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The Witness, réflexions : La singularity de Jonathan Blow

Jouer à The Witness consiste d’abord à rentrer dans le cerveau de Jonathan Blow, son auteur. Sa manière de radiographier le monde et de le retranscrire sous une forme ludo-éducative. Le jeu aura beau prétendre circonscrire une île au milieu d’un Océan Wind Waker, l’habiller de couleurs Splatoon éclatantes et faire accroire à une aventure anecdotique sous bocal, The Witness parle du monde dans son entièreté. Peut-être même du cosmos. Et si le cerveau est un mini (quoique) cosmos. Tout serait dit.

Comment ne pas voir dans la plantation éparse de panneaux puzzles reliés les uns aux autres par des câbles lumineux, un réseau de synapses et de neurones cherchant à s’activer ? Une maquette de monde connecté en réseau, électrique en apparence, neuronal en profondeur. Chaque petit problème géométrique semble autonome jusqu’à ce qu’il produise dans le joueur participant des réactions de cause à effet. Les neurones s’activent un à un, le joueur comprend facilement ses premiers gestes sur la grille. Finement programmée, au service de l’efficacité comme de la satisfaction visuelle et motrice, le déplacement du simili curseur suivi de son petit serpent dessiné entre les cases est un plaisir de l’instant qui pourrait presque se suffire à lui-même. Qui se souvient du jeu Snake ?  Jonathan Blow assurément puisqu’il le fusionne avec la Bataille Navale sur canapé.

L’île du docteur Blow ne peut être qu’une métaphore, une modélisation de programmeur. Le mystère, qu’il faut entretenir le plus longtemps possible pour avoir le plaisir de le découvrir par soi-même, ne peut conduire qu’à une activation globale du cerveau-île-planète. Ou, pour le dire plus intuitivement, à une prise de conscience. C’est donc vers cet éveil progressif que le joueur avance. Prise de conscience des mécaniques de jeu, qui deviennent des mécanismes de fonctionnement de l’île, qui à leur tour lèvent le voile sur de nouveaux espaces et donc de nouveaux points de vues. À chaque étape géographique conquise s’attache un début de révélation. La topographie de ce jardin géant cache, derrière ses couleurs flamboyantes et ses feuillages choisis, une mise en scène de l’éveil, de l’awareness, si l’on se laisse aller à un anglicisme. L’homme ne comprend rien du pourquoi et du comment de la Terre et du cosmos mais il en a une intuition. Et il en est le témoin. Il en va de même sur l’île de Jonathan Blow.

Dans leur Myst et Riven des années 90, les frères Miller avaient fait appel à une magie pour donner naissance à des mondes par les livres. Ils s’autorisaient à court-circuiter la rationalité scientifique d’une ère industrielle à la Jules Verne par l’acte de foi que représente l’écriture. Cette métaphore ultime de l’imaginaire – le livre accouche des mondes – ne saurait être dépassée. Celle de The Witness, on le soupçonne en connaissant le mode de fonctionnement de son auteur et par les indices distillés dans l’île, ne peut être que purement scientifique et rationnelle. Ce qui se voit, ce qui se touche et réagit dans ce décor trop saturé de beau pour être vrai est, au plus, une mise en scène théâtrale des éventuelles conséquences de l’utilisation de la science et des technologies. On sent bien dans ce voyage interactif que l’auteur veut faire dialoguer la nature et la technologie. L’homme n’étant que l’interface, celui par qui les éléments s’articulent, l’agent déclencheur ou destructeur.

Ce qui était observable dans le style imposé de notre entretien  par Jonathan Blow « ce qui est dit est moins important que ce qui est impliqué », l’est également dans The Witness : ce qui se voit et s’entend est moins important que ce qui est impliqué. L’absence a valeur de présence. Drame ou épiphanie, fin du monde ou renaissance, la révélation finale importe peu. Chaque pas est motivé  par le fait que le joueur saisit très vite que quelque chose se dissimule derrière ce décor trop parfait. L’absence de toute vie humaine et animal est évidemment un signal fort d’anomalie. Mais comme nous sommes dans un jeu vidéo, cette absence pourrait passer pour le choix économique et fonctionnel d’une production indé au budget sous contrôle. Surtout si la présence de NPC ne servait à rien d’autre qu’à animer le décor. Sauf que ici et là on croise des statues d’êtres humains. Ou plutôt des hommes et des femmes pétrifiés dans une pose, surpris dans un moment de vie comme les habitants de Pompéi surpris par la lave du Vésuve.  Et contrairement au surprenant et pas si lointain The Talos Pinciple, The Witness ne s’annonce pas comme une simulation ni un test. Le dialogue avec une entité supérieure de Talos est muet et intériorisé dans The Witness. Puisqu’il ne s’impose pas au joueur, l’existence de ce dialogue intérieur ne dépend que du participant. Il n’est pas nécessaire à la résolution des énigmes mécaniques mais il légitimise leur présence sans pour autant servir de prétexte.

Comme Myst et Riven et quelques rares autres jeux vidéo (Limbo notamment), The Witness est davantage qu’un jeu vidéo. Et ce avant même de découvrir l’éventuelle et probable version en réalité virtuelle qui nous transportera pour de bon sur cette île. Le fond et la forme ne font plus qu’un pour offrir ce qu’on n’aurait jamais osé dire, ni même penser il y a 22 ans, mais qu’on affirme sans embarras ou peur du ridicule en 2016 : The Witness est aussi une oeuvre d’art contemporain. Une installation géante à ciel ouvert que l’on pénètre et observe. Ajoutons 2.0 à art contemporain si les gros mots font peur. Quoi qu’il en soit, de Duchamp (cinétisme) aux installations de Annette Messager, du land art à l’urban art comme ici  ou ici, du street art trigonométrique à cette vision anamorphique de la singularité technologique, The Witness brasse et régurgite dans son île aux enfants sans enfants, volontairement ou par influences collatérales, tout un pan de l’expression artistique contemporaine. Nous sommes quelques uns à guetter depuis longtemps la mutation du jeu vidéo en mode d’expression artistique sans pour autant perdre sa nature ludique et insouciante, ou même sa trivialité. Voilà.

Contrairement à l’auteur de ces lignes qui essaie de placer du sens sur ce qui suinte de l’écran mais reste non explicite, Jonathan Blow et sa petite équipe artistique ne font pas eux-même de citations directes (à notre connaissance) et de listing jouant au malin cultivé. À chacun de décrypter et interpréter le paysage au-delà des casse-têtes sur pieds. Quitte à aller jusqu’à guetter le mouvement des nuages. Sauf, tout de même, quand l’intellectuel Jonathan Blow fait intervenir quelques sommités de la science et de la pensée. Alors, le vrai jeu de piste commence. Celui des intentions.

Surpris et déçu que Blow recourt au truc surfait des audio logs pour, supposément, ne pas laisser le visiteur vraiment tout seul dans son île (ajout démagogique qui aurait pu être demandé par un producteur/éditeur, comme celle d’inclure une silhouette visible du joueur grâce à son ombre), on découvre une toute autre intention à l’écoute de ces audio logs (dits brillamment par des comédiens du jeu vidéo visiblement portés par des monologues ayant enfin du sens). En grillant toute chronologie historique et technologique, chaque mini, et rare, dictaphone oublié dans le décor fait entendre les réflexions de penseurs et scientifiques d’époques très variables. Le précoce mathématicien William K. Clifford du 19e siècle, le taoïste Tchouang-tseu (IVe siècle avant J.-C.), l’astrophysicien Arthur Eddington du début du 20e siècle, la bouddhiste Yung-chai Ta-shih (an 700), le spécialiste de la mécanique quantique Richard Feynman dont on retiendra au moins cette phrase : « J’ai la responsabilité de proclamer la valeur de la liberté (de penser) et d’enseigner que le doute ne doit pas être craint ». De la science à la philo en passant par la vie de tous les jours, chacun puisera dans les mystères de The Witness quelque nourriture spirituelle. Et quand même pas mal d’émerveillement.

François Bliss de la Boissière

Merci à danybliss pour les pistes artistiques (et l’aide sur quelques puzzles)…


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Obduction retardé : Kickstarter et les promesses dans le vent

Cyan vient d’annoncer que la sortie de leur nouveau jeu Obduction serait reporté à 2016 au lieu de fin 2015. Le problème ? Obduction a été produit par un Kickstarter à succès et que la plus basique des promesses, la période de sortie, n’a pas été tenue. Et pourtant les créateurs de Myst/Riven font partie des vétérans de l’industrie du jeu vidéo.

Obduction logo

Ceci n’est pas une enquête Kickstarter.

Il n’y a pas de crime de lèse-majesté. J’ai moi-même modestement kickstarté Obduction et le report de 3 ou même 6 mois du jeu ne me gêne pas plus que cela. Il faut toujours retenir la magnifique phrase de Shigeru Miyamoto : « un mauvais jeu à l’heure restera un mauvais jeu, un bon jeu qui sort en retard est un bon jeu pour toujours ». Si cela s’applique ici, pas de regret.

Mauvais cas d’école

Les explications énumérées par Rand Miller et les décisions qu’elles décrivent ou sous-entendent trahissent en revanche les enjeux d’un projet financé par Kickstarter. Sans douter de la tentative de transparence dans la communication de Cyan avec ses 22 195 contributeurs, le couple d’emails reçu après des mois de silence le 2 octobre 2015 puis le 20 octobre démontre plusieurs faiblesses d’appréciation grossières chez Cyan, certaines avouées, d’autres en creux.

Le 2 octobre Rand Miller, grand manitou de Cyan, co créateur de Myst et Riven, s’excuse de ne pas avoir communiqué sur Obduction depuis un moment tout en annonçant que tout va très bien et une prochaine belle annonce. Le 20 octobre, Rand Miller reconnait sa « honte » d’avoir cru une nouvelle fois en la parole d’un éditeur qui n’aura pas tenu ses engagements et a disparu au moment de signer un contrat !

Aveu de faiblesses

Ainsi donc, Cyan a été tenté de trouver de l’argent dans les circuits traditionnels en plus de l’argent récolté auprès de son public ? Cyan a donc envisagé de ne pas respecter l’accord tacite signé avec ses contributeurs de faire le jeu en totale indépendance. Cyan a attrapé le syndrome des yeux plus grands que le ventre si commun au développement de jeux vidéo. Cyan a cru pouvoir débloquer de l’argent d’un investisseur sans compromission avant de se faire balader plusieurs mois par le dit investisseur jusqu’à ce qu’il se défile à la dernière minute. Cyan a donc revu sa production à la hausse pendant plusieurs mois comme si l’arrivée d’argent frais était assurée. Cyan annonce maintenant relancer le jeu en mode planning Kickstarter, c’est à dire en moins ambitieux dorénavant. Il y a dans cette énumération non exhaustive tellement de fautes d’appréciations personnelles et collectives que s’il s’agissait d’un petit nouveau dans le milieu on le traiterait presque d’amateur ou de newbie, n’est-ce pas ? Mais Rand Miller a 24 ans d’expérience du développement de jeu.

C’est quoi le deal Kickstarter ?

Parfois explicite mais presque toujours implicite, le pacte Kickstarter jeu vidéo entre les initiateurs de projets et les contributeurs, dit en substance : « Je ne trouve pas de producteurs pour financer mon jeu alors si vous voulez le voir exister, donnez moi votre argent », ou : « Je ne veux plus passer par un éditeur qui va me dicter le contenu et je vous demande de l’argent pour mener à bien ce projet comme je l’entends ». Deal.

Trahison

Quand Cyan nous apprend au moment où le jeu devrait sortir, deux ans après le Kickstarter réussi à hauteur de 1,3 M$, que le jeu est reporté parce que le « petit » éditeur avec lequel il négociait pour obtenir une rallonge s’est défilé après plusieurs mois de tergiversations, il y a trahison et même violation du pacte tacite avec ses contributeurs. Le constat d’adultère serait identique si le deal avec le distributeur/producteur avait fonctionné. Qui dit financier professionnel dit contraintes et réclamations commerciales pas forcément liées aux aspirations créatives. Les contributeurs que nous sommes avaient pourtant donné carte blanche créative à Cyan. Rand Miller avoue candidement avoir jusqu’au bout tenter de baisser ses exigences (officiellement économiques, mais quoi d’autres ?) pour être finalement abandonné par le « petit éditeur ».

Mégalomanie ordinaire du jeu vidéo

Pour quelles raisons Cyan était prêt à des compromissions auprès d’un corps étranger au projet édifié avec enthousiasme directement auprès de ses « fans » ? Pour faire un jeu « plus grand et plus en rapport avec l’ambition découverte en le faisant ». Rand Miller explique dans sa lettre du 20 octobre que, 6 mois plus tôt, Obduction avait évolué avec assez de contenu pour prétendre devenir une expérience plus grande que le projet Kickstarter planifié ». Cet aveu révèle à quel point naïveté et mégalomanie vont de paire. Le jeu en cours de production selon le planning Kickstarter était donc de petit calibre ? Les 1,3 M$ collectés (soit 200 000 $ de plus que la somme réclamée au départ) grâce à Kickstarter fin 2013 ne laissaient pas entendre « petit jeu petit budget ». Petite équipe dévouée très heureuse d’avoir décroché le jackpot pour faire le jeu de leur rêve, oui ça on l’avait compris.

Rand Miller, homme sérieux et débonnaire

J’étais allé au devant de Rand Miller en janvier 2014 pour lui poser quelques questions juste après la réussite du financement (interview ici-même). J’avais déjà eu le privilège de le rencontrer en personne lors de la sortie de Uru : Ages Beyond Myst. J’avais découvert un homme sérieux et tranquille, débonnaire et concentré. Clairement pas un homme du marketing mais, évidemment, tout à fait capable de « vendre » son projet ». À la question candide que je lui posais : « Sur Kickstarter aucune promesse n’est contractuelle. Comment garantissez-vous la sortie du jeu à 2015 ?», Rand Miller m’avait répondu 3 mois après Obduction lancé par Kickstarter : «  Nous essayons d’être réaliste avec un planning réfléchi. Nous avons l’expérience de ce type de production. Nous avons moins de chance d’être surpris que d’autres pendant toute la procédure ».

Déception banalisée

Qu’on ne nous lise pas de travers. Contrairement à d’autres projets Kickstarter avortés ou volatilisés, il n’y a pas eu vol, détournement ou mensonge. On accorde tout à fait le bénéfice de la sincérité à Rand Miller et son équipe. Mais si un des pionniers du jeu vidéo à succès n’arrive pas lui-même à tenir sans délirer ou dériver les rênes d’une production proche de Myst et donc de ce qu’il sait faire, ni donc à tenir ses engagements auprès de son public Kickstarter captif et dévoué, alors à qui se fier ?
Dans le jeu vidéo ou ailleurs, le financement participatif reste une belle idée. Mais comme la démocratie en perdition, les élus ne tiennent pas souvent leurs promesses. Notre attente de Obduction est donc elle aussi revue à la baisse.

François Bliss de la Boissière

 


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Rand Miller/Kickstarter : One-hit wonder

En 1993, Myst, le jeu d’aventure ésotérique et littéraire sur CD-Rom a fait entrer le jeu vidéo dans l’âge adulte. 31 ans plus tard, les frères Rand et Robyn Miller rejouent la carte du futur avec le projet Obduction. Un myst-érieux jeu d’aventure lancé avec succès sur Kickstarter.

Rand Miller photo © Bliss

Bliss : Bien que similaire à Myst, Obduction ne profite pas de sa généalogie. N’était-ce pas un pari dangereux sur Kickstarter ?

Rand Miller : Le risque a été grand mais nécessaire. Nous adorons la franchise Myst mais il était beaucoup plus motivant de faire table rase, de travailler sur quelque chose de frais et nouveau.

Bliss : Pourquoi réclamer un budget de 1,1 M $ (1,3 M obtenus) pour un jeu sans séquences d’action aux mille tests et réglages ?

Rand Miller : La réponse risque de vous surprendre. Les jeux d’exploration demandent un budget plus important parce qu’ils ne dépendent pas d’une boucle répétitive de gameplay. Tous les FPS ont un procédé de gameplay éprouvé et bien établi : tuer le méchant, obtenir une récompense, trouver d’autres méchants. Tout le budget entre dans l’habillage élaboré de ce principe. Dans un jeu d’aventure/exploration il n’y a pas vraiment un système de gameplay répétitif. Chaque élément de l’environnement doit correspondre à sa fonction singulière. Le jeu est meilleur si les puzzles et environnements sont uniques et non répétitifs. La dépense avec les jeux d’exploration a lieu en amont là ou la dépense sur les FPS arrive après.

Bliss : Parmi les 23 000 contributeurs Kickstarter, quelques dizaines ont versé de 1 100 $ à 10 000 $ ! Qui sont donc ces gens ?

Rand Miller : Les contributeurs de haut niveau ne sont ni des amis proches ni des membres de la famille, mais simplement des gens intéressés par un divertissement interactif à base d’exploration, et qui ont les moyens d’être très généreux.

Bliss : Sur Kickstarter, aucune promesse n’est contractuelle. Comment garantissez-vous la sortie d’Obduction à 2015 par exemple ?

Rand Miller : Nous essayons d’être réaliste avec un planning réfléchi. Nous avons l’expérience de ce type de production, y compris de complexes versions multijoueur comme Myst Online : Uru Live. Nous avons moins de chance d’être surpris que d’autres pendant toute la procédure.

Bliss : Cyan a communiqué avec beaucoup d’enthousiasme et complicité sur Internet et YouTube… Était-ce juste au service de la campagne de financement ?

Rand Miller : Nous avons vécu une période magnifique pendant la durée du Kickstarter, être en relation avec les fans, sentir l’énergie du moment… Bien que nous soyons une entreprise habituellement silencieuse, il nous tarde de partager ce nouveau voyage avec les fans et supporters qui font maintenant partie du projet. Nous passerons à la vitesse supérieure au fur et à mesure que la production montera en puissance, mais sans lâcher aucun secret (sourire).

Bliss : Le succès précoce et indépassé de Myst vous rapproche de ce que l’industrie de la musique qualifie de « one-hit wonder ». Avez-vous quelque chose d’autre à prouver ?

Rand Miller : Ah, bonne question. Je suis très satisfait du succès qu’a eu Myst. Et je suis incroyablement fier de Myst Online : Uru Live même si les ventes n’ont pas eu le même succès. Grâce à Myst j’ai vécu des aventures incroyables, et je serais heureux même si je ne créais pas un autre blockbuster. J’ai déjà été si béni, j’aurais l’impression d’être juste cupide en espérant plus.

(Note : l’auteur de l’article est lui-même contributeur -modeste – au projet Obduction sur Kickstarter)

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2014 dans le bimestriel Games)

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GAMES_02 kickstarter Rand Miller by Bliss

La petite musique des jeux vidéo

De ses débuts il y a tout juste 30 ans jusqu’à aujourd’hui, le jeu vidéo a évolué très vite, techniquement et artistiquement. La musique illustrant les jeux vidéo est par exemple passée des sons bip bip 8-Bits de ses débuts aux compositions orchestrales d’aujourd’hui. La technologie a suivi cette évolution mais pas toujours la législation. Surtout en France où l’exception culturelle qui protège les auteurs-compositeurs au risque de compromette l’équilibre budgétaire nécessaire à la conception d’un jeu vidéo.

L’âge adulte artistique

Bien que restitués avec des moyens techniques alors limités à sa naissance dans les années 70 aux années 90, les thèmes musicaux des premiers jeux vidéo ont acquis une célébrité jusqu’à devenir des classiques et être interprétés par des orchestres symphoniques. L’apparition du support CD sur ordinateur, puis la première console PlayStation de Sony, a changé les choses au milieu des années 90 en permettant d’illustrer l’environnement sonore et musical des jeux avec une qualité optimale de reproduction. Habitué à concevoir des musiques synthétiques plus économiques à produire, l’industrie dans son entier n’a pas immédiatement basculée vers des compositions acoustiques. Aujourd’hui néanmoins, les mélodies que l’on entend sur les derniers jeux Mario sur Wii (Super Mario Galaxy…) ont été enregistrées par un vrai orchestre symphonique et s’apprécient dans toute leur grâce pendant que le joueur saute de planètes en planètes. 

Avec l’arrivée des ambitieuses consoles PlayStation 2 et Xbox dans les années 2000, les jeux vidéo ont commencé à se mettre en scène et à se dramatiser avec des partitions musicales dignes de productions hollywoodiennes. Certains compositeurs travaillent d’ailleurs dans les deux industries. Un des plus connus, Harry Gregson-Williams, a composé la musique du jeu Metal Gear Solid et des films Shrek, Narnia, Kingdom of Heaven… Immédiatement identifiables, les thèmes des séries de jeux japonais Dragon Quest, ou Final Fantasy, composé par le respecté Nobuo Uematsu, et américains, Halo composé par Martin O’Donnell, génèrent, comme ceux des films Star Wars, Indiana Jones ou Superman un culte lié à toute l’émotion que les notes de musique peuvent provoquer.

La musique de jeux vidéo en tournée

Depuis 2005, un orchestre symphonique dirigé par la baguette de deux chefs d’orchestre compositeurs de musique de jeux, Tommy Tallarico (Earthworm Jim, Prince of Persia…) et Jack Wall (Myst III et IV, Splinter Cell, Mass Effect 1 et 2…), interprète en public dans les plus prestigieuses salles de concert du monde les thèmes d’une sélection de jeux vidéo célèbres. Déjà passée deux fois à Paris, la dernière prestation de la tournée Video Games Live a eu lieu dans le Palais des Congrès de la capitale le 17 décembre dernier avec un nouveau chef d’orchestre, l’italien Emmanuel Fratianni, compositeur co-crédité sur le jeu Advent Rising. Ponctuellement, des invités rejoignent les prestations live. Kinuyo Yamashita, la compositrice japonaise du jeu Castlevania a par exemple participé aux concert donnés à Newark aux USA fin décembre 2010. Lors de la première représentation à Paris en 2009, le créateur français du jeu Rayman, Michel Ancel, est monté sur scène avec deux musiciens pour jouer en live le thème de son prochain jeu Beyond Good and Evil 2. Une captation du concert existe en CD Audio et il est possible d’écouter des extraits gratuits en streaming sur Deezer.

L’élite des OST

Réservés à une élite de passionnés qui devaient acheter à prix d’or des versions imports, les OST (Original Sound Tracks), ou bandes originales de jeux vidéo, ont commencé à être éditée en CD Audio. D’abord au Japon grâce aux compositions très appréciées sur les jeux de rôle des éditeurs Square et Enix, puis, peu à peu dans le reste du monde. De nos jours, les OST ne sont plus rares et se trouvent presque facilement dans le commerce en France. À commencer par les magasins de musique dématérialisée accessible sur les stores d’Amazon ou d’Apple. La musique des jeux Mass Effect 1 et 2 signée Jack Wall est par exemple disponible en 6 albums sur iTunes. Le store Apple référence également 10 OST des jeux vidéo japonais Final Fantasy : des bandes originales complètes ou des réinterprétations orchestrales ou au piano.

Musique étouffée en France

En pleine effervescence, la création de musique pour jeu vidéo est freinée en France par une situation juridique aujourd’hui bloquée. Encore considéré comme un simple logiciel informatique, le jeu vidéo ne peut pas s’appuyer sur un réel statut législatif et culturel. Un trouble légal qui peut créer des situations dramatiques comme le raconte Emmanuel Forsans, un ancien producteur de jeux vidéo en France, actuellement responsable de l’Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV).

« Les sociétés de jeux vidéo français ne veulent plus faire travailler les compositeurs français pour des raisons de droits d’auteurs inquantifiables à payer » explique Emmanuel Forsans. « Le jeu vidéo étant depuis son origine considéré juridiquement comme un logiciel et non une œuvre, l’usage jusqu’ici avait été de payer le travail d’un compositeur de musique de jeu vidéo une somme forfaitaire nette. Mais il y a quelque temps, un compositeur français est revenu sur cette convention et les tribunaux lui ont reconnu, comme pour les compositeurs de musique de films, un droit de propriété intellectuelle sur sa musique qui l’autorise à percevoir des droits d’auteurs, c’est à dire un fort pourcentage sur les ventes du jeu. Le studio de développement qui l’avait déjà payé une somme nette a été obligé de lui régler une somme rétroactive si élevée que l’entreprise a été mise en grande difficulté financière. Depuis, dans le milieu, plus personne n’ose faire travailler un musicien français. Même si la loi n’a pas été modifiée et que du côté de la Sacem (l’organisme qui collecte et redistribue les droits d’auteurs aux artistes), le jeu vidéo reste un logiciel, ce premier cas peut faire jurisprudence.« 

Musique de chambre entre le CNC, le SELL, le SNJV et la SACEM

Depuis plusieurs années et encore à ce jour, des discussions sont en cours entre la Sacem et le SELL (instance de représentation des éditeurs de jeux et de logiciels) autour de la définition du jeu vidéo et de ses composantes artistiques. Donnent-elles, ou pas, droit, à des rémunérations spécifiques liées à la propriété intellectuelle ? Déjà engagé dans le dossier jeu vidéo, le CNC (Centre National de la Cinématographie) arriverait un peu mieux plus à faire avancer les choses selon Emmanuel Forsans. Au cœur de cette négociation, c’est la définition même de ce qu’est le loisir interactif qui se pose. « Le jeu vidéo est un ensemble hétéroclite d’images, de sons, d’interactions » expliquait en 2009 Nicolas Gaume actuel Président du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), « il n’a pas de statut juridique mais des jurisprudences contradictoires« .

« On a un peu surprotégé les musiciens en France« 

Programme informatique composé d’éléments rudimentaires animés et bruités à ses débuts, le jeu vidéo a évolué vers un ensemble composite faisant appel à des talents dans de nombreuses disciplines, en plus des programmeurs informatiques : illustrateurs, graphistes, animateurs, scénaristes, dialoguistes, acteurs, cascadeurs, compositeurs et musiciens. Avec sa singularité interactive, l’assemblage des disciplines autour de la création d’un jeu vidéo ressemble de plus en plus à son grand frère le cinéma. Pour cet ancien producteur de jeux néanmoins, « on a un peu surprotégé les musiciens en France« . Dommage collatéral de ce flou juridique qui gèle les relations de travail, les éditeurs de jeux vidéo font appel à des compositeurs résidant ailleurs qu’en France. Installé dans de nombreux pays, le français Ubisoft utilise par exemple, sur sa série de jeux Assassin’s Creed, le talent du compositeur danois Jesper Kid installé à New York. Un imbroglio juridique autour de la notion d’auteurs et de leurs droits sur le point de se complexifier avant d’être résolu en France. Les jeux les plus récents commencent à faire participer le joueur dans la création de contenu utilisable à l’infini par d’autres joueurs en ligne (LittleBigPlanet2 sur PS3 par exemple). Le joueur participatif devient, de fait, co-auteur. Sera-t-il un jour en droit de réclamer des droits d’auteur ?

Note complémentaire : La chance aux chansons

Le succès des jeux de rythme musicaux Guitar Hero et Rock Band a créé une nouvelle économie florissante entre l’industrie musicale et le jeu vidéo. Chaque chanson pop ou rock incluse dans les jeux ou vendue au détail sur les magasins PlayStation ou Xbox en ligne rapporte quelques centimes aux auteurs. Pas de quoi changer la carrière des stars de la musique sauf que, les musiciens concernés, dont des rockeurs un peu oubliés, ont eu la satisfaction de voir naître un regain d’intérêt pour leur albums grâce aux jeux vidéo musicaux. Les comptes semblent ici bon pour tout le monde jusqu’à ce qu’un éditeur de jeu ait eu la curieuse idée d’utiliser les silhouettes des dites stars de la musique en omettant d’obtenir leur autorisation et donc de payer cette présence célèbre par avatar interposé. Des procès de plusieurs millions de dollars sont maintenant en cours. Mais c’est une autre chanson.

François Bliss de la Boissière

(Enquête publiée (ou pas) dans le mensuel Comment ça Marche #9 de mars 2011)

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Apple, 33 ans pour réussir à jouer

Artistiquement, visuellement, ergonomiquement, humoristiquement, audacieusement, le Mac semble être né et conçu pour le jeu vidéo. Et pourtant, de promesses en attentes déçues, il aura fallu 33 ans et l’invention de l’iPhone pour que la pomme joue sérieusement…

Part I : La tentation du jeu

1955. Naissance du petit Steve Jobs à San Francisco le 24 février. Un 1er avril 21 ans plus tard, le jeune homme commencera à bouleverser la civilisation en fondant avec un compère une société informatique baptisée Apple. Avec un nom pareil, l’ordinateur se voulait déjà ludique.

1984 la 2e génération d’ordinateurs Apple se nomme Macintosh et présente pour la première fois une interface graphique et une souris pour la manipuler. Tout ça essentiellement pour travailler sans effort, pas pour s’amuser. Les artistes l’adoptent.

1993, sortie du jeu d’aventure graphique Myst sur Macintosh. Exploitant des images fixes photo réalistes pour immerger les visiteurs dans un autre monde surréaliste à la Jules Verne, le jeu aide à populariser le format CD-Rom dans les ordinateurs. Mais pour de nombreux gamers, Myst n’a jamais été un jeu.

Pendant son exil d’Apple, chassé par les actionnaires, Steve Jobs rachète le studio Pixar à George – La Guerre des étoiles qui ne voit pas venir celle-là – Lucas. Apple s’enlise dans le corporate pendant que Steve Jobs, toujours un coup créatif d’avance, s’amuse.

1996, sans Steve Jobs, Apple lance la console de jeux Pippin en partenariat avec la société japonaise Bandai. Un projet mort-né de console très informatique façon Xbox made in Mac avant l’heure qui se crash tragiquement faute de pertinence et de jeux disponibles.

Part II : Reset / retour à la case départ

 1998 de retour aux commandes d’Apple après s’être fait éjecté par les actionnaires, Steve Jobs fait appel à un designer de salle de bain pour relancer le look des ordinateurs Macintosh qui adoptent des formes et des couleurs acidulées. Les iMac aquarelles dédramatisent à nouveau l’informatique, séduisent les femmes et, toujours, les artistes. Malgré son design enfantin, l’iMac ne joue pas plus que ces prédécesseurs.

1999, la rockstar marketing Steve Jobs honore de sa présence l’Apple Expo de Paris pour présenter entres autres exclusivités un jeu développé uniquement pour Macintosh. L’équipe du studio Bungie le rejoint sur scène pour faire la démonstration du jeu… Halo ! Steve Jobs promet pour la énième fois que oui, les jeux arrivent en force sur Macintosh. On y croit. À tort.

Part III : L’approche latérale

2001, Apple détruit le Walkman avec un baladeur musical MP3 qui n’a l’air de rien. Quand l’iTunes Store devient opérationnel en ligne en 2003, l’iPod désintègre de facto le CD Audio et réinvente un business modèle avec la vente de musique dématérialisée. écouteurs blancs aux oreilles, le public suit pendant que l’industrie musicale crie au violeur. Ça danse mais joue de moins en moins.

2007 : L’iPhone et son petit frère l’iPod touch chauffent les oreilles des opérateurs de téléphonie mobile du monde entier et de Nintendo qui fait officiellement l’autruche. La DS fait semblant d’ignorer la menace que représentent les fonctions ludotactiles de l’iPhone/touch en adoptant un « i » à la DSi qui embarque, un appareil photo, voire deux.

2009 : L’Apple Store en ligne revendique 1 milliard d’applications vendues en neuf mois pour iPhone et iPod touch. 35 000 « applis » dont des milliers de jeux rarement intéressants développés avec 3 fois rien et vendus encore moins (de 1 à 5 euros) mais qui révèlent un inouï bouillonnement créatif. Au milieu de tout ce fatras, l’historique Myst devient lui aussi jouable sur l’iPhone/touch. Le Mac fête ses 25 ans sur le toit de la Grande Arche de la Défense *, et cette fois, la pomme croque vraiment du jeu.

* Exposition « Le Macintosh 25 ans déjà ! », Musée de l’informatique, Toit de la Grande Arche, Paris la Défense, tous les jours 10h-20h, jusqu’à décembre 2009, 01 49 07 27 27.

François Bliss de la Boissière (Chronotrigger)

(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #5)


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Myst III Exile : L’AUTRE MONDE

La série Myst est une véritable énigme. Littéralement. Décriée par les gamers qui n’y voient guère un jeu, encensée par un grand public croyant pratiquer un jeu « normal », Myst est surtout une énigme sociologique avec ses 25 millions de pratiquants. Et ce n’est pas fini puisque l’épisode 3 arrive sur consoles…

Myst III Exile
Malgré l’absence de héros devant la caméra, l’histoire de Myst est celle de deux frères : Rand et Robyn Miller. Nés au Texas, élevés par un pasteur nomade prêchant aux quatre coins de l’Amérique, les deux hommes vont changer le cours de l’histoire du PC en lançant un jeu d’aventure tellement graphique qu’il nécessite, en 1993, le support balbutiant du CD-Rom. Myst devient alors l’emblème technologique du CD-Rom et renvoie le support disquette à la préhistoire. Mais au-delà de la démo high-tech, les premiers aventuriers de la souris découvrent un monde fantastique avec ses paysages et sa civilisation oubliée (D’NI). Un monde hypnotisant, mystérieux et désertique, naturellement inspiré de Jules Vernes. Un continent imaginaire morcelé en îles (des Âges dans le langage Myst) où le joueur, pris de vertiges, part à la découverte de lois et mécanismes ésotériques fascinants.

Serial Myst

Ce troisième épisode, qui transforme définitivement Myst en série (Myst 4 et une version online sont en développement, et une mini série TV est en cours de production par Columbia Tri Star), a été confié par les frères Miller à un studio externe. Sorti en 2001 sur PC, Myst III Exile retrouve donc l’interface célèbre où il suffit de cliquer devant soi pour avancer d’un pas – pour peu que le décor le permette, et les puzzles machiavéliques dont dépendent l’exploration et la suite de l’histoire. Seule amélioration technique notable – initiée par L’Amerzone, le Myst-like du français Benoît Sokal  : la possibilité de faire pivoter le point de vue dans tous les sens pour observer les alentours. Les yeux incrédules découvrent en détails de nouveaux décors lunaires, des maisons végétales, des carrières de cristaux d’où surgissent des boules de glace en apesanteur, des bâtisses minérales abritant des ascenseurs inquiétants… Le clapotis de l’océan omniprésent, le souffle du vent, le bruissement des feuillages et, parfois, les pas rapides d’un personnage hors-champ, complètent des tableaux virtuels sollicitant presque tous les sens. Il suffit d’une ondulation de l’eau, d’un vol d’oiseau, du passage furtif d’un animal étrange pour que des décors essentiellement fixes prennent vie.

Guest star

Dépendant d’une technologie douteuse quoi que bien faîte, des vidéos dites incrustées sont heureusement distillées avec parcimonie. Outre, Atrus (toujours interprété par Rand Miller lui-même), l’homme dont la prose crée à volonté les Âges de Myst, sa femme Catherine et son nouveau né, Exile invite un acteur pour de vrai en la personne de Brad Dourif (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Alien 4) qui joue bien son rôle d’illuminé notoire. Tout en réussissant à se faire remarquer avec la présence d’un acteur du calibre de Dourif, Exile peine toutefois à endosser l’héritage du Myst original, et surtout de sa suite Riven. Aussi compliquées que furent les énigmes des deux premières aventures, elles avaient pour elles une cohérence fondamentale dont le principal mérite était de se révéler peu à peu. Les puzzles rencontrés dans Exile semblent parfois plus artificiels, moins intégrés dans l’environnement, inutilement abscons. Les mécanismes sont à nouveau magnifiquement mis en scène et le spectaculaire succède au délicat, mais la grâce et l’inspiration de Riven ne sont plus tout à fait là. Un jeu d’auteur ne saurait sans doute pas se suffire d’une suite commanditée.

Une aventure calibrée home cinéma

L’adaptation console a néanmoins été bien étudiée, voire même optimisée par rapport à la version PC. Cela se remarque sur Xbox notamment. Les temps de chargement entre les écrans et les menus sont presque inexistants, les déplacements dans le décor sont spontanés grâce à une simple pression d’un bouton de la manette, avec ou sans curseur à l’écran. Des qualités complétées par l’observation naturelle à 360° au stick analogique, l’accès immédiat aux livres contenant les précieuses informations et, surtout, un son calibré au format home cinéma Dolby Digital 5.1. De quoi apprécier davantage encore les bruitages sophistiqués et se laisser transporter par l’ample partition musicale interprétée par l’Orchestre Philharmonique de Boston. Aventure de l’esprit et des sens, Myst III Exile prend une nouvelle dimension sur un écran de télévision relié à une chaîne Hi-fi.

Myst III Exile ( Xbox [recommandée], PlaySation 2 / 1 joueur / Genre : Aventure graphique / V.O. + V.F. / Sortie : 26 septembre 2002 / Score : B )

François Bliss de la Boissière

(Publié en octobre 2002 dans le mensuel de cinéma : Score #6)

 


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Benoît Sokal : interview en direct de l’Amerzone

Malgré une réussite commerciale durable avec son inspecteur Canardo, Benoît Sokal était un auteur-dessinateur de Bande Dessinée jusque là discret. Avec l’ambitieux jeu vidéo l’Amerzone il vient définitivement de s’arracher à la génération BD des années 80 dont il est issu.

En 1988 il abandonne pour la première fois son personnage populaire de canard à l’imperméable pour un album réaliste en collaboration avec Alain Populaire : « Sanguine ». Premier indice d’une recherche scénaristique qui ponctuera la parution des Canardo d’albums plus recherchés.
D’abord née d’une envie, puis devenue vraie production au sein d’un éditeur de livre (Casterman) peu habitué à ce type d’investissement, l’aventure interactive de l’Amerzone s’appuie sur quelques éléments de l’album de Canardo du même nom.
Surprenant de maîtrise technique et de qualité graphique l’Amerzone est ouvertement l’héritier direct de Myst et Riven. Un handicap pour les joueurs quotidiens, une qualité pour le grand public et les joueurs poètes.

Conversation avec Benoît Sokal…


Bliss : Alors comment se fait-il qu’une célébrité comme Moebius (L’incal et les Blueberry), connu pour son avant-gardisme en BD, n’ait pas fait un jeu vidéo alors que toi, Benoît Sokal, auteur de BD polars référentiels à scénarios à priori classiques, s’y sois mis ?

Benoît Sokal : J’ai 44 ans… Jean Giraud (Moebius) n’a pas suivi. Il a 10, 15 ans de plus que moi, ça fait beaucoup en informatique….

Bliss : Dessiner sur ordinateur ce n’est pas la même chose que le travail artisanal habituel de la Bande Dessinée… La planche ne t’a pas manqué ?

Benoît Sokal : Non, c’est amusant à faire, c’est aussi du dessin. J’ai fait beaucoup d’images de synthèse, de modélisation (dans le jeu je n’ai pas tout fait mais j’ai fait ma part…). J’ai beaucoup modélisé tout ce qui est organique, par exemple.

Bliss : Tu as au moins fait des croquis préparatoires au crayon, non ?

Benoît Sokal : Pas vraiment, quand c’est de l’image de synthèse ça m’est moins nécessaire. Bon, quand j’en parlais avec quelqu’un je faisais des croquis, mais j’étais assez avare… J’ai fait les story-boards sur papier.

Bliss : Ce sera publié ?

Benoît Sokal : Oui, … enfin disons qu’il y aura sans doute un bouquin Making Of qui sera édité vers la fin de l’année.

Bliss : Qui a participé aux graphismes alors ?

Benoît Sokal : Pour ce qui est de l’infographie, j’avais une équipe de 5 à 6 personnes autour de moi, et essentiellement pour de l’exé (cution). Ils ont fignolé les images, des petites retouches sur Photoshop… Au début, toutes les images ont été faites chez Casterman. ça a commencé modestement là, chez l’éditeur, avec 2 ou 3 personnes. Cette première équipe a ensuite migré vers Grid, la boîte qui s’est occupée des animations. lI y a eu des stagiaires et Gregory Duquesne qui, lui, était ingénieur a beaucoup programmé des plug-in (LightWave) pour obtenir des effets de brouillard, de lumières volumétriques (il travaille maintenant chez New Tech). Voilà comment ça a commencé. Ensuite chez Grid, ils ont un fait un boulot d’enfer. Les détails comme les oreilles qui bougent…

Bliss : D’autres gens ont participé ?

Benoît Sokal : Virtual Studio (qui est crédité) n’a rien fait en ce qui concerne l’image, rien fait dans le jeu, c’était une boîte qui était pourrie, en fin de parcours. lI n’y a qu’une seule personne de chez Virtual
Studio qui ait vraiment travaillé sur le jeu : Emmanuel Dexet qui a fait toute l’intégration, qui a bossé comme un dingue, mais c’est le seul. lI y a eu aussi une boite du nom de 4 X Technologies qui a fait le moteur et la programmation.

Bliss : C’est toi qui a fait toutes les textures ?

Benoît Sokal : J’en ai fait pas mal, oui. Je me suis dit : qu’est-ce que je peux apporter à la 3D, qui est spécifique, en tant que dessinateur ? Le petit plus ?

Bliss : Mais tu faisais toi-même, « manuellement » les infographies, ou tu faisais des propositions ?

Benoît Sokal : On n’avait pas les moyens d’avoir un directeur artistique qui ne fasse que ça (des prises de décisions), j’ai fait l’infographie au même titre que tout le monde. Parfois, au début, il n’y avait personne d’autre, on avait commencé à deux et c’était surtout moi qui modélisais. Nous avons ainsi fait une bonne partie du premier niveau. D’autres personnes sont quand même revenues dessus, on a eu du renfort, les gens se sont pris au jeu, et ça a été beaucoup mieux…

Bliss : Au fait, le budget de départ n’est pas du tout celui à l’arrivée, non ?

Benoît Sokal : Non, au départ c’était ridicule.

Bliss : On t’a donné des crédits au fur et à mesure ?

Benoît Sokal : Ah c’était une bagarre, il fallait toujours convaincre, convaincre… C’est un milieu où les gens sont habitués à payer 200 à 300 000 Frs maximum à l’avance pour un album de BD, et là ça a fini par coûter 3 millions. Ce n’est pas leur économie. Ils ont voulu s’y intéresser parce que, à un moment donné, tous les éditeurs papier voulaient faire du CD Rom (en 95-96), et ils se sont rendus compte que c’est un métier. Ça a eu un petit côté « garage » au début. On a essuyé des plâtres pendant ces 3 années de production. Ce n’était pas constant. Je pense que c’est un truc que l’on peut faire en deux ans. Maintenant les gens ont appris leur métier.

Bliss : Même si, fixé sur un axe, le joueur peut regarder tout autour de lui dans un décor qui semble en 3D, l’influence de Riven est évidente dès que l’on commence à jouer…

Benoît Sokal : Les frères Miller (co-créateurs de Myst et Riven) sont un exemple pour moi. Personnellement j’ai pas de problèmes dans la BD, ce qui m’intéresse c’est de prendre le CD Rom comme un moyen d’expression. J’ai déjà pris la BD comme un moyen d’expression…

Bliss : Même quand tu fais les albums de Canardo qui sont des exercices de genre polar tu as l’impression de t’exprimer ?

Benoît Sokal : Oui, mais il n’y a pas de message. Dans les bouquins on délivre des pensées, pas des messages. Je trouve ça génial. Mais on peut faire passer des choses. Dans Canardo j’y mets ce qui me passe par la tête. Si je ne peux pas le faire comme ça (dans ces conditions de liberté NDLR) ça ne m’intéresse pas.

Bliss : Pour une suite éventuelle de l’Amerzone tu n’intègrerais alors pas une grosse équipe avec beaucoup de graphistes …?

Benoît Sokal : Si ce sont des moyens utiles je peux le faire, mais je ne crois pas tellement à un projet avec 100 personnes. C’est ingérable. En tous les cas moi je ne suis pas capable de le gérer. Je ne suis pas un PDG.

Bliss : A part Myst-Riven tu joues à d’autres jeux vidéo ?

Benoît Sokal : Oui j’ai joué à Doom. Quand je suis « rentré » dans les jeux vidéo ça m’a fait comme quand je suis rentré dans la BD dans les années 80 : une espèce de jubilation, de folie, avec un côté très adolescent. Les jeux vidéo ont une pêche terrible que n’a plus la BD. Par contre ça n’a pas de maturité, pas de sens. Ala limite je suis trop vieux pour faire ça, pour faire du Duke Nukem ou du Lara Croft, je suis trop vieux dans ma tête. Ça ne m’intéresse plus vraiment. Chacun a son évolution, je suis plus intéressé de faire un truc proche du social. Ou alors je ferais un truc à la Canardo, avec vraiment de l’underground mauvais goût, j’irai jusqu’au bout, là ça pourrait être marrant.

Bliss : Tu sais que chez les hardcore gamers Myst ou Riven ne sont pas considérés comme des jeux..? A qui s’adresse vraiment un truc comme l’Amerzone ?

Benoît Sokal : Mais certains gamins ont vieilli, et de toutes façons c’est un produit grand public.

Bliss : Oui mais les gamers réguliers rejettent de tels softs… !

Benoît Sokal : Dans la BD c’était pareil, des gens qui avaient une sorte de collectionnite aigüe. J’ai parfois l’impression qu’on peut leur raconter n’importe quoi et que de toutes façons ça ne percute pas plus, ni moins. J’aime bien que les gens remarquent quand on fait autre chose, quelque chose de différent. J’ai rencontré des gens dans la BD
qui ne voulaient qu’une chose : c’est que la tranche de l’album soit toujours jaune pour faire une bonne collection. C’est un public, par exemple, qui parle des albums de François Schuiten (« La fièvre d’Urbicande », et récemment « L’ombre d’un homme » …) que je connais bien (ils ont fait la même école d’arts graphiques, voir plus loin. NDLR), comme des miens, comme des Canardo. Je croyais qu’il y avait une différence notable entre mes albums et les siens et que nous n’avions pas le même public… Mais finalement il y a tout un public qui avale ça de la même manière. lI y aura toujours des « malades » mais il y a aussi une autre frange de gens qui s’intéressent à autre chose, qui veulent un peu vieillir.

Bliss : Sauf que les jeux vidéo n’en sont pas encore vraiment là, ce n’est pas une démarche que l’on retrouve dans ce milieu…

Benoît Sokal : Ça va venir, ça va vieillir aussi, ou plutôt mûrir. S’ils ne deviennent pas un moyen d’expression, dans 10 ans il n’y a plus de jeux vidéo. Si quelqu’un de 15 ans joue à Lara Croft aujourd’hui, que voudra-t-il dans dix ans ? lI voudra sans doute revoir Lara Croft mais aussi qu’elle lui raconte une histoire d’amour, qu’elle pleure, qu’elle rit, ait vécu, comme lui. Sinon ça ne l’intéressera plus.
Le concept de jeu vidéo est lui-même mouvant : il y a le jeu purement ludique que les gosses jouent, et il y a le jeu un peu plus subtil entre quelqu’un qui crée un CD Rom et quelqu’un qui joue avec. L’auteur peut alors jouer avec le joueur. C’est là que ça devient intéressant : quand on joue avec le joueur. Le joueur sait qu’on joue avec lui et il accepte. Ça, ce n’est pas encore exploité.

Bliss : L’Amerzone a reçu le prix Pixel Ina dans la catégorie jeux…Tu as reçu des prix en tant qu’auteur de Bande Dessinée ?

Benoît Sokal : Angoulême m’a donné un prix, et encore, de manière collective il y a 20 ans (en 1978) : un prix « Espoir » pour un bouquin fait en collectif avec les élèves de l’école St Luc qui s’appelait Le 9e Rêve. J’ai reçu des prix à droite à gauche mais pas à Angoulême. Celui d’Imagina m’a fait vraiment plaisir parce que ça été une telle galère (pour finaliser l’Amerzone) que j’étais content, en particulier pour tous les gens qui ont participé. Mais en fait depuis que le jeu est fini c’est comme quand une cabane est construite et terminée…

Bliss : Le scénario permet-il une suite ?

Benoît Sokal : Disons qu’un nouveau scénario est en train de se créer…

Bliss : Alors ça veut dire qu’il n’y aura pas de patch sur l’Amerzone ?

Benoît Sokal : Patch ? Non je ne crois pas. Moi j’ai envie de passer à autre chose. Là ça fait à peu près 6 mois que l’Amerzone est fini. C’est comme en BD, j’ai du mal à en parler parce que je suis déjà sur le prochain.

Bliss : Justement, tu vas continuer la BD ?

Benoît Sokal : Il y a un album qui sort bientôt, en octobre.

Bliss : Et dans l’Amerzone, tu as fait des clins d’œil à ton univers BD, histoire de faire plaisir aux lecteurs de BD qui t’auraient suivi dans cette aventure ?

Benoît Sokal : Très très peu, une petite boite de bière qui traîne peut-être… C’est quand même deux mondes très différents. J’étais à Angoulême il y a quelques semaines et quand j’ai voulu montrer des images de l’Amerzone à des enfants lecteurs, j’ai bien vu qu’ils étaient moyennement concernés, ils voulaient une dédicace de mes albums BD.

Bliss : A une époque les dessinateurs de BD se vantaient de pouvoir faire le Spartacus de Stanley Kubrick pour le prix d’un pinceau et d’une feuille de papier. Ce n’est plus tout a fait la même chose avec le dessin généré par ordinateur, il faut être plusieurs, des équipes…

Benoît Sokal : Avec l’image de synthèse tu peux recréer tous tes délires avec un impact que la Bande Dessinée n’a pas. C’est cette espèce d’extra-vraisemblance des choses qui est intéressante. C’est vrai que tu n’es plus seul comme dans la BD pour faire ton Cecil B. DeMille sur ta page, mais tu donnes à ton monde une vraisemblance terrible . Tu fais croire à des choses incroyables. »

Propos recueillis en février 1999. Remerciements à Benoit Sokal, Microïds.

François Bliss de la Boissière

(Publié sur Overgame le 2 avril 1999)

Photo Benoît Sokal © Casterman

Benoît Sokal – interview en direct de L’Amerzone sur Overgame