de Paris qui voudrait me voir pour parler de musique classique et de VR, de voir ce qu’on peut faire avec l’orchestre Philharmonique de Paris. Je crois que tout le monde se pose un peu la question. Alors c’est toujours beaucoup plus long de faire arriver ce genre de choses jusqu’au public évidemment. Mais ce n’est pas un processus qui arrive de nulle part devant le grand public. Il arrive en grandissant dans des cercles fermés plus privés et puis ensuite en s’élargissant progressivement et en touchant par cercles concentriques qui s’élargissent vers un public de plus en plus large. Aucun succès n’arrive comme ça de rien. Y compris les contenus viraux, ça marche toujours par cercles concentriques.

Bliss : Ce processus d’adoption va inévitablement déclencher une diabolisation. Des médias vont y voir un nouveau concurrent, les producteurs de loisirs comme le cinéma… Dès qu’il y a un concurrent on le diabolise pour toutes les bonnes et mauvaises raisons.

Michel Reilhac : Absolument.

Bliss : Alors qu’allons nous pouvoir faire ? Les gens comme vous qui y travaillent déjà font forcément un travail pédagogique. Il ne vous suffit pas de montrer que c’est chouette, il vous faut expliquer ce que c’est. Il faut une patience terrible, un vocabulaire aussi pour éventuellement expliquer les bienfaits ou balayer les inquiétudes… Comment allons nous dédiaboliser, nous journalistes, vous créateurs, les décideurs concernés et le public…

Michel Reilhac : Ça passe par le fait de savoir dès maintenant que l’enthousiasme d’une minorité pour la réalité virtuelle sera contre-attaqué par un scepticisme massif des médias, des critiques, des journalistes et du public qui d’abord seront déçus par rapport aux attentes fantasmatiques. Puis les gens vont faire l’expérience petit à petit et je pense que cela va faire boule de neige. Mais avec des réticences sur le côté encore rustique, mal défini de la définition de l’image, de la lumière, du confort de vision, le fait qu’il y a des gens qui sont très facilement mal à l’aise et qui ont mal au coeur, même sur des expériences qui à priori ne nous font pas bouger. Donc ça va vraiment être un dosage. Je pense que la lame de fond est déjà tellement puissante, les investissements qui ont déjà été faits sont tellement énormes, qu’une stratégie de persistance va s’installer et complètement ignorer le côté critique. La réalité virtuelle va exister malgré tout. Je peux faire un parallèle avec toutes les grandes innovations artistiques. Quand l’impressionnisme est né, une majorité de gens a trouvé ça absolument scandaleux et merdique. Et ils avaient tort. C’est une question de comportement face à l’innovation. L’innovation fait très peur, de manière générale. Donc on se défend de l’inconnu que représente l’innovation parce que le cerveau fonctionne exactement comme une base de données. Quand il est confronté à quelque chose de nouveau, il va chercher dans sa base de souvenirs ou de connaissances ce qui ressemble le plus à ce qu’il est en train de voir. Ce sont les touristes qui sont à Bali et qui vont dire : « c’est dingue on dirait mon week-end en Bretagne avec ma cousine ». Et les critiques de films qui comparent tout le temps un film nouveau avec un autre film. Ils ont toujours besoin d’étalonner un film par rapport à ce qui existait avant. Dans tous les domaines on fonctionne par référence. C’est vraiment un réflexe neurologique. Donc il va y avoir un fort mouvement critique contre la VR parce que l’innovation est à craindre par définition. Mais je pense que ça ne changera rien et que les améliorations technologiques vont continuer et que progressivement on croisera, par exemple,  un film en VR qui va vraiment impacter l’esprit des gens par sa charge émotionnelle, poétique, sociale etc. Il y aura des oeuvres qui feront référence. Les conditions de vision vont s’améliorer et petit à petit et la VR va devenir quelque chose qu’on va prendre comme acquis.

Lire également…
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Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4

Apôtre pédagogue de la réalité virtuelle, de sa conception, de ses effets sur la société et sur l’estomac, le français et réalisateur expérimentateur de la VR Michel Reilhac nous parle de ses films et de ceux des autres. Pour le meilleur et pour le pire.

Deuxième partie de cet entretien semi candide enregistré il y a quelques mois (première partie ici…) où Michel Reilhac voit dans la VR la première rupture dans la représentation de l’image commencée… dans les cavernes préhistoriques et portée jusqu’au 21e siècle par le cinéma.

Bliss : Vous travaillez vous-même sur plusieurs projets en réalité virtuelle… Votre démarche est expérimentale, commerciale, artistique ?

Michel Reilhac : Il s’agit vraiment d’une démarche créative, de raconter une histoire par la narration. J’ai par exemple fait un premier exercice tout à fait modeste avec un atelier chorégraphique et « Viens » est un film d’art. Mon dernier, « Wait for me », est lui narratif puisqu’il s’agit d’une série de 10 épisodes de 10 mn avec une application liée.
En quittant Arte il y a 3 ans, j’ai fait le choix de devenir égoïste d’une certaine manière. J’ai passé ma vie à m’occuper des projets des autres, j’avais besoin de m’occuper des miens et de me mettre en quelque sorte au pied du mur. En toute modestie, mais pour des raisons tout à fait personnelles, j’avais besoin de me confronter à mes propres désirs de création. J’avais déjà commencé à explorer de manière ponctuelle avant de rejoindre Arte, mais là j’avais vraiment envie de faire ça. Donc la démarche et le plaisir que je trouve dans la réalité virtuelle aujourd’hui est avant tout très largement un plaisir créatif. J’adore filmer en réalité virtuelle, j’adore être avec les équipes, tout préparer, le travail d’écriture est vraiment génial. J’espère bien arriver à faire en sorte que mes films puissent me permettre d’en vivre économiquement. Mais pour le moment il n’y a pas vraiment de marché. On va voir ce que va donner le marché maintenant que les casques sont en vente.

Bliss : Vos projets sont plateforme agnostique pour la diffusion ? Ils sont prêts à être disponibles sur n’importe quel support de diffusion en VR ?

Michel Reilhac : Oui, mes films ne sont pas sous des formats propriétaires. C’est au niveau de la post production qu’il faut décider sur quelle plateforme il va être visible. « Viens » existe sous la forme d’un fichier utilisable sur les Samsung Gear, puis un autre un fichier pour l’Homido et un fichier destiné à l’Oculus Rift. Je ne fais pas d’animation de synthèse. Mes films sont en prise de vue réelles et tournés avec plusieurs caméras pour avoir la captation à 360°. Le tournage d’un film en VR n’est pas si différent que ça d’un film classique. C’est la conception qui est différente. Ce qu’on va voir et qu’on va mettre en scène. Mais les réflexes de tournage et de montage ne sont pas si éloignés que ça.

Bliss : La place du spectateur théoriquement placé au centre d’un film en VR est quand même différente. Le montage traditionnel d’un film dirige le regard du spectateur alors que en situation d’immersion en réalité virtuelle ou dans une vidéo à 360°, un peu comme au théâtre, le spectateur regarde ce qu’il veut de la scène. Vous utilisez un montage qui change en temps réel le point de vue ?

Michel Reilhac : Bien sûr, on coupe comme dans un film. On ne peut pas faire de cuts trop rapides parce que ça fait très mal au coeur et qu’on n’a pas le temps de voir, le spectateur serait un peu assommé, ça irait trop vite. Donc il y a des règles telle la durée. Il y a une sorte de statut quo qui dit qu’il ne faut pas faire de séquences de moins de 10 secondes parce qu’autrement ce serait trop perturbant. Mais le fait de couper, de passer de l’intérieur à l’extérieur, d’un point de vue d’une scène à un autre point de vue sur la même scène est complètement faisable.

Bliss : Et tolérable ?

Michel Reilhac : Et tolérable.

Bliss : Le cerveau capterait donc aisément le changement de point de vue même en étant dans l’image ? Comme dans le film Jumper, on peut alors jeter brusquement le spectateur d’un environnement à l’autre ? Le cinéma nous a habitué à des montages de plus en plus rapides et les adeptes du jeu vidéo ont l’habitude de se déplacer assez vite dans un espace 3D mais j’imagine quand même que les sens ne sont pas sollicités avec la même intensité en VR, même dans un film à 180°… Mais vous avez constaté que le cerveau tient bien le coup… L’adrénaline éventuelle et toutes les réactions chimiques restent sous contrôle…

Michel Reilhac : Ah oui oui le cerveau tient le coup, et le cerveau s’éduque. Le processus est intellectuel. Si vous entrez dans un film et qu’il y a des points de montage, que vous changez de point de vue, le point de vue subjectif qui est le vôtre en est affecté. Cela dit quelque chose sur votre présence. Dans le dernier film d’horreur de Chris Milk, « Catatonique » , on se retrouve dans une chaise roulante, manifestement sous sédatif. On voit ses propres bras, on porte une espèce de blouse et quand on se retourne, la chaise roulante est poussée par un énorme infirmier. On est promené dans un hôpital avec un point de vue très subjectif unique et exclusif : celui de la personne dans cette chaise roulante et ce qui lui arrive. À ce moment là il n’y a effectivement pas de possibilité de changer de point de vue sans casser cette convention placée au début du film. Mais vous pouvez très bien avoir un point de vue désincarné à l’intérieur d’une pièce et que tout d’un coup vous vous retrouviez dans une autre pièce en ayant un autre point de vue. Vous pouvez l’accepter parce que le montage vous dit que, d’une certaine manière, vous n’êtes personne. Vous n’êtes pas quelqu’un de représenté dans l’histoire. Vous êtes une présence diégétique, une présence abstraite. Et ça c’est acceptable. Et le cerveau l’accepte.

Bliss : Je vais utiliser des mots un peu trop forts mais est-ce qu’avec la VR on ne passerait pas de « spectateur » à « voyeur » en étant « dedans » ? Il n’y a pas une nuance qui s’installe ? J’imagine que les gens qui regardaient le cinéma à sa naissance devaient se sentir déjà dans une position de « voyeurs ». La VR ne réintroduirait pas ce trouble ?

Michel Reilhac : Un des plaisirs du cinéma consiste à être « voyeur » impuni. La contemplation d’un visage en gros plan, dévisager quelqu’un au cinéma fait partie d’un des plaisirs voyeurs du cinéma sans être qualifié comme tel. Dans la réalité on n’est pas supposé dévisager quelqu’un. La pulsion extrêmement forte de voir l’intimité des autres dans le cinéma, qui va jusqu’à la pornographie, est vraiment un désir arrivé avec la photographie et avec le cinéma. Nous avons manifestement un désir extrêmement fort de pénétrer l’intimité de l’autre. Et en VR c’est exacerbé.

Bliss : Est-ce que ça sollicite quelque chose en nous ou cela répond à un besoin ?

Michel Reilhac : C’est difficile de répondre parce que je me suis rendu compte que la réalité virtuelle rompt un processus d’évolution qui va jusqu’au cinéma. Le cinéma est la forme la plus sophistiquée, la plus moderne, la plus avancée de reproduction du monde. Elle a commencé avec la reproduction des mains sur les caves préhistoriques. Nous sommes passés par la peinture, la sculpture, la photographie puis par le cinéma. Mais le format de ces représentations reste un format limité, c’est un cadre. Quelle que soit la largeur de ce cadre, même dans les salles de cinéma les plus grandes. Il s’agit bien d’une représentation du monde. Avec la réalité virtuelle, ce n’est plus une représentation du monde, C’EST le monde. Et je crois que nous n’avons pas encore commencé de bien comprendre ce que ça voulait dire. Une des choses qui me fascine le plus est la manière dont le cerveau prend pour argent comptant ce qu’il voit dans la réalité virtuelle. Il ne le relativise plus par rapport à la réalité physique. Il le prend pour agent comptant parce qu’il n’y a pas d’autres informations à recevoir.

Bliss : Nous sommes quand même en relation avec des machines, les casques et manettes éventuelles, qui nous touchent qui font que nous ne sommes pas dans un caisson d’isolation…

Michel Reilhac : Oui, mais visuellement l’information captée par le nerf optique et transmise au cerveau par le nerf optique est une information quasiment à 100% de l’immersion dans un monde. Et c’est surtout le 360° qui provoque ça. Quand je tourne ma tête et que je peux voir partout, cela donne toute sa crédibilité au monde virtuel dans lequel on se retrouve.

Bliss : Cela fait à peu près deux ans que vous avez commencé à… pratiquer la VR. Est-ce que vous avez l’impression que vos sens et que votre cerveau, votre aptitude à recevoir tout ça, a évolué ? L’impression d’immersion grandit ou au contraire se contracte ?

Michel Reilhac : Cela dépend des projets. Les plus beaux et les plus forts donnent une sensation chaque fois plus grande. Mais je ne sais pas si c’est mon cerveau ou si c’est la qualité des contenus.

Bliss : Ça redevient comme le cinéma alors, c’est le moyen d’expression et son utilisation qui remettent de l’intérêt et pas juste l’outil…

Michel Reilhac : Voilà. Donc je ne sais pas. J’ai essayé une expérience intéressante à Copenhague il y a quelques mois lors du lancement d’un atelier de réalité virtuelle pour des réalisateurs de cinéma traditionnels. The Dog House est un dîner dans lequel nous sommes cinq convives à porter un casque tout en se voyant dans le monde virtuel. Dans le casque on voit un dîner avec cinq personnes autour d’une table, et la table est exactement la même table que celle où l’on se trouve assis physiquement. Moi j’étais la mère de la famille et les quatre autres personnes faisaient d’autres rôles. On ne reste pas tout le temps assis à la table. Il y a des moments où on se lève pour aller vers différents endroits dans le monde virtuel tandis qu’on reste physiquement assis autour de la table pendant tout le temps du visionnage. Et j’ai vraiment été très très mal à l’aise. J’ai eu des mal au coeur épouvantables, je n’ai pas réussi à lutter contre le motion sickness.

Bliss : Votre malaise était une réaction personnelle ou pourrait-elle être ressentie par tout le monde ? N’était-ce pas la faute au programme lui-même ?

Michel Reilhac : Je pense que c’était la technique qu’ils ont utilisé pour tourner. Je suis convaincu que c’est en amont avec la manière dont on tourne que l’on peut anticiper le motion sickness ou pas. Dans ce cas particulier là ils avaient fait un champ de vision extrêmement étroit tout en ayant tourné avec juste deux caméras sur la tête qui n’enregistraient pas à 360°. Quand je tournais la tête, j’avais un champ de vision très limité à moins de 180°. Je pense que c’est lié. Cela provoquait une déconnexion très forte parce que je n’avais plus la sensation d’immersion.

Bliss : Si l’on en croit la démarche sociale de Facebook, la VR se pratiquera un jour de manière collective, mais pour l’instant elle provoque l’inverse et isole le spectateur du reste du monde…

Michel Reilhac : Les deux gros reproches que l’on fait à la réalité virtuelle concernent l’addiction potentielle, dont nous avons parlé (ici), et le côté isolé de l’expérience. C’est à dire que la VR casserait le pacte collectif de la séance de cinéma où on va tous ensemble réagir émotionnellement au même film aux mêmes moments. On reproche à la réalité virtuelle de ne pas fournir cette expérience collective. Or, j’ai observé que l’expérience de la réalité virtuelle est très proche de celle du livre. Personne ne reproche à un livre de fournir une expérience solitaire. Par contre, une fois qu’on a lu un livre, on a très envie d’en parler avec d’autres gens qui l’ont lu. Mais à un autre moment. Dans la réalité virtuelle c’est exactement pareil. J’ai observé que quand je montre le film à des gens et qu’ils commencent à se parler entre eux, les discussions durent très longtemps parce qu’ils ont besoin de vérifier s’ils ont vu la même chose. Et personne n’a vraiment vu la même chose. Puisque si je regarde d’un côté je ne sais pas ce qui se passe de l’autre côté. Dans le film de Chris Milk, Evolution of Verse, il y a un train qui vous arrive droit dessus… Quand je montrais ce film auparavant je disais aux gens : faites attention de bien voir le train, repérez le son du train et tournez vous dans sa direction pour ne pas rater ce gros effet dans la vidéo. Dorénavant je ne préviens plus parce que je trouve beaucoup plus intéressant de laisser chacun libre et d’observer qui voit le train et qui le voit pas. Ensuite, dans la discussion, certains s’exclament devant l’effet du train « dingue » et « incroyable » pendant que d’autres se demandent de quel train on parle parce qu’ils ne l’ont pas vu. Ils étaient ailleurs, en train de regarder les oiseaux…

À suivre…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

 


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Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 1/4

Les éclaireurs tout à la fois acteurs, visionnaires et true believer de la réalité virtuelle sont rares. Encore plus en France. Danseur, curateur de talents, ancien directeur des programmes d’Arte France devenu auteur et réalisateur transmédia de projets en « réalité virtuelle », le français  Michel Reilhac en fait pourtant partie. Il a bien voulu répondre à un jeu de questions/réponses presque aussi folles que l’horizon inconnu de la VR laisse envisager.

Lors d’un débat au départ raisonnable puis complètement fou sur le potentiel de la réalité virtuelle à la Gaîte Lyrique à Paris fin 2015 (encore lisible ici), Michel Reilhac s’est distingué en prenant le risque d’avouer sa passion immodéré pour la VR. Pour lui, il y a clairement un avant et un après la réalité virtuelle. Il n’a pas peur de le dire, ni même d’avancer les théories les plus folles. Je ne pouvais qu’aller à sa rencontre pour reprendre le fil de cette conversation.

Où la route vers la réalité virtuelle passe par le jeu vidéo, les avatars et les techno prothèses avant de conduire au métavers…

Bliss : Comment avez-vous commencé à vous intéresser à la réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : Eh bien c’est très marrant mais dès 1991, au Fresnoy qui n’était pas encore le grand centre de création d’images de la région de Lille, le directeur Alain Fleischer m’avait donné carte blanche pour faire une installation dans cet ancien parc d’attractions pour le public ouvrier de la région du Nord Pas de Calais. Le lieu était abandonné depuis une trentaine d’années et allait être rénové en centre de l’image. J’avais conçu un dispositif avec un artiste américain qui faisait des installations en réalité virtuelle. On mettait un casque et on avançait dans un paysage de polygones et de triangles très rustiques. Le parcours se déroulait à l’intérieur de ces locaux absolument immenses où l’on avait conservé la poussière, les vestiges, des objets éparpillés à droite à gauche dans cet endroit incroyablement hanté de pleins de fantômes du public qui fréquentait. J’ai découvert et expérimenté la réalité virtuelle à ce moment là. J’ai ensuite suivi ça de loin. J’ai failli acheter à la fin des années 90 début des années 2000, une lunette de jeu en réalité virtuelle mais elle était très chère et je n’étais pas assez impliqué dans le jeu vidéo pour en profiter vraiment. Et puis au moment de l’apparition d’Oculus Rift il y a deux ans, j’ai rencontré des gens qui avait le casque cela m’a permis d’en faire l’expérience. J’ai compris à ce moment là à quel point cela avait incroyablement évolué. J’ai trouvé ça complètement passionnant. J’ai commencé à regarder des vidéos de Chris Milk, à rencontrer des gens qui réalisaient des choses en VR, et puis voilà. Et maintenant je suis à fond dedans parce que, créativement, je trouve génial d’être là au moment où on doit inventer un nouveau langage, une nouvelle forme. Participer à cette invention est juste merveilleux.

Bliss : Cela vous était déjà arrivé d’être présent à la naissance d’une nouvelle forme d’expression ?

Michel Reilhac : Oui. Au tout début des années 80 j’étais danseur contemporain aux États-Unis, et la génération de danseurs et de chorégraphes à laquelle j’appartenais à New York est rentrée en France. Culturellement nous n’étions pas à notre place là-bas. Nous voulions utiliser la danse pour dire ce qu’on voulait. Je donc suis revenu en France en 82 et j’ai vécu les 10 premières années de l’explosion très forte de la danse contemporaine en Europe. Je retrouve aujourd’hui avec la réalité virtuelle exactement la même énergie, la même sensation de forger un nouveau langage.

Bliss : Vous ne faites donc pas de différence entre l’expression du corps, on va dire, biologique, et son prolongement par la technologie ? Penser que la technologie et l’humain sont dissociés fait partie des grands tabous des conversations. Pour vous ce serait la prolongation d’un même langage, d’une même énergie ?

Michel Reilhac : Oui, complètement. D’une manière générale je pense que la technologie est une forme de prothèse qui permet, dans certains cas, d’agrandir le champ de perception. Tout dépend de la manière dont on l’utilise et cela a été vrai pour moi quand je me suis rendu compte que le corps était vraiment au coeur de mon travail sur « Viens » (court métrage en vidéo en 360°, présenté au Festival de Sundance 2016, ndr). Le corps, l’intimité, le rapport à l’autre est essentiel. Sans pour autant devenir un fervent des réseaux sociaux comme exemple de substitut aux relations réelles. Je trouve très bien qu’il y ait à nouveau une tendance qui ramène notre goût vers des expériences réelles. Il n’y a qu’à voir le succès des bars, de la cuisine, de la gastronomie, le succès du vinyle pour la musique, du vintage pour la mode. Autant de signes du besoin de ne pas se déconnecter du réel.

Bliss : Beaucoup de gens utilisent la technologie au quotidien sans s’en rendre compte pleinement, voire même en la reniant. Presque tout le monde à un smartphone dans la poche…

Michel Reilhac : Oui et d’ailleurs on va voir ce qui va se passer dans ce domaine avec la réalité virtuelle. Il va falloir une nouvelle éducation pour éviter l’addiction violente.

Bliss : Vous anticipez déjà une consommation excessive de la réalité virtuelle ?

Michel Reilhac : À partir du moment où il y a déjà une addiction au jeu massivement multijoueur en ligne, il va y avoir un phénomène d’addiction, au jeu en réalité virtuelle en particulier, extrêmement fort. La question va être : comment va-t-on y réagir, comment va-t-on la domestiquer ?

Bliss : En tant que joueur et critique de jeu vidéo je suis très chatouilleux sur ce mot là parce que le jeu vidéo ne provoque pas d’ »addiction » pathologique, ce n’est pas une… maladie. Il s’agit d’un usage intensif et sans doute exagéré socialement parlant. C’est ce que vous voulez dire ?

Michel Reilhac : Oui mais en même temps depuis 4 ans environ en Chine, l’addiction au jeu vidéo est considéré comme une addiction à une drogue dure et est traitée comme tel dans des cliniques militaires. Et pour certaines personnes il s’agit vraiment d’une pathologie. C’est la seule chose qui m’angoisse avec la réalité virtuelle, cette l’ombre qui plane, je dirais, sur ce qui va se passer. Et comme à chaque fois on va voir comment arriver à le contrôler.

Bliss : Le jeu vidéo est aussi déjà accusé de beaucoup isoler socialement alors qu’il créé énormément de liens sociaux. De nos jours tout le monde se regarde en train de jouer parce que, justement, chaque personne a une expérience différente du même jeu. On va donc retrouver ce besoin de conversation collective autour de la réalité virtuelle. Les nouveaux usages ne sont qu’un déplacement des conversations, ils ne les arrêtent pas.

Michel Reilhac : Oh oui. Je pense que ce sont des attitudes et des réactions qui mettent un peu de temps avant de se mettre en place. Personne n’aurait imaginé l’énormité du succès d’une chaine comme Twitch par exemple où l’on regarde des gens jouer. Cela montre bien que le désir est celui de la représentation du réel, d’un déplacement du réel, et de son partage. Du coup la réalité virtuelle va trouver ses modes de partage, soit à postériori, soit pendant l’expérience puisque Facebook a récemment ouvert l’accès à son Social VR qui sont des salons virtuels dans lesquels cinq personnes partagent le visionnage de contenu ensemble puis se parlent par le biais de petits avatars. Ces petits avatars ont pour l’instant une gamme d’expression limitée à 5 mais permettent de se parler en audio. Et cela s’expérimente avec un casque VR. Oculus a annoncé ce qu’ils appellent The Rift Arcade avec des reproductions de jeux à l’ancienne. L’utilisation de la VR comme un lieu collectif de rencontre, de débat et de partage va arriver très vite avec la commercialisation des casques.

Bliss : Question joker : Est-ce qu’il ne faudrait pas s’empresser de se faire modéliser un avatar ?

Michel Reilhac : Marrant, je ne me suis pas posé la question…

Bliss : Parce que là nous parlons d’avatars basiques comme les Mii ou ceux du Xbox Live. Mais très vite cela ne va pas suffire. À moins de se créer des super avatars…

Michel Reilhac : Clairement. Cela rappelle les avatars qu’on se créait dans Second Life. Je pense que ce qui va vraiment arriver va être la création de ce qu’on appelle un métavers. C’est à dire un équivalent de Second Life mais à une échelle infiniment plus grande et être accessible via les réseaux sociaux existants. C’est ce vers quoi on va. Facebook va être une porte d’entrée vers le métavers. Il va y avoir des chaînes, des fournisseurs de jeux, etc, qui seront autant de portes d’entrées dans le métavers. Et à la différence de Second Life qui était un endroit propriétaire, le prochain métavers deviendra un peu comme le Cloud dans lequel on pourra aller en réalité virtuelle.

Bliss : On rejoint donc le concept de cyberspace où l’on aura accès à toutes sortes de services dans un monde virtuel…

Michel Reilhac : Exactement. Mais il faudra attendre encore à peu près 3 ans. Parce qu’il faut que l’on retrouve la transcription du mouvement de la réalité physique dans la réalité virtuelle. Il existe déjà de nombreux prototypes, plein d’approches différentes dont je ne connais pas tous les détails mais que je vois testés. Je ne sais pas encore lequelle fonctionnera. Et puis il y a également tout le travail mené par Microsoft autour de HoloLens. Ces nouvelles générations d’hologrammes vont accentuer la porosité de la perception numérique dans la réalité physique.

À suivre…
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 2/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 3/4
Entretien Michel Reilhac : La VR ? Nouvelle réalité… 4/4

Entretien François Bliss de la Boissière

(Photo de Une : Jean-Fabien)

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Réalité virtuelle, premier plongeon : partir, ne plus vouloir revenir

Je voulais y croire mais il fallait me convaincre pour de vrai. C’est fait. J’ai goûté à la vie virtuelle, brutalement, irrémédiablement conquis. Et ce n’est même pas le leader officiel de la VR Oculus Rift qui m’a fait plonger, mais le procédé PlayStation VR ex Morpheus de la PS4. Il sera sans doute premier vrai portail populaire vers la réalité virtuelle.

PlayStation VR (DR Techinsider)

Avant toute chose, parce qu’une image vaut mille mots, voir cette vidéo de London Heist sur PlayStation VR…

Fervent croyant en la prochaine réalité concrète de la réalité virtuelle, je n’étais habité que de curiosité avide au moment d’essayer enfin la technologie Sony lors de la journée média du Paris Games Week 2015. Surtout que mes deux seuls précédents essais de casques VR m’avaient laissé un goût d’inachevé.

Samsung Gear VR et Oculus Rift ? Passez votre chemin

J’ai ainsi eu l’occasion d’essayer lors de sa commercialisation aux USA le Samsung Gear VR qui utilise un Galaxy Note en guise d’écran. Si l’expérience était plaisante, j’ai quand même eu l’impression que nous étions encore loin de l’immersion promise. La définition de l’écran insuffisante, la surface de visibilité limitée devant soi, et les programmes rudimentaires disponibles, y compris la présence dans un concert live, m’avait laissé circonspect. Désolé de décevoir l’initiative Samsung Gear de John Carmack, ex idSoftware, devenu responsable de ce développement mobile chez Oculus Rift et donc Facebook. Pour un gamer technophile, pas de compromis possible. La totale technologique, ou rien.
J’ai aussi essayé l’Oculus Rift original version DK2 accessible parfois à La Gaîté Lyrique de Paris. Trop rapide, avec un casque mal ajusté sur le crâne, une définition d’image discutable, le petit trajet en wagon minier était certes nettement plus immersif que le Samsung Gear VR, mais il fallait surtout deviner le potentiel au lieu de le ressentir pleinement. Même si cet essai a conforté mon enthousiasme de rêveur enfantin.

Le grand plongeon

Après la démo du PlayStation VR au stand Sony du Paris Games Week hier soir, je me rends compte que j’étais heureusement encore sensoriellement loin du compte. Cette fois fût la bonne. Plus de doute, l’immersion physique est réelle. À tel point qu’il faut quasiment lutter à l’intérieur de soi pour ne pas se laisser totalement aller aux émotions que la situation impose de facto.
La démo choisie, à ma place, de l’émotionnellement violent London Heist « parce qu’il s’agit de la plus immersive présente ce jour au Paris Games Week » a finalement été effective pour moi. Justement parce qu’elle m’a obligé à ne pas me laisser aller comme j’y étais prêt. Je suis en effet prédisposé à disparaître dans un monde virtuel imaginaire, mais certainement pas prêt à me laisser malmener par un inconnu menaçant ! Ce qui est le cas de la première partie de la démo interactive de London Heist (si vous n’avez pas encore regardé la vidéo, il est encore temps). Au préalable la jeune hôtesse qui assiste la démo donne quelques instructions élémentaires, demande de s’assoir sur une (vraie) chaise et prévient qu’une fois debout, elle enlèvera la chaise et de ne pas s’inquiéter. Et pourquoi me mettrais-je debout demandais-je en sachant, prudent, qu’il vaut mieux ne pas se déplacer dans un espace réel avec un casque supprimant quand même la vue ? « Vous verrez bien » tente de me rassurer la jeune assistante. « Tkt » dirait un gamin que je connais en m’inquiétant deux fois plus. Mais on est là pour se lancer, pas pour tergiverser, surtout que la file d’attente des candidats est longue, le temps compté et précieux.

Casque VR sans gêne

Trois secondes dans le jeu et je suis déjà incapable d’avoir un avis sur le casque Sony lui-même et son confort. Tout au plus puis-je confirmer qu’il ne m’a pas gêné du tout pendant toute la démo jouable, qu’il m’a paru léger et confortable. Il est bien resté en place sans m’écraser le crâne ou glisser, y compris quand j’ai levé et baissé la tête, très vite même puisque cela est possible au milieu d’un décor à 360° qui existe (le verbe « s’afficher » ne correspond plus à l’expérience) sans rémanence ni décrochage. Seul le casque audio installé par dessus m’a créé une sensation d’étouffement exagérée. Mais c’est un ressenti personnel du pointilleux ergonomique que je suis. En réalité j’étais déjà en train de regarder tout autour de moi la pièce où je me retrouvais.

Voilà donc à quoi sert l’invention du relief

Et je me suis pris en pleine figure le détail technique le moins évoqué de la VR de ce début du 21e siècle : la 3D stéréoscopique ! Et d’ailleurs je n’y ai pensé qu’après la démo, pas pendant. Et pourtant c’est d’abord elle qui trompe les sens avant même de se rendre compte en tournant la tête dans tous les sens que, oui, je suis immergé dans un hangar enfumé. Le premier effort du « testeur » d’une nouvelle technologie que je me devais de représenter a donc d’abord consisté à détourner les yeux du gros bras musclé assis juste en face de moi. Pas si facile. Dans la vraie vie personne ne lâche le regard d’un type qui vous fixe d’un air mauvais en vous envoyant de la fumée de cigare jusqu’au visage. S’y appliquer dans un espace de réalité virtuelle consiste en fait déjà à créer une rupture dans le jeu, une tentative de reprendre le contrôle et de ne pas se laisser aller à croire « pour de vrai » ce qui se passe. Cela ne brise pas le jeu qui continue à son rythme mais on casse déjà les règles du « gameplay » super FPX (first person experience). J’ai donc bravement regardé tout autour de moi pour constater avec effarement que j’avais vraiment la sensation d’avoir été téléporté dans une pièce sombre, inquiétante, avec des éclairages minutieusement répartis. Un hangar de bonne proportion dont j’ai mesuré très vite les distances grâce à un ressenti tout à fait tangible de la spatialisation tout autour de moi. Dans cette 3D relief globale, contrairement à celle du cinéma en salle ou à domicile avec des lunettes 3D à la vision limitée, les effets d’ambiance, de lumières, de fumées, de poussières donnent une présence physique totale. Les bruitages d’ambiances discrets dans les oreilles confortent et appuient évidemment ce que l’on voit.

Le grand face à face virtuel

Le type en marcel en face de moi m’interpelle et me parle de plus en plus violemment. Irrité de mon manque d’attention il se lève brusquement en repoussant sa chaise et fait un petit pas rageur vers l’avant. Impossible de ne pas tressauter. Le réflexe de protection instinctif et physique vient de plus loin encore que le réflexe habituel du pratiquant jeu vidéo. Là encore ma tentative de désamorcer la situation tendue en rigolant sous le casque cachait à peine une terrible sensation d’inquiétude physique. On a beau jouer les décontractés à qui on ne la fait pas, on sent venir le passage à tabac en totale passivité. Et l’anxiété s’installe au creux du ventre malgré soi. Le type s’agite maintenant debout, se rapproche encore, chalumeau allumé à main. On est assis, la présence massive du malabar nous domine, nos muscles se tendent parce que, hé, c’est un jeu vidéo n’est-ce pas ? Pas parce qu’on a vraiment peur du gros bras bien sûr. Bien sûr. Et le jeu va bien nous demander à moment ou à un autre de réagir avec nos petites mains agrippées aux deux manettes PlayStation Move, non ?
Un smartphone sonne dans la poche du bonhomme prêt à exploser. Il entame une conversation qui le calme à peine avant de se résoudre à nous tendre le téléphone. Le piège à enrôlement ici consiste à devoir quand même obéir au type qui nous ordonne de nous lever pour attraper le téléphone. On résiste, il insiste et je n’ai pas détecté de gestes ou de mots en boucle flagrants façon jeu vidéo en mode automatique. Il faut donc bien se résoudre à jouer le jeu de l’autorité et se lever. Le bras droit se tend instinctivement vers le téléphone, une main gantée flottante apparait dans la pièce (« écran » ne correspond plus), la mienne aucun doute, et j’appuie sur la gâchette comme demandé tout à l’heure par l’hôtesse de la vie réelle pour attraper le smartphone. Je le porte naturellement à l’oreille pour écouter le message de quelqu’un. Ce mélange de gestes réels dans un espace virtuel imaginaire est bien étrange, troublant. Fondu au noir.

Pourquoi on y croit ?

À cet instant entracte de la démo il faut revenir sur le pourquoi et le comment de l’impact réussit de l’immersion. London Heist prouve que certains développeurs maitrisent déjà drôlement bien les conditions techniques et artistiques d’une immersion physique et psychologique. Cela augure bien de la suite et de la vitesse des progrès. La présence tangible, incontournable, d’un corps physique humain, quasi charnel, en face de soi est bien le premier morceau de bravoure accompli par Heist. Bon acting en performance capture, certes, mais aussi bonne évaluation du volume du corps dans l’espace tridimensionnel, et en particulier de ses gestes et de ses rapports de distance avec nous, qui n’avons pas de corps à part les mains (ou alors j’ai oublié de regarder mes jambes). Dès que l’on croit à une présence près de soi dans ce monde virtuel, c’est gagné. Car, maligne, la séquence nous laisse le temps de nous ajuster. Le malabar sûr de lui et de sa position est assis quasi immobile devant nous. Il attend visiblement que nous reprenions connaissance en nous narguant. C’est le joueur étranger à la situation en revanche qui s’agite sur sa chaise pour découvrir l’endroit où il se trouve. Exactement comme dans la peau du personnage que nous jouons malgré nous : coincé sur une chaise, se réveillant sans doute après avoir été estourbi et trainé dans ce hangar à son insu. Surtout que de films en séries, cette scène là du héros mis en mauvaise posture par de violents truands est bien connue. On l’investi en un rien de temps. Avec en plus cette petite voix intérieure qui dit : non, ils ne vont pas nous faire ce coup-là ? Eh bien si. Et c’est un exemple parfait.
La seule chose que les programmeurs peuvent encore ajouter serait sans doute que le personnage réagisse vraiment à nos positions de têtes. Je ne crois pas voir remarqué que ce fut le cas. Quand nous détournons la tête pour ignorer royalement notre vilain interrogateur, celui-ci pourrait, devrait, se replacer devant nous, ou nous demander de le regarder en face. Cela viendra sans aucune doute.

Acte deux : la fin des minis jeux de tiroir

Le deuxième acte de la séquence rend les choses plus concrètes cette fois, et plus jeu vidéo. Du classique en terme de jeu vidéo, mais de l’inédit en qualité d’immersion et de sensation d’y être. La scène commence debout. La chaise du monde réel n’est plus derrière moi, j’ai vérifié d’un coup de talon. Une voix dans l’oreillette (on suppose) demande de fouiller un bureau-secrétaire devant soi, de trouver une clé dans un tiroir, de se méfier des vigiles qui font la ronde – on commence à voir leurs lampes torche au loin – et d’attraper un flingue dans un des tiroirs si nécessaire. Nos deux mains gantées flottent devant nous. On approche de la poignée d’un des tiroirs, on appuie sur la gâchette du PlayStation Move, on tire vers soi et le tiroir s’ouvre naturellement, de l’exacte distance tirée. Je referme d’ailleurs aussitôt le tiroir et refait le geste plusieurs fois. Et chaque fois ça marche, je tiens le tiroir bien en main. Adieu toutes les raideurs des ouvertures de tiroirs de The Last of Us à SOMA (pour n’en citer que deux). Pareil pour le tiroir d’à côté et le grand en dessous. Le meuble devant moi existe donc concrètement dans une semi obscurité. J’attrape une lampe torche de la même manière instinctive avec la main droite. J’éclaire mieux le meuble. Je n’aurais pas le temps de trouver la clé en question, je m’amuse trop à ouvrir et fermer les tiroirs, à lâcher la lampe et à la reprendre en serrant bien la main. Je trouve aussi ce qui ressemble à des chargeurs de révolver dans un tiroir. Je les prends sans effort et les pose sans ménagement sur le bureau. J’attrape, je lâche, j’attrape, je jette, tout ça avec mes petites mains virtuelles qui ne le sont plus tout à fait.

Légitime jouissance

La grande salle devant moi s’éclaire brusquement. Des tireurs en costumes se faufilent partout et se cachent derrière les fauteuils, style Uncharted. J’entends des coups de feu et des balles siffler à mes oreilles. La voix dans l’oreillette me suggère de me cacher derrière le secrétaire. Comment ça ? Comment ça ? Je me baisse, je mets un genou en terre, pour de vrai, le sol est dur, et je vois bien que mon regard se retrouve désormais au ras du bureau, à l’abri des balles. Mon dieu. Action, j’y suis ! Je me relève un peu, ouvre en catastrophe un tiroir oublié, je vois le flingue. Je ne me pose pas de questions je le prends de la main gauche qui m’est naturelle et, oui, je commence à viser les silhouettes et je tire. Time Crisis, Blue Estate nous revoilà. Mais dedans, en plus joli, en plus immersif c’est sûr. Le révolver tressaute à chaque balle, l’impact est juste, la visée aussi. Le PlayStation Move vibre-t-il ? Je ne sais plus, là sur le moment je le crois. Plus de balles ! J’attrape de la main droite disponible un des chargeurs sur le bureau. Mes deux mains se rapprochent instinctivement, le révolver d’un côté, le chargeur de l’autre. Ai-je fait ça toute ma vie ? Le chargeur s’enclenche sans effort dans la crosse du révolver. Clik Klak, c’est reparti ! Mais d’où viennent ses balles qui me frôlent de plus en plus alors que je suis accroupi ? Bon sang ! Il y a un balcon bien sûr, deux mêmes ! Il suffit de lever la tête idiot. Et le bras, et de viser Instinctivement. Je ne crois pas que je puisse vraiment m’éloigner du bureau ou le contourner, et de toutes façons je ne le souhaite pas tant qu’il y a des tireurs embusqués. La sensation jouissive de jouer au cow-boy retranché derrière son bar dans une attaque saloon est trop forte. Et si je penche le flingue de côté façon gangsta pour viser, ça marche ? Oui, ça marche et la frime idiote qui va avec. Si on doit faire des choses, même au goût douteux, autant les faire avec du style. Les assaillants sont tous à terre. Fondu au noir.

Partir, ne plus revenir

24h plus tard j’ai encore la tête dans cette démo, dans cet autre monde où évidemment un garçon ordinaire se délecte de défier un gros bras et de manipuler un pistolet. Mais demain, demain je serai au volant d’une voiture, je me ferai peur au milieu d’une maison fantôme, je me faufilerai un chemin dans la jungle entre les pattes de dinosaures. David Cage si tu me lis, tu ne me feras pas croire que ton Detroit ne fonctionnera pas en VR. James Cameron j’en suis sûr, avec toute la technologie de filmage réel/virtuel que tu t’es inventé, ton ou tes prochains films Avatar pourront être présentés en full VR. J’ai goûté à une seconde life. Je sais qu’on ne fera pas que s’y entretuer et que grâce au talent sensible de certains artistes (Jenova Chen, Quantic Dream, Media Molécule…) on saura aussi s’y aimer. Alors je n’attends plus qu’une chose : y retourner. Demain, tous ensemble, nous allons imploser la matrice.

François Bliss de la Boissière

 


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