Jamais autant notre civilisation occidentale n’aura été aussi déchirée, n’aura remis autant en question nos acquis sociaux et humanistes. Et le cinéma, encore une fois, par miracle, réussit avec quelques films à mettre le doigt là où cela fait mal d’hier jusqu’à demain au nom de politiques accros au pouvoir (The Zone of Interest, Civil War), et où cela pêche au nom de croyances religieuses elles aussi accros au pouvoir (Conclave, Firebrand). Pas étonnant alors que, dans le même geste, un autre nombre de films puise dans ces mêmes entrechocs de civilisation le besoin de faire renaitre les créatures humaines que nous sommes. De celles qui rêvent et s’inventent une autre vie que celles imposées par le hasard (Anora, Emilia Pérez, The Outrun, Alien : Romulus). Heureusement que ces films existent pour mettre en scène l’espoir, car l’alternative à cette transmutation salvatrice serait un désir de mort et une planète forcée au silence comme le met bien en scène A Quiet Place : Day One.
Autant l’avouer d’entrée, je n’ai vu que 4 films en salle cette année. Pour toutes les raisons hygiénistes et d’impatience collective imaginables (voir explications 2023). Il m’a fallu la promesse de spectaculaires films d’auteur en IMAX de Civil War, Furiosa, Dune 2, A Quiet Place et les doux singes de Kingdom of the Planet of the Apes pour me décider. Heureusement tous les films finissent par se rendre rapidement disponibles en VOD et, de plus en plus souvent, dans la même année que leur sortie en salle. Il doit manquer dans mon échantillonnage une poignée de films français pas encore accessibles en streaming. J’ai quand même vu et apprécié Le Comte de Monte-Cristo en retenant mon souffle en attendant L’Amour ouf.
J’ai donc vu 194 films cette année dont 84 sortis en 2024 en salle ou directement en VOD SVOD.
Mes 10 films préférés de 2024
- Civil War (de Alex Garland)
- The Zone of Interest (de Jonathan Glazer)
- Conclave (de Edward Berger)
- Anora (de Sean Baker)
- Poor Things (de Yorgos Lanthimos)
- Emilia Pérez (de Jacques Audiard)
- The Outrun (de Nora Fingscheidt)
- Firebrand (Le jeu de la Reine) (de Karim Aïnouz)
- Alien : Romulus (de Fede Alvarez)
- A Quiet Place : Day One (de Michael Sarnoski)
Mentions spéciales…
Les grosses suites qui font beaucoup mieux que démériter… Elles ne surprennent pas comme leurs premiers opus mais elles entretiennent bien la flamme et la « suspension of disbelief » au cinéma. En se servant notamment avec intelligence des effets spéciaux vraiment au service du récit et de leurs mondes de fiction…
- Furiosa : A Mad Max saga (de George Miller)
- Dune : Part Two (de Denis Villeneuve)
- Kingdom of the Planet of the Apes (de Wes Ball)
Des indés dans le top aussi (si je validais un top 20 plutôt qu’un top 10)
Plein d’énergies, de tripes et de sang, de dialogues qui fusent, de tête-à-tête d’acteur-rices, de rock’n roll, de sujets (dé)culottés…
- Love Lies Bleeding (de Rose Glass)
- MaXXXine (de Ti West)
- Daddio (de Christy Hall)
- LaRoy, Texas (de Shane Atkinson)
- Heretic (de Scott Beck)
- His Three Daughters (de Azazel Jacobs)
- The Substance (de Coralie Fargeat)
Les déceptions craintes et confirmées
Ridley Scot en tête, nos réalisateurs de films cultes restent de bons filmeurs mais – au secours – ont complètement perdu la boussole de la structure d’un bon récit…
- Gladiator 2 (de Ridley Scott)
- Napoléon (de Ridley Scott)
- Ferrari (de Michael Mann)
- Rebel Moon – Part Two : The Scargiver (de Zack Snyder)
Les déceptions inattendues et attristantes
Il y a clairement dans ces films le sang et les larmes de réalisateurs (/acteurs) habités par leurs sujets, mais le résultat final, maladroit, tombe à côté de l’ambition. Ce qui veut être raconté l’est mal.
- The Bikeriders (de Jeff Nikols)
- Horizon : An American Saga Chapter 1 (de Kevin Costner)
- The Dead don’t hurt (de Viggo Mortensen)
Ma synthèse top 10
Sans conteste, au centre de trois films d’affilés complètement différents, le talent de Cailee Spaeny s’est irrésistiblement imposé en 2024. De la passive fiancée d’Elvis Presley dans Priscilla (sorti en France en janvier 2024) qui perd ensuite sa naiveté et virginité métaphorique de photographe de guerre dans Civil War jusqu’à devenir une force en marche à la Ripley dans Alien : Romulus, son mélange de candeur enfantine et de force tranquille fait des ravages. Va-t-elle pouvoir enchaîner avec des rôles aussi forts et ce, sans se faire emprisonner dans les bulles digitales Marvel/DC ? Les occasions ne sont pas si fréquentes.
2024 est aussi l’année qui consacre définitivement en auteurs désormais majeurs. des réalisateurs jusque-là remarqués pour leur singularité. De films en série (excellent et fascinant Devs), Alex Garland confirme avec Civil War un regard d’une acuité exceptionnelle sur nos sociétés de l’ouest du globe. Dix ans après Under the Skin et vingt ans après Birth, aussi plastiquement beau que tétanisant, l’historiquement indispensable The Zone of Interest propulse Jonathan Glazer en réalisateur qui compte pour de bon. Lui aussi d’une puissance visuelle intimidante dans un film également murmuré, Conclave confirme que le réalisateur allemand Edward Berger responsable déjà de la claque militaire surprise All Quiet on the Western Front de 2022, a une vision profonde du monde qui nous anime. L’enivrante énergie d’Anora de Sean Baker qui nous a obligé à aller voir d’urgence son précédent film presque aussi fou Red Rocket, installe le réalisateur de The Florida Project, aux côtés de notre bien-aimé Jacques Audiard, des réalisateurs/auteurs capables d’offrir à leurs personnages les plus beaux voyages vers de nouvelles vies. Et donc des renaissances. Un chemin vers une nouvelle lumière qu’accomplit également Saoirse Ronan grâce à son interprétation magistrale bien sûr, mais aussi à la mise en scène et au montage de la réalisatrice Nora Fingscheidt de The Outrun dont on guettera avec ferveur le prochain film. Quant à Firebrand (renommé avec trop de facilité Le Jeu de la Reine), il met en scène la résilience féminine contre obscurantisme et patriarcat encore d’actualité aujourd’hui. Un film historique qui redonne enfin à Alicia Vikander une présence à la hauteur du rôle où son talent a explosé en 2012 : A Royal Affair.
Enfin, pour revenir à la culture purement pop, le Alien de Fede Alvarez presque comme le Blade Runner de Denis Villeneuve prouve qu’avec talent et respect il est possible de refaire du neuf avec du vieux. Alien : Romulus n’a pas la classe de Blade Runner 2049 mais il a la même compréhension intime de sa source qui fait qu’il la prolonge sans pour cela abîmer ou détourner l’héritage de façon purement mercantile (ce qu’a malheureusement fait l’inconséquent Ridley Scott avec son propre Gladiator 2).
François Bliss de la Boissière
Relecture DanyBliss
(Photo de Une : Civil War / Cailee Spaeny / DR)
(Poster ci-dessous © Andrew V.M.)