Comment un artiste du jeu vidéo japonais s’amuse avec les codes interactifs pour tester les limites du médium et les joueurs eux-mêmes…
« Depuis le commencement je suis incapable de décrire le jeu, certains diront que ce n’en n’est pas un, mais qu’est-ce qu’un jeu ? Un jeu doit-il répondre à une définition ? » Ainsi s’amuse à se perdre et à nous égarer l’auteur japonais Keita Takahashi devenu culte avec sa précédente expérience interactive Katamari Damacy. Car en effet, les quelques mécaniques de ce Noby Noby Boy ne disent pas grand-chose sur sa raison d’être.
Dans Katamari Damacy il s’agissait de diriger à deux mains une petite boule qui grandissait jusqu’à atteindre des tailles planétaires en absorbant tous les objets sur son chemin. Après plusieurs manipulations hasardeuses, Noby Noby Boy s’avère finalement assez proche de son grand frère. À la boule se substitue une espèce de ver de terre arc-en-ciel dont chaque extrémité se contrôle indépendamment par les 2 sticks analogiques de la manette. Jeté sur des échantillons carrés de mondes minimalistes suspendus dans le vide, le ver devenu serpent glouton peut manger tout ce qu’il croise du décor ou des habitants. En tirant dans une direction opposée sa tête et son postérieur, le ver s’allonge. Encouragé par la musique de fanfare insaisissable et les couleurs primaires de jardin d’enfant, le manipulateur, plutôt que le « joueur », s’amuse à découvrir les tribulations physiques rigolotes et burlesques des objets entre eux. Curiosité piquée, après consultation nécessaire du mode d’emploi, Noby Noby Boy révèle une logique interne loin du concept sans queue ni tête. Le ver du nom de Boy doit grandir le plus possible, jusqu’à se rompre ou atteindre des centaines de mètres et pendre absurdement dans le vide accroché in extremis au petit carré de verdure perdu dans l’espace. En enregistrant ses différentes longueurs, le joueur participe à l’agrandissement d’un autre ver, nommée Girl, suspendu dans l’espace. Sur son dos, l’avatar de milliers d’autres joueurs affichent leur contribution à l’agrandissement de Girl qui doit s’étirer de la Terre à la Lune et peut-être plus loin encore pour ouvrir de nouveaux niveaux à chaque joueur. Alors que la mode est aux jeux coopératifs, voilà un vertigineux travail collectif de grid gaming renvoyant un candide écho au grid computing. Il est d’ailleurs possible d’enregistrer en vidéo ses joyeuses errances interactives pour les poster directement sur YouTube.
Takahashi travaille visiblement la matière interactive comme d’autres l’argile. Il malaxe, triture, déforme, observe le résultat, s’en étonne, abandonne ou continue jusqu’à ce qu’une certaine forme d’interactivité s’impose et s’installe. Le processus intellectuel intervient peu ou alors, à un niveau supérieur qui ne touchera pas le commun des mortels. La démarche se veut humblement artistique et, à l’image de ce ver de terre élastique sans cesse au bord de la rupture, teste les fondements du jeu vidéo pour mieux s’en amuser et renvoyer à sa condition. Comme le veut malicieusement l’auteur, le jeu c’est aussi pour chacun d’essayer de définir ce qu’il a entre les mains. À 4 euros seulement, la question surréaliste ne se refuse pas.
Noby Noby Boy / Namco Bandai / PlayStation 3
Élastique… François Bliss de la Boissière
(Publié en 2009 dans Amusement #4)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
PROTECTIONS… Dès Space Invaders le joueur a appris comment utiliser un obstacle pour se protéger de l’invasion ennemie tout en l’attaquant. Depuis, bouclier humain, utilisation des ressources du terrain, défense et protection occupent tout un pan de l’art de jouer…
Resident Evil 5
Pour comprendre totalement les enjeux de l’image arrêtée en pleine action, il faut se reporter aux indicateurs à l’écran. Les deux jauges circulaires annoncent que deux héros partagent l’aventure simultanément dans l’écran. Comme le joueur ne peut que contrôler un seul personnage à la fois, l’indicateur le plus grand signale quel personnage est sous contrôle (1). Les prénoms associés à chaque jauge révèlent la présence d’une femme nommée Sheva aux côtés du héros masculin dont le prénom, Chris (Redfield), est déjà connu dans la série. Le tatouage exotique sur l’épaule de la jeune femme (2) précise d’ailleurs qu’elle n’appartient pas au même groupe de combat que Chris. Filiation avec les épisodes précédents et nouveauté (in) attendue sont ainsi respectées. Le corps à corps montre un Chris en mauvaise posture (3) ce que souligne sa jauge de santé où son état, « cover » (4), prouve qu’il est sur la défensive. Ses munitions tombées à zéro, comme le pointe le zéro en rouge (5), expliquent le recours au corps à corps contre un adversaire désarmé dont l’absence de précaution face à deux adversaires suréquipés et le regard blanc laiteux révèlent la folie meurtrière suicidaire (6). Malgré un stock de munitions disponible (7), Sheva s’apprête à intervenir à mains nues affirmant son statut d’acteur musclé à part entière de l’action (8). Un peu ridicules dans le contexte, les bras nus des deux héros attestent, en creux, que leur coéquipier et non un gilet pare-balles est leur meilleure protection.
Uncharted 2 : Amont Thieves
L’absence de toute information à l’écran laisse à la mise en scène et à l’imagination le soin de compléter et de mesurer les enjeux. Le trottoir et les herbes folles particulièrement mis en avant par la lumière du soleil (1) soulignent l’importance du décor, non seulement en tant que décoration mais comme fournisseur d’informations. Ainsi, ce coin d’image sur éclairé volant la vedette à l’action en cours, elle, légèrement brumeuse, stigmatise l’état d’une ville en ruines et livrée à la nature. Ce que corroborent à l’arrière plan un pan de mur effondré (2) et la carcasse d’un modèle de voiture vieux de plusieurs décennies (3). Le jean et le tee-shirt aux manches longues retroussées (4) suggèrent un héros décontracté, peut-être cool, en tous cas pas équipé pour faire la guérilla urbaine que semble mettre en scène cette image. Le holster porté par-dessus les vêtements (5) indique plutôt une posture prête à tout d’aventurier que celle d’un (para) militaire qui n’accepterait évidemment pas que son équipement pende nonchalamment à la hanche (6). Sa tenue, sa vue de dos et sa position vulnérable face à deux adversaires en uniformes, eux (7), d’appartenance militaire, confirme d’ailleurs qu’il s’agit bien du personnage joué par le gamer. Un héros solitaire, donc, assez vulnérable sans muscle apparent, mais dont l’utilisation d’un bouclier du GIGN local (8) révèle son côté débrouillard, sa capacité à utiliser les ressources du terrain. Sa présence d’esprit est sa meilleure protection.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2009 dans Amusement #4)
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Sans tambour ni trompette, la suite affolante de complexité conceptuelle de Ocarina of Time a été mise à disposition en téléchargement sur la Wii. Un jeu monstre qui s’est, littéralement, effondré sur lui-même. Depuis, les Zelda sont revenus à des choses plus simples…
Neuf ans presque jour pour jour (avril 2000-2009), Nintendo rend discrètement disponible en téléchargement sur les Wii japonaises et européennes (1000 points/10 €) la suite du révéré Ocarina of Time. Un évènement tamisé, bien trop discret, pas 100% satisfaisant à cause d’une émulation petits bras mais une expérience interactive audacieuse, jamais égalée et toujours aussi fascinante à pratiquer. Ne serait-ce que pour essayer de saisir la richesse de l’ensemble. Comme le demande joliment sur son blog Margaret Robertson, une des rares critiques féminines du jeu vidéo : « Majora’s Mask était-il bon ? Non, répond-elle avec la réponse déjà en tête, ce n’était pas bon. C’EST bon« . Pour continuer d’affirmer : « Plus que bon. C’est un modèle de brillance, un objet d’étude sur la manière dont un game design innovant et une narration non linéaire peuvent se rejoindre pour créer le Graal d’une interactivité avec une résonnance émotionnelle. » « Le jeu n’a pas expiré, précise-t-elle à notre place, il n’est pas rassis ou pourri. Comme d’autres chefs d’œuvre, il vous attend (…)« .
Un chef d’œuvre, certes, mais un des plus difficiles d’accès. Conceptuellement et en terme de réalisation et d’intégration de toutes ses idées, Majora’s Mask reste une des propositions de jeux les plus complexes jamais créées, par Nintendo comme par n’importe quel autre studio. Ne serait-ce qu’avec son contraignant système de sauvegarde à 2 niveaux, temporaire, ou brisant la chronologie de l’aventure, qui demande une vraie maitrise. C’est aussi, pour cette raison et quelques autres, un des jeux les plus techniquement faillibles de Nintendo. Destiné d’abord au 64 Disk Drive, le fameux add-on de la Nintendo 64 sorti uniquement au Japon, Majora’s Mask est finalement sorti sur Nintendo 64 en compagnie de l’Expansion Pak, un étrange gadget compromis rajoutant de la mémoire à la console. Jamais totalement concluant, l’add-on provoqua des ralentissements assez notables de l’affichage dans tous les jeux qui l’utilisèrent. À commencer, donc, par la cartouche Majora’s Mask, dont l’add-on (obligatoire) ajoutant de la puissance à la console N64 avait le culot de créer dans le réel un écho au concept des surcouches du jeu, des masques greffant des pouvoirs au héros les portant.
Bienvenue, cette émulation Console Virtuelle de la Wii se rend ainsi plus accessible que la version incluse dans le rare disque Collector’s Edition de 2003 regroupant 4 aventures Zelda (à dénicher à l’époque en France dans une édition limitée de Mario Kart Double Dash ! cherchant effectivement à surligner son titre double). Surtout qu’elle ne souffre pas de manière aussi flagrante des problèmes de son de la version émulée sur GameCube. Scrupuleusement annoncés par l’éditeur pour éviter tout malentendu sur le fonctionnement de la GameCube, les bugs sonores à chaque appel de menu ou franchissement de porte donnaient et donnent encore l’impression d’un jeu mal fini. Une impression validée par les ralentissements de l’affichage au milieu de décors trop copieux. La version Wii/VC se porte mieux mais, hélas pour les puristes, comme tous les jeux N64 émulés sur Wii (Mario Kart, Ocarina of Time), Majora’s Mask renoue avec les mauvaises conditions des jeux PAL d’alors en tournant en 50Hz au lieu des 60Hz d’origine. Résultat, ralentie et légèrement plus sourde, la musique n’a pas la tonalité originale et le petit Link se déplace plus lourdement qu’il ne devrait.
De plus, contrairement à Ocarina of Time qui avait été en grande partie optimisé lors, justement, des éditions collectors GameCube, Majora’s Mask n’a, lui, jamais été retravaillé. Sur GameCube avec ses bugs sons ou sur Wii, avec sa vitesse ralentie et l’absence cruciale du mode vibration, le jeu n’a pas encore reçu le travail de ravalement qu’il mérite. Cela étant dit, une fois les remarques de puristes maniaques énoncées, il ne reste qu’une seule chose à faire sérieusement : jouer ou rejouer cette extraordinaire mise en abime vidéo ludique. Comme le décrit malicieusement Eurogamer.net : le meilleur Zelda que vous n’avez jamais joué.
En l’an 2000, quand Overgame cherchait déjà à s’extirper du carcan rigide de la formule test de jeu vidéo, l’expérimental Majora’s Mask nous avait donné belle occasion de le traiter autrement. Après le 10/10 toujours valable de Ocarina of Time, la question de la note fut presque éludée. En réalité la seule note possible, et logique avec le concept d’éternel retour, aurait été le symbole ∞.
A (re) lire ici en prenant son souffle.
François Bliss de la Boissière
(Publié en avril 2009 sur Overgame)
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Avec le jeu vidéo, votre petit foyer peut contourner la crise…
Le film La Crise de Coline Serreau propulsait ses deux héros dans la rue en 1992. Entretenue par un hiver rude et des températures s’installant en dessous de zéro, la crise globalisée d’aujourd’hui aurait plutôt tendance à cloitrer les gens chez eux, tant qu’ils ont un toit. Depuis la vraie crise française de 1995, il faut dire, Internet, home cinéma et jeux vidéo ont envahi puis relié au monde tous les foyers. Consommer, chercher du travail, jouer ou même sociabiliser, ne nécessite plus de sortir de chez soi. Régression et repli sur soi pour les observateurs à l’ancienne, confort et comportement avant-gardiste pour les pratiquants convaincus. Depuis quelques années, le jeu vidéo lui-même s’est assoupli, enrichi pour englober toutes sortes d’expériences interactives et donc susceptibles d’intéresser tous les membres de la famille. À moins d’avoir le diable au corps et le besoin impératif de se confronter physiquement aux épreuves réelles ou inventées de la vie, comme de devenir ambassadeur contre la faim dans le monde, alpiniste, champion de l’ex Paris-Dakar ou du Vendée-Globe, le loisir interactif qui s’impose un peu plus chaque année comme l’activité plébiscitée du foyer, se révèle un bon substitut à toutes les expériences. Notamment en cas de grand froid, hivernal ou économique.
Premier réchauffement possible, vérifier que sa liste d’amis joueurs, et donc plus ciblée que sa liste frimeuse d’amis publics Facebook, soit bien à jour sur ses consoles Xbox 360, PlayStation 3 et même Wii. Car, entre les parties, pendant les jeux et même le visionnage de films, il est possible, avec ou sans webcam, de tchater ou carrément taper la discute au casque-micro. Entre gamers, il y a toujours moyen de se comprendre. À partir de là il sera envisageable de contacter un « ami » n’importe quand pour jouer avec ou contre lui. Mais idéalement, évidemment, c’est avec la personne à ses côtés dans son doux foyer protégé des vagues d’austérités du dehors qu’il faut réussir à jouer. Et pour intéresser leurs partenaires, les garçons devront accepter de déposer provisoirement les armes et les filles devront prendre un peu plus au sérieux leurs performances. De retour de la guerre, le repos du gamer guerrier peut désormais être pris en charge psychiquement avec une double séance sur PS3 de l’aquatique FlOw pour valider quelques paliers de décompression puis du fleuri FlOwer pour retrouver goût à la légèreté et aux embruns peace & Love, avant de se faire penser les plaies sur Wii avec la dernière version de simulation de chirurgie Trauma Center : New Blood. Pour refaire connaissance avant de partager fusionnellement de nouvelles expériences interactives pourquoi ne pas commencer par ressortir le Cérébrale Académie de la Wii et se remettre ensemble à niveau ? Avant d’attaquer la grande aventure contemporaine du jeu vidéo, un petit tour dans les catalogues de jeux des années 80, 90 et 2000 disponibles en téléchargement surtout sur Wii mais aussi sur Xbox 360 et PS3, devrait offrir l’opportunité de comparer, voire partager, même sans y jouer, quelques souvenirs, sinon les siens, ceux du grand frère, voire, puisque les gamers aussi vieillissent, des parents.
Une fois les racines plantées, le décollage pour Oz devient possible.
Désireux de voyager sans passeport vers le soleil et les jungles antédiluviennes ? Le dernier Tomb Raider Underworld permet sans fatigue ni bagage de crapahuter en Thaïlande ou au Mexique et les 2 chapitres inédits complémentaires en vente en ligne dernièrement ajoutent de nouvelles étapes au tour du monde. Déjà fatigués de la campagne, même exotique ? Envie de retrouver la ville, ses rues, sa crasse, le bouillonnement de sa population bariolée ? Pourquoi ne pas d’abord visiter le bourg provincial d’Animal Crossing Let’s Go To The City dont l’accessoire Wii Speak autorise la causette avec ses colocataires éloignés sur Wii, et où vous aurez commencé à décorer amoureusement votre résidence secondaire ? Presque plus sérieusement, il faudra sans doute se refamiliariser avec la vie en société et les étranges mœurs humaines avec le 3e vrai chapitre des Sims sur PC. Ensuite, seulement, après ces gentil sas de recompression, il sera temps de se diriger vers la ville de toutes les villes en retournant faire un tour dans le New York, alias Liberty City de Grand Theft Auto IV, à l’occasion de la sortie du chapitre inédit The Lost and the Damned.
Aussitôt étourdi ? Vite, à l’abri dans un shopping mall aseptisé mais reposant ! Le carrefour virtuel du PlayStation Home permettra de faire quelques achats et, peut-être, de retrouver des amis aussi en balade. Samedi soir, souvenirs de sorties en boites de nuit ou en concert commencent à greffer des scrupules à ce cocooning trop durable. C’est le moment de sortir les instruments de musique virtuels. D’abord l’instrument à tout faire Wii Music pour s’échauffer et tenter de créer de concert une petite mélodie bien à soi. Puis, la soirée avançant, le sang commençant à battre sérieusement après une séance de karaoké au micro de Singstar sur PS3 ou Lips sur Xbox 360, il faut sortir les gros moyens. Guitare et batterie de Guitar Hero ou de Rockband donnent alors le gout du bœuf salé de sueur et de larmes. Les plus sages auront bifurqué avant sur la petite musique du délicat jeu de rôle Eternal Sonata évoquant avec poésie la vie de Chopin.
Dimanche matin, le vrai footing (… dehors !?) n’est toujours pas imaginable mais le programme et la planche Wi Fit sont toujours là pour permettre à monsieur de compter ses pompes et à madame de faire du yoga avant un peu de step. L’après-midi, après quelques Leçons de Cuisine presque pas pour de rire sur DS, et si les parents se sont brusquement invités pour le thé, il va être temps de sortir le dernier épisode à tout faire des quizz façon jeu TV avec Buzz ! cette fois consacré aux « plus malins des français ». Une fois les invités amadoués, tentez votre chance avec la suite de l’excellent Boom Blox devenu Bash Party sur Wii, car tout le monde sait lancer un caillou vers l’écran pour faire tomber des piles de briques, n’est-ce pas ? Tabac assuré même chez les non gamers et non fumeurs.
Une fois enfants ou parents repartis, l’envie de retourner aux choses sérieuses et vers les vrais connaisseurs de jeu vidéo dont vous partagez intuitivement la culture vous fera relancer LittleBigPlanet sur PS3. À deux vous continuerez de construire, en vous étonnant de votre imagination, ce niveau beaucoup trop élaboré qui ne verra jamais le jour, avant d’aller essayer les niveaux publiés par d’autres amateurs que vous jalouserez jusqu’à la mort. Tant de perplexité et complicité créative partagée vous entraineront dans des conversations théoriques sur l’art, les concepts et le jeu vidéo et puisqu’il n’est toujours pas question de sortir par ce temps… de crise, il sera l’heure d’essayer de comprendre en réfléchissant à deux et, qui sait, finir, l’étonnant et cérébral Braid sur Xbox 360. Enfin, si avec un peu de chance, l’éclairage chaleureux du coucher de soleil veut bien s’activer, après un transit par l’affable bourgade anglo-normande de Duelville au cœur de Banjo-Kazooie Nuts & Bolts sur Xbox 360, un petit tour sur le lac à remous de la Plaine aux Écrous du même Banjo consolidera l’idée que, oui, décidément, le jeu vidéo c’est vraiment le nouveau pays des merveilles et que pour s’en arracher, le monde réel va devoir nettement s’améliorer.
Divan… François Bliss de la Boissière
(Publié en 2009 dans AMUSEMENT #4)
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Chevaucher le vent à bord d’un carrousel de pétales ? Caresser les fleurs et redonner à la nature les couleurs que le bitume lui a dérobé ? C’est carrément un vent d’espoir de jours meilleurs que fait souffler Flower dans la PlayStation 3.
Aux antipodes des stimuli nerveux hypertrophiés que cherchent à provoquer la grande majorité des jeux vidéo, le fleuri Flower, fils spirituel de l’aquatique flOw, mis en vente avec à propos la veille de la St Valentin, cherche à déplacer le centre de gravité du joueur. D’abord au sens physique, dans la manière de manipuler le jeu avec exclusivement les fonctions gyroscopiques de la manette PlayStation 3. Puis psychiquement en proposant une expérience presque zen où il faut activer et être attentif à ses sens les plus subtils. Tout en respectant la hiérarchie fonctionnelle habituelle du jeu vidéo, succession de niveaux, objectifs, difficulté croissante, les modes d’emploi mécaniques et structurels se révèlent en jouant plutôt qu’ils ne s’imposent. Flower signale bien qu’il faut maintenir un bouton appuyé puis incliner la manette pour qu’il se passe quelque chose mais à partir de là le joueur doit saisir par lui-même la nature de l’interactivité entre ses mains. Il découvre que le bouton maintenu fait souffler le vent qui propulse vaille que vaille en avant une colonne de pétales de plus en plus grande quand elle frôle certaines fleurs au sol. Même s’il cherche à faire vivre une expérience intuitive sensorielle, le jeu n’oublie au fond aucun signal derrière son habillage artistico-réaliste faussement désinvolte : codes couleurs des fleurs altérant différemment le paysage, pointillé de fleurs petit poucet indiquant la direction à suivre, changement de lumière des paysages sous le soleil ou l’orage, notes de musique propres à chaque fleur épanouie, bruit du vent et des bourrasques accélératrices…
Tout le talent des auteurs vient ici de la faculté à trouver l’épure parfaite, à dépouiller le jeu d’explications et d’interfaces ostentatoires. Le mystère provoque l’envie de jouer et la sérénité ambiante encourage la persévérance. Et l’aventure, parce que c’en est vraiment une, offre autant satisfaction intellectuellement en donnant un sens final à son concept que tactilement avec ses sensations de vols aériens.
À chaque fois qu’un jeu s’aventure un peu au-delà des habituels canons de productions, il doit affronter la méfiance et l’injuste soupçon de ne pas être un « jeu ». Avec une élégante assurance, heureusement, Flower, comme le toujours recommandable flOw, se créé son propre espace ludique et ouvre, plutôt qu’il ne ferme, le champ d’exploration du jeu vidéo. Ce qu’il peut perdre en public de gamers circonspects, il peut le gagner au centuple en se rendant accessible au plus grand nombre, en projetant une image rarement délicate du jeu vidéo. Féminin quand les bases du jeu reposent sur le contrôle de pétales de fleurs survolant gracieusement des paysages, et masculin quand le serpent de pétales fend la bise et les hautes herbes pour ouvrir le cœur de fleurs pas encore écloses, Flower ne renie rien du jeu vidéo pour accomplir sa synthèse de divertissement artistique. Écologique, sensuel, transgenre, transpublic, transgressif dans une industrie hyper codifiée, transe tout court.
Flower / Thatgamecompany / Sony Computer / PlayStation 3
… passionnément François Bliss de la Boissière
(Publié en 2003 dans AMUSEMENT #4)
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Le mauvais accueil critique et commercial du jeu révèle une triste chose : les joueurs n’ont que faire de jouer les aspirants musiciens. Après plusieurs heures de jam sessions, même avec ses limites, Wii Music affirme pourtant une des plus belles utopies interactives.
La seule vraie erreur de Wii Music, à part celle de se déployer poussivement sur une console aux capacités visuelles d’un autre âge, c’est d’avoir cru dans son public. Conforté par 26 ans de succès où chacune de ses envies et intuitions, même les plus étranges, a trouvé un écho fraternel dans le public, le généreux Miyamoto a donc cru que tout le monde avait envie, comme lui-même, d’être un musicien. Et qu’il suffirait de proposer un instrument polyvalent permettant de faire de la musique sans passer par toutes les étapes techniques d’apprentissage, pour que tous les supposés musiciens dans l’âme que nous sommes s’y régalent.
Pas de poses factices
Hélas, le sévère accueil critique et public (pour l’instant car certains jeux Nintendo se découvrent des vertus commerciales sur la longueur) du jeu révèle que le succès intergalactique des Guitar Hero ou Rock Band a plus à voir avec des effets de pose et de mimétismes mécaniques qu’avec la créativité liée à la musique. Quelle autre explication sinon pour justifier le rejet si radical de Wii Music ? L’absence de challenge, de score, de compétition ? Faux, Wii Music contient des mini-jeux musicaux très efficaces, au système de récompense habituel au jeu vidéo. Le manque de difficulté ? Voire, à quelle aune elle se mesure. Car le jeu laisse le joueur noter lui-même ses prestations alors que le seul juge de la réussite est l’oreille. Comme dans les Cérébrales Académies et autres Programme d’Entraînement du Dr Kawashima, un professeur à l’accent italien impayable, cousin de Mario, forcément, propose des séquences d’apprentissages tout à fait sérieuses. Il explique le fonctionnement du jeu en cachant avec douceur des leçons sur des fondamentaux sonores de la musique. On y apprend, comme le souhaite Miyamoto, sans passer par les cases techniques rébarbatives des leçons de musique scolaire de nos enfances, la place et les différences entre la mélodie, les harmonies, les accords, les basses et les percussions. Et ce que ne fait surtout pas Wii Music, comme la majorité de jeux musicaux toujours basés sur le rythme, y compris les Donkey Konga de Nintendo, c’est obliger le joueur soumis à appuyer sur des touches-prompteurs.
Bonnes notes
Wii Music a donc l’ambition toute candide de se glisser entre le jeu vidéo et l’instrument de musique. D’utiliser le jeu vidéo comme une aide à la simulation. Un encourageur à jouer de la musique sans craindre l’erreur. Mieux même, à éradiquer la notion d’erreur, une fausse note en musique, susceptible d’écorcher l’oreille. Quand le joueur à la trompette ou à la guitare ne suit pas exactement le rythme de la mélodie, rate des temps, le timing des notes qu’il faut capter à l’oreille, la note qu’il génère se glisse dans le reste de la mélodie comme une improvisation, un impromptu provoquant parfois des résultats plus satisfaisants que le suivi scrupuleux de la mélodie. Il y a du génie dans l’intention et presque autant dans la réalisation. On n’ose imaginer les algorithmes informatiques réussissant cet exploit interprétatif alors que le jeu contient une cinquantaine de morceaux de 3 minutes environ, une soixantaine d’instruments de musique et, de la pop au rock, du classique à la marche de fanfare, du jazz au reggae, de l’Hawaïen au Japonais, du tango à l’électro, une douzaine de façons de les faire sonner et de les arranger. Au plus simple, le joueur prend place dans un orchestre de 6 musiciens, et essaie de suivre ou de s’affranchir du morceau joué par le programme. Au plus complexe, il peut tour à tour jouer chacune des 6 pistes d’un morceau avant d’enregistrer le tout sous forme d’un petit clip vidéo (pas le plus réussi bien que les Miis musiciens évoquent fortement ceux du Muppet Show mais, petit tip, exercice indispensable pour débloquer les pistes musicales). Il faut voir l’orchestre constitué de 6 de ses Mii accrochés à son instrument rejouer ses tentatives pour mesurer la douce folie du projet.
Musique émergeante
Les poses frimes à la Guitar Hero exprimées par les photos de production et par Miyamoto en personne, ne reflètent pas les nécessités du jeu. Quel que soit l’instrument utilisé, le plus souvent il s’agit de secouer de bas en haut la Wiimote et le Nunchuk. Rien de très sexy à voir ou à faire. À l’exception du mode batterie proposant une totale simulation de batterie si l’on possède la Wii Balance Board (grosse caisse et charlestone aux pieds, mais il manque cruellement une option pour gaucher et la manipulation des drums est trop complexe), le jeu est en réalité plus introspectif qu’extraverti. Même si, le volume du son augmentant avec l’amplitude des gestes, Wii Music rejoint sans que l’on y prête garde les exercices physiques des Wii Sports. Parce qu’il faut écouter la musique, guetter des mélodies volontairement fuyantes, essayer de distinguer chaque instrument pour le suivre ou le contrarier, le jeu implique, sans y obliger, à une concentration de l’ordre du sensible et non du mécanique. C’est peut-être là où le public a du mal à suivre. Sans guide obligatoire, il doit être celui qui donne l’impulsion, le rythme, l’énergie de chaque bœuf musical. À ce titre, le mode le plus fascinant est sans doute celui, pourtant présenté discrètement, de l’improvisation. Là, il suffit de piocher n’importe quel instrument et de se lancer dans un morceau musical dont on ignore tout. C’est en jouant, c’est-à-dire en faisant n’importe quoi au début, qu’en compagnie des petits musiciens d’accompagnement, que le joueur révèle, découvre peu à peu, et peut-être s’aligne, à la mélodie préexistante mais dissimulée. N’est-ce pas là un exemple inattendu et brillant de gameplay émergeant où le geste du joueur, son intensité, et sa volonté ou non, fait apparaître une structure qui lui appartient ensuite de suivre ou de déconstruire ?
Portée
Un rien désuet, les morceaux classiques (Carmen, Hymne à la Joie…) ou traditionnels (Ah : Vous dirais-je, Maman, Frères Jacques…) peuvent prêter à sourire jusqu’à ce que des morceaux plus pop (Material Girl, The Loco-Motion…) emballent un peu le jeu. De trop rares thèmes de jeu vidéo viennent aussi égayer la sélection et rien que pour se voir et s’entendre improviser et détourner au saxo ou à la guitare électrique, le thème de Zelda le jeu serait déjà une expérience unique. Il faut défendre Wii Music comme il faut défendre LittleBigPlanet, même s’il déconcerte, ne répond pas à toutes les attentes et crispe la nomenklatura du jeu vidéo. Nous avions tiré ici un trait entre jeu et non jeu dès l’apparition de Wi Fit. Contrairement à la réputation qu’il traine déjà, Wii Music a beaucoup plus à faire avec le jeu vidéo que toutes les simulations à but utilitaire. Alors que l’on s’empresse de voir dans cet essai mal compris un échec du célèbre joueur frustré de banjo Shigeru Miyamoto, il est en réalité probable que l’ambition follement utopiste d’offrir un simulateur de musique décomplexé, cherchant la joie et l’intimité de la musique, restera comme une des œuvres majeures du game designer japonais. Œuvre maudite et donc culte si le jeu ne rencontre pas le public.
François Bliss de la Boissière
(Publié sur Overgame.com en 2008)
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Pure bombe écologique lâchée dans l’industrie du jeu vidéo, LittleBigPlanet se crée un espace vert et un écosystème peace & love à peine imaginable dans un monde interactif toujours en guerre. Le Daisy Age interactif a peut-être enfin commencé.
Plus de 30 années d’existence, des milliers de propositions interactives, des dizaines de renaissances matériels, et les jeux vidéo ayant fait la preuve de la valeur artistique du médium se comptent sur les doigts des deux mains. Pire, toujours réduits au contexte technologique du moment et aux conventions ésotériques de la culture gamer, leur reconnaissance reste hermétique au reste du monde. Au croisement de multiples cultures, le jeu-atelier LittleBigPlanet a pour la première fois le potentiel d’être entendu par tous. Son ravissant clip vidéo d’introduction où une petite planète des songes coagule les rêves nocturnes de tous les hommes, femmes et enfants endormis, ouvre la porte d’un nouveau monde et annonce avec légèreté son programme artistique et humaniste. Dès l’introduction interactive, le joueur apprend innocemment les rudiments du jeu de plate-forme et fait connaissance avec le garnement Sackboy, l’adorable petite poupée en toile dont il tombera forcément amoureux.
Burlesque ébahissement
Le décor du générique où s’affichent de manière créative les visages de tous les créateurs du jeu, entraîne le spectateur actif ou passif vers un univers à l’originalité visuelle et sonore lumineuse. En quelques minutes d’une simplicité désarmante, le gamer habituel découvre que les limites de son passe-temps favori viennent d’être repoussées vers un état d’esprit et un état physique sans équivalent. L’observateur curieux, lui, reconnaîtra moins les bases d’un jeu vidéo qu’une sorte de film en 3D animé à la main façon Wallace et Gromit ou, comme dans un film de Michel Gondry, toutes sortes de matériaux sont utilisés pour recréer chaque élément de l’étrange décor. Des matières – tissus, bois, éponges, peintures, cartons, carrelages, mosaïques, roches – à la qualité photoréaliste dont le comportement physique, lorsque les objets s’arrachent au décor pour devenir interactif, colle à leur aspect au grand ébahissement du joueur incité à pousser, tirer, soulever, sauter. Des engins à propulsions divers, du skateboard à la fusée en passant par des voitures décapotables des années 60-70 à peine contrôlables, confirment un gameplay volontairement burlesque dont les manipulations incertaines génèrent du rire et non des larmes.
Around the world
Le tour du monde en 24 niveaux de jeux de plate-forme s’amuse avec les codes d’un classicisme 2D pour mieux leur rendre hommage et les détourner. Chaque pays réinventé avec ce mélange d’assemblages d’objets hétéroclites toujours surprenants, des verdoyants jardins occidentaux, aux villes verticales américaines, du western mexicain rocailleux explosif aux dojos japonais, de la savane africaine aux grottes gothiques à la Tim Burton, donne l’impression de traverser une idée de monde revisité par un enfant devenu trop vite adulte. Explosant les frontières isolantes du jeu vidéo et les logiques d’affrontement, LittleBligPlanet court après un monde idéal de partage et de création en ligne. Encouragé à la réappropriation des lieux, le joueur peut repeindre et personnaliser à n’importe quel moment le décor qu’il traverse.
Tous pour un
Le jeu de plate-forme lui-même se pratique jusqu’à quatre personnes logées ensemble à la même enseigne loufoque. La promiscuité virtuelle amicale justifie sans plus de doute les innombrables et délirants accoutrements m’as-tu-vu qu’endosse à volonté chaque poupée Sackboy. Un début de communauté qui cherche ensuite à se prolonger en invitant, avec la même générosité, à concevoir, pour de rire ou pour de vrai, des niveaux de jeu. Outils logiciels aimables et petites vidéos didactiques tordantes et précieuses stimulent, en le décomplexant, l’apprenti créateur installé paisiblement sur une lune vierge en orbite. Le ramassage scrupuleux des milliers de bulles éparpillées dans les niveaux prend ainsi tout son sens. Les centaines de morceaux de décor, de matières, d’objets, d’autocollants, de créatures, qu’elles contiennent ouvrent grand les portes à l’imagination. Mises en ligne à la disposition de tous, maladroites ou réussies, les créations de chacun transforment le jeu en un énorme work in progress collectif et sans fin.
À la croisée des mondes
En révolution permanente malgré lui, le jeu vidéo continue de n’être qu’une promesse pour l’avenir. Des balbutiements techniques des débuts aux errances sadico-guerrières d’aujourd’hui, l’industrie interactive ne tire du respect que de son insolente croissance économique. Avec LittleBigPlanet, cette culture mal comprise se trouve enfin une passerelle universelle à la croisée des chemins des mondes de l’enfance et des adultes, du loisir et des arts plastiques, du passé et du futur du jeu vidéo. Un appel à la créativité et à l’émerveillement esthétique de chacun, l’éclosion d’un nouveau talent aussitôt distribué, une lettre d’amour au jeu vidéo. Un drôle de rêve éveillé.
LittleBigPlanet / Sony Computer/ PlayStation 3 exclusivement.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #3)
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Alien, 1979, expérience horrifique passive dans l’espace. Dead Space, 30 ans plus tard, la même expérience devient interactive…
Lourdement programmé pour le succès, accompagné de comic books et d’un dessin animé direct-to-vidéo, le projet Dead Space ne devait pas s’arracher à son destin digne d’un blockbuster hollywoodien superficiel et convenu. Le scénario SF cliché au possible piochant sans gène dans les Aliens et The Thing cultes comme dans les nanars à la Event Horizon ou Sphère ne pouvait qu’inspirer méfiance, comme le principe de jeu trop emprunté aux survival horror à la japonaise, tel le célébré Resident Evil 4. Sauf que, hold-up sensoriel inattendu, Dead Space happe le joueur dans son cauchemar spatial avec une force d’évocation peu commune. Notamment grâce à une aristocratique bande son manipulant le temps, les absences et l’espace dans un esthétisme acoustique ahurissant.
Le choc est si profond et durable qu’il gagne le réel. Attendus par la première clientèle du jeu, le gore et le charcutage des chairs humaines et aliens mêlées jouent facilement leur rôle pornographique et si le jeu s’arrêtait là il ne serait qu’un énième chapitre de cette violence vulgaire qu’offre si souvent l’industrie du jeu vidéo. Assez vite, pourtant, la déambulation du « héros », ouvrier spécialisé condamné à revisser chaque boulon d’un vaisseau spatial abandonné, révèle une réalisation d’un tout autre calibre. Au-delà de ses mécanismes de jeu qui peuvent se contenter de peu d’éléments tels les ancêtres Tetris ou Pac-Man, le jeu vidéo moderne devient chaque jour plus capable de projeter un monde virtuel vertigineusement concret. Les éléments interactifs, des plus insignifiants, comme ici les innovants menus de commandes holographiques projetés devant le personnage, aux plus spectaculaires comme les armes, outils modifiés en instruments de mort, ne servent plus seulement à créer du challenge ou à agir, ils valident à chaque instant la réalité physique du monde imaginaire dans l’écran.
À ce niveau de manipulation sensorielle, Dead Space fait des petits pas de géant. La pesanteur du personnage, la lente gestuelle de son corps, de sa tête même, ses rapports aussi tranquilles et assurés avec le décor et les équipements accumulent les preuves que ces sombres couloirs, ces salles de machines, ces portes coulissantes défectueuses, ces postes de pilotages éventrés sur le vide intersidéral existent vraiment dans un monde parallèle. La stupeur accompagne alors le passage désorientant dans des énormes salles en apesanteur. La fascination aide à retenir son souffle lorsque des brèches dans la coque offre quelques secondes de méditation mystique devant le spectacle d’un soleil se couchant sur une planète éventrée. Quand le monde où s’immerge le joueur devient aussi palpable, forcément, les couinements métalliques, jets de vapeur, ou gouttes de pluie incongrues, visibles ou suggérés, deviennent aussi réels que les monstres qui guettent. Désormais, là, comme le royaume d’Hyrule de Zelda, ou les terres de Warcraft, quelque part à portée d’une manette, le tombeau spatial USG Ishimura en dérive dans l’espace nous attend pour l’éternité.
Dead Space / Electronic Arts / PlayStation 3, Xbox 360, PC.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #3)
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Sony a donc eu raison de parier sur LittleBigPlanet. Le jeu est une véritable pépite qui ne déçoit dans aucun des registres qu’il approche.
Du formidable jeu de plate-forme pas si traditionnel caché derrière une partie créative annoncée à grands cris, la réalisation dépasse de loin toutes les espérances. De menus en fonctions, d’interfaces en icônes, de dialogues en bruitages, de sonneries en musique, LBP suinte l’amour des choses bien faites, l’envie de faire plaisir. Faussement naïf, plus souvent doucement subversif, le rendu photo réaliste façon atelier papiers ciseaux de cours de travaux manuels habille chaque centimètre carré du jeu avec un charme et une personnalité folle. De la manipulation des menus, si riche et importante dans la partie création de niveaux, au jeu lui-même, il y a ici une compréhension intime des plaisirs interactifs fondamentaux. À commencer par le contrôle réjouissant de l’attachant héros Sackboy, inséparable du réactif menu « Pop-it » qui l’accompagne en permanence et où se stockent tous les items et les fonctions de décoration ad hoc des endroits qu’il traverse. Parmi les effets révolutionnaires du jeu, la collecte des centaines d’objets éparpillés dans les niveaux n’a jamais été aussi utile puisque, tous différents, ils se rendent indispensables à la création de niveaux originaux. Pari risqué finalement réussi pour le présent et l’avenir de la PlayStation 3 : auprès des gamers, du grand public et des médias, LittleBigPlanet cautionne à lui seul et de manière unique l’existence de la console.
Les plus…
L’état d’esprit général et l’originalité du tout
L’accessibilité de chaque étape, jeu pur ou création
Le touché
L’humour visuel, sonore et tactile
Le rendu graphique jamais vu
La recherche sonore et musicale
Le charisme du personnage
Les moins…
La richesse visuelle peut devenir enivrante
La densité du mode création peut intimider
Où sont les flingues ?
François Bliss de la Boissière
(Publié le 4 novembre 2008 sur Gameweb.fr)
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Plébiscité et récompensé lors de sa sortie au sein de la fausse compile The Orange Box en 2007, la commercialisation en version autonome sur Xbox Live de la pépite Portal est encore un évènement en 2008.
Exploitant de façon décalée et inédite l’univers d’Half-Life, y compris en adoptant la vue subjective d’un FPS, le pacifique Portal met entre les mains une sorte de canon capable d’ouvrir des portails interdimensionnels. Sans autre explication qu’un hilarant et très méticuleux tutorial scénarisé en forme de longue tragicomédie comme tout le jeu, le joueur franchit une série d’épreuves devant le conduire vers la sortie et un gâteau sans cesse promis en récompense. Réduit à une condition de rat de laboratoire, le candidat doit faire la preuve de son intelligence et de sa sagacité en progressant tranquillement sous les néons blancs et les vitres dépolis d’un laboratoire labyrinthique apparemment désert. Une incroyable voix de synthèse féminine alerte et commente les situations et le comportement du cobaye donnant, en creux, une épaisseur narrative inusitée à l’ensemble. Reprenant et exploitant jusqu’à ses limites conceptuelles le principe des portails vus d’abord dans le mésestimé Prey, il s’agit la plupart du temps de se rendre d’un point A à un point B en évitant rayons-laser ou puits d’acides. La progression de la difficulté est si intelligemment réglée que chacun des niveaux franchis provoque une satisfaction tout à fait unique. Pour faire bonne mesure, cette version téléchargeable sur Xbox 360 ajoute 14 salles de test inédites étirées en 26 épreuves.
Les plus…
Une véritable innovation de gameplay
L’intelligence des épreuves et de l’ambiance
La courbe de progression étudiée
La réalisation sans faille
Les temps de chargement accélérés
La cohérence du concept
Les commentaires audio des développeurs
Les moins…
On en veut plus, forcément
Les nouveaux niveaux un peu moins drôles et plus techniques
François Bliss de la Boissière
(Publié le 31 octobre 2008 sur Gameweb.fr)
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Comment dépoussiérer des consoles multimédia un jour baptisées « next gen » et pourtant déjà âgées de 3 ou 2 ans ? Comment donner l’illusion au consommateur que ces machines sont bel et bien encore en tête de la course technologique ? Après les façades interchangeables ou les coloris gadgets, les petites injections discrètes de Botox dans les menus, voici venir le temps des liftings en profondeur. Après les changements de robes voici les changements de visages. « Chéri, tu veux encore jouer avec moi ? » hurlent-elles en se remaquillant.
Depuis toujours, irrémédiablement accolé aux progrès fulgurants de l’informatique, le cycle de vie des consoles de jeux vidéo ne vaut guère plus que celui, éphémère, des insectes. Pour résister à cette implacable loi de l’évolution, les dernières consoles mettent toute leur énergie à durer en changeant de visage, non plus seulement extérieur mais intérieur. Ainsi, double première importante dans l’industrie interactive en cette fin d’année, la mise à jour mondiale le 19 novembre du logiciel interne de la Xbox 360 transforme radicalement l’interface familière. Avec le projet « Home » un peu plus tard, la PlayStation 3 à son tour offrira un tableau de commande alternatif où, à la manière de Second Life, l’avatar dessiné et habillé par l’utilisateur se promènera dans un environnement 3D, appartement ou maison, qu’il aura lui-même choisi et décoré pour lancer ses jeux ou ses films en DVD ou Blu-ray, rencontrera et devisera avec ses voisins du village global PlayStation.
Séduction féminine
Dans un mélange d’intelligence organisée et de séduction féminine, les consoles dernières générations présentent déjà à l’utilisateur une large gamme de services sous la forme la plus conviviale possible à l’écran. Le gentil tableau de vignettes des « chaînes » de la Wii réorganisable à volonté. Le système de sélection en croix des menus à icônes de la PlayStation 3 ou les onglets verticaux de la Xbox 360, toutes deux sur fonds colorés ou thématisés en fonction de ses goûts et passions… Des coquetteries cosmétiques habillant des fonctionnalités en ligne toujours plus sophistiquées qui ont néanmoins un coût. Pionnières dans la course à l’amélioration et à la sécurisation, les consoles réclament en effet d’être régulièrement mises à jour par Internet, comme les ordinateurs, la plupart des logiciels ou des mini ordinateurs portables tels les Smartphones ou l’iPhone. Des updates internes dignes d’une banale et souvent crispante maintenance informatique qui n’avaient jusqu’à aujourd’hui pas pour vocation d’être remarqués dans les consoles de jeux vidéo.
Toilettage
Cette fois, sur Xbox 360 le toilettage doit se voir, devient argument de vente, annoncer le nouveau départ d’une console « next-gen » déjà âgée de trois ans. Sur PS3, Home doit valider les promesses mirobolantes d’une console-ordinateur ouvrant enfin sur le 3e Monde déjà promis sur PlayStation 2 avec un clip signé David Lynch dans les années 2000.
Manette en main, la « Nouvelle Experience Xbox » donne l’impression d’avoir à faire à une autre console. Toute l’organisation et le défilement des menus, du design aux couleurs, annonce une renaissance. L’apparition d’avatars ludiques à créer facilement façons Mii en 3D de la Wii ajoute un peu de vie et d’humour dans l’écran. Plus polyvalente au quotidien encore que sa grosse concurrente, l’interface de la PlayStation 3 de son côté se modifie déjà régulièrement mais de manière moins forcée.
La nouvelle Life ?
Ainsi, avant l’arrivée de Home fin 2008 début 2009, rebaptisée Life with PlayStation, la fonction de calcul partagé Folding@home (la console participe discrètement sur Internet à la recherche contre les maladies graves) se dissimule derrière un impressionnant globe terrestre qui donne accès à la météo et à des news de villes et pays du monde entier.
Bien avant la mode tous azimuts des gadgets numériques et du Home cinéma, les consoles cherchent depuis les années 80 à avoir l’air sexy. Devenu culte, le design bicolore des premières consoles japonaises de Nintendo, par exemple, s’est fétichisé au point d’être reproduit régulièrement sur d’autres produits fac-similé. Jusqu’à récemment, les consoles n’avaient pas d’autres visages à présenter que leur carrosserie extérieure susceptible, au plus, de changer de coloris ou de façade.
Dans l’intimité
Désormais, à l’heure de la dématérialisation générale, aussi flatteuse soit-elle, une enveloppe ne suffit plus à appâter et, surtout, à entretenir une relation durable. Derrière leur taille de guêpe (Xbox 360), leur effacement modeste (Wii), ou les courbes laquées cachant avantageusement des rondeurs (PlayStation 3), les consoles devenues carrefour multimédia et familial veulent désormais séduire avec leur intimité. Ces cures de jeunesse transformeront-elles des consoles devenues chrysalides en nouveaux papillons de l’ère numérique ? Si le rechapage ne tient pas, un nouveau lifting sera toujours possible.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #3)
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Depuis Space Invaders, la fin du monde reste un des grands clichés du jeu vidéo. Sauf que, d’années en années, la menace devient plus précise, l’invasion extra-terrestre et la déchéance de la civilisation mieux mises en scène.
L’Amérique reste, peut-être pour quelques courtes années encore, le symbole du monde moderne, le pinacle de la civilisation. Si ce pays-continent là tombe, le reste du monde aussi nous disent Hollywood et l’industrie du jeu vidéo. L’invasion de la planète Terre et sa survie post-apocalyptique passent donc forcément par la destruction de l’American way of life. Et pour résumer en une image cette destruction d’un moment historique idéal, les artistes gèlent en ruines une Amérique d’après guerre ayant accouché d’un âge d’or décomplexé de la consommation et des loisirs : les fameux restaurants « Diner » pour Resistance 2, à gauche, la façade et l’enseigne d’un cinéma autre fois refuge des familles pour Fallout 3, à droite (1).
Un monde déchu, aux robinets à abondance (pétrole, eau et sucreries) taris, confirmé par la présence d’une enseigne de station service désertée (2) et les voitures lourdes aux angles arrondis échouées à ses pieds (3), d’une borne à incendie oubliée (2) ou d’un marchand de glace devenu cendres (3). La place du cadre à hauteur d’homme regardant vers le ciel permet, évidemment, de voir la menace, les vaisseaux aliens pour l’un, les charognards pour l’autre (4), et place le témoin, futur participant, dans une position de vulnérabilité tout en l’informant de sa future position terre à terre dans le jeu (5). La menace, ne faisant que passer ou se deviner au loin, devient également, dans le monde du jeu vidéo, une sorte de promesse de péripéties à venir. La lumière blanche éblouissant le ciel annihile même la présence d’un seul nuage bouclier rassurant et, soleil levant ou couchant écrasant une partie du décor, incruste le danger dans l’atmosphère du monde (6). Diffuse avec un épicentre hors champ, elle suggère également un danger majeur éloigné, peut-être plus important encore, mais impactant déjà sur la scène. Même amochée, la petite partie visible de l’iceberg du monde des hommes en perdition que laissent deviner les deux images garde encore des couleurs, quitte à témoigner de la naïveté du vivant face à l’ampleur du désastre commencé (7). Décentrée par rapport au petit théâtre dramatique silencieux, discrète au point de signifiée son insuffisance, la résistance de l’homme face au péril global est pourtant représentée. L’énorme tour de verre à l’arrière plan équipée sans doute de canons de DCA de Resistance 2 et le mercenaire perché en hauteur avec une arme lourde de Fallout 3 semblent tous deux en mesure de faire face et de répliquer à l’ennemi (8). Mais penchée comme la Tour de Pise et en partie brisée, le building réquisitionné pour la défense, comme le prisonnier ou guetteur enfermé dans une cage suspendue dans le vide (9), laissent bien comprendre que la résistance à l’ennemi ne se fera pas sans sacrifices et pertes humaines.
Resistance 2 / Sony / PlayStation 3
Fallout 3 / Bethesda Softworks / PC, Xbox 360, PS3
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #3)
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Deuxième partie de mon interview de Peter Molyneux qui veut savoir si le joueur est cruel ou gentil, pur ou corrompu, comment vous tuez si vous tuez, et si tout le monde ment ? Non parce que Dieu lui-même nous « induit en erreur dans la Bible ». Plus tellement populaire Peter Molyneux, mais Populous for ever, et tellement inimitable…
Bliss :Je suis français, pardonnez ma prochaine question. Le premier Fable a été bien reçu mais a aussi eu des critiques précises. L’une d’entre elles concerne le tout début du jeu quand le jeune héros encore gamin surprend un couple adultère en train de s’embrasser derrière un mur. S’il dénonce le mari auprès de sa femme, cela est considéré comme une bonne action et il reçoit un peu d’argent. Comment la délation, sans parler de la violation de l’intimité, peut-elle être qualifiée de bonne action ou de morale ? Comment en êtes-vous arrivé à simplifier certains comportements dans le jeu pour mettre en scène le bien et le mal ?
Peter Molyneux : Dans de nombreux cas, il ne s’agit pas de bien ou de mal. Dans Fable 2 nous ne mesurons plus directement le bien ou le mal, mais combien vous êtes cruel ou gentil, pur ou corrompu, généreux ou vénal, combien vous êtes prêt à sacrifier. Parce que, comme vous le demandez, dénoncer à l’épouse était-ce bien ou mal dans Fable 1 ?
Bliss :Vous avez décidé à l’époque pour Fable 1. Y a-t-il eu beaucoup de débats sur ces questions de choix moraux ?…
Peter Molyneux : Nous avons décidé, oui, quelqu’un devait trancher. Et chacune des questions a fait l’objet d’un long débat. Vous pourriez dire que mentir est mal mais, ce que nous appelons en Angleterre un mensonge blanc (white lie) quand vous dites un petit mensonge, est-ce mal ? Après tout, Dieu lui-même induit plusieurs fois volontairement en erreur dans la Bible, et cela passe. Alors il y a un énorme débat philosophique sur le sujet. Et encore une fois on peut éventuellement dire que dénoncer une mauvaise action de quelqu’un auprès de quelqu’un d’autre peut être une bonne action mais peu corrompue. Il existe une graduation du bien et du mal dans Fable 2 : corrompu, pur, cruel ou gentil. Ce n’est pas juste bien ou mal.
Bliss :Vous avez quand même toujours ce concept à la portrait de Dorian Gray avec un héros dont le visage porte les stigmates de ses mauvaises actions ?
Peter Molyneux : Oui, mais avec l’idée que le chien, et la façon dont le monde lui-même vous traite va changer pour refléter ce que vous êtes. Je ne veux plus que vous pensiez en termes de bien ou de mal, il s’agit de vous en tant que personne unique. Je me suis rendu compte que les gens se sont trop obsédés, comme vous, sur le bien et le mal (depuis Dungeon Keeper et Black & White, Peter Molyneux a beaucoup insisté lui-même sur le concept, NDR), donc il y a beaucoup moins de ça et davantage de « soyez vous-même » et découvrez qui vous êtes. Si vous avez envie de tenter quelque chose en jouant à Fable 2, allez-y, expérimentez. Soyez créatif. Si vous voulez vraiment être diabolique, vous devez penser diabolique. Il ne s’agit pas juste de tuer les gens, mais où vous les tuez, comment vous les tuez, qui vous voit faire, ce qui s’est passé avec ceux qui se font tuer…
Bliss :Le jeu ne risque-t-il pas ainsi de conduire à des impasses, qu’un mauvais choix bloque l’histoire ?
Peter Molyneux : Puisque vous pouvez avoir un comportement tantôt mauvais, tantôt bon, puis mauvais à nouveau, cela implique que votre personnage peut changer. Si vous arrivez au bout d’une logique vous n’y êtes pas coincé. Si vous êtes devenu vraiment diabolique, vous pouvez redevenir bon mais cela vous prendra du temps.
Bliss :Cela veut dire qu’il faudra revenir sur ses pas, physiquement à travers la carte ?
Peter Molyneux : Non non. Rappelez vous que c’est ce que vous faites dans le jeu, comment vous approchez les situations, où vous en êtes dans l’histoire qui affecte votre vie, pas où vous vous situez géographiquement dans le monde.
Bliss :Plusieurs de vos précédents projets ont été abandonnés, comme BC (Before Christ), est-il envisageable de voir un jour un documentaire sur le sujet comme Lost in La Mancha qui retrace l’arrêt du tournage du film Don Quichotte de Terry Gilliam ? Nous pourrions y voir la préparation, le travail en cours, des extraits du jeu non aboutis, etc ?
Peter Molyneux : Toutes les six semaines nous présentons déjà les carnets vidéo de développeurs (diary) de Lionhead (ici). Une caméra se balade dans les bureaux et filme les gens. Dans un de ces documentaires il y a aura des chutes de jeux.
Bliss :De tous les jeux, même les anciens ? Lesquels par exemple ? BC ?
Peter Molyneux : Oui. Vous y verrez forcément des extraits de Fable 2. BC n’est pas mort en réalité, le jeu dort. Je ne dis pas que nous le ferons mais nous pourrions un jour le dépoussiérer et le continuer.
Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière
(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)
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Toujours créatif, Peter Molyneux compare les jeux vidéo aux films de Chuck Norris, invoque Dieu, rêve de vendre un jour 300 millions d’exemplaires d’un jeu et ne s’excuse pas de s’être excusé pour Fable 1.
Interview d’un des plus beaux et plus anciens parleurs du jeu vidéo, pas tout à fait en roue libre avec une attachée de presse en garde-à-vue, mais définitivement en tournée internationale pour la promotion du dernier projet de son studio Lionhead : Fable 2.
Bliss :Que pensez-vous du nouveau public jeu vidéo des années 2000 ? Est-ce qu’il grandit ? Rajeunit ? Est-il plus idiot ou plus intelligent ?
Peter Molyneux : Je vais vous donner un exemple de ma grande frustration avec le public. Le premier jeu que j’ai conçu s’appelait Populous, en 1989, il y a presque 20 ans, et il s’est vendu à… 4 millions d’exemplaires. 20 ans plus tard, je viens toute juste de finir Fable 2 et si le jeu se vend à 4 millions d’exemplaires, ce sera le 2e plus grand succès de la Xbox 360… En 1989, nous pensions que le jeu sur ordinateur était une nouvelle forme de loisirs, que tout le monde jouerait. Cela ne se concrétise que maintenant et je suis vraiment obsédé par cette idée : pourquoi tout le monde ne joue-t-il pas ? Pourquoi seuls les gamers devraient jouer ces jeux fantastiques ? Cela n’implique pas qu’il faille faire des jeux plus idiots ou plus simples, pour moi cela veut dire imaginer des jeux plus distrayants. Vous connaissez un acteur du nom de Chuck Norris (champion de karaté devenu acteur grâce à Bruce Lee qui le fait jouer dans La Fureur du Dragon en 1972, NDR) ? Il jouait dans des films destinés à des garçons et des hommes qui aiment les films avec des combats, des gunfights, des tueries. On les appelle des films d’action. Indiana Jones et le Temple Maudit, voilà aussi un film d’action (d’aventures dirions-nous, NDR). Un film de Chuck Norris a été vu par 3 millions de personnes alors qu’Indiana Jones a été vu par 300 millions de personnes. Jusqu’à aujourd’hui, nous avons surtout fait des jeux qui ressemblent aux films de Chuck Norris. Nous pouvons encore faire des jeux d’action et viser cette énorme audience.
Bliss : Populous était plutôt un jeu intelligent et pas « d’action » et vous en avez vendu, comme vous dites, 4 millions à l’époque. Le public d’aujourd’hui est donc moins éduqué, moins exigeant ?
Peter Molyneux : Je crois que le public d’aujourd’hui a une soif inextinguible d’être distrait comme jamais auparavant. Et nous commençons tout juste à réaliser que nous pouvons distraire une énorme audience et pas seulement les joueurs habituels.
Bliss : En 2002, lors d’une présentation de Fable 1, votre premier jeu sur console (Xbox), vous avouiez la difficulté à développer un jeu console par rapport à un jeu PC, à atteindre un certain nombre de conditions requises comme le framerate (rapidité d’affichage), l’ergonomie. Est-ce devenu plus facile pour vous et votre équipe de développer sur console maintenant ?
Peter Molyneux : Je peux vous dire que chacun des éléments de Fable 2 nous a paru impossible à concrétiser pendant que nous le faisions. Puisqu’il s’agit d’un free roaming world (monde ouvert où le décor 3D s’affiche sans temps de chargements, NDR), pour le framerate nous ne pouvions utiliser les trucs habituels des jeux plus linéaires où le héros se déplace dans un couloir au milieu d’un décor hyper détaillé que l’on peut rendre très beau parce que le joueur n’ira jamais. Le fait que dans Fable 2, vous puissiez aller où bon vous semble, le framerate a été un énoooorme problème, la vitesse du processeur, l’Intelligence Artificielle aussi… Fable 2 a été vraiment difficile à faire. Bien souvent des gens nous ont dit : « Vous n’arriverez jamais à finir Fable 2, c’est impossible ».
Bliss : Quel est le budget du jeu ?
Peter Molyneux : Si je vous disais ça, je serais probablement… tué.
Bliss : Quel est le budget marketing du jeu ?
Peter Molyneux : (se tourne vers l’attachée de presse) Ai-je le droit de dire ça ? (l’attachée de presse suggère en riant que nous demandions avant à l’éditeur ou quelque chose comme ça, NDR).
Bliss : Le budget marketing du jeu est-il plus important que celui de la réalisation, comme il arrive avec certains films hollywoodiens ?
Peter Molyneux (et l’attachée de presse de concert) : Non, mais c’est quand même beaucoup d’argent. Quand je pense aux 10 000 euros environ du budget de développement de Populous qui représentait l’argent dont j’avais besoin pour manger et je les compare avec maintenant… Ce sont des sommes folles.
Bliss : Maintenant vous avez une équipe complète à nourrir à Lionhead, de combien de personnes ?
Peter Molyneux : Je pense que nous avons grimpé jusqu’à 150 développeurs. Ce qui pose un giiigantesque problème logistique. Garder occupées 150 personnes, en s’assurant qu’elles vont dans la bonne direction tout en restant concernés est vraiment dur.
Bliss : Il y a deux ans nous avons eu droit simultanément à 2 jeux faisant appel à des loups (Zelda : Twilight Princess et Okami), cette année nous avons deux héros avec un chien de compagnie, Fallout 3 et Fable 2 ? D’où viennent de telles coïncidences ?
Peter Molyneux : Le chien de Fable 2 n’est pas un héros, vous ne le contrôlez pas (mais il répond à quelques commandes quand même, NDR), il est juste votre compagnon, il voyage avec vous, vous n’avez pas un contrôle direct du chien. Il existe parce que nous savions faire un chien contrôlé par une IA. Je voulais vraiment que l’on s’attache à l’animal.
Bliss : On ne l’envoie pas se battre par exemple ?
Peter Molyneux : Cela dépend de vous, le joueur, de lui apprendre à se battre. Alors il se battra pour vous et pourra être blessé. Un grand nombre de personnes choisissent de ne pas le faire pour épargner le chien. Il essaiera d’effrayer des ennemis, mais si le danger approche, il reculera.
Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière
(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
La suppression de la magnifique voix du chanteur malien n’indigne pas, elle fait mal au cœur d’un point de vue artistique.
Entre les nuits du 22 et 23 octobre 2008, la version du jeu LittleBigPlanet entre les mains de certains privilégiés et de la presse a eu droit à 2 patchs correctifs. Un premier a fait passer le jeu en version 1.1 et, quelques heures plus tard, un nouveau patch de 59 Mo transformait le jeu en version 2.2. À la surprise générale, la première modification ne supprima pas la chanson contenant les deux phrases litigieuses en malien. Premier à enquêter sur le coup, le magazine anglais Eurogamer.net laisse entendre que les changements, presque invisibles et difficiles à vérifier, concernent des fonctionnalités en ligne et ajoutent de nouveaux habits à récupérer dans le jeu pour son personnage Sackboy.
Le 2e patch, lui aussi obligatoire à installer au moment du lancement du jeu (possibilité de refuser mais le jeu se bloque alors sur la sélection du joueur et des amis et l’accès aux serveurs LittleBigPlanet est toujours impossible à l’heure où nous écrivons) corrige bel et bien la chanson. Cependant, au lieu de la supprimer, elle se contente de la passer en version instrumentale. Le dommage est donc minime surtout pour ceux qui joueront le jeu commercialisé dans le monde entier sous cette forme (7 novembre en Europe, 27 octobre aux USA). Mais pour les quelques privilégiés, officiels (presse), ou clandestins (des exemplaires du jeu ont été vendus aux USA avant retrait des boutiques), qui ont commencé à traverser les niveaux de la « planète des songes », le mal est plus grand. Au-delà des cris d’indignation et des manifestations virtuelles contre un rectificatif vite qualifié de « censure », légitime par principe, mais sans doute un peu exagéré dans ce cas précis, le véritable dommage est artistique et affectif. Car la voix du chanteur malien manque terriblement au niveau qu’elle illustrait.
La musique est un message
Comme la formidable première démo d’une désormais célèbre session de la Game Developers Conference (GDC) de San Francisco en 2007 l’avait merveilleusement montré, l’illustration sonore et musicale du jeu est aussi atypique, chaleureuse et frappante que les visuels. À l’instar de toutes les trouvailles graphiques, chaque chanson ou instrumental a été sélectionné avec la même créativité et la même volonté de rupture avec les habitudes du jeu vidéo. L’accompagnement musical est ainsi méticuleusement placé dans chaque niveau et participe énormément à créer l’ambiance voulue. Après avoir atterri dans un nouveau niveau, le héros Sackboy s’accommode progressivement aux lieux avec une bande son discrète faîte de bruits d’ambiance familiers ou intrigants, de cris d’animaux éloignés. La musique arrive généralement petit à petit pour atteindre des crescendos qui emportent le jeu avec elle. Elle se mélange parfois en rythme avec les bruitages et sons étranges. Le tout, toujours, dans un mélange d’humour et d’élévation d’âme.
Dans le space
La chanson Tapha Nang que l’on peut écouter intégralement – dans une version hélas trop compressée – sur le myspace du respecté chanteur malien Toumani Diabate (3e titre listé dans le lecteur audio à droite) actuellement en tournée mondiale, illustre le premier niveau (Safari dansant) à thématique africaine du 2e monde du jeu. L’incongruité et la beauté de la voix et des paroles incompréhensibles en malien (pour la plupart des occidentaux et, visiblement pour Sony et le studio Media Molecule, sans doute premiers surpris d’apprendre le sens et l’origine des paroles) confirmaient après le premier monde déjà bien surprenant, que le jeu était parti pour déconcerter bien au-delà des premiers niveaux et des premières attentes. La chanson unique tournant en boucle tout le long du niveau, le refrain s’inscrit dans la mémoire à une vitesse surprenante. Encore une fois, le niveau garde toutes ses vertus même avec un morceau devenu instrumental. Mais l’effet de surprise et l’absence de cette mélodie entrainante et lancinante si inhabituelle dans un jeu vidéo, mutile, à cet endroit précis, une partie du message artistico-bucolique venant de l’espace que véhicule le jeu avec une candeur définitivement hors jeu.
Les paroles les paroles
Personnalité importante dans le développement du jeu avant de rejoindre Atari, l’ancien responsable des studios mondiaux de Sony Computer Phil Harrison explique au magazine anglais GamesIndustry.biz que, d’après lui, Sony a pris « une bonne décision » en récupérant les exemplaires déjà distribués, mais pas encore officiellement en vente. « Je n’ai pas participé à ces discussions, précise-t-il, mais je sais qu’ils ont dû y penser très sérieusement et aux plus hauts niveaux de l’entreprise« . « Depuis le premier jour LittleBigPlanet est un jeu destiné au monde entier et s’il y avait la moindre chose qui devait diminuer cette vision, alors le jeu aurait fondamentalement échoué dans sa mission« . Remercié dans les crédits du jeu bien qu’il ne fasse plus partie de Sony Computer, Phil Harrison explique encore : « J’ai téléchargé la beta, je me suis assis pour jouer et, c’est assez rare que dans les 5 secondes après le début d’un jeu vous tombiez amoureux d’un bout de logiciel« .
Pas de sang, mais déjà des larmes
Sur leur site, les créateurs de Media Molecule s’excusent auprès des joueurs du report que ce changement occasionne sans trop rentrer dans les détails sauf à préciser que les paroles de la chanson en question sont bêtement passées au travers des procédures habituelles de test.
Même si se faire accuser de censure est un prix à payer est assez lourd pour une ignorance partagée par beaucoup, cet incident est au fond une bonne nouvelle. Il prouve que la créativité, allant jusqu’à se nicher dans une sélection de chansons internationales sortant des sentiers battus, est encore capable de passer à travers les batteries de tests appliquées à des logiciels en masse. Si Sony et Media Molecule avaient été informé de la chose avant le pressage du disque, personne n’aurait trouvé à redire ni rien remarqué. Une fois le niveau concerné pratiqué en version intégrale, il faut bien admettre que le choix artistique original était meilleur que le compromis. C’est cette entaille artistique là, la disparition de la voix et de la mélodie de Toumani Diabate qui fait le plus mal. Et l’on peut se demander combien d’autres idées étranges ou farfelues sont tombées au combat pendant le développement du jeu. L’étrange et hypnotisante LittleBigPlanet recèle-t-elle encore d’autres secrets ?
François Bliss de la Boissière
(Publié le 24 octobre 2008 sur Gameweb.fr)
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Troisième et dernière partie de mon interview de l’inénarrable Peter Molyneux au moment de la sortie de Fable 2. En 2008 comme les années précédentes et comme lors de son retour en 2016, le créateur joue avec son audience, passe du black au white, du mea culpa à l’hyperbole avec une facilité déconcertante. Quoi qu’on en dise, Molyneux restera comme un maître du jeu. Et pas forcément à celui que l’on pense.
Bliss :Revenir au développement PC ne vous a pas porté chance avec The Movies qui n’a pas eu le succès et l’attention qu’il méritait, même avec sa fonction d’enregistrement et de partage de petits films façon Web 2.0 populaire de nos jours… Qu’est-ce qui n’a pas marché ? Le public PC encore une fois a-t-il changé ?
Peter Molyneux : Je me blâme toujours. En regardant en arrière on peut émettre des critiques à l’égard de The Movies. Il y avait trop à faire dans le jeu, il fallait trop s’affairer et cela devenait frustrant. Il s’agissait de gérer un studio de cinéma mais nous aurions dû le concevoir de façon moins embrouillée, plus relax. Tout le monde cherche à faire un jeu excitant et ce n’était pas tout à fait le cas avec The Movies. Voilà ma première critique. Ma deuxième c’est, bien que le module de réalisation de films fut cool, nous aurions dû arranger plusieurs choses pour que cela soit encore plus cool : les positions de caméra, l’incorporation de davantage d’éléments du joueur…
Bliss :Suite aux pluies de critiques vous reprochant d’avoir annoncé de nombreuses fonctionnalités absentes dans Fable 1, vous avez fini par faire des excuses publiques…
Peter Molyneux : Oui !
Bliss :Y a-t-il un risque que dans quelques mois vous soyez obligé de vous excusez à nouveau pour Fable 2 ?
Peter Molyneux : Vous savez, il fallait que je m’excuse pour Fable 1. J’ai été si excité avec le jeu, j’ai commencé à parler de ses fonctionnalités avant de pouvoir les montrer et je n’ai pas dit aux gens quand les fonctionnalités en question avaient changé ou étaient différentes. Pour être honnête avec vous, c’était idiot. Quand je donne une interview, je ne parle pas à ça (il pointe l’appareil enregistreur, NDR), je vous parle à vous, et je deviens tout excité. Cela m’a pris des années avant de réaliser que les gens écoutent vraiment ce que je dis.
Bliss :Vous avez déjà été cité disant que vous ne pouviez rien dire sur votre prochain jeu sauf qu’il était « ridiculement ambitieux ». La méthode de communication Peter Molyneux ne va pas vraiment s’arrêter, n’est-ce pas ?
Peter Molyneux : Non, je suppose que non. Mais j’espère avec Fable 2 ne pas avoir évoqué une seule fonction sans être en mesure de la montrer (pendant les démonstrations jouables, les parties étaient tout de même strictement interrompues et relancées quand nous arrivions aux combats, soi-disant hyper efficaces et modulables… épées, pistolets, magies…, NDR) et je ne vous ai pas montré tout ce qu’il y a dans le jeu. Ce n’est qu’aujourd’hui, juste avant que vous ne le jouiez que je commence à parler du contenu du reste du monde (d’Albion, NDR), comment vous pouvez influencer l’histoire. Ce sont des choses que je veux que vous découvriez. Avec Fable 1, j’ai parlé du contenu bien trop tôt, de façon trop détaillée, avant que les démos soient en place. Beaucoup de gens m’ont interpellé et reproché : « C’est typiquement du Peter Molyneux ». Et je me suis dit, les gens ne vont plus jamais écouter ce que je dis, je dois être honnête, je dois écrire cette lettre (d’excuses) et je dois m’y tenir. Il y a beaucoup de pression, vous savez. Certains journalistes vous brutalisent vraiment, « dites-moi ci ou ça », « est-ce que c’est comme ci ou comme ça » et évidemment je réponds un peu. Je ne vais pas répliquer « no comment ».
Bliss :Vous faites naturellement dans l’hyperbole…
Peter Molyneux : Oui, oui, mais je vous promets, je ne dis rien de plus que ne j’ai déjà dit aux équipes de Lionhead quand nous avons commencé à travailler sur Fable 2 : « Nous allons écrire une histoire dont les gens se rappelleront pour le reste de leur vie ».
Bliss :Comment pouvez-vous espérer réaliser votre objectif et même aller plus loin après une telle phrase ?
Peter Molyneux : Au début de chaque jeu, il faut avoir une motivation et une raison de le faire. En ce qui me concerne, si je me dis : c’est mon job de réaliser un autre jeu, si je pense comme ça, alors je ne devrais probablement pas le faire. Pensez que vous allez devoir entrer dans une pièce pleine de gens pour leur dire de passer trois ans de leur vie à travailler sur le projet, comme sur Fable 2. J’avais dit pour Fable 1, je veux faire le meilleur jeu de rôle de tous les temps. Si vous n’essayez pas de réussir le meilleur jeu de tous les temps, à quoi bon ? En particulier avec les sommes d’argent que cela coûte, c’est fou. Vous savez, si je refaisais un autre jeu avec le même genre de fonctionnalités encore et encore, je devrais m’abstenir. Et les gens ne devraient pas me confier leur argent pour ça. J’ai écrit sur le tableau des bureaux de Lionhead, ça y est encore, je pourrais vous le montrer : « Nous allons concevoir une histoire formidable, pas juste une « autre histoire », quelque chose capable de modifier votre façon de penser ». Évidemment que cela sonne comme de la hype, évidemment nous n’atteindrons jamais ce « formidable » que j’imagine. Mais même si je n’arrive qu’à mi-chemin de ce quelque chose de formidable, c’est mieux que de ne pas essayer.
Propos recueillis en octobre 2008 par François Bliss de la Boissière
(Publié en octobre 2008 sur Gameweb.fr)
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De Blob a la bonne idée de revenir remasterisé sur consoles PlayStation 4 et Xbox One en novembre 2017 après le PC en début d’année. À sa sortie sur Wii en 2008 j’avais écrit ceci à propos d’un jeu éclaboussant bien avant les autres… N’est-ce pas Splatoon ?
Depuis quand avons-nous ressenti une telle joie de vivre et de faire sur console de salon, y compris sur Wii ? Depuis Mario Galaxy sans doute. Sorti de nulle part, De Blob rejoint le précieux peloton d’élite des jeux Wii indispensables à tous les publics.
Alors que le bruit selon lequel le développement de jeux sur Wii (et DS) ne profite guère aux autres éditeurs que Nintendo, voilà que THQ, grand habitué des licences TV et ciné dispensables, publie un jeu sur Wii d’une qualité à faire rougir Nintendo. Un jeu qu’il va falloir défendre becs et ongles comme le Zack & Wiki de Capcom, ou même le Boom Blox de Steven Spielberg tant il arrive à d’excellents, et trop rares, jeux Wii de passer injustement à côté de son populaire public. De Blob ne pourra d’ailleurs, si ce n’est déjà fait, que réjouir Shigeru Miyamoto, lui qui cherche désormais à cueillir les nouveaux fruits verts que sont les neo gamers tout en gardant sous la main les core players bien mûrs. Car sous son abordage bon enfant et ses créatures coucourges à la Pikmin poussant des petits cris irrésistibles à la Super Monkey Ball, De Blob cache accessibilité tout terrain et profondeur de jeu que l’on pourrait presque qualifier d’un autre âge. Pas à cause de sa difficulté mais du nombre de couches et de sous couches (le terme est bien approprié) de gameplay et d’intelligence qui se dévoilent progressivement.
Action painting
Simple, le principe de base doit réveiller l’enfant barbouilleur qui sommeille en chacun de nous. Stick analogique du Nunchuk pour diriger et Wiimote pour sauter d’une brève secousse en mains, il s’agit bêtement de déplacer librement une boule molle au milieu d’environnements urbains. Une Chroma City, comme le révèle progressivement de goûteuses et drôlatiques cinématiques, obligée à vivre en noir et blanc depuis qu’une vilaine entreprise (ENCR en VF, I.N.K.T Corporation en VO) a mis la main sur la ville et interdit tout écart de couleurs. Le Blob donc, Kirby au sourire parfois carnassier, glouton plutôt cracheur que dévoreur, doit se tremper dans des bombes de peintures baladeuses avant d’éclabousser toutes les surfaces qu’il frôle. Choisissant les couleurs au hasard de ses roulades, le Blob colorise les bâtiments un par un en se jetant sur les murs et les toits jusqu’à épuisement du stock de peinture qu’il garde dans le ventre.
Go fast
Et le joueur agacé et pressé de dire : « Oui, bon, et alors ? ». Alors il va falloir surveiller le chronomètre et lui rajouter de précieuses secondes en accomplissant telles ou telles tâches. Peinturlurer un ensemble de bâtiments mitoyens pour qu’une poignée de civils heureux se rue hors des immeubles. Toucher un par un ces Grisiens libérés leur redonne aussi de la couleur et ajoute un crédit de 30 secondes au décompte inexorable des 10 minutes de base. Accepter un des nombreux « défis » disséminés dans le décor, qui se laisse explorer tel un free roaming game, oblige éventuellement à peindre tel ensemble d’immeubles en bleu, ou en orange, ce qui obligera le Blob à se tremper, après les avoir trouvés, dans un pot de peinture jaune puis un rouge. Jouissance feu d’artifice naturaliste à la Okami, trouver une des rares Transfo-sphères redonne pour de bon ses couleurs à l’herbe, aux arbres et aux habitants. Tout à coup la ville austère au noir et blanc écorché maladroitement par les débordements du Blob retrouve son élan vital, sa musique, ses confettis. Une fois rendus à la couleur sous certaines conditions plus rigoureuses, les imposants monuments administratifs, sortes de boss passifs, se mettent à claironner littéralement lorsque des embouchures de trompettes dansent sur leurs toits. En harmonie avec l’image et les animations parfaites, les sons et la musique ont une qualité exceptionnelle qui s’annonce dès le lancement du niveau quand le joueur choisit, après déblocage, parmi 12 thèmes de musique selon son « humeur » (serein, funky, imbattable, provocateur, effronté…). Même si les boucles musicales se répètent un peu trop, les bruitages, tous musicaux, créent, comme les jets de peintures, une surcouche sonore où se mêlent avec bonheur et humour des notes aquatiques de harpes, des slaps sur guitare bass, des chœurs féminins à la Michel Legrand/Jacques Demy.
Da bomb
Ainsi, quartier après quartier, surprise après surprise, la profondeur et la justesse du gameplay et de ses règles ne cesse de surprendre. Le jeu réussit un des rares équilibres entre contraintes et libertés donnant au joueur un terrain de jeu aussi généreux à découvrir que dense en activités. Au bout des doigts, le plaisir organique est total même s’il faut accepter une part d’insaisissable dans les sauts du Blob dirigé au jugé par le geste de la Wiimote. Capable de rouler sur des corniches pour essayer de rejoindre le toit plus élevé d’un gratte-ciel de l’autre côté de la rue, il lui arrive de coller désagréablement aux murs ou de se faire détourner brusquement par un mur invisible. De même, l’observation en vue subjective faisant appel à la Wiimote pointeuse gène aux entournures, et la sauvegarde automatique en fin de parcours seulement force à de longues séances de jeu. Des petits détails largement compensés par de vrais plaisirs comme celui du verrouillage au bouton Z permettant des sauts ciblés à distance (sur les pots de peintures ou les minis flics-bobs, sbires de E.N.C.R.), voire même de sauter, grâce à des pods, d’immeubles en immeubles à travers toute la ville jusqu’à des surfaces cachées ou inaccessibles. Jeu de plate-forme décontracté – une fois débloqué en mode histoire, chaque généreux quartier de la ville est revisitable pour coloriage tranquille à volonté -, jeu de barbouillage, d’exploration, De Blob s’appuie sur une structure minutieusement pensée et réalisée.
Resistance
Soyons clair, le geste de « peindre » n’a rien d’artistique ici. Il s’agit bien de jeter sans contrôle des litres de peintures qui finissent par se superposer dans une jolie anarchie de couleurs plus ou moins écoeurante. C’est d’ailleurs dans cette cacophonie chromatique désordonnée que le geste du joueur prolongé par le Blob-pinceau rejoint la thématique distillée avec beaucoup d’esprit du jeu, celle d’une résistance en couleurs à l’ordre imposé en noir et blanc. Sans même insister, la problématique du résistant légitime qualifié de terroriste par l’autorité qu’il défie, dégouline des murs, des coulées d’encre noire mortelles, des panneaux ou tours de propagandes qu’il faut coloriser pour les rendre au peuple. Le jeu, avant tout tactile et physique, coloré comme un paquet de crayons de couleurs de maternelle, se ménage plusieurs niveaux de lecture « adultes ». Des mains à la tête, De Blob fait exactement ce pour quoi le jeu vidéo existe. Il substitue à la parole et aux explications confuses, une interactivité limpide, un plaisir sensuel vraiment compréhensible que manette en main.
François Bliss de la Boissière
(Publié le 1/10/2008 sur Overgame)
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Après « testeur de jeu », la 2e porte d’entrée rêvée dans l’industrie du jeu vidéo serait game designer. Celui qui imagine le jeu, « l’inventeur ». Las, un Lead Game Designer ayant fréquenté start-ups prétentieuses et stars capricieuses du jeu vidéo nous apprend que le quotidien de la création d’un jeu vidéo est loin d’être glamour.
Bliss :Un game designer peut-il être qualifié d’auteur d’un jeu ?
Game designer anonyme : Fuck no. Plus encore que dans n’importe quelle autre branche de l’entertainment, le jeu vidéo est le résultat d’un effort commun. C’est une équipe qui bosse pendant des mois, voire des années ensemble. « Nous » sommes les auteurs, il n’y a pas de « je ». On a bien sûr des créateurs de jeu vedettes comme Will Wright, Hideo Kojima, David Cage, Peter Molyneux qui sont en quelque sorte des über game designers. Ils incarnent l’âme d’un projet. Mais leurs jeux ne prendraient pas forme sans une batterie de game designers pour formaliser leur vision, des programmeurs de génie pour la rendre palpable du bout d’un pad, et des artistes fous pour l’habiller.
Un simple game designer n’est pas un auteur, loin de là. C’est un ouvrier spécialisé, il exécute les ordres et prend des micros décisions au sein de l’espace créatif que son supérieur a déterminé pour lui. On n’est pas dans le Showbizness, on travaille dans des bureaux tous ensemble plus de 250 jours par an, ce n’est pas hyper sexy ni très fun en fait.
Bliss :Le rôle du game designer est-il clairement défini par rapport aux autres membres de l’équipe ?
Game designer anonyme : Bien sûr. Le game designer c’est le chieur qui vient casser les pieds sur ce qui semble être un détail et qui pour lui est un truc dont sa vie dépend. Celui qui vient voir le programmeur après qu’il ait passé des jours à monter une feature délicate pour annoncer que finalement il veut autre chose et qu’il faut tout reprendre à zéro. C’est le mec qui bassine avec sa philosophie de design sous-jacente associée à des AFM (Acronymes Fumeux de Merde) ; le même qui n’a plus grand-chose à faire quand les autres sont en crunch-de-la-mort-parce-qu’ils-doivent-livrer-le-master-gold-à-la-fin-de-la-semaine. Au pluriel, les game designers, c’est la bande de gars qui fait le plus de bruit dans un bureau, qui rigolent le plus fort et se livrent à des joutes verbales incessantes et ultra violentes. Les mêmes qui passent des heures à jouer aux derniers jeux sortis sous couvert de faire de la « veille techno ». C’est en Game Design qu’on trouve les plus grands tarés, les égos les plus difficiles à gérer, en général ce sont des control freaks avec une tendance à aborder tout sujet de design de manière anale.
Bliss :Vous avez été game designer au sein de plusieurs studios de taille et d’ambitions différentes, avez-vous eu l’impression de faire le même travail à chaque fois ?
Game designer anonyme : À peu près oui. Le travail du game designer au quotidien est d’avantage lié au projet qu’au studio. Si je bosse sur un jeu avec une forte composante aventure, je vais passer les ¾ de mon temps sur le scénario, les dialogues et les énigmes. Tout ce qui est User Interface et Gameplay passe au second plan. Si je bosse sur un platformer, je vais me focaliser sur le contrôle du perso et mettre en place les « briques de gameplay » qui feront office de notes de musiques que les level designers déploieront sur leur partition / niveau. Si je suis sur un actioner, je vais passer le plus clair de mon temps sur les capacités de combat du personnage, de celles des ennemis et des comportements associés, ce en étroite collaboration avec les programmeurs gameplay et les animateurs.
Plus sérieusement, le rôle du game designer dépend surtout de sa place dans le chain of command. Le Game Director va superviser le contenu de jeu de manière transversale, le lead va manager l’emploi du temps de l’équipe, s’assurer que la documentation est à jour et passer des heures en meeting avec les leads des autres départements. Ensuite il y a les game designers couteaux suisses qui d’une semaine à l’autre vont être placés sur des sujets divers (UI, controls, gameplay feature X, besoin outils, etc.). Et puis t’as les game designers spécialistes d’un sujet (combats, puzzles, etc) qui passent d’une prod à l’autre…
Idéalement, le game designer est reconnu comme le médiateur entre programmeurs et artistes. C’est celui dont le travail existe à travers celui des autres. Donc pour les autres, il est celui qui ne sert à rien…
Bliss :Pas de problèmes d’égo entre ces créatifs ?
Game designer anonyme : Il y a trop de game designers qui se croient dans Top Gun. Il faut composer avec des Ice et des Maverick qui ne sont d’ailleurs pas les Top Guns qu’ils imaginent. Le game design, particulièrement en phases concept et préprod, mène à des batailles d’opinions incessantes. D’autant plus épuisantes si le chef d’équipe, « le lead », est incapable de prendre du recul et s’enflamme comme ses hommes. Ma plus belle expérience de game design a eu lieu en binôme avec une jeune femme. Notre relation de travail était dépourvue d’animosité, ou de testostérone, et ça c’est inestimable et rare.
Bliss : Vous avez exercé dans des studios dirigés par des statures du jeu vidéo et des studios plus débutants… Quelle différence au quotidien ?
Game designer anonyme : Il faut plus que des vedettes du jeu vidéo et du pognon pour faire exister un studio. J’ai travaillé dans plusieurs start-ups qui étaient « équipées » de vedettes créatives, pleines aux as, et dirigées par des personnalités venant d’industries plus prestigieuses et adultes que celles du jeu vidéo. À chaque fois, on commence à bâtir des rêves sur de belles intentions. Puis les ressources humaines sont limitées et on peine à recruter des pointures qui apporteraient un savoir faire évitant de réinventer la roue. Bien que parfois excentriques, les gens à la tête de ces studios start-ups ne sont pas des idéalistes. Ils ne souhaitent pas produire les meilleurs jeux du monde, même si bien évidemment ils affirment le contraire. Non, ils cherchent le moyen de faire de l’argent le plus rapidement possible. Il en résulte, malgré la présence de créateurs vedettes expérimentés, une politique éditoriale de type « girouette », drivée par les remarques du dernier client potentiel. Ce problème d’identité et cette absence de savoir faire (pas encore de jeu publié) fait qu’à chaque fois la direction clame que ses équipes sont capables de produire n’importe quel type de jeu dans n’importe quel genre. Ce qui fait que l’on passe pour des bozos… Et que les premiers jeux sont des jeux de bozos. Lorsqu’ils aboutissent…
En opposition, dans les studios tenus par des idéalistes qui ont réussi à sortir au moins deux ou trois jeux, la direction est beaucoup plus claire, la perception de ce qu’est le studio aussi. Et là il y a un éditeur derrière, des équipes rodées et soudées en mesure de se concentrer en toute sérénité sur le boulot au quotidien.
Bliss :La collaboration est-elle vraiment possible avec des vedettes du jeu vidéo ?
Game designer anonyme : J’ai directement travaillé avec deux d’entre elles et ce fut deux expériences radicalement différentes. Une « légende » qui n’avait pas terminé de projet depuis un certain temps. Très ouvert sur le plan professionnel et amical, il m’a appris énormément. Son sens du jeu, son instinct était extraordinaire. Nous avons monté ensemble des projets réellement chouettes. Puis sa relation avec le studio s’est durcie, il a perdu sa garde rapprochée et s’est retrouvé seul face aux gars du patron. Là, il a amorcé un repli sur lui-même. Nous n’arrivions plus à « fermer des sujets », à trancher pour produire, et il avait des exigences de plus en plus extravagantes et irréalistes. Le dialogue entre nous s’est délité et on a fini par s’engueuler.
L’autre est à la fois patron de son entreprise et directeur créatif. Autant dire que sa société est son royaume, et ses jeux, ses batailles. Il a plié le jeu vidéo à son imaginaire, à ses envies et à ses capacités. Cela fait de lui un créatif extraordinaire. Mais alors quel égomaniaque ! Je ne rentrerai pas dans le détail mais disons que si en tant que game designer vous n’avez pas en plus une compétence de technicien, de manager ou un MBA en léchage de cul, votre espérance de vie dans son royaume est de trois à douze mois. Ensuite, il explique gentiment que son jeu, il va le faire tout seul parce que c’est comme ça qu’il se sent le plus à l’aise.
Bliss :Quelles sont les erreurs commises par un jeune studio ?
Game designer anonyme : Comme évoqué tout à l’heure. La girouette attitude est très dommageable. Ensuite viennent le mensonge et l’arrogance. Le mensonge c’est par exemple d’affirmer à un éditeur de renommée mondiale en passage dans les locaux pour un audit que dans le bâtiment, là en face, il y a 200 employés qui bossent sur un jeu top secret classified financé par l’armée. Bâtiment dans lequel malheureusement on ne peut se rendre car on ne peut déroger aux clauses de confidentialités et qui, naturellement, n’appartient pas du tout à la société. Ou alors, face aux huiles d’un des cinq premiers éditeurs mondiaux, clamer que le jeu présenté par nos soins a été élu meilleure démo de l’E3 précédent, sans bien évidemment qu’aucun des invités n’en ai jamais entendu parler… L’arrogance c’est être à deux doigts de vendre un projet à THE publisher japonais et, à une question cruciale par mail concernant le cœur de l’expérience de jeu, lui répondre : « Nous savons ce que nous faisons, votre question touche à une simple affaire de réglages, nous verrons cela en production… ». Evidemment face à une telle réponse de charlot, les gars laissent tomber et tu n’entends plus jamais parler d’eux. Il y a des dizaines d’anecdotes comme ça mais rien que d’y repenser j’ai à nouveau envie de vomir.
Propos recueillis en 2008 par François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #2)
(Note : si l’anonyme en question passe par cette page et souhaite que l’on réintroduise son nom, qu’il fasse signe, il y a sans doute prescription…)
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Le paradigme shift interactif voulu et réussi par les consoles DS et Wii bouscule et divise l’exercice critique du jeu vidéo. L’héritage culturel du jeu vidéo devient « hard-core » et les nouveaux jeux, dits « casual », aux thématiques et à l’accessibilité populaires, échappent aux regards critiques habituels.
Devant la nouvelle génération de programmes DS et Wii dont le contenu s’éloigne chaque jour un peu plus de la notion traditionnelle implicite du jeu vidéo, le travail du testeur, technicien ou critique culturel avisé, se retrouve devant plusieurs dilemmes. Où commence et où s’arrête la notion de jeu vidéo ? Le gamer-testeur-critique dont l’habitude et l’expertise l’autorise à évaluer un Final Fantasy, un Street Fighter ou un Civilization est-il apte à jeter un regard sur un simulateur d’élevage de bébé comme My Baby Boy ? Des Sudoku ou des Mots croisés publiés sur DS ou Wii deviennent-ils pour autant du jeu vidéo ? Avec le recul, et après des dizaines de Catz et Petz, Nintendogs était-il un jeu vidéo ? Avec ses ambigus Cérébrale Académie et autres soins du cerveau, ou du corps comme Wi Fit, Nintendo a su attraper par surprise les critiques de jeu vidéo. Mais deux ans plus tard, Les Leçons d’anglais ou Cahier de Vacances pour Adultes de 17 à 117 ans qui semblent en descendre doivent-ils encore être examinés avec la même exigence, le même bagage culturel, par les mêmes spécialistes ?
Jeu ou logiciel éducatif ?
Aujourd’hui, la première difficulté consiste donc pour chaque critique à trouver une ligne qui séparerait le jeu vidéo, dans son sens plein, d’un logiciel ludo-éducatif ou d’un utilitaire comme il en existe depuis toujours sur PC et qui ne sont traditionnellement pas évalués par le testeur spécialisé en jeu vidéo. Erwan Higuinen, critique jeux vidéo aux Inrockuptibles, s’efforce justement de distinguer d’abord jeux casual et utilitaires : « Pour les seconds, je pense que cela ne relève pas de manière directe et systématique de la responsabilité du critique de jeu. De la même manière que les critiques littéraires de Libé ou du Monde ne chroniquent pas de livres de recettes, je n’ai, par exemple, pas jugé pertinent de me pencher sur les Leçons de cuisine parues sur DS. À la limite, je pense qu’un cuisinier ou un critique gastronomique serait plus compétent pour le faire. »
Colin Campbell, rédacteur en chef de Edge Online, refuse, lui, d’entériner une rupture entre les jeux et publics supposément hardcore et casual, « totalement exagérée », et s’abrite derrière une ligne de conduite rigoriste déjà appliquée à la critique du jeu vidéo traditionnel : « Cela n’a aucun sens de faire tester un Tiger Woods à quelqu’un qui n’a jamais joué un jeu de golf, de même, un jeu casual doit être testé par des gens qui comprennent ce qui fait le déclic d’un jeu, pas simplement si c’est fun mais pourquoi c’est fun« .
Testeur ou critique ?
Si les compétences du critique restent les mêmes, comment toucher un nouveau public qui achète à l’instinct sans lire de critiques au préalable ? « Je ne pense pas que les journaux « grand public » soient plus à même de critiquer ce genre de jeux » estime Trazom, l’ancien rédacteur en chef des magazines Joypad et Gaming aujourd’hui sur le web (Gameblog.fr) , « Cela reste une affaire de « pro », plus à même de juger et de jauger la qualité de ces nouveaux programmes. »
Ce que confirme Erwan Higuinen : « Étudier ce genre de logiciels avec une approche classique de « testeur » de jeux peut à l’occasion apporter des éclaircissements pas inutiles sur les frontières et, donc, la nature même du jeu vidéo. »
Il n’empêche, à l’heure du jeu casual, un testeur sachant tester doit d’abord savoir s’il doit tester.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #2)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Les suites de jeux célèbres ont l’obligation de rassurer leur public en validant par l’image que les éléments qui ont fait leur succès restent bien inclus aux côtés d’éventuelles innovations. C’est que ce que font ces deux images silencieuses des derniers Tomb Raider et Banjo-Kazooie…
De retour pour des aventures originales sur consoles de salon après plusieurs années d’absence, les anciennes célébrités championnes de l’équilibre et des acrobaties, l’ours Banjo aidé par son compagnon à plumes Kazooie, ou la solitaire Lara Croft, cherchent à prouver ici qu’elles n’ont rien perdu de leur talent. Leur capacité à tenir en équilibre sur de petites surfaces reste intact, même et surtout dans des situations extrêmes, sous la pluie pour Lara, sur une corde instable pour Banjo et Kazooie (1).
Les positions surélevées des deux scènes ont plusieurs fonctions (2) : insinuer que les héros « dominent » la situation, rappeler le plaisir unique propre à ces jeux de pouvoir grimper sur des hauteurs et observer alentour, signifier le danger par une sensation de vertige, offrir une vue d’ensemble du décor que l’observateur sait implicitement qu’il devra inspecter de sa position privilégiée en hauteur puis explorer physiquement (3). Le pas précaire des héros les conduisant vers de mystérieuses destinations hors champ (4) laisse à l’imagination le soin de combler, à l’aide des éléments de décor visibles autour, ce qui les attend. L’angle vers le bas ou vers le haut de leurs chemins respectifs indiquent d’ailleurs que pour Lara le danger est plutôt au sol (les fauves noirs le prouvent), et, pour Banjo et Kazooie, l’éloignement de la terre idyllique (maisons chaleureuses, étendue d’eau…) est synonyme de danger (5).
En plus de les aider à tenir en équilibre, les bras tendus à l’horizontal des deux héros principaux font allusion à leurs « accessoires » ou compléments (6). Ainsi les ailes déployées de Kazooie par-dessus les bras de Banjo signalent leur collaboration symbiotique, et les bras tendus de Lara semblent également prêts à dégainer les pistolets qu’elle porte toujours aux hanches.
La météo nettement visible (7), pluie et lumière basse chez Lara Croft, soleil levant (à l’est) et lumière franche chez Banjo-Kazooie, cherche à donner le ton de l’aventure : sombre et dramatique comme l’annonce le titre Underworld de Tomb Raider, joyeuse et bon enfant comme le veut l’héritage jeu de plate-forme bucolique de Banjo-Kazooie. La vue d’ensemble de chaque image, enfin, légèrement en plongée à partir d’une hauteur (8), ouvre la distance de lisibilité du décor jusqu’à l’horizon et permet de concentrer un maximum d’éléments dans le cadre (végétation touffue, ruines, animaux, pluie pour l’une, eau, verdure, verrière, barrage, maisons chargées en détail pour les deux autres) prouvant les capacités techniques de ces épisodes entièrement conçus pour consoles nouvelles générations.
Tomb Raider : Underworld / Eidos / Toutes consoles de salon et PC
Banjo-Kazooie : Nuts & Bolts / Microsoft / Xbox 360
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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Fable 2 ressemble à son directeur créatif. Quoi de plus normal quand il s’agit d’une personnalité aussi singulière et expérimentée que celle de Peter Molyneux.
Le jeu de rôle commence comme un livre de conte joliment illustré et, très vite, il se noie de notes d’intentions. Malgré sa volonté affichée de rendre son jeu accessible au plus grand nombre, le verbiage et le foisonnement créatif naturel de Molyneux l’empêchent d’aller à l’essentiel. Alors qu’il sait que le jeu vidéo n’est pas le meilleur des médiums pour raconter sérieusement une histoire, son désir d’en raconter une quand même impose au joueur une littérature bâtarde entre récit initiatique à la Mark Twain et liste interminable de règlementations héritées des jeux de rôles papier. Convaincu que l’économie et la culture jeu vidéo se développent davantage sur consoles de salon que sur PC depuis que son studio britannique Lionhead est devenu propriété du géant Microsoft, Peter Molyneux essaie désespérément, par la parole et par le geste, de créer un monde habité par des personnages sensibles, un héros, ou une héroïne, auquel le joueur doit s’attacher. Il lui offre d’ailleurs ici un chien compagnon, gimmick affectif facile avant tout.
Malheureusement, l’inventeur des jeux de gestion objectivés à la Populous baptisés God Games, a en réalité bien du mal à descendre sur terre. Lui si attachant en personne, n’arrive pas vraiment à donner une humanité à ses personnages. Par-delà la trame scénaristique à suivre par étapes, le jeu veut ainsi donner à chaque instant une liberté d’action et de décision, à commencer par des choix moraux. Mais au lieu de dessiner une personnalité, l’énorme listing de critères ne reste qu’un portrait robot théorique de l’être humain dans lequel le joueur pioche des données au petit bonheur. Aussi encyclopédiques et drôles soient-ils, tous les efforts à décrire les attitudes, activités et humeurs des habitants échouent à créer une véritable chair dans le jeu vidéo lui-même. Les vêtements que le héros accumule comme les cicatrices ou la réputation auprès des villageois ne restent que statistiques et impactent plus dans les menus du jeu que dans le jeu lui-même.
Tel un document de travail préparatoire foisonnant d’idées, le monde de Fable 2 est plus écrit que concrétisé. Les situations originales et décalées ne manquent pourtant pas. Comme de faire de la spéculation immobilière ou de se générer des rentes en achetant des commerces. Flirter jusqu’au mariage, avec autorisation laxiste de polygynie, ou de polyandrie, si l’on a choisi une héroïne au départ du jeu, est un des possibles presque subversifs offert par le jeu. De nombreuses petites variations, parfois heureuses, souvent anecdotiques, qui renvoient, encore une fois, au traitement gestionnaire distant du jeu vidéo tout en négligeant, ou échouant, à créer une vraie promiscuité avec ce qui se passe dans l’écran. Et l’on se retrouve moins à participer à une vraie aventure qu’à jongler avec les intentions d’un maître du jeu omniprésent.
Fable 2 / Microsoft / Xbox 360
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #3)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Sous promesse d’anonymat, un développeur francophone nous révèle les coulisses de la fabrication d’un jeu vidéo. Si le folklore et la désorganisation étaient de mise il y a encore une petite dizaine d’années, l’avènement des jeux blockbusters à gros budget a obligé les équipes de développement à se structurer. Horaires de fous, commandes intenables, le pire semble derrière eux.
Bliss : Quelle est votre fonction exacte ?
Développeur anonyme : Je suis programmeur de jeux vidéo pour un gros studio… Si je donne plus de précision, comme la liste de jeux sur lesquels j’ai travaillé, mes collègues vont vite deviner de qui il s’agit. Je peux vous dire que je travaille sur des moyennes et des grosses productions depuis pas mal d’années.
Bliss : Justement, le mode de fonctionnement a changé dans la façon de réaliser un jeu ? Il parait qu’on travaille beaucoup dans le jeu vidéo, qu’on frôle l’esclavage volontaire…
Développeur anonyme : Les choses vont quand même nettement mieux qu’avant, les équipes se sont vraiment professionnalisées. Les plannings sont devenus beaucoup plus réalistes et réalisables sans avoir recours à des horaires monstrueux. Ce n’était pas (mais alors vraiment pas) le cas il y a encore quelques années. À la fin des années 90, par exemple, nous étions amenés à faire des portages de jeux PC sur consoles (PlayStation, Dreamcast et même PS2) en quelques mois. Cela nous obligeait à faire des heures supplémentaires de dingue. J’ai connu plusieurs projets où on travaillait plus de 14H par jour, tous les jours, samedi compris, souvent même le dimanche et ce, pendant plusieurs mois ! Ces 3-4 dernières années, l’expérience aidant, tout s’est énormément structuré, et vraiment en bien ! C’était obligatoire pour passer de projets à 30 personnes à des projets qui vont jusqu’à 100/150. Sur des grosses productions récentes, j’ai à peine travaillé quelques samedis, c’est dire si cela s’est amélioré !
Bliss :Le « crunch mode » existe vraiment ? C’est aussi horrible que le dit la légende ?
Développeur anonyme : Oui ça existe. Généralement juste avant la sortie du jeu (pendant les semaines de debug final). Horrible ? Oui et non. On fait évidemment beaucoup d’heures supplémentaires durant ces quelques semaines de finalisation du jeu. On est débordé par les bugs à corriger, on tente d’en éliminer un maximum… On finit tard le soir, on bosse les samedis, on mange des pizzas à son bureau pendant qu’on continue de debugger… Mais quelques semaines de crunch sur un projet de deux ans ou plus, c’est tout à fait acceptable, même si sur le moment, c’est effectivement un peu dur.
Bliss : Les salaires sont-ils proportionnés aux budgets des jeux sur lesquels vous travaillez ?
Développeur anonyme : Clairement : Non ! Le salaire dépend de la fonction, de l’ancienneté et éventuellement de la performance. Mais aucun lien avec le budget. On peut compter parfois sur un petit intéressement et quelques primes. Pas de quoi rouler en Ferrari (Certains développeurs à succès américains – David Perry, John Carmack – roulent ouvertement en Ferrari, ndr).
Bliss : À quelques rares exceptions, les gens qui travaillent sur les jeux vidéo sont peu connus, pourquoi ?
Développeur anonyme : Tout comme au cinéma : on ne connait bien souvent que le réalisateur. L’éclairagiste, le caméraman, le preneur de son, pratiquement tout le monde s’en fiche. Dans le jeu vidéo, certains ont la communication plus « facile » que d’autres, autant que ça serve.
Bliss : N’y a-t-il pas des tensions-compétitions entre les équipes, parfois internationnales, travaillant sur un même jeu ? Certaines équipes ne cherchent-elles pas à tirer la couverture à elles au détriment des autres ?
Développeur anonyme : Très honnêtement, pas tant que ça. Ça arrive bien sûr, mais c’est relativement rare. Et j’ajouterai que les programmeurs sont plutôt les mieux lotis en fait. Il y a beaucoup moins de mécontentement chez nous que chez les game designers, level designers, ou même graphistes, par exemple. Nous sommes moins au cœur de la conception des jeux qu’eux. Et puis, en travaillant principalement sur des jeux à gros budget on a moins à se plaindre.
Bliss : On entend dire que la réalisation de démos jouables pour tel ou tel salon ou pour téléchargement (PC, XBL, PSN…) peut coûter très cher en temps, ressource, budget ?Qu’en est-il ?
Développeur anonyme : La réalisation d’une démo jouable impose de terminer (par exemple) un niveau en entier et de le debugger et de finaliser beaucoup de choses… Ça occasionne souvent une petite période de crunch avant le vrai crunch. Généralement, ça n’est pas une perte puisque le niveau terminé se retrouve de toute façon dans le jeu final, et les bugs corrigés à cette occasion ne seront (en principe) plus à corriger. Il y a bien évidemment des petits développements annexes qui ne servent qu’à la démo, mais ça reste assez limité.
Bliss : Quand la version dite « preview » d’un jeu est mal reçue par la critique, cela change-t-il quelque chose au développement ?
Développeur anonyme : Tout dépend de la date de la preview. La plupart étant faites quelques semaines avant la sortie du jeu elles sont bien souvent publiées alors que le jeu est déjà presque debuggé voire même en train d’être pressé. Donc évidemment, toute critique, même juste, passe forcement à la trappe (à moins d’un patch). On fait tout pour anticiper les éventuelles critiques, et souvent, au moment de la preview, certains de ces problèmes sont déjà corrigés parce que les phases de debugging continuent en interne alors même que la preview est en circulation.
Bliss : Qui décide quand un jeu est terminé et qu’il est prêt à sortir dans le commerce ? Le réalisateur du jeu ? L’éditeur ? Le service marketing ?
Développeur anonyme : C’est un tout. On tente de valider le plus tôt possible le cœur du jeu en lui-même. Si celui-ci ne tient pas la route, hors de question de le sortir. Beaucoup de tests sont effectués. On fait, par exemple, régulièrement tester le jeu à des panels de consommateurs, en les questionnant ensuite sur leurs impressions, etc. Une date de sortie est fixée. Mais si quelques mois avant la fin du projet on se rend compte qu’on ne pourra jamais finir à temps sans dégrader la qualité, on repousse la date de sortie ou on augmente la taille de l’équipe.
Bliss : Comment de très grosses productions développées pendant plusieurs années sortent dans le commerce avec visiblement des bugs ou des éléments non terminés ?
Développeur anonyme : La raison est assez simple : le manque de temps. Les dates de sortie sont fixées assez longtemps à l’avance pour diverses raisons logistiques. Il faut réserver une période pour la fabrication des jeux, pour la mise en place dans les magasins, les publicités qui doivent accompagner la sortie et qui perdraient énormément en efficacité si elles passaient alors que le jeu n’est pas sorti. Tout cela fait que l’on est forcé de corriger les bugs par ordre d’importance. Comme au cinéma : une faute de raccord (un verre vide, puis plein dans le plan juste après) on la laisse passer ; une scène qu’on ne peut pas terminer à temps ou parce qu’on n’a pas le budget : on la coupe au montage (pareil pour certains niveaux dans un jeu, il n’est pas rare d’en supprimer un en cours de production pour des questions de temps, ou de faisabilité). Le but étant de ne laisser que des bugs mineurs (un personnage qui ne réagit pas une fois sur cent, une texture qui clignote, un objet qui disparait un peu trop vite, un petit bug sonore) et/ou qui ne seront rencontrés que très très rarement. Évidemment, s’il reste des bugs importants, hors de question de sortir le jeu car cela nuirait trop à la réputation du jeu et de ses développeurs. Il s’agit alors de trouver le bon compromis sur ce qui est acceptable ou non.
Bliss : Malgré les efforts évoqués, il y a quand même de grosses productions qui sortent avec des défauts techniques. La faute à qui ?
Développeur anonyme : Tout dépend de la volonté de l’éditeur. Sortir un jeu bancal et buggé est quand même très risqué. C’est bien pour cela que beaucoup de jeux sont repoussés : pour s’assurer d’un bon niveau de qualité.
Malgré tout, avec une date de sortie imposée par les engagements pris avec le marketing, certains développeurs n’hésitent pas à sortir le jeu quand même, en s’attaquant à un patch correctif avant même la sortie du jeu. Alors oui, quelque part c’est dommage, mais c’est comme ça, du moins pour les grosses productions. Ceci dit, il arrive aussi que des bugs inédits apparaissent une fois le jeu sorti car, et c’est logique, même une équipe de 100 testeurs ne peut rivaliser avec des dizaines de milliers de joueurs. Et bien souvent, même si un nombre très restreint de personnes relève un bug, avec Internet, ça prend des proportions assez importantes.
Propos recueillis en 2008 par François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
(Note : si l’anonyme en question passe par cette page et souhaite que l’on réintroduise son nom, qu’il fasse signe, il doit y avoir prescription…)
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Sans aucune information technique à l’écran et un personnage principal nommé Faith, Mirror’s Edge compte sur la « foi » et le bon sens du joueur pour qu’il s’oriente dans un espace 3D virtuel. Comme en vrai ?
Les jeux d’action privilégient désormais le dépouillement à l’écran. L’absence d’indications encourage l’immersion. Jeu acrobatique jamais tenté, Mirror’s Edge franchit le pas subjectif jusqu’au bout. Le corps de l’héroïne (Faith) n’existe que hors champ. Les bras et les jambes apparaissent à l’écran quand ils agissent directement avec le décor. Mixant les expériences de jeu libre à la Assassin’s Creed, ou le prochain Prototype, avec des acrobaties à la Tomb Raider ou Uncharted, l’héroïne évolue librement sur les toits des gratte-ciels d’une ville moderne. La couleur bleue (1) des immeubles a double fonction : donner un aspect singulier high-tech au jeu et permettre au joueur de repérer aisément les éléments, eux rouges, avec lesquels il peut interagir (2). Ainsi, le personnage s’apprête ici à franchir le vide séparant deux immeubles en empruntant une sorte de poutre rouge immanquable (3). Le flouté périphérique de l’image (4) accentue l’effet de vertige que le joueur doit ressentir ainsi, sans doute, que la vitesse de déplacement. Les mouvements des bras tout à coup visibles doivent faciliter la prise d’équilibre. Comme la chaussure rouge (5), la mitaine rouge de la main droite (6) signale qu’elle sera privilégiée pour interagir avec les éléments du décor de la même couleur. Avec intelligence, l’audace conceptuelle de ce jeu de plate-forme nouvelle génération se signale avec un style visuel à la fois fonctionnel et capable de transcender le photoréalisme trop ordinaire.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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Chaque nouvelle apparition de l’intriguant LittleBigPlanet dévoile de nouveaux délires, des fonctionnalités créatives et funs, des trouvailles graphiques et un humour visuel persistant.
La capture d’écran de jeu ci-dessus, par exemple, nous montre comment va fonctionner la construction partagée des décors, volumes et aplats. Réunis dans un même écran, chacun des 4 petits avatars (1), qui aura déjà été soigneusement habillé par chaque joueur, peut faire apparaître des menus au-dessus de lui pour sélectionner des objets à poser dans le décor (2). Une fois l’objet choisi, le petit personnage le place où il veut dans le décor. Tel un long bras souple, un faisceau lumineux permet de placer l’objet n’importe où, comme les fleurs ici ajoutées au sommet d’un arbre (3). Cette partie créative du jeu, collaborative en ligne et en temps réel, se voulant aussi libre que le jeu de plate-forme burlesque qui s’en suivra, on voit déjà (4) que la « décoration d’extérieur » n’est absolument pas obligée de respecter une quelconque nomenclature préétablie. Toutes sortes d’objets, de textures ou de symboles (5) sont à dispositions pour marquer le territoire. Participatif de l’édification des niveaux jusqu’à leur traversée, avec une charte graphique déclinant version photo réaliste celle, chic, infantile et irrévérencieuse du Yoshi’s Story de la Nintendo 64 (1997), LBA devrait offrir à chacun les outils suffisants pour libérer son imaginaire.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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Ces deux écrans de jeux ne disent pas grand chose sur le détail du gameplay de GTA IV et Turning Point se déroulant tous deux à New York, mais dans les deux cas, le contexte est suffisamment fort pour créer une excitation anticipatrice dans l’esprit du joueur.
Grand Theft Auto IV
L’énorme succès commercial de la série des GTA ne nécessite pas forcément d’expliciter les éléments de gameplay déjà attendus. Il peut suffire comme ici de montrer le nouveau théâtre de jeu. L’Empire State Building et le Chrysler Building à l’arrière plan indique sans ambigüité que nous sommes à New York (1) et (2). Le regard direct dans l’objectif du personnage (3) annonce clairement son ambition et son sans-gêne ; sa longue moustache hors d’âge confirme un caractère pas commode (4), et son allure une origine ethnique pas forcément new-yorkaise. La vague impression de chantier naval ou de port nautique autour de lui (5) comme l’éclairage lever de soleil plutôt que couché (6) semble signaler qu’il s’agit là d’un nouvel arrivant dans la ville. Le building en construction (7) discrètement à l’arrière plan montre une ville encore en chantier où un destin peut encore s’édifier et l’american dream être saisi. L’espèce de grue oblique derrière le personnage évoque une insolente érection tout en semblant mettre entre ses mains une barre de fer menaçante (8). Toutes les symboliques d’agressivité, de virilité, de détermination, de volonté de conquête sont donc réunies, cette fois au cœur de la ville parmi toutes les villes, la porte d’entrée du « nouveau monde ». Le nom fictif de Liberty City adopté pour GTA n’aura jamais aussi bien habillé une ville dont l’arrivée par la mer se fait toujours devant la statue de la liberté.
Turning Point : Fall of Liberty
La destruction et les éléments mis en scène à l’arrière plan de cet écran de jeu laissent deviner un postulat original : l’invasion de l’Amérique par les Allemands dans les années 40. Même partiellement détruit, le design bien connu du sommet du Chrysler Building (1) signale sans ambigüité que nous sommes à New York et que la ville emblématique américaine s’effondre. Le taxi jaune tout aussi iconique et détruit (2) confirme le lieu et la crise en cours tandis que sa carrosserie rétro plante l’action dans les années 40-50. La présence d’un tank (3) avec un canon pointé dans l’axe du sommet de l’immeuble écroulé laisse savoir que la chute du gratte-ciel est due à une grosse artillerie militaire et non à un accident, tremblement de terre ou acte de terrorisme. Aux côtés du tank, le soldat au casque et à l’insigne rouge/noire évoquant l’armée allemande de la Seconde Guerre Mondiale (4) confirme alors qu’il s’agit d’une opération militaire et donc probablement d’une attaque de New York et, implicitement, d’une invasion du continent américain. L’arme pointée dans l’écran (5) signale qu’il s’agit là d’un FPS qui implique forcément une grosse dose d’immersion subjective. Les plus attentifs au détail remarqueront enfin que le design rétro de l’arme et le modèle gravé sur le canon datent bien l’action pendant la Seconde Guerre Mondiale (6). On peut également en déduire que le personnage interprété par le joueur a été pris de pris de court par l’attaque et s’est emparé d’une arme allemande pour se défendre et défendre la ville.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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En 30 ans le jeu vidéo est passé du casse-brique au cassage de gueule. Ce ne sont plus 5 pixels « invaders » qui volent en éclat mais les os, la chair, le sang. Quand ce n’est pas la psyché du gamer lui-même qui est prise en otage. Heureusement, au moment où la mise en scène radicale subjective de la douleur d’un Condemned 2 conduit à une impasse, elle trouve une expiation objective presque rassérénante dans le parodique et lucide Pain.
C’est probablement avec le premier Resident Evil (96) que la mesure de la violence sadique a été prise dans le jeu vidéo, à grande échelle. Quand Capcom a osé mettre en scène l’idée de pouvoir achever d’un coup de talon sanglant dans le crâne un zombie agonisant pitoyablement au sol, un nouvel horizon de cruauté s’est ouvert sans que l’on en saisisse à l’époque toute la portée. Au début des années 90 l’hémoglobine des finish moves de Mortal Kombat en salle d’arcade avait déjà ouvert la brèche dans l’excès et la vulgarité avec un photo réalisme hideux qui avait au moins le mérite de repousser les contraintes graphiques de l’époque. Aujourd’hui, la plupart des jeux d’action permettent d’achever cruellement un adversaire à terre. Dans la lignée de son prédécesseur sorti en 2005, lui-même inspiré par le brutal Kingpin : Life of Crime, rétrospectivement précurseur en 1999, Condemned 2 réussit à faire vivre en vue subjective cette violence organique extrême. Psychologiquement détruit depuis le premier épisode, le flic alcoolique à la dérive prend les coups dans sa chair autant qu’il les inflige aux autres. L’essentiel des combats qui jalonnent son enquête prétexte dans des squats ou des fabriques abandonnées de poupées se fait à coup de poings (américain), de barres de fer, de planches cloutées.
L’effroyable sauvagerie des assauts des drogués et autres humains déchus se règle au corps à corps. Improvisé à la volée ou sous l’impulsion de combos (QTE), les coups portés ou reçus au visage sont mis en scène avec un hyper réalisme vertigineux. Ce n’est pas le visuel de l’impact au contact qui compte, comme dans la simulation de boxe Fight Night Round 3, mais leur conséquence physique et émotionnelle : intégrité de tout le corps bousculée, perte de repère momentanée, démission temporaire des membres et des sens, incitation aux sentiments de rage panique réciproque… Le contexte nocturne morbide et trash, les éclairages et bruits furtifs et les ricanements valident hors champ la permanence de la folie meurtrière aveugle. Chaque rencontre corps-à-corps anticipée et crainte ne peut être qu’un affrontement à la vie à la mort. La violence graphique et vécue est telle que chaque mise à mort réussie, obligatoire, insuffle un soulagement dénué de tout remords. Comment sortir indemne de la crudité de cette orgie de violence interactive que l’on voudrait cathartique mais qui n’est que pornographique ? Par l’humour…
À l’autre bout du spectre ludique et pourtant sur le même registre, le jeu Pain assume son sadomasochisme en tant que ressort unique et ludique de jeu. Au lieu de la faire endosser charnellement par le joueur, Pain objective la douleur et lui donne une distance physique et émotionnelle qui lui permet d’en rire. L’unique action du jeu consiste à projeter à l’aide d’une fronde géante un pauvre type, homme-canon victime volontaire, dans un carrefour urbain animé. Plus ou moins contrôlable pendant son vol plané, son corps doit heurter et détruire le plus d’éléments possibles du décor avant atterrissage. Un fois écrasé au sol il est même possible de provoquer d’ultimes soubresauts au corps désarticulé pour qu’il renverse un piéton distrait, se mette sur le trajet d’un véhicule, s’engouffre dans une bouche de métro où il ira rebondir sur une rame… Chaque impact réussi vaut des points et provoque des cris de douleurs hilarants. L’aspect cartoon, la double parodie burlesque de la recherche du score et de la douleur à infliger élève le modeste Pain (jeu à petit prix téléchargeable sur PSN) au statut de commentaire. Comme un dessin de presse se moquant de l’actualité du moment, Pain cristallise, caricature et s’amuse de ce qui fait trop sérieusement le nerf du jeu vidéo contemporain : la mise en scène répétée de la mort, et plus récemment, des douleurs et souffrances reçues et infligées.
Condemned 2 / Monolith / Sega / PC / Xbox 360 / PS3
Pain / PS3 en téléchargement / Idol Minds / Sony Computer
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Les jeux à message existent-ils ? Quoiqu’il en soit, No More Heroes jette en pâture des messages en clair et subliminaux au gamer incrédule et réjouit. Plus rock que punk, ce jeu très Wii tape salutairement dans la fourmilière stéréotypée du jeu vidéo.
Après un décalé et culte Killer 7, l’auteur de No More Heroes se révèle un forcené du slogan, de la formule parfois signifiante, souvent gratuite comme un jeu de mot ou un bras d’honneur de passage. Goichi Suda se fait ainsi surnommer Suda51 (le chiffre 51 se prononce comme son prénom en japonais). Son studio de développement japonais Grass Hopper Manufacture s’invente trois formules sibyllines en guise d’éthique de travail et d’attitude : Punk’s Not Dead, Call and Response, Crush and Build… Télégraphiques, secondaires et inévitables, les dialogues du jeu balafrent l’écran comme des cut-up littéraires. Le titre No More Heroes véhicule lui-même un constat dont on ignore s’il s’applique au jeu, à l’industrie du jeu vidéo où à la société désabusée dans son ensemble. En adoptant le gameplay ville ouverte de la série GTA, No More Heroes confirme que le succès planétaire des gangsters de Rockstar a tué le héros pur et désintéressé. Travis Touchdown, la vedette de No More Heroes ressemble ainsi à un Elvis otaku, collectionneur de figurines et de VHS obscures, frimeur de rue, lunettes de soleil Sarkozy, col du blouson en cuir relevé, moto chopper excessive. Comme un gamer scotché au tableau des scores, il ne s’intéresse qu’à sa réputation.
Avec des missions de combats au sabre laser (pardon : « Beam Katana ») éparpillées dans la bourgade californienne de Santa Destroy, le punk revendiqué de No More Heroes s’amuse à désacraliser les conventions du jeu vidéo plutôt qu’à détruire les fondamentaux. Travis doit se soumettre à des petits jobs rigolos (ramasser des ordures, tondre des pelouses, servir de l’essence…) pour gagner de quoi s’inscrire à un championnat d’assassins aussi fanfarons et loufoques les uns que les autres. Loin des églises des RPG dont il emprunte les principes d’amélioration (armes, aptitudes…), le système de sauvegarde oblige Travis à se déculotter sur une cuvette de toilettes, bruit de la chasse d’eau en confirmation ! Comme aux tous débuts de l’émancipation de la BD francophone des années 70, la nouvelle liberté d’expression force le trait, la liberté immature s’exprime par des petites bêtises régressives, des fucks et des shits inutiles. Lubrique, Travis cherche ainsi à regarder sous les jupes de la provocante organisatrice de la compétition, une Sylvia Christel (!) dont l’agressivité sexuelle executive woman n’a rien à voir avec l’Emmanuelle lascive de Just Jaeckin.
Derrière tous ces réjouissants et sains délires adolescents se cache heureusement un gameplay vraiment solide enrichi par des dizaines de trouvailles (la Wiimote téléphone par exemple). Grâce à une économie de moyen qui ménage l’énergie du joueur tout en lui donnant vraiment l’impression d’être impliqué tactilement, la combinaison unique du couple Nunchuk et Wiimote de la Wii réussit des combats au sabre beaucoup plus excitants et tangibles que le raté Red Steel ou même que le trop prudent Zelda Twilight Princess. L’exploration libre du « héros », à pieds ou à moto, de la petite ville est fluide et digne d’un GTA provincial. Comme Killer 7 sur GameCube, No More Heroes cache les limites graphiques de la Wii derrière un habillage visuel brassant avec la même désinvolture BD, animations cell shading, pixel art, action painting et retrogaming. Un bouillonnement créatif, joyeusement bazar et culturellement incorrect trop rare pour être ignoré.
François Bliss de la Boissière
(Publié en 2008 dans Amusement #1)
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Le jeu vidéo est encore un formidable work in progress où toutes les intentions, trivialités et plaisirs se télescopent sans hiérarchie. Jouer pour les sensations ou la recherche du sens ? Telle peut être la question.
Sorti fin 2007, Super Mario Galaxy a remis l’essentiel du jeu vidéo au centre d’un débat qui n’avait plus lieu : le fun. Son grand maître d’œuvre et occasionnellement maître à penser Shigeru Miyamoto le revendique, le jeu vidéo doit être avant tout… fun. Même si la définition de fun peut s’interpréter de différentes manières, il suffit de jouer quelques minutes à ce Mario Galaxy sur Wii pour comprendre où le jeu et Miyamoto veulent en venir. Comprendre, comme saisir avec les mains et les doigts, les yeux et les oreilles, le cœur et même parfois l’âme, mais pas avec le cerveau.
[Tête en bas, au-dessus d’un mini trou noir, retenu sur un petit astéroïde par la gravitation, un moustachu en salopette se jette sans crainte dans le vide en poussant un cri joyeux… _Super Mario Galaxy, 2007].
Car ce plaisir, ce fun, provoqué par le lien interactif entre le joueur et ce qui se passe à l’écran appartient en propre au jeu vidéo et reste à ce jour largement inexpliqué, ou, plutôt, difficilement exprimable. Même si visiblement une entreprise comme Nintendo en a compris quelque chose d’essentiel puisque de la 2D pixélisée des origines à la complexe 3D d’aujourd’hui, toutes les grandes productions Nintendo (Mario, Zelda, Metroid, Pikmin…) réussissent immanquablement à récréer ce plaisir.
[Suspendu à une feuille d’arbre géant, le petit héros se lance d’une falaise en espérant que le vent le portera sur l’autre rive… _The Wind Waker, 2002]
Prenant par surprise les observateurs et les professionnels, la console Wii avec son système de pointage vers l’écran réinvente à son tour les canons de l’interactivité ludique et donc des plaisirs que le jeu vidéo peut offrir. Le changement de paradigme technologique de la Wii rappelle que depuis plus de 30 ans, accolé à l’évolution technologique, le jeu vidéo continue d’être un énorme work in progress.
[Le vaisseau s’oblige à frôler le sol, deux bombes seulement pour détruire les silos ennemis pendant que le museau crache des missiles pour annihiler les fusées qui décollent _Scramble, 1982]
Dès ses débuts, le jeu vidéo contient une double lecture, celle du plaisir tactile immédiat et celle, intellectuelle, de la stupeur et du vertige, l’intuition d’apercevoir un écho du futur : mais qu’est-ce donc que je joue derrière l’écran informatique ? Et, de révolutions technologiques avérées en révolutions numériques en cours, qu’est-ce que cela veut dire par rapport à l’homme ? Ces questionnements peuvent rester à l’état d’étonnement non exprimé, déclencher des plaisirs liés à la curiosité sans cesse sollicité comme elle peut s’intellectualiser, provoquer le frisson conscient du découvreur de territoires inexplorés.
[Le pont de pierre s’écroule, le petit garçon se retourne et attrape de justesse la main de la jeune fille au teint diaphane _Ico, 2001]
En creux, l’inaboutissement et la fuite en avant perpétuelle du jeu vidéo contiennent ce qu’une œuvre d’art exprime à plat : un regard sur la condition de l’homme. Plus précisément encore à cause de l’interactivité : la condition de l’homme agissant, évolutif, et son lien avec l’univers physique. Car après avoir maîtrisé la plupart de la matière observable, éprouvé ses limites dans l’espace, depuis l’avènement de l’informatique et du numérique, l’homme explore sans l’avoir prémédité une nouvelle brèche spatiotemporelle, une matière digitale immatérielle, une nouvelle frontière peut-être jumelle avec celle du Big-bang dont le jeu vidéo repousse avec une innocente candeur la ligne et les limites.
[Le tronc d’arbre couché en travers du ravin tourne sur lui-même, en maintenant coûte que coûte la manette horizontale le jeune homme peut garder son équilibre et faire la traversée _Uncharted : Drake’s Fortune, 2008]
Si l’on regarde les pratiques ordinaires ou populaires du jeu vidéo, qu’il soit orienté compétition, culture du score, évacuation ou entretien des sentiments de violence, passe-temps, la noblesse potentielle de l’activité disparait bien sûr derrière une trivialité quotidienne que connaissent tous les arts populaires tels le cinéma ou la musique. Ce qui n’empêche pas le jeu vidéo comme ses cousins de loisirs de se trouver des bulles d’exceptions dignes d’elles-mêmes.
Avant de générer ses grands œuvres cohérentes d’un bout à l’autre, le jeu vidéo encore balbutiant existe donc par petits morceaux d’œuvres éparpillés dans telle ou telle production. Il appartient au joueur, visiteur d’un autre monde, d’y trouver ses marques, ses plaisirs, ses intentions et avec un peu de chance, un semblant de sens.
François Bliss de la Boissière
(Publié dans Amusement #1 en 2008)
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Jeu d’aventure colossal et imaginatif, réalisé par une équipe à part au sein du célèbre développeur/éditeur japonais Capcom, Okami fusionne avec une aisance vertigineuse la forme et le fond. Véritable hommage induit à la série légendaire de Nintendo, le jeu s’appuie sur les principes de base des Zelda pour très vite décoller vers quelque chose de totalement unique.
Le cell-shading cartoon de The Wind Waker est ainsi surclassé et anoblit par un aspect dessiné façons Beaux Arts où chaque décor ou personnage semble peint au pinceau, contourné à l’encre de chine, et coloré à l’aquarelle pour un effet saisissant et, il faut le préciser, tout à fait lisible à l’écran. L’histoire et le design général n’hésitent pas à piocher dans l’imaginaire traditionnel japonais en n’oubliant pas une bonne dose d’humour. Et, invention unique et géniale, le joueur manipule à volonté un pinceau dit « céleste » qui intervient en direct dans le jeu. Substitut du loup blanc divin, héros obligé de rester sur terre pour combattre le mal rampant armé d’un pinceau suprême, le joueur devient ainsi le bras armé céleste qui intervient « d’en haut » sur l’aventure ! La vertigineuse boucle artistique et interactive est ainsi intégrée dans un ensemble hyper sophistiqué et pourtant extrêmement accessible.
Avec son aspect visuel inouï, ses interactivités innovantes et parfaitement intégrées, ses thèmes musicaux déjà grands classiques, l’intelligence de sa réalisation, Okami satisfait l’esprit, les sens et, bien sûr, les doigts.
Note : 5/5
Public concerné : Toute personne curieuse de voir jusqu’où peut aller le jeu vidéo dans la création artistique sans rien perdre de sa dimension interactive de loisir.
LES PLUS
L’ergonomie impeccable
Les nombreuses idées de gameplay
La durée de l’aventure qui se compte en plusieurs dizaines d’heures
L’histoire à la fois traditionnelle et atypique et la façon dont elle est racontée
L’originalité graphique qui élève le jeu au rang de chef d’œuvre pictural en gardant toutes ses qualités interactives
Les dialogues écrits façon BD dont la traduction du japonais vers l’anglais a été supervisée par l’auteur en personne
Excellente VF qui en découle
LES MOINS
Visuellement assez déconcertant pour un public nourri de polygones homogénéisés
Négligé par le distributeur européen qui n’a pas fait une promotion à la hauteur de la valeur du jeu (avantage de ce désintérêt : le jeu ne coûte plus que 30 € neuf)
Questions / Réponses
On parle tellement des similitudes entre Okami et la série Zelda, est-ce donc un plagiat ?
Eh bien non, là est le miracle. Comme Prince avec la musique de James Brown, ou Tarentino avec les films des années 70, Okami absorbe les fondamentaux du game design et du gameplay des Zelda pour en faire autre chose, une œuvre singulière et à part entière. Le côté familier de la structure recherche/donjon/rencontre, propre d’ailleurs à beaucoup de RPG, s’adapte à l’histoire et au rythme et à la logique d’Okami sans que l’on puisse dire qu’il s’agisse de copiage pur et simple. Dans bien des cas (graphique, audace conceptuelle, dialogues…) Okami va même plus loin que son inspirateur. En intégrant l’ADN des Zelda dans son corps propre, Okami réussit d’ailleurs à faire avec élégance, dégagement et honneur ce que quelques dizaines de titres ont tentés sans le réussir. (Voir le paragraphe RPG ou Action-RPG).
RPG ou Action-RPG ?
Bien qu’il vaille bien davantage que ce label au fond réducteur, Okami peut se classer dans la catégorie des action-RPG, c’est-à-dire que tous les mouvements, déplacements, gestes ordinaires ou de combats se déroulent en temps réel au moment même où le joueur appuie sur le bouton requis. Même les actions étonnantes au pinceau ont lieu instantanément. Moins prisé au Japon, que les RPG traditionnels aux déplacements assez contrôlés et aux combats ritualisés au tour par tour, les action-RPG dont le maître étalon reste les Zelda en 2D de la Nes et de la SuperNes puis en 3D sur N64 (où aux États-Unis dans la lignée des hack and slash à la Diablo ou à la Baldur’s Gate). Les exemples réussis en provenance du Japon sont assez d’ailleurs assez rares. En voici une liste presque exhaustive…
En 2D, les Secret of Mana, Illusion of Gaïa, Brainlord, Equinox (Solstice II), Secret of Evermore, Chrono Trigger, Spike Mc Fang, Terranigma (Tenchisôzô) sur SuperNintendo. Landstalker, Soleil (Ragnacenty), Legend of Thor sur Megadrive. Magic Knight Rayearth, Oasis 2, Dark Savior (3D isométrique) sur Saturn. L’ultime Alundra sur PlayStation. Avec l’’arrivée de la 3D sur N64, après Zelda Ocarina of Time, les prétendants se résument à un… Mystical Ninja Starring Goemon sur Nintendo 64.
A quoi sert le pinceau ? Ce « gadget » artistique n’est-il pas agaçant dans un jeu d’action ?
Aussi étonnant que cela puisse paraître avant d’avoir pratiqué soi-même le jeu, non seulement le pinceau ne gène pas l’action, ou les séquences d’action, mais il en fait partie intégrante. Un ennemi vous jette un objet à la tête, le pinceau, comme une épée utilisée en vue subjective, permet de le frapper d’un coup transversal et de l’éliminer. Toutes les indispensables et géniales méta actions (des aptitudes qui supplantent et dominent l’ordre ordinaire du jeu) que propose le pinceau influent instantanément sur le monde. Un cercle dessiné au pinceau d’un geste rapide autour d’un arbre calciné ou d’un sol asséché fait jaillir aussitôt une végétation luxuriante (feuilles, fleures, herbes…). Un autre geste fait apparaître une bombe à retardement sur le sol. Plus énormes encore jusqu’au point de surpasser l’idée en provenance de Zelda The Wind Waker ou de Zelda Ocarina of Time (ATTENTION SPOILER), un coup de pinceau bref permet de changer la direction du vent, de faire apparaître le soleil dans le ciel ou la lune pour transformer la nuit en jour ou inversement !
Le côté artistique du jeu n’est-il pas mis en avant au détriment de la technique ?
Dans les années 2000, un jeu ne peut être qualifié de majeur sans que les deux données soient présentes. Or Okami est un des meilleurs exemples de jeu techniquement impeccable, voire même exemplaire. Rien n’interfère dans la fluidité de l’action, les temps de chargement sont minimes et animés de telle façon que l’on ne s’ennuie pas, la procédure de sauvegarde à des endroits spécifiques très bien répartis est quasi instantanée. Toutes les options d’équipement du loup en bouclier et autres armes magiques sont immédiates et nombreuses à cohabiter en pleine action. Même le rituel, ici détourné et ingéré, et souvent laborieux des RPG classiques qui introduit et conclut les combats dans une arène fictive avec un décor « générique » est optimisé dans Okami : les ennemis sont repérables sur le terrain, évitables, et si le loup choisit la confrontation, une « barrière d’énergie se dresse sur place pour créer en temps réel un espace délimité pour le combat. A l‘intérieur évidemment tous les mouvements sont libres et en temps réels et il est possible d’en sortir en repérant une fissure dans la paroi. L’accumulation de coups directs ou spéciaux simultanés en pleine action sans que rien du programme ne faillasse évoque la série Viewtiful Joe initiée, ce n’est pas un hasard, par la même équipe de développement.
Un loup dans le dernier Zelda Twilight Princess, un loup dans Okami, hasard ou coïncidence ?
Cela restera sans doute un des grands mystères créatifs du milieu des années 2000. Okami est en développement depuis de longue date et n’importe quel jeu Zelda se façonne pendant des années avant de prendre totalement forme pour surgir en tel ou tel épisode. Devant l’énormité de la coïncidence (les deux jeux sont presque sortis en même temps), le bon sens voudrait admettre que quelqu’un a piqué l’idée à quelqu’un d’autre. Mais quand on connaît la créativité et la probité afférente des deux équipes concernées (Clover Studio chez Capcom et Nintendo) cela devient impensable que l’une ou l’autre ai voulu se copier. Reste donc une coïncidence étrange ou, comme le dit la formule populaire : quand les grands esprits se rencontrent…
Un loup blanc en héros, c’est du Disney ?
Pas du tout. Comme tout bon héros laconique portant la responsabilité de sauver le monde, le loup reste sur sa réserve, ne parle pas et laisse (tolère) son minuscule cavalier (un insecte insolent façon celui qui sait tout à l’avance) se lancer dans des monologues souvent grinçants et plein d’esprit. Le sérieux du loup est ainsi rattrapé par l’ironie du cavalier qui n’hésite pas à traiter son hôte pourtant divin de « sac à puces ». Pas d’anthropomorphisme façon dessin animé non plus, le loup se comporte comme un animal à quatre pattes. Son animation est d’ailleurs absolument remarquable de souplesse et de crédibilité alors même que c’est le joueur qui le contrôle. Son aptitude au combat rapproché façon chevalier équipé d’une épée s’explique par une sorte de bouclier qu’il porte sur l’échine. Une attaque façon « dash » consiste pour le loup à baisser la tête et courir en avant pour donner un coup de bouclier comme un bouc ou un buffle. Le même bouclier magique de plus en plus sophistiqué au fur et à mesure de l’aventure devient capable de donner des coups à distance et autres gymnastiques sophistiquées totalement crédibles visuellement et au bout des doigts. Ce n’est ni du Disney ni un truc expérimental incompréhensible, juste une intégration cohérente de différents éléments : animalité, magie et imagination.
Le jeu n’est-il pas trop… « japonais » ?
L’aspect graphique général, le logo du titre lui-même dessiné au pinceau façon calligraphie, font japonais et l’aventure raconte l’équivalent d’une vieille légende japonaise mythologique. Le contexte et le background sont eux aussi très japonais. Donc, oui, Okami fait « japonais » dans tout ce que cela implique d’étalage de la culture japonaise médiévale. Mais le background historique traditionnel est en fait un canevas sur lequel les auteurs redessinent leur propre légende. Parmi toutes ses réussites, Okami parvient avec la même aisance à immerger le joueur occidental dans cet univers si exotique tout en lui donnant les clés pour le comprendre, l’apprécier et, aussitôt s’en moquer. Plus exactement, le jeu est « japonais » dans le sens original, inattendu, libre comme seuls les développeurs japonais en sont capables, mais surtout pas « obscur, abscons, typique, pour initiés ou fan absolus de mangas et de japanimation ». Okami respire et fait respirer un air totalement universel au joueur de n’importe quelle culture.
Refaire fleurir les fleurs ou les arbres, tout cela ne serait-il pas un peu niais, voire destiné aux enfants ?
Un film de Miyazaki (Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro…) se destine-t-il à un public d’enfants ? Si Okami déconcerte ceux qui ne s’intéressent plus qu’à fragger leurs voisins en ligne, à déchirer du zombie, descendre du soldat, ou d’une façon plus générale, à détruire tout ce qui bouge avant la fin d’un niveau, c’est la faute aux gamers trop habitués au goût du sang et non au jeu de Clover Studio qui s’adresse à n’importe quel public susceptible de trouver selon sa culture et son âge différents niveaux de lecture et d’intérêt. Fondamentalement Okami donne au joueur des outils artistiques – « poétiques » dirait le penseur Edgard Morin – qui l’incitent à reconstruire le monde, pour ne pas dire « sauver » le monde menacé, comme les contrées de tous les RPG, par les forces du mal. Okami est un hymne aux couleurs et à la vie. Une aspiration universelle, même chez les hardcore gamers mal nourris par l’industrie du jeu vidéo et qui l’ignorent encore.
Le nombre de superlatifs élogieux rencontrés dans cette critique donne raison de douter de la raison raisonnable du chroniqueur. Il faut alors s’attarder sur les argumentaires, repérer les confirmations techniques sur lesquels s’appuie la créativité du jeu, aligner les Plus, dont l’un d’entre eux renvoie au reste de la critique elle aussi unanime comme le confirme l’ensemble de la presse critique. Quoique le lecteur ait lu et entendu comme enthousiasme ici est encore inférieur à celui vécu et rationnalisé par l’auteur de ses lignes. Ceux qui le croisent en personne peuvent témoigner de sa sincérité militante. La grande bataille menée par l’auteur de ces lignes est de convaincre et faire connaître au plus grand nombre un jeu qui élève celui qui le pratique, comme toute l’industrie du jeu vidéo.
Si le jeu est si bien, il y aura donc une suite ?
Impossible. Aussi absurde que cela puisse paraître, presque aussitôt le jeu terminé, l’éditeur Capcom a décidé, pour des raisons de restructurations apparemment, de dissoudre le studio Clover. Le temps de pondre très vite un beat’em all (God Hand) en forme d’adieu improvisé ou de bras d’honneur, les auteurs (Hideki Kamiya, responsable d’Okami et auparavant de Resident Evil 2, Devil May Cry et Viewtiful Joe et son compère responsable du studio et producteur, Atsushi Inaba connu pour Steel Battalion) sont partis fondés un nouveau studio Seeds (graines). Des graines qui deviendront de nouvelles fleurs n’en doutons-pas. Néanmoins, puisque Okami a été développé exclusivement sur PlayStation 2, des rumeurs laissent entendre qu’une adaptation sur la console Wii serait envisagée par Capcom. En toute logique, le pinceau Céleste serait manipulé avec la Wiimote ! Quoiqu’il en soit, Okami est destiné à être une œuvre unique, dans tous les sens du terme.
François Bliss de la Boissière
(Publié en novembre 2007 sur Gameweb)
Message aux lecteurs. Vous avez apprécié cet article, il vous a distrait un moment ou aidé dans vos recherches ? Merci de contribuer en € ou centimes de temps en temps : Paypal mais aussi en CB/Visa avec ce même bouton jaune sécurisé …
Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Jeu d’aventure et d’action fantastico-médiéval phénomène à chaque épisode, ce dernier Zelda fait lui aussi date. Commencé sur GameCube, le développement a finalement été basculé sur Wii pour devenir l’ambassadeur de la nouvelle console « révolutionnaire » de Nintendo. Zelda prend ainsi pour la première fois un rôle dévolu à Mario. Avec son système de combat à l’épée ou à l’arc directement pointé vers l’écran grâce à la Wiimote, cet épisode réussit à son tour à surprendre, faire plaisir, puis initier de nouvelles façons de jouer qui seront, comme A Link to The Past sur Super Nintendo ou Ocarina of Time sur Nintendo 64, un jour ou l’autre adoptées par les autres concepteurs de jeux.
Épisode compilation aussi, cherchant à réconcilier la série avec un public un peu trop déconcerté par Majora’s Mask puis The Wind Waker, Twilight Princess accumule, comme un jeu anniversaire, toutes les trouvailles des épisodes précédents (sauf la navigation maritime). L’aventure permet même de repasser par les lieux mythiques (modifiés et agrandis) de Ocarina of Time. A l’usage toutefois, ces multiples références géographiques et interactives tirent très fort sur une corde nostalgique alors que, jusque-là , la série jouait sur un registre mélancolique plus fin. Malgré la transformation du héros en loup et l’esthétique singulière du monde des ténèbres qu’il explore, l’aventure laisse un goût de déjà -vu, voire de déjà joué. En tous cas pour les vétérans de la série. Les nouveaux venus, notamment sur Wii, n’y verront que du feu et du bonheur.
LES PLUS
L’héritage de la lignée des Zelda : gameplay impeccable et narration exemplaire
La fluidité sans faille du jeu : animations, action, transitions
La liberté d’exploration et de rythme
Le retour aux sources du gameplay et du personnage
LES MOINS
La tradition ici trop lourde et trop respectueuse de la lignée des Zelda
Les paysages figés et peu détaillés
Manque de souffle épique et d’émotion
Personnage ni adulte ni enfant (ni loup) trop falot
Note : 5/5
Plus confortable sur GameCube que sur Wii.
Public concerné : Les puristes, et les fans de Zelda déconcertés par la Wiimote.
Questions / Réponses
Cet épisode innove-t-il comme les précédents ?
Oui grâce à l’implémentation des contrôles de la Wiimote et du Nunchak de la console Wii. Sans ce système de jeu direct à l’écran, les péripéties et les interactivités ne surprennent pas vraiment malgré les bondissements de Link devenu un loup.
A qui s’adresse ce nouveau Zelda ?
Plus que tous les autres épisodes, Twilight Princess porte plusieurs casquettes et supporte une responsabilité à la fois historique (l’héritage d’une longue lignée de jeu vidéo tous unique), culturelle (il doit réconcilier les habitués de la série perturbés par les détours thématiques et graphiques des deux épisodes précédents : Majora’s Mask sur N64 et The Wind Waker sur GameCube), technologique (faire la démonstration qu’un jeu peut être bon et spectaculaire sans forcément faire appel à une technologie couteuse), économique (il doit faire la démonstration ludique de l’interface Wii et faire vendre la console aux gamers comme à un nouveau public). Twilight Princess doit avoir les épaules assez larges et les jambes assez longues pour tenter un grand écart de séduction impossible englobant le plaisir de la découverte des casuals gamers, la satisfaction des gamers gardiens du temple, aux intérêts des actionnaires. Le risque inhérent à ce besoin de séduction tous azimuts que subit Twilight Princess ? La dilution de la personnalité et de sa singularité.
Quels sont les points forts de ce Zelda ?
Les combats à l’épée mimés avec la Wiimote font leur petit effet même si le nombre de mouvements reste limité. Viser directement à l’écran l’arc, au boomerang ou au grappin devient vite indispensable et naturel. La générosité (distances énormes) et le plaisir (vitesse, fluidité) des chevauchées sur le dos d’Epona à travers les plaines d’Hyrule.
Y a-t-il, comme d’habitude avec cette série, de nouvelles trouvailles ?
La thématique astucieuse des mondes parallèles (un normal lumineux, un sombre jumeau) récurrente de la série se traduit dans Twilight Princess en deux étapes : d’abord la transformation en loup seul capable de visiter le monde des ténèbres, puis l’utilisation des sens olfactifs du quadrupède qui lui permettent de distinguer des choses invisibles aux autres. Finalement crispante malgré son utilité et son ingéniosité, cette dernière fonction génére un sentiment de claustrophobie accentué puisque lorsqu’il utilise son odorat, le loup voit mieux mais dans un tout petit périmètre, le reste du décor étant plongé dans le noir absolu (façon lampe torche). Appréciable et nouveau dans la série – quoique pas toujours bien compris par tous les utilisateurs parce que scénarisé plutôt qu’implémenté comme une méta fonction – des petites créatures permettent de sortir et de revenir au même endroit dans les donjons, et donc de sauvegarder en cours d’exploration !
L’augmentation du nombre de donjons et d’items laisse-t-elle pour autant des souvenirs ?
Le soupçon du syndrome carnet de commandes obligatoirement bien remplis qui plane au dessus de du développement de Twilight Princess semble se confirmer dans les quantités, parfois au détriment de l’intensité. Puisque critiques passées il y eut, le nombre de donjons a nettement augmenté par rapport à l’épisode précédent The Wind Waker. Idem pour le nombre d’objets et d’armes à utiliser. Il y a donc là de quoi s’occuper entre 50 (les joueurs au galop) et 100 heures (les minutieux). Mais la vraie question qu’il faudrait se poser ne serait-elle pas : combien de souvenirs (épreuve, donjon ou simplement moment) cet épisode grave-t-il en mémoire ? Moins que les autres, avancerons-nous.
Link est-il devenu ranger de parc national ?
Beaucoup plus cow-boy que chevalier ou samouraï, le nouveau et plus âgé Link côtoie un bon nombre d’animaux. Des images diffusées les années précédentes laissaient entendre qu’il entretiendrait même des liens particuliers avec toutes sortes d’animaux. Il semblait même susceptible de s’en occuper, voire de les élever comme dans certains RPG. Au bout du compte, Link devient en effet un loup, monte à cheval ou à sanglier, gardes des chèvres, pêche des poissons, utilise un faucon, se fait aider par des singes aux fesses rouges ou un oiseau géant, mais ses rapports restent très fonctionnels et circonstanciés. Twilight Princess ne développe aucune nouvelle mythologie autour de ce thème.
Le loup a-t-il du chien ?
Le lupus est bien la double vedette du jeu et cabriole court et saute comme il faut (assez curieusement il se contrôle de la même façon que Link). Mais à côté du loup du monumental Okami, celui-çi fait un peu fade, comme le héros toujours en retrait. D’ailleurs, même si l’idée du loup est né du responsable du jeu Eji Aonuma et de son équipe, c’est sur le conseil du grand-petit manitou Shigeru Myamoto qui trouvait lassant de regarder un loup courir de dos que les développeurs ont créé le personnage féminin expressif (surtout vocalement et en soupirs) de Midona qui chevauche le loup en permanence.
Version Wii vs version GameCube, laquelle faut-il vraiment jouer ?
Chacun ses moyens économiques et il serait compréhensible que les propriétaires de GameCube se contentent de la version GameCube, surtout que visuellement, à part l’affichage optimisé 16/9 de la version Wii (tout de même appréciable sur écran 16/9) les deux jeux sont identiques. Mais en réalité Nintendo a choisi pour nous. La version GameCube était prête un an plus tôt quand Nintendo a repoussé la sortie jusqu’à celle de la Wii fin 2006. Le jeu GameCube a été distribué tardivement en catimini et en petites quantités pendant que la version Wii est officiellement catapultée ambassadeur de la nouvelle console Wii. Remplacer Mario par Zelda au lancement d’une nouvelle console est un symbole assez fort envoyé par Nintendo pour être entendu. Il n’empêche que les inconditionnels de la série ont de quoi être embarrassés en ne jouant que l’une ou l’autre version : le contrôle classique à la manette n’existe que sur la version GameCube et pour des raisons évidentes de cohérences gestuelles, le petit Link est devenu droitier pour bretter avec la Wiimote (et tout le jeu Wii est du coup présenté en miroir gauche > droite du jeu GameCube original).
Que vaut ce Zelda à l’heure de la haute définition ?
Voilà sans doute le problème majeur des amateurs de belles images et de partitions symphoniques. Si le jeu est techniquement impeccable et profite à merveille de tout le savoir faire de Nintendo (temps d’accès quasi absent, adéquations interactives sans faille), l’aspect visuel et la bande sonore font datés. Sans le style marqué dessin animé de l’épisode Wind Waker sur GameCube, ce Zelda plus réaliste affiche des textures ni détaillées ni lumineuses. Tout mignons et bien animés qu’ils soient, les personnages ont un aspect un peu rustique. Bruitages et musiques synthétiques sonnent… synthétiques. Mais le public que vise en priorité Nintendo avec ce Zelda Wii est équipé majoritairement d’une télé à tube et n’a probablement pas relié sa console à une chaine stéréo. Dans ces conditions d’utilisation, Twilight Princess choque sans doute moins à côté des super productions visuelles et sonores sur consoles Microsoft et Sony.
Alors nouveau chef d’œuvre ou pas ?
Ocarina of Time étant unanimement considéré comme l’un des meilleurs jeux de toute la courte histoire du jeu vidéo, le débat a été sérieusement lancé par un site français méconnu et n’aura de réponse que… subjective. Les nouveaux venus dans l’univers Zelda découvrent brusquement toute la profondeur et l’intuitivité des propositions de jeu, alors que les habitués de la série ne manquent pas de ressentir les redites interactives et thématiques. Destiné à réconcilier tous les publics, âge, public occidental et oriental, Twilight Princess cherche un équilibre entre le western et le Seigneur des Anneaux tout en essayant de garder un peu de sa légèreté humoristique (c’est cette légèreté juvénile qui pâtit le plus de ce positionnement). Ocarina of Time avait réussit sur N64 en 1998 un tel équilibre entre innovations technologiques et sensibilité poétique qu’il est difficile de mettre sur le même piédestal historique un Twilight Princess plus technique calculé et suiveur qu’innovateur et inspiré.
François Bliss de la Boissière
(Publié en novembre 2007 sur Gameweb)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Pour réinventer la pratique du jeu vidéo avec sa nouvelle console, Nintendo a remplacé le nom et la notion trop explicite de Revolution par un logo à peine digne d’une interjection enfantine. En grattant un peu, le Wii de Nintendo recèle pourtant, comme les jeux Mario, une inventivité révélatrice de toute une philosophie ludique.
En mai dernier, Shigeru Miyamoto a présenté de façon spectaculaire la révolution Wii en jouant au chef d’orchestre sur la scène du célèbre Kodak Theatre de Los Angeles. Télécommande Wii à la main, il mimait les gestes nécessaires à la direction d’un orchestre virtuel intimé d’interpréter à l’écran le célèbre thème de Zelda. Exagérant l’exercice face aux 3000 spectateurs, ses bras étaient le plus souvent dressés à auteur d’épaules comme si, entre deux battements de mesure, il ne pouvait se retenir de les lever en signe de victoire.
Plus tard, sur cette même scène, le Président de Nintendo, Satoru Iwata, vint expliquer plus sobrement le concept de la console Wii. Un peu gauchement, il ouvrait largement ses bras en vantant, tel un prêcheur, le concept rassembleur des anciens joueurs et des nouveaux autour de la console Wii dont le nom simpliste doit évoquer le « we » anglais, « nous ». En regardant les photos de l’événement quelques jours plus tard, une observation troublante émergea : en direct-live devant un parterre de journalistes, les deux hommes s’obstinaient à dessiner avec leurs bras et leurs corps le W du logo Wii. Dans les années 90, Prince, l’artiste musicien de Minneapolis, s’amusait sur ses photos posées à reproduire de façon quasi subliminale avec son corps et ses postures son fameux logo « Love Symbol« …
Quand Nintendo a annoncé le nom officiel de sa prochaine console de jeu en remplacement du sobriquet Revolution, la surprise fut totale. L’entreprise avait réussit à contenir toute fuite, et le nom retenu, Wii, tomba sur le monde comme une goutte d’urine acidulée, une mauvaise plaisanterie. En anglais wee, ou wee-wee, signifie pipi, voire, plus vulgairement, « pissou » si l’on veut comprendre le choc de la communauté anglo-saxonne. Les railleries fusèrent puis devinrent critiques : ce Wii au bord du ridicule continue d’enfermer Nintendo dans son image enfantine. Les médias avaient donc déjà oublié l’indirecte insolence dont peut être capable Nintendo quand, par exemple, Mario s’arme d’un pistolet à eau et pisse (justement !) en toute insouciance humide sur la popularité des arides FPS dans Super Mario Sunshine.
Encouragés par Nintendo, les analystes rappelèrent alors le succès médiatiques des entreprises au nom d’oiseau cyber adoptés facilement : Yahoo, Google, voire en France, Noos. Plus précis encore avec la démarche de la console Wii, Nintendo revendique la notion de « technologie disruptive » qu’a réussi Apple en brisant l’ordonnance de l’industrie musicale avec son iPod. Au « i » individuel d’Apple, la première personne du singulier, répond le Wii collectif (we) de Nintendo, la première personne du pluriel. Les deux ii de Wii ne laissent d’ailleurs aucun doute quant à la filiation avec Apple. Une seule syllabe « i » ou Wii qui a vocation de se glisser en préfixe d’un néologisme marketing pour singulariser un concept, un objet, une attitude, une action : iMac (je fais du Macintosh), iBook, iSight, iPod… Une première série de petits de jeux de sports Nintendo a ainsi été nommée Wii Sports et se déclinent en Wii Golf, Wii Tennis, Wii Baseball, « nous jouons au golf, au tennis, au base-ball »… La connexion Internet permanente de la console a été nommée WiiConnect24, « nous nous connectons »…
Quoiqu’on en pense, Nintendo a déjà gagné une première bataille médiatique, le nom Wii a réussi à marquer les esprits. On estime alors très vite que l’entreprise a pris le risque d’une démarche marketing simpliste en rupture avec son propre héritage terminologique associant au moins deux mots : Game Boy, SuperFamicom, Nintendo 64, GameCube, Dual Screen… Le nom de la marque Nintendo serait presque proscrit aux alentours de la Wii. A l’instar du mode de jeu « révolutionnaire », à base d’une simple télécommande pointant vers l’écran, proposé par la nouvelle technologie Nintendo, le logo Wii et sa signification n’ont apparemment plus rien à voir avec l’historique des jeux et des consoles Nintendo. Néanmoins, une observation à la loupe de ce symbole Wii met à jour une surprenante multitude de signes, codes, significations, directes ou indirectes, explicites comme implicites, étendues comme résumées, du monde Nintendo et de ses intentions.
La vague dessinée par la lettre W est, par exemple, un symbole familier chez Nintendo. Wario, le double racaille de Mario a été nommé en retournant le M de Mario. Même s’il suffit de supprimer la première barre du W pour qu’il redevienne un N, le W est d’abord pour Nintendo un M inversé, l’initiale du génial Miyamoto (Wiamoto ?). Et si l’on retourne tel quel le logo Wii, c’est le M cousu sur la casquette de Mario suivi de deux points d’exclamations qui se lisent ! Un Mario tête en bas directement en osmose avec le nouveau jeu Super Mario Galaxy sur Wii où le fameux plombier trotte, en oubliant l’assiette horizontale, tout autour de petites planètes flottantes dans le cosmos comme autant de points sur le i !
La télécommande Wii avait également surpris quand elle avait été révélée. Elle est pourtant la grande sœur logique du stylet de la DS que tout le monde avait déjà en main. Le i du logo Wii évoque autant le stylet de la DS et sa pointe que le pictogramme d’une silhouette humaine, la télécommande rectangulaire Wii et son curseur pointé au loin sur l’écran de la télévision, ou, comme nous le montre un teaser vidéo, une raquette et sa balle. Le double i, bien sûr, signale Nintendo, que le jeu Wii se veut collectif. On peut d’ailleurs insérer autant de i que l’on veut, le nom se prononce toujours pareil, et le nombre de joueurs reliés à la Wii grâce à sa connectivité Internet n’altèrera pas son fonctionnement, au contraire exponentiel. Avec une console Wii « aware » reliée, allumée ou en veille, 24h sur 24 à Internet, et éventuellement avec d’autres joueurs, le Wii sonne Wi-fi, le tracé du W devient une sorte de fil symbolisant la connectivité, le lien de communication susceptible de s’étirer indéfiniment comme un accordéon ou une onde se propageant WWWWWWW. Le W de la Wii est aussi celui du wagon attaché à d’autres wagons tant qu’ils roulent ensemble dans une même direction. Ou une population de gens, nommée Touch Generation par Nintendo, se tenant la main en une longue chaîne de fraternité interactive. Les deux ii qui peuvent devenir mille ne rappellent-ils pas aussi les Pikmin ? En leur imaginant un peu d’épaisseur, les deux barres obliques du W symbolisent la télécommande Wii d’un côté et son accessoire nunchaku de l’autre, les deux reliés par leur cordon, ou brandis par une personne au centre comme l’ont mimé insidieusement sur scène les deux têtes pensantes de Nintendo. Plus tangible, quoi que, derrière le double V de la Wii se cache aussi le mot videogame et le concept de Virtual Console, une « deuxième » console capable de télécharger et faire fonctionner des jeux anciennes générations (Nes et SuperNes) tandis que la Wii proprement dite est apte à lire inhabituellement deux formats de disques, ceux de la GameCube et ceux de la Wii ! La Wii, une console double, multiple, comme le synthétise sans en avoir l’air son logo.
Définitivement confondant, les deux V du W peuvent aussi s’interpréter comme deux oiseaux, ou un seul avec une grande envergure, dont le vol induit que la Wii prend son envol et s’affranchit du reste du monde, en l’occurrence, des habitudes de l’industrie du jeu vidéo.
Le concept de la Wii a tellement étonné que certains médias se sont pris à l’imaginer en dernière solution farfelue et improvisée d’un Nintendo incapable de suivre la course technologique entretenue par Sony et Microsoft. On retrouve pourtant l’idée et l’envie, voire le besoin impérieux, de faire surgir l’interface sans manette de la Wii dans plusieurs jeux importants Nintendo de ces dernières années. Avant même la concrétisation de l’interface touch screen de la DS, un certain Luigi’s Mansion, premier jeu de la GameCube, brandissait son aspirateur vers les fantômes, les retenait d’un fil invisible avant de les amener à lui. Luigi allait même jusqu’à frapper de la main le mobilier, les murs, et l’écran de la télévision transformé en vitre (toc toc), toucher donc. Dans Super Mario Sunshine, Mario et son pistolet à eau tendent en permanence une main virtuelle vers le décor et les gens tout en pourchassant un Shadow Mario lui-même équipé d’un pinceau prompt à peinturlurer le décor. Dans sa dernière aventure sur GameCube, le petit Link de Zelda agite au bout du bras une baguette de chef d’orchestre pour jouer de la musique et changer le cours du vent. N’a-t-il pas en substance une télécommande Wii à la main ? Non seulement l’aspiration à créer la télécommande Wii s’exprimait déjà avant l’heure, mais l’esquisse du logo lui-même circule aussi avant sa naissance. Il veut déjà surgir du Legend of Zelda dont le sous-titre Wind Waker contient déjà beaucoup de W, comme la série des WarioWare. Et il apparaît de façon quasi explicite dans Super Mario Shunshine, quand, au lancement du jeu, Shadow Mario signe à l’écran le M de Mario avant de se l’approprier en appliquant deux points sur le sommet des deux barres du M. Avant même d’être formulé ou cherché, le logo Wii est déjà là, en train de naître.
« N’est-ce pas tout de même une erreur de donner un nom qui embarrasse les gens au moment de le prononcer ? » insiste le respecté et très british magazine Edge encore gêné par l’écho au wee anglais dans son numéro de juillet (164) à la double Une malgré tout entièrement consacrée au logo Wii. « Quand vous prononcez le mot « we », avez-vous une hésitation ? » rappelle Satoru Iwata avec une incontournable évidence, alors que, étonnamment complice, l’amorce de son nom de famille semble décliner le « i » d’Apple, ou, inversée, le Wii Nintendo.
L’incroyable convergence de signes complices référents, voulus ou fortuits, signifiants ou simplement évocateurs, autour d’un logo d’apparence si basique, révèle de façon inattendu ce que les jeux Nintendo dissimulent déjà en surface : une entreprise capable de transformer sa complexité créative inouïe en une façade aimable et simple destinée à séduire puis retenir n’importe quel public. Face aux mastodontes de son secteur, Nintendo joue la carte de l’intelligence contre la force brute. L’entreprise séculaire déclare ne plus vouloir se battre avec ses concurrents engagés dans une bataille technologique mal choisie. Pour autant, comme Shigeru Miyamoto et Saturo Iwata l’ont montré physiquement en dessinant dans l’air le double V de victoire, Nintendo n’a pas baissé les bras. L’entreprise compte bien propager avec la Wii une « win attitude » qui a le potentiel de lui redonner sa place de leader de l’industrie du jeu vidéo. Si Nintendo gagne son pari, les journaux pourront facilement titrer Wiintendo !
François Bliss de la Boissière
(Publié le 7 juillet 2006 dans Chronic’art 27)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Converted to casual gaming for all, Electronic Arts wants everybody to dance thanks to the Wii interface and their new rhythm-based musical game Boogie. Ready to sweat in Paris.
“We all enjoy some creative killing and at Electronic Arts we know how to make those kinds of games”, explains Studio General Manager EA Montreal Alain Tascan while demonstrating Boogie on Wii in Paris, “but it’s time to go back to the basics, we want to put smiles on people faces when they play videogames”. Now that both the Wii and DS have sold and keep selling millions, the once Nintendo only philosophy, game is fun, game is for all, “casual” has become every videogame editor mantra. A few weeks ago in Paris, Ubisoft officially announced its casual gaming division, now Electronic Arts confirms its own EA Casual Entertainment. Both divisions based in Montreal with executive women in charge (Kathy Vrabeck for EA, Pauline Jacquey for Ubisoft).
Exclusive this fall on Wii, the musical videogame Boogie is the beginning of a new IP for EA. No other supports is announced but Alain Tascan answer’s to the absence of online features for the Wii is a hint that the game should appear on other consoles with market place facilities to buy, for instance, new songs.
Alan Tascan left foot is discreetly taping the floor on stage while playing Boogie. It’s not part of the gameplay but obviously it helps him keeping track of the main beat. The Wiimote in his hand has to perform some combos that skips and adds rhythms to the original beat of one of the 40 songs picked from 70s to the 2000’s. We’re familiar with the Miis, now meet the Boogs. The chosen preset cartoonish character dances while facing the player on exotic outdoor stages (gas station in the Arizona desert, jungle, pagoda, space station…) along the expected disco nightclub. The game plays seriously, but as the funny stylized characters, the overlook is definitely relaxed with bright colors and light menus. On this demo the nunchuck is only useful to strike a pose when a photo op is prompted, while the main game is played with the Wiimote only. Which is both a more accessible and limited design choice. Since the movements are only verticals and horizontals, first with no visual indications except the dance moves of the character, then with some arrow combos asking to make very brief left-right-ups or downs, the player itself is less dancing that agitating the arm like a chef d’orchestre (conductor ?). Unofficial resting is offered with various rhythms to be followed while only pressing the Z button. If the player tends to move like a robot, the characters on screen are wonderfully and very smoothly animated and make up for it. A cross between Jet Set Radio and Mad’s Don Martin characters, they mix comic postures and real dance steps accordingly to their personality.
As planned, with easy to difficult options and 2 players battles, the game seems destined to every member of the family, even, they say, the shy ones. Along the regular features, the karaoke section – a microphone will be included in the box with a pair of paper glasses to watch recorded video clip replayed in green-red 3D – offers a “shy mode” where the prerecorded voice sings with the player only if the player sings. It supposedly helps to hide false notes and give confidence. Will the girls be interested to join the party then?
François Bliss de la Boissière
(Published June 2007 on US online magazine NEXT GENERATION)
The press should’ve seen it coming. Sony should have seen it coming. No need for a national poll. Just a few questions here and there, checking the forums. And, why not, checking the weather thru the global warning alert channel. Because the PS3 may be launching on a spring date, with a temperature between 0 and 5 degrees Celsius during the night, this is winter. And who wants to wait several hours in the freezing cold for a 599 € machine?
The first question by a televiewer that popped up Wednesday 22 on the French 24/7 news network LCI, during a talk show where the PS3 launch was squeezed between analysis of the hot presidential campaign, was more of a complain than a question : the PS3 is too expensive. Everybody knew. In Paris, two days before launch, it was still possible to make a guaranteed PS3 reservation for the first day, or night. Videogame chain store Games, asked for a 50 € deposit (US$ 66), as the Virgin Megastores. For the same 50 € deposit, the other big French videogame chain store Micromania offered a second year guaranty. Implying that in France, the PS3 is under a one year guaranty from Sony. Several of those stores stayed opened past midnight to sale the long due Sony console. Fnac, the most important book, DVD, music and videogame chain store in France (72 nationally, 119 in Europe and Brazil) which is holding the official event for the night launch, was still asking 120 € (US$ 160) deposit for a reservation. Although, on the Champs-Elysées Fnac store, where the launch event started Thursday at noon with PS3 playable demonstrations, you could buy the full PS3 price (599 € / US$ 800, thanks to the euro/dollar change) in exchange of a ticket that allowed you to skip the cash register at midnight and get your PS3 as fast as possible. When asked, most stores confirmed the day before that even without a reservation, anybody could come and get a console. The small Fnac store located on the famous Bastille place revealed having 5 reservations and 36 PS3 units in stock. 60 000 PS3 have been reserved from the 100 000 units shipped to France says Sony, “more than the PlayStation 2 and the PSP when they launched”. And 150 000 units total will be available in the next ten days. No shortage for once, the late launch is offering Europe first easy to get PlayStation.
One thing is clear, Sony did its best to get the media’s attention. You can’t pick more renown spot in Paris that Les Champs-Elysées where all consoles are launched, and then on a Louisiana like paddle boat at the feet of The Eiffel Tower. On a communication point a view, it’s probably what Sony needed to beat the Microsoft incredible fireworks that illuminated the sky of L’Arche de la Défense in Paris little Manhattan quarter La Défense, for the launch of Windows Vista last January.
To start the festivities, the media were invited to come and see the activities at the Champs-Elysées Fnac store at 7pm. But neither the MotorStorm or Resistance or Formula One demo gathered more than a handful of peepers. Already, there were more media people around than declared PS3 buyers. Outside the store, right on the large side walk of “la plus belle avenue du monde”, security people in red jackets were ready to guard a big line of PS3 lovers that were not showing up. At 8pm, only one young man supposedly started to officially wait for the midnight launch. All craving cameras and microphones turned to him. But he didn’t have anything to say.
Next rendez-vous was at the Suffren port on the Seine river, just by the Eiffel Tower, where the Louisiana Bell Boat was waiting. The large embankment was ready to welcome thousands of people. A big screen outside was showing some clips and the popular French movie OSS 117 which was just released on Blu-ray. By 9h30 pm, only a few dozens young people were waiting for their console. When asked, they revealed that any one real buyer was surrounded by one or more friends that wouldn’t buy the console themselves. They didn’t care for the Blu-ray player and yes, they thought the PS3 price was too high. But “the Sony console is something special, a high class product”, conceded one young worker with enough cash in his pocket and a Plasma screen al(HD)ready at home.
The president ot the Fnac group was supposed to make a speech but left before doing so. Long time General Manager of Sony Computer France Georges Fornay was also supposed to show and tour the temporary store boat with the media. But if it happened, it was in front of a few selected TV cameras. Despite the 15 cash registers ready, the ad hoc store in the boat was too small for any tour anyway. At 10 pm, a majority of smiling journalists received on their mobile phones a written message whishing them a good evening from the “Team Xbox”. Later, people outside started to run and scream. A large illuminated and trumpeting boat was passing by with Xbox 360 giant logos all over. Microsoft became the instantaneous uninvited star of the evening.
At midnight no doubt was possible anymore. No more than 50 people only were actually queuing for a PS3. More than 100 media people were trying to get an image or an interview worthwhile. They were the crowd. The first official buyer didn’t get any gift from Sony, not even it’s console ecause his Visa Card didn’t work ! The second buyer was suddenly surrounded by way too many cameras and microphones. He didn’t have much to say. All in all, maybe 50 PS3 were sold by the river, over the 1000 planned by Sony.
What probably started as a cool idea became a fatal blow for the PS3 launch in Paris. By moving the media attention out of the usual spot on Les Champs-Elysées, and by trying and failing to gather several hundred so called privileged consumers to buy a limited numbers of PS3 under the Eiffel Tower far from all the regular lights of the city, the midnight momentum lost its focus. And the small temporary Fnac store on boat with a huge inflatable PlayStation 3 on top that sailed, for the photographers, way too slowly under the lights of The Eiffel Tower, became a joke when the surprise Xbox 360 barge came and went two more times with all lights on with 4 or 5 people on board shouting and weaving the sleepy Sony crowd for attention. Sony just created it’s own Titanic, and the PS3 boat metaphorically sank a dreadful night of march in Paris.
François Bliss de la Boissière
(Publié le 22 mars 2007 sur le magazine en ligne NEXT GENERATION)
Almost no buyers came to the PS3 boat docked by the Eiffel tower (Photo (c) Bliss) Xbox trolling live at PS3 2007 launch in Paris (photo (c) Bliss)
En 2007, j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?
Van Ling, concepteur d’effets spéciaux, proche collaborateur de James Cameron a conçu les DVD de Titanic, The Abyss, Starhip Troopers, Star Wars Trilogy… Excusez du peu !
Version originale anglaise complète ci-dessous après la VF éditée pour publication…
Version française éditée pour publication papier…
Bliss :Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?
Van Ling : J’ai travaillé sur 9 Blu-ray l’année dernière, y compris Terminator 2, mon premier. S’agissant de disques contenant seulement le film, ils m’ont donné l’occasion d’apprendre ce qui marche ou pas. Je suis actuellement sur le Blu-ray d’Independance Day et nous expérimentons des idées utilisant la programmation Java sur Blu-ray.
Bliss :Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?
Van Ling : Entre la SD et la HD, surtout. Les objectifs sont les mêmes mais il y a plein de choses à réapprendre et beaucoup plus de problèmes de programmation, surtout pour la navigation dans les menus.
Bliss :Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ?
Van Ling : Oui parce que je sais déjà ce qui a été fait et que j’ai une bonne idée comment le surpasser. Il faudrait pouvoir inclure ce qui a été fait sur DVD et ensuite créer des choses inédites qui tiennent compte des nouvelles possibilités.
Bliss :Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ? Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?
Van Ling : Oui, nous filmons tout en HD. La majorité des films transférés en vidéo ces 8 dernières années l’ont été en HD, donc exploitables tel quel. Quand ils achètent un disque HD, les consommateurs s’attendent à ce que les suppléments soient en HD. Comme les vieux documents ont été filmés en vidéo SD ou 16mm, c’est un challenge de décider comme présenter une featurette mélangeant les formats.
Bliss :Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?
Van Ling : Les plus jeunes sont déjà au courant des nouvelles possibilités des formats HD et participent. Les réalisateurs vétérans y voient d’abord une nouvelle manière d’intéresser plus de spectateurs.
Bliss :Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?
Van Ling : Oui mais c’est un vrai challenge parce qu’il s’agit plus de programmation créative que de création artistique. Nous sommes au point où les formats HD doivent faire leur preuve auprès des consommateurs, avec ce côté « essayons tout pour voir ce qui leur plait». Il y a beaucoup de gimmicks.
Bliss :Que pensez-vous des problèmes de compatibilités provoqués par ces nouvelles interactivités ?
Van Ling : Ces formats HD ont clairement des constitutions informatiques. Cela donne autant de possibilité de faire des choses que de les rater. Quand quelque chose ne fonctionne pas, vous n’êtes jamais sûr si cela vient du design, de la programmation, de la fabrication ou du lecteur.
Bliss :Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?
Van Ling : J’ai surtout travaillé sur Blu-ray. Étant donné qu’une grande partie du succès de ces formats va dépendre de l’industrie du jeu vidéo qui a l’habitude de la cohabitation de formats, je ne pense pas qu’il y aura un vainqueur définitif.
Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
Lire aussi…
Charles de Lauzirika : DVD producteur pour Ridley et Tony Scott
Kim Aubry : DVD producer pour France Ford Coppola
Version originale complète de l’interview…
Bliss :Do you think there is a need for high definition bonus or is it still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts for you, the studios and even the movie directors?
Van Ling : I’ve always said that DVD producers are the most optimistic people in the film business, because we put our blood, tears toil and sweat into creating materials that only a very small number of people will ever watch. But I do think that it’s worth the effort, because it can be a winning situation for all parties: the filmmakers get the chance to discuss their visions, the studios have more to sell and the viewers get more for their money, even if they don’t care to watch it. As for us DVD producers, some of us enjoy the challenge of extending a narrative/universe and exploring new ways of educating and interacting with viewers.
Bliss :What is the first film you worked, or are working on, that is going to be released on any HD formats?
Van Ling : I actually worked on nine Blu-ray titles last year, including T2 (which was my first), but these were essentially « movie-only » discs that gave me an opportunity to learn how the format works (or doesn’t work, as the case may be). I am currently working on « Independence Day (ID4) » for Fox on Blu-ray, and we are exploring some new bonus feature ideas using Blu-ray Java programming.
Bliss :Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or Blu-ray?
Van Ling : If you mean as opposed to standard DVD, yes. Even though most of the goals are the same (movie, commentaries, bonus content), the formats are completely different in terms of technical approach. There’s a lot of things you have to learn to do anew, and a lot more programming issues you have to keep in mind while you are designing and creating materials, especially for the menus and navigation.
Bliss :If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD or would you work again on it?
Van Ling : I expect to be working on many of the HD versions of the titles I’ve previously done, simply because I already know how and what I’ve done before, so I have a good idea of how to surpass it. I feel that we should be able to include what we’ve done before on DVD as a starting point on the HD version, and then create new material that takes advantage of the new format’s capabilities.
Bliss :Did the digital transfers of past archives have been readied for HD formats and could be ported without going back to the digital scan? What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them or keeping the already digital transfer? What is the position of the studios you work with regarding this issue?
Van Ling : Most films that have been transferred to video in the past seven to eight years were transferred to HD in the first place, so many of them are already usable. But I believe most studios assess how the existing HD transfers look in light of today’s technologies, and if they feel that the new equipment can yield an appreciably better transfer, they will do it.
Bliss :What about future archives you might dig up, which kind of technical treatment would you do for the HD formats (or not)?
Van Ling : Most older archival material tends to have originated on standard-definition video or 16mm film, so it is more of a challenge to decide how to present a mixed-format documentary or featurette. But with the advent of the new HD formats, more and more special features are being done in HD, because consumers expect that when they buy an HD disc, as much of the content as possible will be in HD format.
Bliss :Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since when, or do you plan to? Is it relevant to do so?
Van Ling : Yes, for current films, all of the material is shot in HD, as are all interviews and new footage shot for bonus material on older titles. It is generally accepted as a good practice to shoot in HD if it can be afforded, even if you are currently finishing the project in standard definition. All of my projects going forward will likely be in HD.
Bliss :Are movie directors you work with concerned, interested by those high def contents that they may have to provide for future HD DVD or Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?
Van Ling : The younger generations of filmmakers are already savvy to the possibilities of the HD formats and are usually very open to creating or participating in new HD content, while the older generation of directors view it as a good way to get more people to experience their films, which are still the most important component of any release. They are usually thrilled to see their films in such high resolution.
Bliss :Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special interactivities during movie footage… Did you start working on that technology? Is it easy to do? Does is really open some new doors for you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?
Van Ling : Yes, I am working with the technology and it can be a real challenge, because it’s more about creative programming than traditional creative work. We are currently at the stage where the HD formats have to prove themselves to the consumer as being more worth getting than regular DVD, so there’s a lo of the same « shotgun » approach to interactive features… let’s try everything and anything and see what strikes the consumer. There are a lot of gimmicks, but I hope that some of them will evolve into actual useful features. I know I’m doing my part…
Bliss :There seem to have some compatibility issues with those interactive programs, whether on Blu-ray players or the LG Blu-ray HD DVD combo that doesnt play HD DVD interactive programs. How do you deal with that?
Van Ling : These HD formats are much more clearly computer formats, and the more like a computer your format is, the more capabilities you have… but the more opportunities you have to mess things up. We are still in the preliminary phase in which the formats are evolving, and when something doesn’t work, you’re never quite sure if the problem is due to the design, the programming, the manufacturing, or the player. From my standpoint, I just keep pushing. I find out what they think the format can do, and then come up ways for it to do more. And try to work with people who are willing to try it.
Bliss :Do you have a preference as a professional between the two formats : Blu-ray and HD DVD?
Van Ling : My experience so far has been exclusively with Blu-ray, so I am more familiar with it, but I am learning more about HD-DVD as well. Given that a significant portion of the success of these formats is going to depend on the video game industry -which has a history of multiple formats co-existing-I don’t think there is going to be one definitive winner. And the only way the consumer will win is if there are really good combo players so the viewers never have to worry about whether they can or cannot play any disc they buy.
Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
Terminator 2 Van Ling BD menu
(Version française publiée en 2007 dans le mensuel Les Années Laser)
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En 2007 j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?… Kim Aubry, ingénieur du son, collaborateur intime de Francis Coppola a conçu les DVD de THX-1138, Apocalypse Now, Le Parrain… Des pans entiers du cinéma !
Version originale anglaise complète ci-dessous après la version française éditée pour publication
Version française éditée
Bliss :Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?
Kim Aubry : Notre premier enregistrement en vidéo HD a été une interview de Francis Coppola en 2004 pour le DVD de son film La Vallée du Bonheur (1967), jamais utilisé en HD. En 2005 nous avons commencé à filmer en HD des documentaires pour l’édition 2 DVD de Apocalyse Now The Complete Dossier, mais on nous a dit qu’à cause de la confusion de l’industrie autour des formats, le film sortirait sur DVD SD (Z1). Notre premier gros effort en HD a été fourni pour filmer les 70’ de bonus pour la nouvelle édition du Dracula (Coppola, 1992). Le documentaire d’époque a été filmé dans 16 mm impeccable, nous avons pu le transférer en HD. Sony a l’intention de sortir le film sur 2 DVD SD et en Blu-ray dans l’année. Nous avons créé les menus (formidables, ndr) et les bonus pour le DVD de Marie-Antoinette qui doit sortir en Blu-ray. Nous travaillons sur une édition spéciale de L’Idéaliste (1998) qui aura des éléments en HD.
Bliss :Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?
Kim Aubry : Préparation des menus et programmation sont deux choses différentes. Nous concevons les éléments graphiques et l’authoring est confié à d’autres.
Bliss :Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ? Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ?
Kim Aubry : Le transfert et la restauration coûte plus cher en HD parce que les imperfections sont beaucoup plus visibles en haute résolution et la réparation digitale bien plus longue et onéreuse. De nombreux professionnels m’ont dit que d’après leurs enquêtes marketings, la plupart des gens trouvent que de la SD lue sur un lecteur DVD capable d’upscaling ou même sur un lecteur HD DVD ou Blu-ray comme la PlayStation 3 rend très bien sur un diffuseur HD. Les studios n’ont donc aucune motivation pour dépenser plus d’argent pour remastériser les bonus en HD.
Bliss :Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?
Kim Aubry : Nous avons commencé à filmer avec une HDCAM le documentaire d’un film tourné en Afrique du Nord, et pour des raisons de budget et les incertitudes concernant le Blu-ray et le HD DVD, l’équipe a continué avec des caméras SD !
Bliss :Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?
Kim Aubry : C’est une distraction pour eux. Ils sont d’abord préoccupés à finir leur film ou planifier leur prochain.
Bliss :Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?
Kim Aubry : Dans les DVD du Parrain et de THX 1138 nous avons créé un peu d’interactivité. Si nous utilisons nous-mêmes ces nouveaux outils sur des BD ou des HD DVD, cela ouvrira des portes. Si d’autres le font, ce ne sera qu’un gadget.
Bliss :Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?
Kim Aubry : Non. C’est Coca Cola et Pepsi.
Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
Lire aussi…
Charles de Lauzirika : DVD producteur pour Ridley et Tony Scott
Van Ling : DVD producer pour James Cameron, Star Wars Trilogy…
Version originale anglaise complète
Bliss :Do you think there is a need for high definition bonus or is it still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts for you, the studios and even the movie directors?
Kim Aubry : I can’t really speak to the economics of creating new bonus content in the HD format for release on HD homevideo. I can say that IF you have access to visual elements that are potentially of higher quality than standard definition video, obviously anything you produce will be of greater value eventually, as the world switches to HD.
Bliss :What is the first film you worked, or are working on, that is going to be released on any HD formats?
Kim Aubry : The first visual element that we photographed in HD was an on-camera video introduction by Francis Coppola for the 2004 re-release of the 1967 film “Finian’s Rainbow” on DVD, although this never went out in HD. We began work on documentary featurettes for our special 2-disc “Apocalypse Now – The Complete Dossier” in 2005. Originally, we intended to shoot and finish all new materials in HD because the North American distributor intended an HD home video release. But shortly after starting work, we were told that due to confusion in the industry over formats, the plan was to release the DVD in just standard definition. We ended up finalizing only the “Watch Apocalypse Now with Francis Coppola” featurette in HD, and as of this writing, we are unaware of any plans to release the film or sbonus materials in an HD format. Our first full-blown HD effort was in 2006 when we completed around 70 minutes of new bonus materials for a new release of “Bram Stoker’s Dracula” (1992). It is Sony’s plan to release both a 2-disc SD and a BD version of the film later this year with these new documentaries produced in HD. We created menus and some bonus materials for the release of Marie Antoinette which may get a BD release. We are now working on a special edition DVD of Coppola’s 1997 film “The Rainmaker” which will have some elements in HD. We do not know the distributor’s plans regarding HD-DVD or BD release on this title.
Bliss :Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or Blu-ray?
Kim Aubry : No. The menu preparation and programming is different, but we only do graphic design elements which are authored by others.
Bliss :If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD or would you work again on it?
Kim Aubry : I would say it depends on whether or not we can improve the original bonus content in any way by incorporating newer or better visual elements. If the distributor plans to just re-use the original SD materials, they don’t need us. Many industry insiders have told me that, according to their marketing research, most people think standard definition materials viewed on a up-converting DVD player or even a HD-DVD or BD player (like a Sony PS3) when seen on an HD display look great, and they have no motivation to spend more money to re-master the bonus elements in HD.
Bliss :Did the digital transfers of past archives have been readied for HD formats and could be ported without going back to the digital scan? What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them or keeping the already digital transfer? What is the position of the studios you work with regarding this issue?
Kim Aubry : No simple answer, no official position that I know of. Every case is different. There are HD 1920 X 1080 transfers of films made 3-5 years ago that are not very good. No doubt, there are “2-k” scans that have been made that could be improved upon. There are other HD transfers made 6 years ago that are fantastic. Some films are finished (for creating theatrical 35mm release prints) using Digital Intermediate technology for color correction, replacing the laboratory color timing step. But until quite recently, the “DI” masters did not necessarily consider the issue of making HD masters directly for the eventual broadcast, or home video markets. Indeed, most films finished with DI, end up with a film negative element that is scanned on a Telecine for home video, which might sound a bit strange. I say, this is a constantly evolving process, and the most important thing a responsible studio can and should do is to consult the filmmakers anytime they re-transfer the image to confirm that they are reflecting the original artistic intent. At the moment, some of the distributors are having internal discussions about what characteristics make an older film title suitable for HD-DVD or BD release. I have heard many executives dismiss important classic films for BD because they fear it will not “wow” the audience sufficiently. Imagine a 1950s recording industry executive saying “We don’t need to release this recording of Pablo Casals from the 1940s on LP, we want to launch the new HiFi LP format with just brand new “sparkling” stereophonic recordings!” I find this point of view very strange.
Bliss : What about future archives you might dig up, which kind of technical treatment would you do for the HD formats (or not)?
Kim Aubry : Don’t understand the question. We are doing some restoration work for some wonderful documentary films made in the 1960s and 1970s. We encouraged the filmmakers to locate the best film elements possible and we transferred them to HD format on a good telecine. We see that the cost of doing transfer and restoration at HD is far greater than SD, because imperfections that require DNR or other kinds of treatments are far more visible at the greater resolution, and digital repair work is far more time consuming and expensive.
Bliss :Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since when, or do you plan to? Is it relevant to do so?
Kim Aubry : Yes, we do. (See #2 above). Since 2003. Sometimes HDCAM 1920 X 1080 24P, sometimes Varicam 24 P.
Bliss :Are movie directors you work with concerned, interested by those high def contents that they may have to provide for future HD DVD or Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?
Kim Aubry : Most directors I work with (so far) are preoccupied with finishing their film, or with making plans for their next film, and the technical details of the home video release seem like a distraction to them at the time. But this is changing, as filmmakers recognize the importance of the home video and electronic record we are creating, both artistically and commercially.
Bliss :Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special interactivities during movie footage… Did you start working on that technology? Is it easy to do? Does is really open some new doors for you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?
Kim Aubry : I have very little experience with the interactivity. We tried to do some very basic interactive “added value” on some of our titles, including The Godfather DVD Collection which had a Corleaone Timeline plotted against actual news events, and a living Corleone Family Tree with many hidden aster eggs. In our THX 1138 DVD, we provided a “white rabbit” function that allowed viewers to jump out of the movie at pre-selected times and view sections of a documentary in which Walter Murch explained the audio style of that scene. If we use any of these new technical features in BD or HD-DVD, it will open doors; if someone else uses them, it will be a gimmick.
Bliss :Do you have a preference as a professional between the two formats : Blu-ray and HD DVD?
Kim Aubry : No. Coke and Pepsi. Warsaw Pact and NATO… One more note regarding the Dracula project. We were greatly aided in this because the “behind the scenes” unit that was on the set during the shooting of Bram Stoker’s Dracula (1991-1992) was a proper 16mm film crew. We accessed the original 16mm documentary negative (more than 20 hours of behind-the-scenes footage) negative which was pristine, and we transferred it to HD. We cropped the original 4:3 aspect to 16:9 on a scene by scene basis. We also made use of over 80 hours of informal doc footage shot on Hi 8 videotape at 60i. We had to treat this footage to make it 24 fps progressive. These days, “making of” units on the set are shooting in MiniDV, or sometimes in Digibeta, but it is almost always standard def. We are working on creating bonus materials for a new feature that began photography in North Africa with a doc unit shooting in HDCAM, but after a few weeks, for budget reasons and uncertainties about BD and HD-DVD, the documentary unit actually switched down to standard definition cameras! Ironically, the older films with doc footage on 16mm will make the transition to HD better.
Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
THX 1138 DVD menu by Kim Aubry
(Publié en 2007 dans le mensuel Les Années Laser)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
En 2007 j’ai demandé à trois producteurs stars de DVD ce qu’ils pensent de la HD, est-elle tout bonus ?
Charles de Lauzirika, réalisateur de documentaires, collaborateur rapproché des frères Ridley et Tony Scott a conçu les DVD de : Alien Quadrilogy, Spider-Man 2, Gladiator, La Chute du Faucon Noir… Rien que ça !
Version originale anglaise complète à lire après la version française éditée pour publication…
Version française éditée pour publication
Bliss :Les nouveaux supports Blu-ray et HD DVD offrent-ils un meilleur support pour les bonus ?
Charles de Lauzirika : La qualité du son et de l’image du film doivent être prioritaires. HD DVD et Blu-ray offrent de nombreuses manières d’augmenter votre appréciation et votre connaissance d’un film mais à part filmer en HD je vois beaucoup de gimmicks et peu de réinvention.
Bliss :Quel est le premier film/DVD sur lequel vous travaillez avec un format HD ?
Charles de Lauzirika : Déjà sur Kingdom of Heaven, Man on Fire, Monster House et Déjà Vu. Et actuellement sur Blade Runner qui sortira, comme l’a dit Warner, en HD DVD et Blu-ray.
Bliss :Avez-vous une approche différente pour les bonus selon les formats HD DVD et Blu-ray ?
Charles de Lauzirika : Pas encore. Entre le In-Movie Experience de Warner ou le U-Choose d’Universal il y a des choses à faire, à condition de donner aux spectateurs quelque chose qui mérite d’être vu. J’ai expérimenté des choses sur DVD SD adoptées sur les nouveaux formats, je n’imagine pas m’arrêter maintenant.
Bliss :Si l’un de vos précédents DVD ressort en HD, y travaillerez-vous ?
Charles de Lauzirika : Il sera facile de faire des upgrades directs vers la HD pour certains, tandis que d’autres auront un sérieux besoin d’être recalibrés. Cela donnera l’occasion de faire des petits ajustements.
Bliss : Comment allez vous effectuer la transition entre SD et HD pour les documents d’archives déjà mastérisés ou à venir ? Est-ce utile de filmer documentaires et interviews en HD ?
Charles de Lauzirika : J’ai commencé à travailler en HD l’année dernière. Pour des raisons de budget, presque aucun des suppléments de mes anciens projets ont été préparé pour la HD. Tout ce que je conçois et archive est désormais en HD. Tout cela a un coût que les studios ne veulent pas payer tant qu’ils ne sont pas sûrs de leur stratégie vis-à-vis des deux formats HD. Nous sommes dans une période transitoire.
Bliss :Les réalisateurs avec qui vous travaillez sont-ils concernés par la HD ?
Charles de Lauzirika : Ils sont beaucoup trop occupés sur leur film pour être très concerné par les bonus HD. Ils sont plus intéressé de savoir si ces formats vont améliorer la présentation de leurs films.
Bliss :Les fonctions interactives propres au Blu-ray et au HD DVD ouvrent-elles de nouvelles possibilités ?
Charles de Lauzirika : Je ne crois pas que ces contenus interactifs synchronisés avec le film vont améliorer significativement ce que nous faisons en SD. Les capacités du DVD SD n’ont pas été assez vantées et maintenant que l’on veut attirer de nouveaux consommateurs, le marché insiste sur ces fonctionnalités sur HD DVD et Blu-ray.
Bliss :Que pensez-vous des problèmes de compatibilités provoqués par ces nouvelles interactivités ?
Charles de Lauzirika : Je crée le contenu, le livre au studio et m’assure que cela fonctionne comme prévu. Après, c’est la responsabilité des unités d’authoring et de duplication de s’assurer que les disques fonctionnent correctement chez les gens.
Bliss :Avez-vous une préférence professionnelle entre le HD DVD ou le Blu-ray ?
Charles de Lauzirika : Pas pour le moment. Aucun des deux formats ne rend mon travail plus facile ni plus satisfaisant.
Propos recueillis et traduits en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
Lire aussi…
Van Ling : DVD producteur pour James Cameron, Star Wars Trilogy…
Kim Aubry : DVD producer pour France Ford Coppola
Version originale anglaise complète
Bliss :Do you think there is a need for high definition bonus or is it still for some happy few passionate? Meaning, is it worth the efforts for you, the studios and even the movie directors?
Charles de Lauzirika : First and foremost, picture and sound quality for the film itself has to take top priority. Then, if there’s room available and there’s an interesting behind-the-scenes story to be told, I think the first you thing you have to do is consider what are the best ways to tell that story, regardless of format. Right now, there are many possibilities with HD and Blu-Ray in terms of finding new ways to supplement your enjoyment and knowledge of a film but aside from shooting interviews and behind-the-scenes footage in hi-def for protection, I’m not seeing a lot of new ways to better tell the story. I see a lot of gimmicks but not a lot of reinvention. Hopefully, as HD and Blu-Ray evolve, that will change for the better.
Bliss :What is the first film you worked, or are working on, that is going to be released on any HD formats?
Charles de Lauzirika : The first DVDs I worked on with an eye towards an eventual HD or Blu-Ray release were Kingdom of Heaven, Man On Fire, Monster House and Deja Vu. I’m currently working on Blade Runner, which Warners has announced will also be released on HD and Blu-Ray.
Bliss :Do you have a different approach regarding extras on HD DVD or Blu-ray?
Charles de Lauzirika : Not yet. It’s still about imparting information and meaningful content. There are different ways of doing that with HD and Blu-Ray, such as Warner’s In-Movie Experience or Universal’s U-Choose features, but ultimately, it’s still about giving viewers something worth watching. I’ve been experimenting with interactive features since the beginning and doing things on standard-def DVD that are now being adopted or enhanced by the next generation formats, so I don’t imagine I’ll stop now.
Bliss :If, or when, one of your previous DVD is re-released on a HD format, will you work on it ? Would the bonus be a simple transfer from the DVD or would you work again on it?
Charles de Lauzirika : It depends on the project, the studio, the budget, the schedule, the availability of assets in HD and so many other things. There are some projects that I think will be very easy to simply make a direct up-res to HD while others will require more serious retooling. At the very least, it could provide me with an opportunity to make little tweaks and fixes I didn’t have time to make the first time.
Bliss :Did the digital transfers of past archives have been readied for HD formats and could be ported without going back to the digital scan? What is your opinion regarding those past documents? Going HD with them or keeping the already digital transfer? What is the position of the studios you work with regarding this issue?
Charles de Lauzirika : Due to budgetary considerations, almost none of the past projects I’ve worked on have been readied for HD, at least in terms of the supplements. It’s really only within the last year that we’ve started doing that, and not on every title. It would make things a lot easier to deliver everything as HD-ready but that costs more money and the studios don’t usually want to pay that unless they’re sure about their future strategy on HD or Blu-Ray.
Bliss :What about future archives you might dig up, which kind of technical treatment would you do for the HD formats (or not)?
Charles de Lauzirika : From now, almost everything I do will be protected for HD, so long as the budget allows for that. Seriously, there is a significant difference in cost between a simple standard-def delivery and then including HD and Blu-Ray into the equation. But in terms of scanning and shooting, the overwhelming majority of the content I’m working with will be archived with HD in mind.
Bliss :Are you shooting your documentaries and interviews in HD ? Since when, or do you plan to? Is it relevant to do so?
Charles de Lauzirika : Again, it depends on the budget, but yes, most of the interviews and behind-the-scenes footage are now being shot in HD. We’re still in a little bit of a transitional period with the studios, as they decide how much money to spend on a given title and what kind of treatment that title deserves. But for the most part, HD is part of the process now, especially on new movies.
Bliss :Are movie directors you work with concerned, interested by those high def contents that they may have to provide for future HD DVD or Blu-ray releases? Whether for a new projects or past projects?
Charles de Lauzirika : So far, they’re too busy working on their own films to be overly-concerned with HD or Blu-Ray extras. They’re more interested in – -and rightly so — how HD and Blu-Ray can improve the presentation of their films. Everything else is icing on the cake.
Bliss :Both HD DVD and Blu-ray may be programmed for some special interactivities during movie footage… Did you start working on that technology? Is it easy to do? Does is really open some new doors for you as a DVD producer and maybe the consumer or is it just a gimmick?
Charles de Lauzirika : I discussed this above, but I don’t think the kind of synchronous HD and Blu-Ray content you’re talking about are allowing significantly more creative freedom or improved information delivery than what we already had in standard definition. The difference is, most people weren’t pushing the capabilities of SD DVD and now they need something new to attract consumers, so they’re pushing that kind of experience harder with HD and Blu-Ray.
Bliss : There seem to have some compatibility issues with those interactive programs, whether on Blu-ray players or the LG Blu-ray HD DVD combo that doesn’t play HD DVD interactive programs. How do you deal with that?
Charles de Lauzirika : Fortunately or unfortunately, that’s out my hands. I create the content, deliver it to the studio and make sure it works as designed. After that, it’s up to the various authoring and duplication facilities to make sure the discs they’re manufacturing actually work in people’s homes.
Bliss : Do you have a preference as a professional between the two formats : Blu-ray and HD DVD?
Charles de Lauzirika : Not at the moment. Both formats have their pros and cons. Originally I was rooting for Blu-Ray because of the higher disc capacity but as the format war drags on, it’s become more about survival of the fittest. I’ll wait for a clear winner before investing in one format or the other. Neither one makes my job any easier, or more fulfilling. Yet.
Propos recueillis en mars 2007 par François Bliss de la Boissière
Bliss :Est-ce que tu es sollicité par de jeunes créateurs de jeu vidéo ? Maintenant que tu fais presque partie des vétérans…
Éric Chahi : Des jeunes game designers me demandent des stages, mais je ne peux pas donner suite. Comme j’ai des idées assez claire sur ce que je veux faire, je fais attention à ne pas me laisser embarquer, je reste focalisé sur mon truc. Il y a un an j’ai donné une conférence à Supinfogame (école de game design à Valenciennes, ndlr) où j’ai présenté des repères sur l’évolution du jeu vidéo à travers mon parcours. C’était très intéressant parce que, c’est évident, de futurs bon game designers sortent de cette école spécialisée.
Bliss :Qu’est-ce que tu penses de la scène du jeu vidéo française ? La « French touch » ça existe encore ?
Éric Chahi : (Rires) Tu me poses une colle. Le terme French Touch m’a toujours un petit peu agacé. C’était déjà cataloguer la création française et ça a fini par devenir péjoratif, synonyme de beaux jeux sans gameplay, sans contenu. Je n’aime pas trop le catalogage. Aujourd’hui il y a bien une scène française du jeu vidéo même si, dans les années 2000, elle s’est prise une grosse claque. J’ai le sentiment qu’elle est en train de se restructurer. Même si il y a pas mal de développeurs expatriés à Montréal et aux Etats-Unis… Je crois au renouveau. Il y a pas mal de petits studios. Ce qui manque le plus finalement c’est l’autonomie créative. Tu es obligé de dépendre d’un éditeur pour créer des jeux. Sur le contenu, c’est dommage.
Bliss :Le débat est sans fin, mais à ton avis, le jeu vidéo est-il de l’art ou pas ?
Éric Chahi : Ça dépend ce qu’on appelle de l’art. C’est un regard sur quelque chose dans un contexte culturel… Est-ce que l’esthétique c’est de l’art, par exemple ? Est-ce que le simple fait d’avoir quelque chose d’esthétique, c’est de l’art ? Ce n’est pas évident. J’ai une définition assez imprécise de l’art. J’aurais tendance à dire qu’une œuvre d’art vient enrichir la personne qui la regarde, que l’art c’est communiquer une vision personnelle sur le monde. Le jeu vidéo, au minimum, est culturel, une forme d’expression. Je pense que c’est une forme d’art qui n’a pas atteint sa maturité mais comme il y a des choses qui s’y sont exprimées, j’aurais plutôt tendance à dire que, oui c’est de l’art. Dans certains jeux (rires).
Bliss : Aucun jeu ne réunit les critères que tu évoques comme semblant appartenir à l’art ?
Éric Chahi : Il y en a qui ont ces qualités, même si elles n’ont pas été consciemment voulues par leurs concepteurs. Katamari damacy est pour moi une oeuvre d’art. Et son créateur (Keita Takahashi) dit le contraire ! Le jeu a un sens contextuellement, il n’est absolument pas neutre par rapport à notre monde. C’est une sorte de métaphore du pouvoir. Il a un écho avec la société de consommation, Il ne s’agit pas simplement de faire grossir une petite boule. Il y a plus que ça.
Bliss : Tu ne cites justement pas des jeux plus plastiques…
Éric Chahi : Comme Shadow of the colossus ? Oui ce jeu là aussi. Il se rapproche plus d’une œuvre d’art… Il travaille sur le ressenti, sur l’émotion. En même temps ce n’est pas l’émotion qui fait une oeuvre d’art. A l’opposé, le terme divertissement pour qualifier le jeu vidéo est dégradant. Ce n’est pas suffisant. Aucun jeu n’est totalement neutre, il se place dans un contexte culturel. Sim city, Civilization, ou un jeu de guerre se positionnent. Ils délivrent une certaine vision du monde qui sera celle donnée volontairement ou non par les designers. Certains jeux ne sont évidemment que du divertissement mais il faudrait un peu plus de recul pour bien saisir tout ça. Dans une vingtaine d’années on se rendra peut-être un peu plus compte.
Bliss : Ne peut-on pas trouver dans les pixels des premiers jeux d’il y a vingt ou vingt-cinq ans des éléments qui, par exemple, pourraient relever de l’art contemporain comme semblait le montrer l’exposition Game On ?
Éric Chahi : Quand des images et des symboles du jeu vidéo s’infiltrent dans l’art contemporain, est-ce que ça implique que le jeu vidéo c’est de l’art ? Pas forcément. La comparaison est violente, c’est un questionnement : Coca Cola aussi est réutilisé dans l’art contemporain. Il y a des œuvres qui vont puiser dans la manne publicitaire, mais comme matière, comme vecteur d’expression. Coca Cola ne devient pas pour autant une oeuvre d’art. Donc il ne faut pas faire un amalgame entre les icônes du jeu vidéo récupérées dans l’art contemporain et le jeu vidéo lui-même. Les pixels colorés, les bruitages très primaires des tous premiers jeux d’arcade évoquent quelque chose, mais je ne saurais pas dire quoi… Entre les lignes du divertissement il y a peut-être des choses qui sont communiquées. Et peut-être que la qualité artistique d’un jeu vidéo ne réside pas dans le visuel mais dans ses interactions. C’est quand même ce qui caractérise le plus et différencie vraiment le jeu vidéo des autres médias.
Bliss : Dans l’art contemporain on croise des installations à l’interactivité rudimentaire bien inférieure à ce que propose depuis longtemps le jeu vidéo, et pourtant elles sont qualifiées d’oeuvre d’art…
Éric Chahi : L’important dans ces installations ce n’est peut-être pas la qualité des interactions mais le sens, le sens de l’oeuvre, le sens artistique de l’oeuvre. C’est peut-être ce qui lui confère un statut d’art.
Bliss : Donc ça veut dire que même les premiers jeux vidéo sont vides de sens ?
Éric Chahi : Un game designer de l’époque du nom de Chris Crawford (auteur du livre The Art of computer game design, organisateur à domicile des tous premiers GDC, ndlr) avait écrit que si Space Invaders avait eu autant de succès parmi tous les autres jeux du même genre, c’était parce qu’on pouvait y projeter ce qu’on peut ressentir dans la vie quotidienne, par exemple confronté à des grosses administrations, aux rouleaux compresseurs de la société. Il avait une lecture métaphorique en terme de ressenti pour y lire dans les jeux autre chose que le premier degré du pur divertissement. Il y trouvait un écho avec le réel. Cela me semple assez pertinent.
Propos recueillis par François Bliss de la Boissière
(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Bliss :Comment es-tu passé d’une activité assise comme la création de jeu vidéo à une activité aussi physique ?
Éric Chahi : C’est vrai que pour approcher les volcans il faut crapahuter, avec un gros sac à dos. Les volcans m’ont toujours attiré mais je n’avais aucune idée que c’était accessible. Je pensais qu’il n’y avait que les scientifiques qui pouvaient y aller. Et puis j’ai découvert qu’il y avait une agence qui organisaient des voyages sur les volcans actifs. Je me suis inscrit et ça a commencé par là. J’y suis allé ensuite en autonomie avec des amis aussi passionnés de volcans rencontrés sur l’Etna. J’ai été dans des endroits assez reculés, il fallait le vouloir. Quand on est en milieu volcanique, proche d’une éruption, il faut faire gaffe, trouver la distance limite à ne pas franchir. Ma passion est née de la rencontre physique avec les volcans. Elle s’est pleinement révélée suite à une confrontation physique où j’ai pu voir de très près un volcan exploser avec de l’incandescence, de la lave en fusion et des choses comme ça.
Bliss : Tu as ressenti le danger quand c’est arrivé ?
Éric Chahi : Je me suis retrouvé dans une situation limite où j’ai eu très peur en effet. C’était au sommet du Lopevi au Vanuatu. Des bombes incandescentes sont tombées autour de nous à dix-vingt mètres, c’est super impressionnant. Je me suis dis : je suis foutu, je vais mourir (rire). J’étais en voyage organisé à ce moment là. Quand j’y vais seul je suis plus prudent désormais. Mais on n’est jamais à l’abri d’une explosion plus forte. C’est arrivé avec un volcan de type strombolien, des blocs incandescents éjectés sont éjectés en l’air régulièrement. Une explosion a été projetée vers nous. On début on voit des blocs très denses qui partent en l’air et on se dit qu’ils vont nous tomber dessus et qu’on est mort. En fait, les blocs s’écartent, ce qui est normal, en se rapprochant, mais c’est très impressionnant. On se demande quel bloc est pour soi. Dans ces cas là il ne faut surtout pas paniquer, ne pas courir dans tous les sens. Il faut rester et immobile et observer. On bouge uniquement s’il y a un projectile qui arrive sur nous, sur soi. Je n’ai pas eu à bouger. Mais quel stress ! Là j’ai décidé de ne plus revenir sur un volcan. Et j’y retourne quand même (rires).
Bliss : C’est ce rush là qui t’as rendu accroc ? Comme les sportifs ou les gens qui font des trucs extrêmes ?
Éric Chahi : Il y a une espèce de montée d’adrénaline c’est vrai. Ce fut une expérience assez extraordinaire pour moi. Je l’assimile à un traumatisme, mais un traumatisme positif. On angoisse complètement mais ce qu’on voit est tellement incroyable que l’on en retient un sentiment positif, même si au fond on n’a pas envie de le réitérer. Je ne fais rien pour me retrouver dans une telle situation. Quand je vais sur un volcan, je fais très attention et je reste beaucoup plus loin que cette première expérience volcanique.
Bliss : Tu as accumulé, semble-t-il, de véritables expériences sensorielles et même, en t’écoutant, du gameplay qui peuvent te servir à ton prochain projet de jeu, n’est-ce pas ?
Éric Chahi : (rires) Je ne peux rien dire mais tout vient nourrir. Comme je le disais tout à l’heure à propos de mon parcours en zigzag, quand on crée du jeu vidéo il ne faut pas s’intéresser qu’au jeu vidéo. Si on se nourrit de jeu vidéo pour créer du jeu vidéo on tourne en rond. Et on sort des jeux comme il en sort aujourd’hui à la pelle. Il faut s’intéresser à tout pour créer des jeux vidéo.
Bliss : N’y a-t-il pas un rapport entre le monde désolé alien et très rocheux d’Another world et celui des flancs de volcans ?
Éric Chahi : Complètement. Je suis passionné de désert aussi. J’aime les milieux arides, inhospitaliers… On retrouve des points communs entre le monde virtuel, par exemple d’Another world, et ce qui m’attire dans le monde réel.
Bliss : Est-ce que tu suis ce qui se passe en jeux vidéo ?
Éric Chahi : Oui, mais pas grand chose m’attire. J’aime bien les jeux originaux qui apportent quelque chose. Il y a des jeux que je commence sans les finir et il y ceux que je termine. Même si ça commence à dater, le dernier jeu que j’ai fini c’est Katamari damacy justement. Un jeu original que j’adore, un jeu qui parle. Qui m’a parlé. Je regarde ce qui sort comme consoles. J’ai joué à Half life 2, j’essaie des classiques sortis il y a quelques années que je n’avais jamais joué comme Civilization. Mais je ne suis pas forcément attaché à l’actualité du jeu vidéo. Je m’y intéresse sans suivre absolument au quotidien. Ça ne m’est pas indispensable. Je suis néanmoins très intéressé par la Wii. Je n’en n’ai pas encore mais je suis vraiment curieux de voir ce que donnent les jeux. J’ai une DS qui me plaît avec un certain nombre de jeux.
Bliss : Tu as une opinion sur ce qu’est devenu le jeu vidéo d’aujourd’hui ?
Éric Chahi : L’époque que j’ai connue était encore artisanale, aujourd’hui c’est une industrie. L’artisanat émerge encore avec un mouvement indépendant comme les développeurs de Darwinia ou de Chronic logic qui ont développé le jeu Gish (du même studio, Wik & the fable of souls est disponible sur le Xbox Live Arcade, ndlr). Mais du côté de l’industrie on sent la pression marketing. Les budgets des jeux sont tellement énormes, ont un tel besoin de rentabilité, que ce ne sont pas les créatifs qui dirigent ou orientent le contenu des jeux mais le marketing, l’aspect business. Ça conduit à refaire les mêmes recettes, les mêmes FPS ou jeux de voiture. Mais ça évolue un peu quand même. Tout est tellement marketing qu’il y a un mouvement de fond indépendant qui s’est élargi depuis deux trois ans qui cherche à créer des jeux sans prétention, plus conceptuels et un peu plus originaux que les autres, que les gros budgets tout du moins. Il faudrait aussi évoquer la responsabilité des éditeurs, des créateurs de jeux quand sort le énième jeu de guerre qui met en action sans retenu des GI dans la guerre du Golf. Il n’y aucun regard critique. Je trouve ça très dérangeant et je n’ai pas le sentiment que les éditeurs ou même les créateurs de ces jeux se posent des vraies questions de fond.
Bliss : Comment expliquer que tous ces créatifs du jeu vidéo acceptent et supportent de passer des jours, des mois, des années à recréer des situations de guerre avec les sons, les armes, les agonies ?
Éric Chahi : Peut-être que l’envie de travailler dans le jeu vidéo est plus forte que le problème éthique du contenu des jeux. Ils ont toujours espoir de se dire qu’après avoir commencé par ça ils travailleront sur un autre jeu. Et puis je pense qu’il y en a que ça ne dérange pas de bosser sur ce genre de jeu. Le programmeur se dit que de toutes façons ce qui l’intéresse c’est le code, le graphiste qu’il fait des animations sympa… Je caricature un peu mais il y a sans doute de ça. On peut y trouver son compte au niveau de la création. Mais dans l’ensemble, ce qui est généré au final n’est pas très beau. Quand on écoute les interviews de certains producteurs on remarque qu’apparemment ça leur plaît. La machine commerciale pressurise toutes ces personnes derrière. Il faudrait vraiment discuter avec les gens qui travaillent sur ces projets là pour avoir un regard plus éclairé. Je sais qu’il y a en France pas mal de développeurs qui en ont marre des jeux de guerre.
Propos recueillis par François Bliss de la Boissière
(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)
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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.
Bliss :Pourquoi privilégier un remixe d’Another world à une suite que tu aurais pu même déléguer ?
Éric Chahi : Je n’ai jamais pousser derrière. Je ne suis pas quelqu’un qui aime les suites. Je préfère des créations originales. Quitte à construire un projet je préfère que ce soit neuf.
Bliss : Déjà téléchargeable sur Internet, la version retravaillée en haute résolution sort sur PC-CD Rom pour les quinze ans anniversaire de sa première sortie mais le jeu ne pourrait-il pas être disponible aussi en téléchargement sur le Xbox Live Arcade ou la Console Virtuelle de la Wii ?
Éric Chahi : Oui, si je lance un développement là-dessus ce serait possible. Il n’y a rien qui m’en empêche. Ce serait plus compliqué pour diffuser la version SuperNintendo sur Wii, je parle de la ROM originale. Il y aurait sans doute un accord à trouver avec Interplay qui avait développé le code à l’époque. J’ai tous les droits de la propriété intellectuelle sur le jeu mais je n’ai pas le code source des versions consoles (SuperNintendo, Megadrive et 3DO).
Bliss : Est-ce que tu vois des descendants à Another world ?
On m’a souvent posé cette question… Flashback (1992, Amiga) évidemment. Dans le domaine de l’évidence, et reconnu par son auteur Fumito Ueda, il y a Ico (2001, PS2). ça se ressent un peu. Mais je ne cherche pas trop…
Bliss : Après plusieurs années de travail et de réflexion solo, Frédéric Raynal (créateur français de jeu vidéo, Alone in the dark…) a expliqué que ce qui lui manquait le plus dans la réalisation d’un jeu était le travail d’équipe. Ce n’est pas ton cas…
Éric Chahi : Le travail d’équipe sur Heart of darkness m’avait un petit peu refroidi et vacciné. C’est une des raisons pour lesquelles je n’avais pas spécialement envie de repartir sur un projet. Mais avec le recul je réalise que ce n’est pas mal, voire même très bien. Ça permet de travailler plus vite et d’échanger des idées.
Bliss : Ton prochain projet ne peut plus être, à notre époque, un jeu « garage ». Qu’as-tu en tête ? Aura-t-il une influence cinématographique comme Another world ou Heart of darkness ?
Éric Chahi : Il y a encore tout de même quelques jeux faits maison mais ce que j’envisage ne peut pas être créé tout seul en effet. Il me faudra une équipe, pas petite mais pas aussi grosse que celles des projets next-gen non plus. Et non, il n’y aura pas cette dimension cinématographique.
Bliss : Que fais-tu depuis Heart of Darkness finalement ? Des choses qui ont rapport avec le jeu vidéo ?
Éric Chahi : Heart of Darkness a été une sacré tranche de vie, un peu trop longue, qui m’a poussé à prendre un peu de recul. J’étais quand même assez exténué. Je ne me voyais plus travailler dans ce milieu là pendant un certain temps. Et puis c’était le début de la 3D, l’évolution de l’industrie, des grosses équipes, des grosses prods, je ne me sentais pas trop à l’aise. En plus ce n’était pas très structuré à l’époque. Ça ne me correspondait plus, en sus de la fatigue et du raz le bol accumulé sur Heart of darkness. C’est vrai que cette période de recul a duré à peu près autant que le développement du jeu (plus de six ans) (rires). Mais je crée des jeux depuis très longtemps, depuis 1983. Et surtout, entre Les Voyageurs du temps (1989), Another world (1991) et Heart of darkness (1998) il n’y a pas eu vraiment de temps mort. J’avais vraiment besoin de reprendre mon souffle et de me ressourcer. Donc j’ai fait des choses qui n’ont rien à voir avec le jeu vidéo. J’ai créé un outil pour manipuler de la synthèse sonore. Un truc fait pour moi pas tout à fait finalisé ni évident à utiliser qui s’appelle Sympheo et que j’ai mis à disposition sur Internet. Dans le domaine du créatif, j’ai fait de la peinture abstraite… J’ai pas mal voyagé et je me suis découvert une passion pour les volcans. J’ai assisté à des éruptions, j’ai vu de la lave en fusion. La photo m’a toujours intéressé et là je me suis exprimé. Je cherchais à créer des images susceptibles de retranscrire au mieux ces activités.
Bliss : Travaux photographiques et peinture abstraite ont-il un rapport ?
Éric Chahi : Dans mes peintures il y a un certain dynamisme que l’on peut retrouver dans les photos de volcans. Et je cherche à cadrer les volcans pour capter une certaine esthétique dans le mouvement, l’énergie. Il y a des points communs entre les deux, oui.
Propos recueillis par François Bliss de la Boissière
(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)
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Son premier succès, prémonitoire, se nommait « Les Voyageurs du temps », car en effet, depuis la sortie d’Another world il y a quinze ans, le créateur de jeux vidéo Éric Chahi voyage dans un autre espace temps. Six ans pour accoucher du houleux jeu suivant Heart of darkness et, depuis 1998, plus un mot.
Pourtant, quand on lui demande à l’occasion de la réédition anniversaire en version HD d' »Another world » s’il travaille encore dans le jeu vidéo, il répond naturellement oui et qu’il prépare un projet, comme si les huit dernières années de silence ne comptaient pas. En tous cas pas selon son horloge.
Bliss :Est-ce que le fait d’avoir conçu un jeu aussi marquant qu’Another world à l’âge de 24 ans, au point d’occulter le reste de tes réalisations, n’est pas finalement une malédiction ? Le poids de la notoriété et de son héritage n’empêchent-ils pas d’avancer ?
Éric Chahi : Another world n’a pas changé grand chose en fait. J’étais un peu connu pour Les Voyageurs du temps, puis pour Heart of darkness et évidemment Another world qui m’a vraiment fait connaître. Il n’y a pas longtemps que j’ai réalisé qu’il a survécu au passage du temps, au moins dans les mémoires. Ce n’était pas du tout clair au moment de sa création. A cause de la nature même du jeu, son aspect immersif, son contenu, il a marqué les gens. ça me fait super plaisir. Je vois bien qu’il y a une attente d’autre chose. On me demande, oui mais qu’est-ce que tu prépares Eric ? Mais c’est plus un moteur qu’un frein, ça ne m’empêche pas d’avancer. Il y un côté stimulant.
Bliss : Pourquoi la fausse traduction du titre Another world en « Out of this world » aux Etats-Unis ?
Éric Chahi : Parce qu’aux Etats-Unis, il existe un soap opera assez populaire daté de la fin des années 60 (diffusé de 1964 à 1999 sur NBC, ndlr) qui porte le même nom. L’éditeur Interplay a estimé que ce n’était pas judicieux de garder le titre original et a imposé « Out of this world ». Je pouvais difficilement dire grand chose. Il aurait fallu argumenter. Au niveau culturel, je ne connaissais pas suffisamment les Etats-Unis, et je n’avais pas une maîtrise suffisante de la langue anglaise pour savoir si le titre était pertinent pour un américain. J’ai laissé faire et puis voilà. Je ne pense pas que cela ait eu d’incidence. Les titres résonnent un peu pareil. Au Japon, le jeu s’intitule « Outer world », contracté probablement pour des raisons de prononciations.
Bliss : Tu as dessiné la fameuse illustration de couverture de la boite ainsi que tous les graphismes du jeu et, plus tard, tu as fait de la peinture abstraite. Ta première envie d’un jeu est picturale ?
Éric Chahi : C’est plus compliqué que ça. J’ai un parcours assez sinueux. Le jeu vidéo est le tronc principal depuis le début mais j’ai eu d’autres pôles d’attractions. Des centres gravitationnels comme l’illustration, l’animation, le cinéma qui ont fait que tout en restant dans le jeu vidéo je me suis parfois spécialisé dans des domaines bien précis. Quand j’ai commencé sur Oric en 1983, les graphismes étaient très sommaires, programmer ces jeux là était bien plus simple. J’ai évolué avec la progression technologique. Au début je réalisais tout. J’étais très attiré par les jeux d’arcade que je recréais. Et puis petit à petit je me suis découvert une passion pour l’illustration, l’image, la peinture, et quand il y a eu la période Atari, Amiga, j’ai commencé à buter en programmation. Je me sentais un peu largué, je me suis retrouvé dans une situation où je ne pouvais plus tout créer. Il fallait que je prenne une décision : m’orienter vers la programmation ou vers l’image. Et je me suis orienté vers l’image. C’est comme ça que je suis devenu graphiste pendant un certain temps. Et quand j’ai suffisamment dominé le sujet, à l’époque des Voyageurs du temps, je me suis remis à la programmation. Another world est ainsi né d’un ensemble de compétences. Il y a eu une synergie de l’ensemble des passions qui m’avaient traversé depuis que je m’étais intéressé au jeu vidéo. Illustration, animation, le cinéma, le montage se sont cristallisés dans Another world.
Bliss : Another world avait un feeling cinématographique bien en avance sur son temps. A quel point était-ce volontaire ?
Éric Chahi : C’est vrai que le cinéma est très présent avec le montage de l’introduction, mais en réalité -malgré les quelques changements de plans ponctuels- cette sensation perdure pendant le jeu parce qu’il a une structure cinématographique. Il a un rythme, des rebondissements, une mise en scène dans le jeu sans forcément des changement de plans. ça caractérise vraiment Another world. Si on enlève la séquence d’introduction, je trouve qu’il garde son essence cinématographique. Même s’il a aussi été fait d’improvisations, quand j’ai programmé les premières scènes sans savoir comment le jeu allait se terminer, j’ai structuré la manière dont les choses sont révélées au joueur. C’était voulu. Il y a bien quelques gros plans et recadrages mais ce sont d’avantage des ponctuations qui ne cassent pas l’interactivité. Dans Heart of darkness, justement, les séquences de type cinématographiques étaient fluides mais trop longues et nuisaient à l’interactivité du jeu. Je ne suis pas un fan des cinématiques dans les jeux je trouve que c’est chercher à imiter le cinéma au détriment de l’interaction qui définit vraiment le jeu vidéo. En tant que joueur je ne suis pas trop fan des jeux avec des longues séquences où on ne fait rien du tout. Sur Another world j’ai énormément travaillé sur le ressenti. Je prenais du recul par rapport à la création du jeu et j’essayais de le vivre comme quelque chose de neuf et après j’écoutais ce que ça donnait par rapport à ce que je voulais communiquer. C’était un peu schizophrène comme approche, être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du jeu.
Bliss : La notion de coopération, un mot devenu marketing, où deux personnes dans le jeu s’entraident pour faire des choses, descend aussi d’Another world, non ?
Éric Chahi : Dans les jeux de guerre ? Je ne crois pas. La coopération entre les deux personnages d’Another world est assez émotionnelle. Alors que les jeux de guerre héritent de l’aspect sportif. N’importe quel jeu d’équipe a plus d’influence sur ces jeux qu’Another world. Quand j’ai créé Another world, je n’avais aucune idée du succès qu’il allait rencontrer (400 000 exemplaires vendus environ). Mais par contre j’étais bien conscient qu’il y avait des éléments nouveaux : il n’y avait aucun score à l’écran, alors que la plupart des jeux affichaient le nombre de vies, les points, les jauges d’énergie, etc. Et il y avait l’aspect cinématographique, le côté mise en scène. C’était les deux points dont j’étais conscient. La relation entre Lester et l’ami extra-terrestre c’est faite en revanche un peu spontanément. Pendant longtemps, cet aspect là ne m’a pas semblé très novateur ni important. Avec le recul, c’est vrai que c’est une des caractéristiques du jeu qui apporte beaucoup de sens à l’ensemble de l’expérience. Je me suis rendu aussi compte qu’Another world avait marqué des joueurs mais aussi des développeurs. Mais j’ai un regard critique, il a marqué mais je ne l’encense pas. Il a ses qualités mais aussi ses défauts. (…)
Propos recueillis par François Bliss de la Boissière
(Publié en février 2007 sur Chronicart.com)
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La différence entre une œuvre inspirée et une réalisation réussie est de l’ordre de celle qui distingue Ocarina of Time de son descendant appliqué Twilight Princess. Un chef d’œuvre et son ombre. Réflexions en direct d’Hyrule.
Malgré tout le capital passionnel qu’il véhicule avec raison depuis 20 ans, le dernier – nouveau – Zelda laisse beaucoup plus froid, voire indifférent, que ses prédécesseurs. Pourtant, la presse unanime valide avec des notes « osant » ou frôlant le 10/10 la descendance avouée avec Ocarina of Time, chef d’œuvre désormais incontestable, mais que peu en dehors d’Overgame (Bliss donc, NDR 2015) et du magazine Edge ont osé porter aux nues dès la sortie en 1998 (10/10). Puisqu’en terme de contenu (durée, nombre de donjons, multitude de taches annexes) et de finition technique, ce Zelda offre plus de jeu à jouer que son référent Ocarina of Time, la quantité impose aux observateurs attitrés et défenseurs du gamer consommateur, le raisonnement du « value for money ». Et l’argument tient si l’on reste au niveau du jeu loisir, de la distraction durable, de l’amortissement de son prix d’achat. Mais, quitte à froisser quelques certitudes, les jeux Zelda, jusqu’à aujourd’hui, se sont toujours élevés au-dessus de leur condition jusqu’à titiller, selon l’appréciation de chacun, des cimes interactives indistinctes auparavant et aussitôt en manque de définition, de description, de vocabulaire.
En quête d’inspiration
En bref, quoi qu’inspiré par tous les précédents Zelda, Twilight Princess manque cruellement d’inspiration. Si les jeux Zelda se sont volontiers laissés influencer, même sous forme de clins d’œil, par les tendances du moment (les phases d’infiltration de Link dans Wind Waker), jamais ils n’ont aussi explicitement évoqués la concurrence sans, en parallèle, aller plus loin. Au point qu’il s’avère difficile de départager les hommages haut de gamme de l’absence d’idées propre. La mémoire reste ainsi davantage marquée par le Boss du Temple de l’eau que par les autres parce qu’il ressemble ouvertement à l’un des colosses de Shadow of The Colossus. Les créatures noires aux formes indistinctes en provenance du royaume du crépuscule évoquent, elles, les monstres de fumée de Ico, la première œuvre de Fumito Ueda et Kenji Kaido. Comme il a été dit précédemment, il reste inutile de comparer point par point les similitudes entre ce Zelda et l’Ovni Okami de Clover Studio sauf à rester stupéfié qu’un émule comme Okami innove et fasse mieux que son maître Zelda, avant lui, sur une console PlayStation 2 moins puissante, aussi bien d’un point de vue graphique et conceptuel que dans l’utilisation du loup, nettement plus gracieuse.
Après la surprise et les quelques émois du retour dans les lieux familiers, transformés et agrandis, du monde d’Ocarina of Time, le village Kakariko, le lac Hylia, le désert de Gerudo ou le domaine des Zora, ce dernier Zelda transformé en pèlerinage fait regretter qu’il fonctionne plus sur la nostalgie que sur la mélancolie.
L’ombre de lui-même
D’où surgit la petite Midna quand on appuie sur le haut de la croix de la Wiimote dans ce Zelda devenu Wii ? De l’ombre de Link couchée à ses pieds. Planquée à l’affût dans les coulisses des agissements du héros, celle-ci s’arrache brusquement à sa servitude, se détache du sol, s’anime et prend la forme de Midna alors devenue une silhouette provisoirement autonome. Cette jolie trouvaille symbolise, de façon assez tordue d’ailleurs, les limites de ce Twilight Princess, double respectueux de Ocarina of Time offrant au joueur un menu « supersize » plus bourratif que raffiné.
Link, le robot
Compilation presque exhaustive de toutes les interactivités inventées par ses aînés, ce Zelda cumule les mécaniques de jeu et s’empêtre dans une froideur justement mécanique. Un Link discipliné, accomplissant sans faillir les épreuves et prouesses que l’on attend de lui depuis toujours, mais un Link robotique que même la présence à ses côtés, ou en lui, d’animaux (loup, faucon, cheval, singes, sangliers, nintendogs and cats) ne rend pas plus vivant ni même humain. Le style graphique de Wind Waker semblait une prise de risque artistique inutile à l’époque sur GameCube mais confirme, maintenant que le monde reçoit le Link pseudo réaliste réclamé, que la sincérité et la vérité du personnage existe dans l’enfance, son enfance.
Les limbes des origines
Link a un syndrome de naissance que Twilight Princess met à jour : il ne pourra et ne devra sans doute jamais être adulte. C’est toute la difficulté et l’ambivalence de ce Twilight Princess de chercher à l’être un peu, puisque la communauté le demandait, mais qui coince toujours malgré tout Link dans l’adolescence. Les signes d’une volonté de sortir des limbes, de s’auto accoucher sont pourtant là. Le seuil entre le monde de la lumière et celui du royaume du crépuscule se concrétise sous la forme d’un gigantesque triangle noir tiré tel un rideau au milieu du chemin, une « origine du monde » encore plus mystérieuse et inquiétante de près car couverte d’indéchiffrables signes cabalistiques. Pour y pénétrer, le Link fondamentalement incapable de devenir adulte, doit impérativement se transformer en loup, comme si tout acte de virilité assumé, y compris celui de l’apparition d’un système pileux, devait passer par une mutation alien. Même ainsi masqué en loup, Link doit subir, avant de franchir le pas, les railleries et avertissements quasi castrateurs d’une Midna qui renvoie à l’angoisse ressentie par le jeune mâle pubère devant la gente féminine. Une fois à l’intérieur, le loup Link utilise ses sens pour suivre, dans le tunnel obscur et claustrophobe que provoque son odorat, un filet rose le conduisant à des enfants qu’il doit libérer, arracher à l’obscurité, faire revenir à la vie. Cette mystérieuse symbolique utérine cristallise-t-elle l’impossibilité génétique de Link de passer à l’âge adulte malgré toutes les incitations ? Ou symbolise-t-elle, en général, pour une fois de façon plus sexuée, la difficulté de grandir ? A moins qu’il s’agisse là d’une aspiration à peine formulée aussitôt avortée, d’accoucher une bonne fois pour toute de son enfance.
Éternelle enfance
A décrire, les aventures de Link n’ont rien d’exceptionnelles. Quoi de plus banal qu’un jeune héros, que rien ne prédestinait, sauvant royaume et princesse épée à la main ? La majorité des RPG japonais s’appuie sur ce canevas. Pourtant, quand le petit personnage sort de sa maison en pleine nuit sous la pluie au début de A Link to The Past, ou s’embarque sur l’océan à bord de son frêle esquif dans The Wind Waker, l’émotion émerveillée ressentie par le joueur n’est pas accessible qu’aux enfants. Avec les jeux Zelda, Nintendo a réussi une manipulation tout à fait magique de la position du joueur-spectateur. Le jeu glisse si bien le joueur dans les petits souliers de Link que tous les dangers, mystères et clichés héroïques qu’un adulte devrait balayer d’un geste réducteur sont vécus avec la même importance et gravité premier degré qu’on imagine un enfant éprouver devant l’épreuve. Le joueur traverse l’aventure à la hauteur de l’enfant Link. Ni débilitantes ni infantilisantes, les aventures de Link communiquent au joueur des émotions puisées dans l’enfance sans pour autant lui enlever sa maturité d’adulte ou de jeune adulte. On le sait, les péripéties de Link sont ainsi nées des souvenirs d’enfance de Shigeru Miyamoto lorsqu’il s’amusait dans les bois, et tous les jeux Zelda ont continué à développer cette qualité émotionnelle qui ne peut être vécue que par un enfant. Quelles émotions devraient provoquer un Link devenu vraiment adulte ? Pourraient-elles encore être fidèles aux souvenirs de jeux d’enfance de Shigeru Miyamoto à l’origine de la saga ? Les tentatives de transformer Link en jeune adulte n’ont été jusque là que temporaires voire masquées. Et celle, plus affirmée, de Twilight Princees, prouve la sècheresse que provoque sur le jeu la mutation.
Jeux de masques
Dans Ocarina, un Link enfant et un Link presque adulte cohabitaient alternativement, mais, telle une aspiration à devenir avant l’heure, le Link presque adulte était fantasmé, irréel, comme une projection probable du futur, non une affirmation du présent. Majora et son monde parallèle, faisait évoluer uniquement le petit Link enfant. En mutation, peut-être en quête d’identité parce que englué dans ce corps de garçonnet, celui-ci ci enfilait de nombreux masques et se transformait en toutes sortes d’entités. Au fond, Nintendo esquivait ainsi déjà le passage à l’âge adulte de Link. Avec son rendu en toon-shading Wind Waker assuma ouvertement une stagnation dans l’enfance. Elle fut décriée à l’époque mais finalement plus en accord avec l’origine du héros et, ce que l’on finit par comprendre en traversant avec une indifférence inquiétante Twilight Princess, sa vibration intérieure. Le Link adulte, qui ne l’est d’ailleurs toujours pas vraiment dans Twilight, ne saurait exister sans perdre sa raison d’être en tant qu’aventure interactive émotionnelle. Si Link devenait vraiment une personne adulte, tout son univers, celui d’Hyrule, ses grottes, ses fées, ses châteaux féodaux, n’auraient plus aucun sens. La charge émotionnelle, la candeur nécessaire du héros et du joueur embarqué dans l’aventure ne fonctionnerait plus. Il faudrait inventer un autre monde, plus vrai, moins fantasmé, moins contes et merveilles, moins naif. Link deviendrait alors un Conan, un Aragorn du Seigneur des Anneaux, ou même un Dante de Devil May Cry ajoutant un canon scié à son Excalibur.
Le QI entre deux chaises
Œuvre tout de même complexe, ce Zelda retrouve aussi la tradition plus fine des niveaux de lecture toujours intrigante puisqu’il est, encore une fois, impossible de distinguer les intentions volontaires ou inconscientes des créateurs. Le mot Twilight du titre par exemple, littéralement, le demi-jour, le clair-obscur, ou plus simplement, le crépuscule, évoque un entre deux. Un moment suspendu entre deux lumières, deux états. Un mot plein de mystère parfait pour décrire le destin suspendu du royaume d’Hyrule (éclairé) menacé par les ténèbres, comme celui de Link, tantôt jeune homme, tantôt loup, ou même de la petite Midna puisque en cours d’aventure, l’esprit de la princesse Zelda l’habitera.
Twilight, le crépuscule, l’heure entre deux, entre chien et loup (!), mais aussi, concernant le logiciel de jeu : entre deux consoles, la GameCube et la Wii, entre deux ères, celle d’avant et celle du futur que l’interface de la Wii esquisse. Dans le cas de la console Wii, il semblerait que l’entre deux soit plutôt du côté de l’aube que du crépuscule. La console blanche célèbre la naissance d’une interactivité et laisse sans doute derrière elle quelque chose comme l’obscurantisme moyenâgeux des balbutiements interactifs. Cet état intermédiaire souligné de toute part par Twilight Princess rappelle très explicitement que le nom de baptême de Link signifie toujours chaînon manquant, le maillon intermédiaire entre deux évolutions du temps, de la matière ou de l’esprit.
Wii, mais…
Bien entendu, la greffe tardive réussie de l’interface de jeu Wiimote + Nunchuk offre à ce Zelda le petit plus innovant qui lui permet d’être à la hauteur de la lignée. D’un point de vue technique et ergonomique, le jeu est quasi sans faille et l’on comprend, après quelques chevauchées à bride abattue et sabre au clair sur les plaines d’Hyrule que les contours au couteau de l’horizon et les textures peu détaillées sont au service d’une fluidité irréelle. Les limites graphiques auto imposées par Nintendo (pas par la console qui doit pouvoir faire mieux si l’on se rappelle le chatoyant Starfox Adventures de Rare aux premières heures de la GameCube) permettent à Link de se battre avec de nombreux ennemis à l’écran, de les faire exister très loin dans l’horizon (goblins, rapaces et autres bizarreries de la nature sauvage). L’accès instantané à un équipement plus copieux que jamais comme aux transformations immédiates en loup en disent long sur l’orientation du travail de Nintendo. Tout est au service de l’ergonomie, de la véracité des gestes et de l’instant. A ce titre, et à celui de la conception des donjons (même quand leur résolution est trop technique), Twilight Princess est sans égal et conforme à la philosophie Nintendo qui affirme et démontre avec la Wii que le jeu est plus dans le geste que dans l’apparence. Mais Zelda reste un cas à part. Jusqu’à cet épisode bâtard entre la GameCube et la Wii, les jeux Zelda ont toujours proposé, de la 2D à la 3D, une fusion cohérente et hors norme entre une interactivité fignolée et des visuels repoussant les limites attendues, dans son propre univers (les plaines de OoT, l’océan de WW) et dans le contexte technologique de la console du moment. Sur Nes comme sur SuperNes et N64. Même le doublon Majora’s Mask sur Nintendo 64 profitait, à son détriment vu les ralentissements, de l’Expansion Pack ajoutant un surcroit de puissance d’affichage au jeu. Tout au service de son optimisation fonctionnelle, la nature figée du royaume d’Hyrule fait regretter les palpitations du monde terrestre et maritime de Wind Waker où le vent prêtait vie au moindre brin d’herbe sur une GameCube alors au firmament. Contrairement à tous ses prédécesseurs, précurseurs tout en restant fidèles à leurs origines, ce Twilight Princess regarde tellement vers le passé, que même les incursions technos du royaume du crépuscule (où la technologie du futur représente LA menace de l’ordre des choses immuables) ne permettent pas d’apercevoir le futur de Link. A moins que la puissance graphique d’une Wii 2 alliée à une Wiimote next-gen réinsuffle la vie qu’il manque désormais cruellement au monde d’Hyrule. Rendez-vous dans cinq ans ?
François Bliss de la Boissière
(Publié le 22 décembre 2006 sur Overgame.com)
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Des anciennes célébrités comme Robert Duvall ou James Can, aux méconnus Ron Perlman ou Michael Wincott, du culte Michael Madsen aux obscurs acteurs de séries TV, l’armée des ombres d’Hollywood infiltre le jeu vidéo. État des lieux, part. 3…
Hollywood du pauvre
Quand un éditeur comme Electronic Arts annonce en fanfare que « les plus grands talents d’Hollywood composent le casting de Command & Conquer III », un RTS, il faut lire ensuite entre les lignes que les dits acteurs jouent sur les séquences vidéo, que ceux-ci, pas si célèbres, sont cités bien après les films ou les séries TV où ils ont participé. Pour les cinématiques ou pour les séquences interactives, le jeu vidéo emploie en réalité depuis plusieurs années une foule sans cesse grandissante d’acteurs de seconds plans, prêt à cachetoner pour prêter leur voix, mal dirigés en l’absence flagrante de sérieux directeurs d’acteurs et, à l’oreille, peu motivés malgré leur talent naturel. Des jeunes, Michelle Rodriguez, Halo 2, comme des vieux, Kris Kristofferson, Gun. « Il faut bien nourrir sa famille » nous avait confié en toute ingénuité américaine le pourtant toujours excellent Ron Perlman (La Guerre du feu, Alien: Resurrection) en 2004 lors de la promotion du film Hellboy où il avait, enfin, humble et heureux quoique que grimé en diable rouge, le premier rôle. Précurseur sur le créneau et représentatif de cette population sans corps mais entendu dans des dizaines de séries animées de la TV, Perlman a participé à 17 jeux depuis 1995 dont les Fallout et Les Chroniques de Riddick avec Vin Diesel. Trogne ingrate pour l’écran, âge trop avancé mais voix toujours imposante suffisent à retrouver un acteur en train de donner de la voix dans un jeu vidéo. La machine à cracher du dollar qu’est devenu le jeu vidéo réussit même à se payer la participation de pointures moins has been que d’autres comme Robert Duvall ou James Caan sur Le Parrain (mais Al Pacino, toujours au premier plan, n’a pas participé à la version Interactive de Scarface). Et si Michael Madsen, célèbre pour manger à tous les râteliers, est venu rejouer les Mister Blond dans la version interactive de Reservoir Dogs, il est bien le seul. Enregistrés en quelques demi journées, soumis à des contraintes techniques drastiques comme le time code qui minute à tous prix le dialogue et malgré la présence de vétérans du cinéma, de la télévision et du doublage, les performances d’acteurs n’existent pas dans le jeu vidéo ou, comble, elles sonnent faux. Et quand une performance vocale sort exceptionnellement du lot comme celle du Prophète de la Vérité de Halo 2, tout le monde croit reconnaître la voix de John Hurt (Alien, V pour Vendetta) alors qu’il s’agit de Michael Wincott (Strange Days, Alien: Resurrection). Les voix sont la plupart du temps désincarnées, peu appropriées à la scène, et on peut même douter que les comédiens aient vraiment l’occasion de se donner la réplique. La voix rauque de Michael Ironside en Sam Fisher dans Splinter Cell est, par exemple, d’une neutralité affligeante. Cela est dû en partie au procédé qui consiste à enregistrer des répliques, à l’intonation forcément passe-partout, destinées à être réutilisées dans de multiples circonstances du jeu (« bonjour », « tu vas mourir », « votre mission sera »…). L’artificialité de la présence des acteurs est d’ailleurs totalement confirmée avec les versions européennes des jeux qui, localisées dans le jargon, sont majoritairement doublées en VF. Seul le studio Rockstar laisse systématiquement et avec pertinence ses productions en VOST, et malgré le succès commercial et critique de cette politique d’édition, elle fait peu d’émule chez les autres éditeurs.
Plan sur plan plan-plan
Pire syndrome justifiant la présence de vrais acteurs dans des jeux vidéo, les versions interactives de quelques monuments du cinéma ne se contentent pas de proposer une extension interactive (toujours discutable) du film mais recopient presque plan pour plan des scènes du film, le plus souvent avec les voix d’acteurs de remplacement. Comme si l’on se mettait à faire des remakes live de dessins animés (Shrek ?) ou des remakes en images de synthèse de films avec de vrais acteurs (Certains l’aiment chaud ? A bout de souffle ?). Malin, tout en offrant sa bénédiction, Hollywood laisse l’industrie du jeu vidéo se torpiller elle-même avec ce procédé si cheap et si inutile qu’il ne peut que renvoyer le spectateur en salles ou devant son DVD. Le générique des Warriors (79) de Walter Hill est ainsi reconstitué à l’identique en vilaine 3D avec de hideux personnages virtuels. Des scènes célèbres du Parrain de Reservoir Dogs et de Scarface sont décalquées avec une gaucherie et une laideur ahurissante. Les thèmes musicaux originaux veulent aider à compléter l’illusion mais cristallisent surtout la candide bêtise de la démarche. Sega vient de signer avec la Fox pour ressusciter la franchise Alien sous la forme de deux jeux, un FPS et un RPG. Naturellement, Sega va chercher à faire participer Sigourney Weaver et Lance Henriksen. Bien qu’il n’arrêtent pas de travailler, la carrière des deux acteurs ne fait plus les têtes d’affiche. Leur collaboration devrait donc facilement être acquise et puisque le premier jeu n’est pas prévu avant 2009 (!) on peut espérer que le jeu vidéo et le cinéma ait réussi à s’inventer d’ici là un vrai terrain d’entente créatif. La participation active de la Sigourney Weaver déjà productrice avisée des deux derniers films Alien pourrait, devrait, être un plus.
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Depuis longtemps déjà certains concepteurs de jeu jouent en douce aux metteurs en scène de cinéma à travers leurs jeux vidéo. Récemment, ce sont des cinéastes accomplis qui se rêvent réalisateurs de jeu. État des lieux, part. 2…
Apprentis sorciers
Il n’y a pas que le jeu vidéo qui se fasse infiltré par un autre médium comme le cinéma. Presque aussi digital que le jeu vidéo, le cinéma à effets spéciaux se laisse lui aussi influencer plus ou moins maladroitement par l’ère numérique entre les mains des cinéastes de la génération interactive ou voulant faire moderne. Pour des résultats plus contre nature que satisfaisant. Quand quelques cadrages empruntés à Metal Gear Solid ou clins d’œil complices à Soul Calibur font sourire dans le film Le Pacte des Loups de Christophe Gans en 2001, son adaptation cinématographique trop littérale et vide de toute émotion (ni peur ni empathie) du jeu Silent Hill fait pleurer. Le cinéma récent emprunte ainsi au jeu vidéo des mouvements de caméra impossibles « en dur » comme les travellings invraisemblables qui survolent des millions de soldats pour venir filmer un point minuscule d’un gigantesque décor avant de repartir vers un horizon infini. Des aberrations physiques qui fonctionnent bien dans Un Seigneur des Anneaux fantasmatique mais nuisent aux reconstitutions à vocation réaliste comme le Alexander d’Oliver Stone (2005). Contrairement au cinéma qui, jusqu’à ces dernières années, construisait le décor de façade nécessaire et suffisant au cadre prédéfini de la caméra, le jeu vidéo se fabrique des décors complets à 360° sans avoir besoin de penser où sera la caméra puisque, avant tout, le joueur lui-même y pénètrera avec son avatar ou, immergé jusqu’au cou, en vue subjective. Une fois l’environnement virtuel construit, la caméra, toute aussi immatérielle, peut s’installer n’importe où. Évidemment, au lieu de valoriser l’espace, les game designers s’amusent comme des petits fous avec leur nouvel outil de liberté et, loin de l’habile cinéma qui sublime tout avec peu, diminuent l’impact de ce qu’ils veulent montrer au lieu de l’amplifier. Depuis longtemps déjà le jeu vidéo aurait dû faire appel à des cinéastes pour mettre en scène ces séquences ou, au minimum les storyboarder. Mais comme pour le scénario et les dialogues conçus de façon tout aussi amateur, officiellement pour des raisons de budgets mais surtout, par orgueil et culture artisanale persistante de l’homme orchestre, développeurs et éditeurs en font l’économie.
Et quand un réalisateur de jeu vidéo multitalentueux comme Hideo Kojima se laisse aller à de longues séquences non interactives dans ses Metal Gear Solid (trailers fameux ou même, in game), la virtuosité de ses mises en scène révèle surtout un amour immodéré du cinéma qui n’a fondamentalement plus rien à voir avec le jeu vidéo. Dans un MGS, des épisodes cinéma-manga succèdent à des séquences de jeu, et inversement. Le collage peut réjouir mais ne fait que renvoyer les deux médiums dos à dos. En cherchent à briser la passivité du spectateur en réinjectant une interactivité surprise et ponctuelle dans des séquences non interactives, les QTE (Quick Time Event) inventés par Shenmue (Dreamcast, 1999) sont peut-être recevables en tant que jeu vidéo quand ils se rapprochent assez du système des combos (enchaînement rapide d’actions sur des boutons) comme dans God of War, mais descendent aussi du malfamé et binaire Dragon’s Lair quand il s’agit d’appuyer sur un bouton pour enchaîner, ou non, sur l’événement suivant, comme le maquille fort bien Resident Evil 4. En 1981, le cinéaste alors trash John Waters avait proposé avec son film Polyester un procédé de visionnage en Odorama interactif digne du label QTE : une icône sur l’écran signalait au spectateur le moment de gratter telle ou telle surface d’un carton à renifler en regardant les images.
Fusions forceps
John Landau, proche collaborateur de James Cameron, explique pour justifier le rapprochement inévitable du cinéma et du jeu vidéo que, dorénavant, le cinéaste titanesque envisage de travailler sur un plateau totalement virtuel, y compris avec des silhouettes digitales. Il est suggéré ici que Cameron répétera tout son film en numérique avant de décider comment le filmer. David Fincher (Panic Room, 2002), autre cinéaste à l’avant-garde digital, utilise depuis longtemps lui-même l’image de synthèse animée pour, en particulier, remplacer le storyboard dessiné traditionnel. Et, dans un mélange de réticences et d’enthousiasme, Steven Spielberg – dont la scène du débarquement de son Soldat Ryan (98) a provoqué toute la vague de jeux de guerre en vue subjective de Medal of Honor à Call of Duty et qui travaille sur trois jeux « inédits » avec Electronic Arts – vient de se mettre lui aussi au storyboard digital numérique avec La Guerre des Mondes. Le décor de synthèse en 3D du film Avatar de James Cameron doit pouvoir servir au jeu vidéo en ligne et multijoueur. « Les films et les MMO (comme World of Warcraft) ne sont pas très différents » affirme John Landau. Pour lui, la création « physique » d’un monde virtuel suffit à faire le rapprochement entre les deux médiums. Une appréciation évidemment toute personnelle. Les MMO sont une branche très particulière et assez paresseuse du jeu vidéo puisqu’il s’agit fondamentalement d’offrir un terrain d’exploration virtuel sans limite d’espace et de temps réel où les joueurs errent rythmés par leurs rencontres et, essentiellement, leurs affrontements à l’aide de quelques outils interactifs (armes, gestions d’objets, interface de communication…). Les fameux Sims, ou même les MMO, sont plutôt au jeu vidéo ce que la télé réalité (Loft Story) est au cinéma. Bien qu’interactif et nécessitant la participation active du joueur, le jeu vidéo au sens plein est pourtant bel est bien un moyen d’expression, un art. Il a besoin d’un auteur pour lui insuffler une personnalité qui s’exprime non seulement dans l’apparence mais dans les rouages de l’interactivité, celle là même qui singularise totalement l’expérience jeu vidéo pendant qu’elle ne cesse, de Tetris ou Rez à Gears of War ou Super Mario Galaxy sur Wii, de repousser ses limites. L’espace, le temps, le degré de réactivité, les changements de rythme, la présence physique du monde et des codes de conduites associés, les personnages jouables ou non, sont autant d’instruments avec lesquels un jeu vidéo doit jouer sa musique originale. Même si le fameux qualificatif « bac à sable » essaie de résumer une forme de liberté d’agir dans le jeu vidéo, il ne faut pas le confondre avec une absence de contrôle des mécanismes de jeux. Au contraire.
Incestes
Assez curieusement, l’introduction du virtuel dans le cinéma lui enlève chaque jour de sa sincérité et, à l’inverse, et même laborieusement, l’arrivée des acteurs dans le jeu vidéo, donne un peu plus de réalité au jeu vidéo. Les deux médiums se rejoignent donc en effet quelque part sur un terrain un peu commun à mi chemin du réel et du virtuel et c’est peut-être à ce carrefour que James Cameron et Peter Jackson croient possible d’attraper une nouvelle essence. Les deux médiums peuvent effectivement profiter l’un de l’autre pour explorer un peu plus leur condition mais c’est forcément une erreur de croire, pour résumer, qu’il manque l’émotion cinéma au jeu vidéo et l’interactivité au cinéma et que d’une fusion des deux médiums surgira une entité plus efficace ou plus légitime. La fusion artistique semble pourtant possible entre jeu vidéo et cinéma pour Lorne Lanning qui après dix ans de jeu vidéo Oddworld (Abe, Munch, Stranger), se tourne, à l’inverse de la tendance, vers le cinéma pour mettre en scène son film Citizen Siege (jeu également), mais « elle viendra des créateurs indépendants, pas des grosses entreprises » (studios de cinéma ou éditeurs de jeux vidéo) précise-t-il dans le mensuel Chronic’Art (31, décembre 2006). Il faudra bien tout le talent de créateurs innovateurs comme James Cameron et Peter Jackson pour dépasser des syndromes de la convergence que le cinéma et le jeu vidéo ont déjà connu avec, notamment, le tristement célèbre Dragon’s Lair (en arcade sur disque laser dès 1983), un dessin animé où il fallait appuyer de temps en temps sur un bouton pour déclencher une séquence, ou les risibles « jeux » psychorigides intégrants des séquences vidéos (FMV) vaguement interactives (Night Trap, 1994). Les amateurs de cinéma et les gamers se toisent déjà les uns les autres avec circonspection et même, souvent, un mépris silencieux. Aussi cousins qu’ils soient, comme le démontre chaque adaptation vulgaire d’un film en jeu ou d’un jeu en film (ou directement en DVD comme le seront les prochaines, et sans doute désolantes productions de Uwe Boll : Bloodrain 2, Alone in the Dark 2…), tout amalgame malheureux entre le jeu vidéo et le cinéma prend le risque de les transformer plus durablement en frères ennemis. Au delà du tabou qualifié d’inceste, marier les membres d’une même famille est médicalement prohibé pour éviter la naissance d’un être consanguin fragile voire, génétiquement, dégénéré. Que le cinéma et le jeu vidéo partagent leurs ressources semble naturel, mais pour garder leur intégrité réciproque n’auraient-ils pas plutôt intérêt à rester à distance ?
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Après les frères Wachowski, Vin Diesel, John Woo et Steven Spielberg, Peter Jackson et James Cameron se mêlent aussi de faire du jeu vidéo. L’ambition grimpe, pourtant, jeux et cinéma continuent de se faire du mal. État des lieux, part. 1…
Les frères Wachowski y ont cru avec Matrix. Vin Diesel aussi, à sa manière avec Les Chroniques de Riddick et, bientôt, The Wheelman, et John Woo, fâché de se faire piller, s’y jette aussi en personne avec Stranglehold. Et Spielberg, bien sûr, s’en mêle jusqu’au cou. Maintenant c’est au tour de James Cameron et Peter Jackson de s’y engager. Mais d’où vient cette fausse bonne idée que, cousins, jeu vidéo et cinéma doivent fondre l’un dans l’autre ?
La quête de l’essence
Après des années de cohabitation maladroite faite de copiés-collés commerciaux, le cinéma et le jeu vidéo entament une nouvelle collaboration qui ne cherche plus seulement à transposer chaque médium dans l’autre mais à, semble-t-il, fusionner. Avec des nouveaux parrains comme James Cameron et Peter Jackson la sincérité de la démarche ne se discute pas. Mais qu’en est-il exactement ?
De retour des abysses, James Cameron travaille depuis un moment déjà à un projet cinématographique baptisé provisoirement Avatar, une love story au cœur d’une guerre interplanétaire. Fervent défenseur du cinéma tout digital, Cameron devrait tourner son film avec de nouvelles caméras 3D et rêve de projections idoines. En parallèle, il s’est associé à la société Multiverse fondée en 2004 par des anciens ingénieurs de Netscape, spécialisée dans la création de jeux massivement multijoueur en ligne, pour créer un monde persistant (MMOG) à partir du même univers que son film.
Peter Jackson de son côté, qui s’ennuie, dit-il, au cinéma au point, aujourd’hui, d’apprécier d’avantage les jeux vidéo, est monté sur la scène du Théâtre de Catalogne à Barcelone pendant la manifestation X06 de la division jeux de Microsoft en septembre dernier pour rappeler que non seulement il continuait de produire le film Halo (projet abandonné en octobre suite au désengagement financier de la Fox et de Universal) et participait aux prochains jeux de la série, mais qu’il allait tenter de créer une œuvre de loisir encore innommable qui serait ni du cinéma ni du jeu vidéo ou, évidemment par déduction, un peu des deux à la fois.
Une initiative saluée par Yves Guillemot, PDG d’Ubisoft : « L’alliance des industries du cinéma, des effets spéciaux numériques et du jeu vidéo est une bonne chose. C’est le bon chemin pour apporter plus d’émotions dans le jeu vidéo, ces types (cinéma et effets spéciaux) savent comment créer de l’émotion et ils vont aider notre industrie à y parvenir. »
De l’utopie au mirage
L’espèce de fusion artistique – la commerciale on la connaît, à quelques exceptions près (King Kong, Riddick) les adaptations de films en jeux sont une impasse créative – que veulent tenter de tels cinéastes révèlent surtout la méconnaissance de l’essence, il est vrai insaisissable, du jeu vidéo.
Sans prétendre se substituer à ces forces créatives autant artisans-ingénieurs-inventeurs de leur métier que visionnaires qui ont largement fait leurs preuves au cinéma et qui peuvent fort bien accoucher d’œuvres impensables avant leurs naissances, une lucidité hors commerce voudrait tout de même faire quelques observations et rappeler quelques fondamentaux que les pourtant très connaisseurs frères Wachowski n’ont eux-mêmes pas respecté en se contentant d’insérer des séquences de film inédites dans le jeu vidéo Enter The Matrix qui devait concrétiser la synergie ultime entre le cinéma et le jeu vidéo. Le résultat catastrophique reste en mémoire. Parce que le jeu vidéo contemporain partage avec le cinéma les images qui bougent, la musique, les bruitages et, de plus en plus, les effets spéciaux et les comédiens, on croit en déduire une filiation qui n’aurait pas encore maturée en un hypothétique potentiel. L’intimité certes existe, de plus en plus d’artistes et de techniciens travaillent dans l’un et l’autre milieu et apportent forcément leur savoir faire. Le compositeur Harry Gregson-Williams, par exemple, doit sa plus grande célébrité à la BO des jeux Metal Gear Solid alors qu’il a composé plusieurs dizaines de scores de films à succès, dont Shrek et Kingdom of Heaven. Après la réussite du jeu vidéo Les Chroniques de Riddick s’insérant habilement entre les épisodes du grand écran de la saga Riddick, l’acteur-producteur Vin Dielsel, amateur avisé de son image et de jeux vidéo – il a créé le studio de développement Tygon Studio – continue sur sa lancée et développe en parallèle le film et le jeu The Wheelman dont il est la vedette. Agacé, nous dit-on, de voir le jeu vidéo emprunter maladroitement ses fameux guns fights au ralenti (Max Payne ?), John Woo a décidé de s’impliquer lui-même dans la réalisation du jeu Stranglehold présenté comme la suite directe de son célèbre film Hard Boiled (A toute épreuve, 92), l’acteur principal Chow Yun-Fat y reprend d’ailleurs son rôle. John Woo dirige apparemment l’histoire, les placements de caméra et les cutscenes. Après avoir décliné de justesse la réalisation du film Halo, Guillermo Del Toro devient consultant sur deux projets de jeux, dont un nouveau Hellboy. Contrairement à l’ambition affichée de Peter Jackson et James Cameron, ces collaborations et échanges de compétences dépasseront sans doute, grâce à quelques talents, le simple portage d’un produit vers l’autre mais resteront dans le domaine déjà cadrés du cinéma d’un côté et du jeu vidéo de l’autre.
Théâtres virtuels
L’arrivée de la 3e dimension a fait passer le jeu vidéo du théâtre 2D de marionnettes où le joueur intervenait toujours du même point de vue du spectateur face à une estrade (voir à cet égard l’énorme clin d’œil conceptuel des combats au tour par tour sur scène de Paper Mario: The Thousand-Year Door sur GameCube) à un spectacle nouveau qui utilise, en effet, des outils propre au cinéma comme les placements et déplacements de caméra et les dialogues entre personnages. Sur ces deux points là le jeu vidéo moderne échoue à être crédible parce que, justement, il ignore les bases de la syntaxe cinématographique ou s’y essaie avec maladresse et peu d’inspiration. Les premiers Resident Evil jouaient admirablement la carte cinéma avec des plans fixes choisis en fonction de leur angle dramatique mais prêtaient aux protagonistes de l’aventure des voix terriblement inappropriées. Pour faire vrai et communiquer de l’émotion avec l’information « utile » qu’elle fait transiter, une discussion entre deux ou plusieurs personnages nécessite une mise en place particulière dans le décor, un montage alterné de plans avec des tailles et des cadrages très contrôlés aussi raccords que les directions de regards. Le cinéma a depuis longtemps défriché ce langage et les spectateurs du monde entier comprennent instinctivement sa grammaire, même dans sa plus simple expression lors d’émissions télévisuelles. En refusant, par ignorance, paresse ou économie, de se plier à ces codes « universels », et en attendant d’inventer, pourquoi pas, une autre manière de réaliser, le jeu vidéo ne fait que du très mauvais sous cinéma. Les scènes de dialogues s’éternisent dans des cadrages statiques ou des montages bancaux et la direction d’acteur n’existe pas sérieusement même quand des comédiens professionnels participent.
L’âme des marionnettes
Au cinéma, bien sûr, l’émotion et la crédibilité d’une scène s’appuient d’abord sur les comédiens auxquels le spectateur adhère ou s’identifie par empathie naturelle. Un avantage humanisant que le jeu vidéo ne rattrapera pas s’il veut garder son intégrité polygonale. La puissance de calcul des nouvelles générations de consoles ou du PC permet d’animer plus facilement les avatars virtuels, mais comme le prouve avec pertinence la démonstration d’une pure scène « Actor Studio » face caméra d’une actrice de polygone tirée du projet Heavy Rain du game designer français David Cage déjà sur la route de la fusion avec son jeu Fahrenheit, donner vie à une silhouette polygonale demande d’autres talents que la simple maîtrise technique, et une magie encore à inventer. L’échec commercial sans appel du film Final Fantas : Les Créatures de l’Esprit (2001) a tristement démontré que le public n’était pas, à froid, prêt à reconnaître l’humanité de personnages virtuels réalistes, même si tout ce qui est cartoon 3D en revanche séduit et si Peter Jackson et son studio Weta Digital ont réussi à convaincre avec des créatures virtuelles hybrides comme Gollum et King Kong. Si l’on utilise des outils du cinéma pour créer de la narration et de l’émotion (scénario, dialogues, acteurs) alors, oui, le savoir faire cinématographique reste indispensable et profiterait bien au jeu vidéo. Mais les meilleures œuvres interactives, les plus fortes émotionnellement, pour prendre ce critère qui manquerait au jeu vidéo, comme Ico et Shadow of The Colossus, Zelda et Okami, n’ont rien en commun avec le cinéma, à part, peut-être, la musique. Il en est ainsi pour les émotions à peine qualifiables générées par l’incidence interactive de jeux, réjouissants comme Super Mario Sunshine, ou angoissants comme Silent Hill 2 que, justement, l’adaptation cinématographique n’a pas réussi à retranscrire malgré toute l’application à restituer le contexte. Le jeu vidéo a déjà prouvé qu’il peut s’inventer une expérience complète, physique, cérébrale et émotionnelle au-delà, évidemment, du cinéma.
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En retard d’une année (2006 au lieu de 2005), dépassé pour la première fois par ses fils spirituels (Okami, Kaméo…), l’imminent Zelda Twilight Princess arrivait avec un profil bas inhabituel. Et en le faisant adopter sans ménagement l’interface Wii, Nintendo prenait le risque de couper le cordon ombilical reliant depuis vingt ans le jeu aux joueurs.
Un mois avant sa sortie fin 2006, Zelda Twilight Princess ne fait pas tellement parler de lui sauf, peut-être, auprès des plus passionnés qui envisagent, en guise d’alerte et pour se rassurer, au cas où, dans une valeur refuge, de faire l’acquisition de la version GameCube si le gameplay version Wii ne leur convient pas. Oui, une nouvelle aventure de Link s’apprête à sortir dans le commerce et, malgré un héritage sans égal, elle soulève plus d’inquiétudes que d’enthousiasme. Avouons-le, questionner la valeur d’un Zelda avant sa sortie fait désormais partie de la légende, ou du folklore. Moins par habitude que par réaction au mélange détonnant de mystère et de surprises qu’entretient Nintendo pendant les longues années de développement. C’est peut-être d’ailleurs cette remise en cause systématique du contrat de confiance avec les joueurs auquel Nintendo n’a pourtant jamais failli qui sacralise chaque Zelda dans le rôle de rescapé d’une catastrophe crainte par les joueurs et les médias spécialisés et donc, toujours, en miraculé.
Scepticisme de principe
Tant qu’il n’était pas joué par tous, le gameplay 3D de Ocarina of Time ne pouvait remplacer celui en 2D de A Link to The Past. Le cell-shading de The Wind Waker renvoyait Link dans un monde enfantin que personne ne voulait. Pourtant le miracle a lieu à tous les coups. La puissance d’évocation émotionnelle, les innovations de gameplay et la finition technique et artistique incomparables repoussent dans tous les Zelda les limites de ce que le jeu vidéo peut offrir. Au point de s’autoriser à frôler le hors jeu conceptuel avec le vertigineux Majora’s Mask et son éternel recommencement moebiusien à la complexité encore insondable. Le niveau qualitatif des Zelda est tel que chaque chapitre n’a jamais pu se mesurer qu’avec le précédent. Aussi prestigieux et réussis furent-ils, les descendants action-RPG d’une hypothétique lignée Zelda n’ont jamais réussi à s’immiscer dans la généalogie originale. Ni en 2D ni en 3D (1). Jusqu’à aujourd’hui.
Pseudo réalisme
Retrouvant une veine pseudo réaliste attendue par les gamers, le prochain Zelda sous-titré Twilight Princess aurait dû sortir fin 2005 avant que Nintendo ne décide brusquement de l’adapter à l’interface de jeu Wii et d’en faire l’évènement de la sortie de la console fin 2006. Les raisons exactes de cette mutation restent obscures. Le jeu tel qu’il se finalisait sur GameCube n’était-il pas, pour un Zelda, assez innovant au point de devoir lui ajouter la technologie de contrôle direct à l’écran de la Wii ? La concrétisation physique crédible d’un Zelda plus « photo réaliste » pose-t-il autant de problèmes que le réalisateur Eiji Aonuma – disparu des médias depuis plus d’un an – l’a laissé entendre lors de ses dernières sorties publiques mi 2005 ? Les avancées cette fois remarquables de la concurrence ont-elles poussé Nintendo à revoir sa copie ? Intrigantes, les démonstrations jouables versions GameCube en 2005 puis Wii en 2006 laissent plutôt circonspect. Les combats inédits à cheval sont un peu laborieux, comme l’exploration un chouia trop classique du village ou d’un donjon. Passé la surprise, les manipulations à la Wiimote se révèlent plus pénibles que plaisantes, et surtout plus complexes qu’intuitives. Visuellement, le jeu développé pour GameCube n’impressionne pas malgré l’étendue des paysages. Les textures font lavasses, la nature reste figée. Fonctionnelles, les animations de Link ou de son cheval sont aussi bien raides, presque gauches. Des impressions décevantes renforcées par l’apparition de trois jeux appelés à faire beaucoup mieux dans des domaines clés d’habitude réservés à Zelda : l’animation, l’ambiance, l’émotion, l’innovation.
Fils spirituels
Depuis 2005, Kameo, Shadow of The Colossus et Okami confirment avoir attrapé, voire sublimé, certaines essences propre à Zelda. Sur Xbox 360, la crinière blanche du cheval de la princesse Kameo a autrement plus de classe que celui, pourtant célèbre, de Link. Même si le gameplay du jeu final ne se hisse pas au niveau d’un Zelda, animations et restitutions visuelles du monde fantastico médieval de Kameo étourdissent la concurrence. Comparativement, le monde de Twilight Princess entraperçu fait triste et terne, petit et poussiéreux. Sur PlayStation 2, Shadow of The Colossus rappelle qu’esquisser avec intelligence un monde suffit à le rendre tangible même sur une console ancienne génération. Quitte à ce que sa désolation devienne sa singularité. Agro, l’étalon noir de Shadow, galope et s’exprime avec un réalisme raffiné qui renvoie l’Epona de Link à son manège de chevaux de bois. Le gracieux lien émotionnel exprimé avec si peu de moyens entre le héros et la princesse diaphane endormie de Shadow of Colossus résume celui de Link et de la Princesse Zelda en un vaudeville de boulevard.
Oh animaux
On sait que Twilight Princess s’appuie beaucoup sur les animaux que Link contrôle et chevauche. Proche de la malédiction schizophrénique du film Ladyhawke, le petit Elf se transforme sous la lune en loup (garou ?) et visite un monde parallèle plus sombre. Coïncidence étrange, le héros d’Okami, le chef d’œuvre annoncé de Clover Studios (Capcom), est un loup ! Okami, un Zelda-like totalement affirmé et d’autant plus réussi qu’il fait ce que fait un vrai Zelda : s’appuyer sur les acquis accumulés par la série puis aller au delà. Okami ne serait qu’un clone honteux si les créateurs n’avaient pas transcendé le concept en une interprétation personnelle totalement valide. Okami pourrait être très officiellement un épisode parallèle et onirique de Zelda.
Défis inédits
Constitutivement, les Zelda abritent plusieurs idées majeures autour desquelles s’articule l’aventure. Des concepts interactifs intimement reliés au scénario révélés parcimonieusement par Nintendo avant la sortie du jeu. Voire pas du tout puisque les Zelda se ménagent toujours une grosse surprise inattendue. Malgré les nombreuses informations circulant autour de Twilight Princess, celui-ci cache vraisemblablement encore au moins une révélation fondamentale. Mais, en attendant d’en savoir plus, ce Zelda fait réchauffé et demande notre confiance sans preuve. Monde parallèle déjà souvent exploité, mixité avec les animaux déjà réussie chez Shadow et Okami, technologie GameCube dépassée, greffe pour l’instant douteuse de l’interface Wii, ce que l’on sait, que l’on a vu et goûté de Twilight Princess fait pâle figure. Artistiquement dépassé par ses fils spirituels et, techniquement, par les consoles next-gen, le nouveau Zelda arrive fragilisé. Il est pourtant porteur d’enjeux économiques et culturels colossaux : accompagner, pour la première fois, la naissance d’une nouvelle console et entériner un basculement théorique de la façon de pratiquer le jeu vidéo. En coupant le cordon ombilical reliant le joueur à Zelda, Nintendo cherche moins à provoquer un nouveau miracle qu’à faire adhérer à une nouvelle et anti dogmatique religion, celle de la Wii. On aimerait y croire.
(1) Secret of Mana, Illusion of Gaïa, Brainlord, Equinox (Solstice II), Secret of Evermore, Chrono Trigger, Spike Mc Fang, Terranigma sur SuperNintendo. Landstalker, Soleil, Legend of Thor sur Megadrive. Magic Knight Rayearth, Oasis 2, Dark Savior (3D isométrique) sur Saturn. Alundra sur PlayStation. En 3D, les prétendants se résument à un… Mystical Ninja Starring Goemon.
The Legend of Zelda : Twilight Princess Wii / GameCube (Nintendo)
François Bliss de la Boissière
(Publié en novembre 2006 dans Chronic’art)
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Avec la Wii, Nintendo s’autorise une sorte d’euthanasie hardware jamais vue dans la courte mais dense histoire du jeu vidéo. La Wii étant 100% compatible avec la GameCube (jeux et accessoires) celle-ci n’a plus aucune raison d’exister et peut être enterrée sans regret. Sans regret ?
Sans doute la moins aimée de toutes les consoles Nintendo (hors Virtual Boy et autres expérimentations inabouties comme le 64 DD de la N64), la GameCube s’apprête à être éjectée manu militari du marché comme aucune autre console avant elle. Tout le monde le sait et le craint un peu, en dehors de son interface de jeu pointé à l’écran, la console Wii bientôt disponible fonctionne grosso modo sur une technologie légèrement améliorée mais semblable à celle de la GameCube. Si les jeux Wii à venir (Super Mario Galaxy) révèlent discrètement à l’œil quelques progrès techniques, industrie et observateurs s’entendent pour dire que la Wii serait une GameCube 1.5. Cette promiscuité technique inédite entre deux générations de consoles génère au moins un avantage certain : la Wii accepte de lire sans condition tous les jeux GameCube (les régions restent incompatibles). Le terme de rétro compatibilité employé depuis que Sony a inauguré avec la PlayStation 2 la première console de salon capable de lire les jeux de la génération PlayStation précédente, ne s’applique même pas pour la Wii. Contrairement à la Xbox 360 obligée d’émuler les jeux Xbox et donc de les retravailler un par un, et à la PlayStation 3 qui, elle aussi, va émuler les jeux PS2 et sans doute PSOne si elle ne passe pas la main directement à la PSP, la Wii est tout simplement compatible avec les jeux GameCube.
Wii mange tout
Alors que Nintendo adopte pour la première fois avec la GameCube le format CD sous la forme de mini DVD propriétaires en 2000, la Wii se résout apparemment à utiliser des DVD (propriétaires là aussi) de diamètre standard. Le mange-disque Wii, cependant, accepte d’attraper les minis DVD GameCube et il semblerait – Nintendo ne donne pas de détails – que la Wii fasse fonctionner les jeux GameCube normalement, sans passer par une surcouche logicielle, un émulateur (contrairement aux jeux 8, 16 et 64 bits, eux, téléchargeables). Aussi lisse d’apparence et sans fil en façade soit-elle, la Wii a quelques trappes qui abritent des slots pour brancher directement les Memory Cards et les manettes GameCube. Il est même possible de brancher le petit émetteur de la fameuse manette sans fil WaveBird. Très vraisemblablement les jeux GameCube ne se lanceront pas automatiquement et seront sélectionnables via l’interface des Wii Channels à l’emplacement prévu et immuable des jeux Wii (en haut à gauche de l’écran). Et Nintendo a également évoqué la possibilité que les jeux GameCube, comme ceux des générations précédentes, lancés sur Wii profitent automatiquement de quelques améliorations visuelles (anti aliasing par exemple) comme la réédition du Zelda Ocarina of Time N64 sur GameCube en a fait la jolie démonstration (mais pas celle de Majora’s Mask). 100 % compatible avec le catalogue et les accessoires GameCube (bongos, micro ne devraient pas poser de problème), la Wii rend de facto obsolète la GameCube le jour de sa sortie.
Prémisses de révolution
Sortie fin 2001 (mai 2002 en Europe), il y a exactement 5 ans, la GameCube avait été présentée publiquement à l’été 2000. A l’époque, son design carré et ramassé, ses couleurs vives et sa poignée façon vanity féminin faisaient l’événement même si l’originalité affichée de Nintendo devenait de plus en plus insaisissable. La manette GameCube, avec ses deux sticks analogiques, son petit bouton z accroché sur la tranche et la disposition minutieuse et colorée des boutons, devait simplifier l’identification des taches. Vrai sans doute dans un certain idéal ergonomique, Nintendo a fini par avouer que l’invention de la Wiimote blanche, sans aspérité et donc passe partout, avait surgi de la nécessité de simplifier des manettes aux boutons de plus en plus nombreux et de plus en plus intimidants (le gros bouton vert A central de la manette GameCube, presque grossier pour un gamer, ne réussit même pas à être une évidence pour un non initié). L’aspect jouet de l’ensemble GameCube et manette restait aussi trop apparent alors même que Nintendo disait déjà vouloir intéresser les joueurs plus âgés après que Sony lui ai chipé le leadership (face à la Nintendo 64) du marché avec sa PlayStation. Las, cinq ans plus tard, le nouveau challenger Microsoft réussit avec sa presque candide Xbox à repousser Nintendo en troisième position d’un marché des consoles de salon (parc mondial fin 2005 :21 millions de GameCube et 22-23 millions de Xbox) qui, jusque là, n’acceptait d’absorber que deux consoles simultanément. Contrairement à ses deux gros concurrents Sony et Microsoft, Nintendo ne perd pas d’argent avec son hardware, en gagne même, mais sa place à côté du téléviseur est de plus en plus contesté.
Fins de rêves
La Dreamcast de Sega s’est officiellement retirée du marché début 2001 après s’être écoulée à 8 millions d’exemplaires. Mais le culte de la dernière console de Sega perdure encore. Quelques jeux ont continué à être développés et sans successeur officiel, la Dreamcast garde sa place près du téléviseur et du cœur dès lors que l’on veut rejouer à un de ses jeux emblématiques ou rares et inédits ailleurs (ChuChu Rocket!, Power Stone, D-2, Blue Stinger, Cosmic Smash…). Devenue PSOne et redésignée, la PlayStation a refusé de lâcher prise même après la mise en vente de la PS2. La PlayStation 2 reliftée slim à son tour va suivre le même mouvement et continuera d’exister sur le marché en parallèle à l’arrivée progressive de la PS3 (le modèle PS2 Silver sort aux US et une version Pink en Europe cet hiver). Le 8 décembre, en Europe, la GameCube n’a plus aucune raison d’exister. Zelda Twilight Princess sera effectivement édité sur GameCube après la Wii mais, on l’aura compris, il peut très bien fonctionner tel quel et peut-être même plus joliment sur la Wii avec les manettes GameCube. Même si quelques jeux GameCube sont encore susceptibles d’être commercialisés, eux aussi fonctionneront sur Wii. Et quand un projet haut de gamme créatif comme la suite de Paper Mario : La Porte Millénaire prévu sur GameCube bascule en développement Wii, le doute n’existe plus de l’inutilité de la GameCube.
Perfection au carré
Ultra compacte et parfaitement réalisée dès sa conception, la GameCube n’a changé ni de contenu ni de forme. De nombreux coloris (noir, gris, orange, vert pal…) sont venus, selon les pays et les cultures, s’ajouter au violet original, quelques habillages associés à certains jeux (MGS Twin Snakes, Resident Evil 4, Tales of Symphonia…) ont bien tenté sans trop convaincre de les personnaliser, mais la GameCube a toujours gardé son impeccable intégrité d’origine même en se zébrant de noir au Japon pour une édition limitée associée à une équipe de baseball. Seules des fonctions additionnelles se sont autorisées d’altérer sa silhouette: le Game Boy Player qui une fois fixé comme un socle sous la console la surélève et la transforme en rectangle pour permettre de jouer sur télévision aux jeux Game Boy Advance. Et, bien sûr, le fameux modèle Q cosigné avec Panasonic exclusif au Japon : une GameCube chromée, sur pieds avec un petit écran LCD en façade et capable de lire des DVD vidéo.
Culte(s)
Plus que toutes les autres consoles qui ont continué de respirer après leur mort officielle, soit pour leurs jeux soit, encore comme la Dreamcast, parce que des bidouilleurs exploitent son contenu à d’autres fins, la GameCube est vouée sans regret software à la casse dès la sortie de la Wii à tout faire. A moins, bien sûr, que le lien très étrange, atachement difficilement explicable en dehors de la passion jeu vidéo, qui lie le joueur à la console qui lui a permis de vivre des expériences interactives inoubliables, élève la GameCube en objet fétiche, bibelot culte, réceptacle à phantasme vidé de sa fonction mais pas de ses souvenirs. Il n’empêche, consciemment ou pas de la part d’un Nintendo dont les consoles Nes et SuperNes font encore l’objet de cultes païens, le concept de Virtual Console de la Wii va faire la démonstration jusqu’aux jeux GameCube que si culte il doit y avoir, c’est autour des jeux, du loisir ou de l’art lui-même et non de son support mécanique que la magie doit perdurer, ou, éventuellement, être vénérée.
François Bliss de la Boissière
(Publié en le 31 10 2006 sur Overgame)
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Assurément, Prey n’est pas un FPS comme les autres. Un constat vérifiable même sans jouer en relevant les écarts d’appréciations au sein de la critique anglo-saxonne.
L’inquiétante disparité des avis s’éclaircie toutefois quand on comprend que les réserves proviennent essentiellement des spécialistes du genre FPS. Souvent arc-boutés à leurs PC comme derrière une mitrailleuse, ces pratiquants ne jaugent visiblement un FPS qu’au sens sportif strict, sur le degré de résistance que leur procurent les gunfights.
Une des qualités principales de Prey est de justement ne pas s’intéresser à ce besoin de prouesse physique là. Le jeu préfère cultiver la science de l’immersion, de la manipulation psychologique, la personnalité des protagonistes (très bonne VOST), le rythme de l’aventure, la cohérence de l’enchaînement des séquences et des décors. Comme Halo avec son bouclier rechargeable, Prey s’invente un système de récupération d’énergie intimement lié à son scénario et à ses aspirations mystiques. Dans le jargon du hardcore gamer cela veut dire « vies illimités », une hérésie donc. Pour tous les autres candidats cela signifie, enfin et sans connotations péjoratives déplacées : accessible. L’intérêt de Prey est donc volontairement ailleurs.
Dans le déroulement de son histoire qui transforme peu à peu une série B en épopée personnelle : séquestré dans un vaisseau alien abattoir à humains, un indien d’Amérique en rupture de ban devra renouer avec son héritage spirituel Cherokee pour espérer retrouver sa fiancée. Dans le raffinement d’un level design particulièrement pensé par Human Head Studios où il faut jouer avec les lois de la gravité ou franchir des « portails » zappant instantanément d’un endroit à l’autre. Le jeu ouvre ainsi des perspectives ludiques vraiment inédites. Preuve ultime que Prey tient l’idée en passe de devenir de facto une nouvelle étape dans l’évolution du FPS, le respecté studio Valve vient d’annoncer un chapitre Portal exploitant cette trouvaille à la fois technologique et de game design pour la suite de la saga Half-Life 2.
François Bliss de la Boissière
(Publié en septembre 2006 dans Chronic’art)
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« J’ai vu des choses que vous autres humains ne pourriez croire » lâche dans un dernier souffle le répliquant cosmique Roy Batty à la fin de Blade Runner. Un gamer peut revendiquer la même chose chaque jour. Dernièrement j’ai vu ma fiancée potentielle se faire aspirer par un rayon vert venu du ciel. J’ai assisté, impuissant, à la mise à mort de mon grand-père, chaman un peu fou mais inoffensif, empalé par les machineries infernales d’un sordide abattoir alien. J’ai pleuré sur des loques humaines psychiquement brûlées en train de gémir, en slip, recroquevillées dans des corridors malsains. J’ai évité de justesse les déjections projetées par des anus géants immondes. J’ai croisé des vagins muraux d’où sortaient, ou retournaient en rampant, des créatures innommables. J’ai dû marcher et me battre sur les murs et au plafond alors que Fred Astaire, lui, y dansait dans Royal Wedding en 1951. J’ai été pris au piège dans l’énigme d’un gigantesque et fluo Rubik’s Cube suspendu dans le vide. Aussi incrédule qu’un certain jour de septembre 2001, j’ai vu un avion de ligne venir s’écraser dans le ventre creux d’un vaisseau alien en pleine digestion. J’ai laissé derrière moi un bus scolaire en flammes. J’ai appris à manipuler des armes biomécaniques vivantes et écœurantes. J’ai massacré, pour survivre, des restes d’humanité greffés à des monstruosités extra-terrestres. J’ai piloté des navettes aliens à travers des espaces où l’on ne m’entendait pas crier, marché sur des lunes microscopiques, franchit des portails me transportant instantanément et sans explication d’un endroit à un autre. Moi terrien et rationnel, j’ai dû abandonner mon corps physique, me déplacer sous forme éthérée et faire confiance à un faucon, lui aussi réduit à sa forme astrale. Terrassé d’horreur, j’ai attendu et espéré, attendu et encore espéré un miracle avant d’achever de mes propres mains euthanasiques ma fiancée qui n’en finissait plus d’agoniser. J’ai joué Prey, et j’ai prié, oui prié, pour avoir ma vengeance. Et je l’ai eue.
François Bliss de la Boissière
(Publié en août 2006 dans Chronic’Art)
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Marlon Brando était un phénomène de son vivant et va sans doute continuer de l’être dans la mort. Décédé en 2004, l’acteur monstre n’a pas dit son dernier mot. On aurait dû s’en douter. Mort, mais finalement pas enterré, grâce aux nouvelles technologies l’homme facétieux fait un come back artistique qu’il n’aurait jamais assumé de son vivant.
Tel un Elvis Presley, aperçu encore aujourd’hui ici ou là, Brando pouvait-il vraiment mourir ? Car, « bigger than life », l’acteur fait mieux que ses congénères immortels du royaume argentique : il réussit post-mortem à s’installer dans une nouvelle durée en s’invitant par une géniale intuition non préméditée dans l’ère digitale. Ressuscité par les nouvelles technologies, Brando se paie un come-back deux ans après sa mort sur les fronts simultanés du cinéma digital (Superman Returns), du jeu vidéo (Le Parrain, bientôt sur Xbox 360 et PSP) et du DVD avec la réédition d’Apocalypse Now agrémentée d’une scène inédite.
Super Brando
Précurseur de l’ère des guest-stars, l’acteur, déjà en pré retraite, accepte de jouer en 1978 le rôle du père de Superman en échange d’un cachet de plusieurs millions de dollars. A l’époque, Brando vient ouvertement ramasser un gros cachet dans un film commercial, et éphémère. Pourtant, aussi trivial que cela puisse paraître ces années là, l’acteur se taille, à l’insu de tous, une nouvelle tunique d’immortalité. Dans le film de Richard Donner, son personnage de Jor-El meurt et ressuscite partiellement en hologramme pour répondre aux questions de son fils Kal-El / Superman. Dans la bande-annonce du récent remake inavoué Superman Returns réalisé après la mort de Brando, la réutilisation de sa voix spectrale cautionne tout à coup le projet et l’élève vers une dimension métaphysique. « Lors du premier film, il a enregistré des mots dans un microphone mais pas devant la caméra », explique le Dr Frankenstein cinéaste, Bryan Singer, « la silhouette de Jor-El à nouveau projetée dans les cristaux de Krypton a été recréée à partir de photos granuleuses de Brando puis animée en plusieurs dimensions ». Un Brando d’outre-tombe, d’outre-espace et d’outre-temps convié à ressusciter un mythe moderne auquel, contre tous les pronostics, il restera autant attaché qu’à ceux des films d’Elia Kazan, Mankiewicz, Bertolucci ou Coppola.
Parrainage digital
D’après Phil Campbell, producteur du jeu vidéo Le Parrain chez Electronic Arts, Brando était spontanément intéressé par les nouvelles technologies quand il a accepté de participer à cette adaptation interactive. « Il avait une faculté d’émerveillement enfantine, il ouvrait grand les yeux en imaginant ce qui allait le surprendre et le réjouir dans le futur », confie Campbel. Le jeu vidéo utilise ainsi le physique et la voix originale de Brando dans le rôle de Don Corleone et de nouveaux dialogues enregistrés avant sa mort. Brando existe dorénavant sous une forme polygonale numérique propre à résister au temps et à s’adresser, comme Jor-El, à de nouvelles générations.
Immortels
Même si elles font entrer Brando dans une nouvelle immortalité digitale susceptible de prolonger celle de la pellicule argentique, ces esquisses de parrainages posthumes ne suffiraient pas à entériner le retour de Brando. Pour confirmer sa présence parmi les mortels, il faut le retrouver bien visible à l’écran en pleine maîtrise de son art. C’est acquis : cet été, Apocalypse Now (The Complete Dossier) est ressorti en DVD aux Etats-Unis accompagné de nouveaux suppléments. On y trouve une version longue (17′ au lieu de 1’30) de la scène à l’origine expérimentale où Brando, le Colonel Kurtz, lit le brûlant poème The Hollow Men de T. S. Elliot.
Dans les années 90, Alain Delon écrivait dans la revue La Règle du jeu : « Dieu fasse que Brando se porte bien… S’il lui arrivait quelque chose, ce serait la vraie fin. Et, ce jour-là, je serais cliniquement mort ». Delon a donc oublié ? Les stars du cinéma ne meurent pas vraiment. Plus vivant que jamais en 2006, Highlander parmi les Highlanders, Marlon Brando, désormais virtuel, est peut-être en passe de confirmer qu’il reste le « meilleur acteur de tous les temps ». Suite de la mutation en 2007 : en pleine renaissance numérique Brando interprète, enfin, dans le film d’animation Big Bug Man, son premier rôle de femme.
François Bliss de la Boissière
(Publié en août 2006 dans Chronic’art)
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Après plusieurs mois sans nouveauté, le service Live Arcade de la Xbox 360 a vu arriver un jeu par semaine cet été. Parmi les grands classiques (Pac-Man, Galaga, Frogger, Street Fighter II Hyper Fighting), l’inédit Cloning Clyde est à découvrir d’urgence. C’est facile, tous les jeux disponibles en ligne sont jouables gratuitement en version limitée (et ne coûtent, comme Cloning Clyde, que 10 € l’achat pour la version complète).
Qu’est-ce donc que ce Cloning Clyde ? Sur la forme, un jeu de plate-forme-réflexion où il faut sortir du niveau avec le plus de congénères « clonés » possibles. Les personnages se dirigent alternativement et leurs aptitudes variables servent à débloquer les différents mécanismes qui entravent le trajet vers la sortie. Le tout se joue en coupe de profil dans un univers graphique cartoon en volume parfaitement adapté à l’ambiance souhaitée. Le gameplay rétro et parodique rappelle, en plus décontracté, les Lost Vikings de la SuperNintendo (92). Avec sa maîtrise technique et son game design réfléchi le jeu respecte complètement le joueur appliqué mais s’apprécie vraiment grâce à son 2e degré. Le principe de démultiplication du personnage conduit, via des petits messages dans le décor, à des dialogues entre le moi et le surmoi de Clyde qui entraînent le joueur dans une douce schizophrénie. Et les mutations nécessaires du rigolo, et fou de kung-fu, Clyde avec des animaux (poule, mouton, singe, grenouille…) ou, franchement plus explosif, avec un tonneau de poudre, déclenchent des soubresauts de burlesque totalement jubilatoires.
François Bliss de la Boissière
(Publié en août 2006 dans Chronic’Art)
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