Archives de catégorie : Games

INSIDE : Chef d’oeuvre d’intérieur

Il y aura toujours quelque chose qui échappera à la compréhension dans INSIDE. Et c’est très bien comme ça. On espère même que Art Jensen, son auteur principal, et le reste de l’équipe danoise de Playdead, continuera à garder le silence et ne livrera pas SON explication, s’il y en a une. Car la force de INSIDE comme de Limbo il y a 6 ans, réside dans cet impalpable, dans ce sentiment de fuite en avant non seulement du personnage mais du sens général de l’expérience.

Mystère INSIDE

On ressent fortement les influences esthétiques et peut-être thématiques de l’aventure. Des éléments de réponses sont là, parfois mêmes explicites, dans les décors traversés, les créatures rencontrées. Chaque animation et élément mécanique d’interaction (le terme gameplay devient trivial tout à coup) révèle aussi quelque chose du monde et de ses rouages. Mais la finalité exacte de l’ensemble reste insaisissable. Elle s’esquisse, se devine par à-coups en fonction des péripéties, puis est remise en cause en franchissant une nouvelle porte, en découvrant un nouvel espace. Ces espaces sont parfois rationnels et complémentaires, assez en tous cas pour que le joueur y voit, presque soulagé, une relation tangible de cause à effet. Et puis la poésie et l’inspiration des auteurs reprend le dessus et redistribue les cartes. Ce que l’on croit parfois acquis sur la qualité du petit bonhomme, sur son intention au milieu du monde généralement hostile qu’il traverse, sur l’architecture, les grands vides et les petits espaces, est régulièrement remis en cause. Et ce sera tout ce que l’auteur de ces lignes dira aussi de précis. Car toutes les petites et grandes surprises sont un cadeau pour le joueur participant. Chaque découverte, réussite et échec participe à une construction poétique et politique, entretient un dialogue sociétal et mystique muet mais d’une profondeur, encore très rare dans le jeu vidéo, entre les auteurs et le joueur.

Plénitude

Qu’on ne s’y trompe pas. Le mystère sans cesse repoussé d’INSIDE n’est pas une simple carotte-lanterne agitée dans le noir pour faire avancer. Nul besoin de guetter la fin de l’expérience pour ressentir un sentiment de complétude. Chaque péripétie vaincue ou subie nourrie l’oeuvre tout en provoquant une satisfaction immédiate et pleine. Le génie ici n’existe pas seulement dans la mise en scène visuelle d’un  présupposé master plan. Il se niche également dans le moindre son et infra son, au moindre pas et dans toutes les poses de corps merveilleusement animées. INSIDE est tellement « dedans », par opposition à creux et superficiel, qu’il est plein. Le jeu arrive plein d’une histoire non dite et repart, après avoir pris le joueur par la main et la gorge, avec une nouvelle histoire, écrite à deux. Et celle-ci, libre d’interprétation, résonnera longtemps en chacun. INSIDE appartient d’ores et déjà à la grande histoire du jeu vidéo, et de l’art.

  • INSIDE de Playdead disponible sur Xbox One depuis le 29 juin 2016, sur PC le 7 juillet. 20€ seulement.

François Bliss de la Boissière


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

The Witness, réflexions : La singularity de Jonathan Blow

Jouer à The Witness consiste d’abord à rentrer dans le cerveau de Jonathan Blow, son auteur. Sa manière de radiographier le monde et de le retranscrire sous une forme ludo-éducative. Le jeu aura beau prétendre circonscrire une île au milieu d’un Océan Wind Waker, l’habiller de couleurs Splatoon éclatantes et faire accroire à une aventure anecdotique sous bocal, The Witness parle du monde dans son entièreté. Peut-être même du cosmos. Et si le cerveau est un mini (quoique) cosmos. Tout serait dit.

Comment ne pas voir dans la plantation éparse de panneaux puzzles reliés les uns aux autres par des câbles lumineux, un réseau de synapses et de neurones cherchant à s’activer ? Une maquette de monde connecté en réseau, électrique en apparence, neuronal en profondeur. Chaque petit problème géométrique semble autonome jusqu’à ce qu’il produise dans le joueur participant des réactions de cause à effet. Les neurones s’activent un à un, le joueur comprend facilement ses premiers gestes sur la grille. Finement programmée, au service de l’efficacité comme de la satisfaction visuelle et motrice, le déplacement du simili curseur suivi de son petit serpent dessiné entre les cases est un plaisir de l’instant qui pourrait presque se suffire à lui-même. Qui se souvient du jeu Snake ?  Jonathan Blow assurément puisqu’il le fusionne avec la Bataille Navale sur canapé.

L’île du docteur Blow ne peut être qu’une métaphore, une modélisation de programmeur. Le mystère, qu’il faut entretenir le plus longtemps possible pour avoir le plaisir de le découvrir par soi-même, ne peut conduire qu’à une activation globale du cerveau-île-planète. Ou, pour le dire plus intuitivement, à une prise de conscience. C’est donc vers cet éveil progressif que le joueur avance. Prise de conscience des mécaniques de jeu, qui deviennent des mécanismes de fonctionnement de l’île, qui à leur tour lèvent le voile sur de nouveaux espaces et donc de nouveaux points de vues. À chaque étape géographique conquise s’attache un début de révélation. La topographie de ce jardin géant cache, derrière ses couleurs flamboyantes et ses feuillages choisis, une mise en scène de l’éveil, de l’awareness, si l’on se laisse aller à un anglicisme. L’homme ne comprend rien du pourquoi et du comment de la Terre et du cosmos mais il en a une intuition. Et il en est le témoin. Il en va de même sur l’île de Jonathan Blow.

Dans leur Myst et Riven des années 90, les frères Miller avaient fait appel à une magie pour donner naissance à des mondes par les livres. Ils s’autorisaient à court-circuiter la rationalité scientifique d’une ère industrielle à la Jules Verne par l’acte de foi que représente l’écriture. Cette métaphore ultime de l’imaginaire – le livre accouche des mondes – ne saurait être dépassée. Celle de The Witness, on le soupçonne en connaissant le mode de fonctionnement de son auteur et par les indices distillés dans l’île, ne peut être que purement scientifique et rationnelle. Ce qui se voit, ce qui se touche et réagit dans ce décor trop saturé de beau pour être vrai est, au plus, une mise en scène théâtrale des éventuelles conséquences de l’utilisation de la science et des technologies. On sent bien dans ce voyage interactif que l’auteur veut faire dialoguer la nature et la technologie. L’homme n’étant que l’interface, celui par qui les éléments s’articulent, l’agent déclencheur ou destructeur.

Ce qui était observable dans le style imposé de notre entretien  par Jonathan Blow « ce qui est dit est moins important que ce qui est impliqué », l’est également dans The Witness : ce qui se voit et s’entend est moins important que ce qui est impliqué. L’absence a valeur de présence. Drame ou épiphanie, fin du monde ou renaissance, la révélation finale importe peu. Chaque pas est motivé  par le fait que le joueur saisit très vite que quelque chose se dissimule derrière ce décor trop parfait. L’absence de toute vie humaine et animal est évidemment un signal fort d’anomalie. Mais comme nous sommes dans un jeu vidéo, cette absence pourrait passer pour le choix économique et fonctionnel d’une production indé au budget sous contrôle. Surtout si la présence de NPC ne servait à rien d’autre qu’à animer le décor. Sauf que ici et là on croise des statues d’êtres humains. Ou plutôt des hommes et des femmes pétrifiés dans une pose, surpris dans un moment de vie comme les habitants de Pompéi surpris par la lave du Vésuve.  Et contrairement au surprenant et pas si lointain The Talos Pinciple, The Witness ne s’annonce pas comme une simulation ni un test. Le dialogue avec une entité supérieure de Talos est muet et intériorisé dans The Witness. Puisqu’il ne s’impose pas au joueur, l’existence de ce dialogue intérieur ne dépend que du participant. Il n’est pas nécessaire à la résolution des énigmes mécaniques mais il légitimise leur présence sans pour autant servir de prétexte.

Comme Myst et Riven et quelques rares autres jeux vidéo (Limbo notamment), The Witness est davantage qu’un jeu vidéo. Et ce avant même de découvrir l’éventuelle et probable version en réalité virtuelle qui nous transportera pour de bon sur cette île. Le fond et la forme ne font plus qu’un pour offrir ce qu’on n’aurait jamais osé dire, ni même penser il y a 22 ans, mais qu’on affirme sans embarras ou peur du ridicule en 2016 : The Witness est aussi une oeuvre d’art contemporain. Une installation géante à ciel ouvert que l’on pénètre et observe. Ajoutons 2.0 à art contemporain si les gros mots font peur. Quoi qu’il en soit, de Duchamp (cinétisme) aux installations de Annette Messager, du land art à l’urban art comme ici  ou ici, du street art trigonométrique à cette vision anamorphique de la singularité technologique, The Witness brasse et régurgite dans son île aux enfants sans enfants, volontairement ou par influences collatérales, tout un pan de l’expression artistique contemporaine. Nous sommes quelques uns à guetter depuis longtemps la mutation du jeu vidéo en mode d’expression artistique sans pour autant perdre sa nature ludique et insouciante, ou même sa trivialité. Voilà.

Contrairement à l’auteur de ces lignes qui essaie de placer du sens sur ce qui suinte de l’écran mais reste non explicite, Jonathan Blow et sa petite équipe artistique ne font pas eux-même de citations directes (à notre connaissance) et de listing jouant au malin cultivé. À chacun de décrypter et interpréter le paysage au-delà des casse-têtes sur pieds. Quitte à aller jusqu’à guetter le mouvement des nuages. Sauf, tout de même, quand l’intellectuel Jonathan Blow fait intervenir quelques sommités de la science et de la pensée. Alors, le vrai jeu de piste commence. Celui des intentions.

Surpris et déçu que Blow recourt au truc surfait des audio logs pour, supposément, ne pas laisser le visiteur vraiment tout seul dans son île (ajout démagogique qui aurait pu être demandé par un producteur/éditeur, comme celle d’inclure une silhouette visible du joueur grâce à son ombre), on découvre une toute autre intention à l’écoute de ces audio logs (dits brillamment par des comédiens du jeu vidéo visiblement portés par des monologues ayant enfin du sens). En grillant toute chronologie historique et technologique, chaque mini, et rare, dictaphone oublié dans le décor fait entendre les réflexions de penseurs et scientifiques d’époques très variables. Le précoce mathématicien William K. Clifford du 19e siècle, le taoïste Tchouang-tseu (IVe siècle avant J.-C.), l’astrophysicien Arthur Eddington du début du 20e siècle, la bouddhiste Yung-chai Ta-shih (an 700), le spécialiste de la mécanique quantique Richard Feynman dont on retiendra au moins cette phrase : « J’ai la responsabilité de proclamer la valeur de la liberté (de penser) et d’enseigner que le doute ne doit pas être craint ». De la science à la philo en passant par la vie de tous les jours, chacun puisera dans les mystères de The Witness quelque nourriture spirituelle. Et quand même pas mal d’émerveillement.

François Bliss de la Boissière

Merci à danybliss pour les pistes artistiques (et l’aide sur quelques puzzles)…


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BEST OF JEUX 2015 : Réincarnations

Si 2015 est une sorte d’année de transition malgré elle en attendant de grosses pointures repoussées à 2016 (vous les connaissez), 2015 est aussi une année de consolidation industrielle, technique et sans doute artistique comme je commençais à l’expliquer ici. Plusieurs éléments concordants l’indiquent.

À l’affût

Des productions indépendantes atteignent désormais la qualité et l’ambition des blockbusters produits par de gros éditeurs (voir les 3 premiers de ma liste). Les (trop ?) nombreuses rééditions HD ont permis à certaines équipes de se familiariser avec les besoins et capacité des dernières consoles. Les prochaines grosses productions devraient profiter de cette expérience. Le report assumé et donc planifié à 2016 de plusieurs gros titres me semblent démontrer une forme d’assurance plutôt que de dérapages incontrôlables comme le jeu vidéo en a si fréquemment connu. Même Ubisoft a su redresser la barre dans les temps avec un Assassin’s Creed annuel (Syndicate) techniquement presque irréprochable malgré quelques craintes.

Nouvelle ère

L’assurance indiscutable de Destiny 2.0 avec ses extensions pas si corrompues rassure aussi sur l’ambition et les capacités de Bungie dont on a failli douter… Même si mal compris par les gamers qui confondent qualité intrinsèque et temps de jeu à la minute, la maîtrise visuelle de The Order : 1886 et Until Dawn entérine l’ambition graphique de Sony Computer et promet un bel avenir à la fusion jeu vidéo et cinéma qui se prolongera forcément avec le casque PlayStation VR. Et puis 2015 est aussi sans doute la dernière année d’une certaine idée du jeu vidéo. La lecture de la séquence en deux temps qui voit en 2015 la confirmation de l’effondrement du jeu vidéo japonais (Konami en tête, on y revient prochainement en détails) juste avant le débarquement de la réalité virtuelle en 2016 (même avec des freins tarifaires) annonce l’ouverture d’un nouveau chapitre dans la folle histoire du jeu vidéo.

Mes 10 jeux de 2015

 

  1. The Witcher 3 : Wild Hunt (CD project Red)

  2. Ori and The Blind Forest (Moon Studios)

  3. SOMA (Frictional Games)

  4. Rise of the Tomb Raider (Crystal Dynamics)

  5. The Order : 1886 (Ready at Dawn)

  6. The Talos Principle : édition deluxe (Croteam) PS4 et Mac

  7. Mad Max (Avalanche Studios)

  8. Destiny : Le Roi des Corrompus (Bungie)

  9. Until Dawn (Supermassive Games)

  10. Rare Replay/Zelda Majora’s Mask/Uncharted : The Nathan Drake Collection

Quand on a la chance de jouer à une majorité des jeux sortis dans une année, en retenir 3 ou 5 dans un top est vraiment insuffisant. On s’y efforce sous la demande, par exemple en 2014 et en 2015, mais la frustration est grande. Surtout parce qu’une courte sélection ne suffit pas à représenter l’étendue des expériences vécues dans une année jeu vidéo.

Indés au top

Au-delà du goût et du plaisir éventuellement subjectif, les trois premiers jeux de ma liste couvrent étonnamment le spectre des possibles du jeu vidéo d’aujourd’hui. L’open world maitrisé et non pas juste exploité en mode remplissage avec The Witcher 3 ; la régurgitation artistiquement rehaussée – et non bêtement rejouée – des fondamentaux du jeu japonais avec Ori and The Blind Forest ; la maturité de l’immersion sensorielle en vue subjective dont vont hériter directement les prochaines expériences en réalité virtuelle avec le tétanisant SOMA. Ces 3 jeux portent plusieurs messages. Ceux de leurs thématiques explicites ou en creux : la mise au premier plan de la valeur physique et temporel de l’espace et des éléments, la poésie et l’animisme intégrée au gameplay, évolution de l’être humain en milieu technologique ; et ceux de leurs réussites : 3 jeux haut de gamme développés par des studios indépendants. Ces 3 projets hyper soignées ont réussi à fusionner le fond et la forme, sont allés au bout de leur ambition. Et, signe du futur au présent, deux d’entre eux n’existent qu’en format dématérialisé.

L’horizon est la limite

Malgré toutes les pubs intrusives, Rise of the Tomb Raider n’a pas fait l’évènement qu’il mérite confiné sur Xbox One et pourtant, voilà un des jeux les mieux conçu et réalisé au monde. Sorti fin décembre 2014 sur PC puis en mai sur Mac et récemment sur PlayStation 4, The Talos Principle et son extension Road To Gehenna est non seulement un époustouflant puzzle game en vue subjective (l’imminent The Witness de Jonathan Blow sera mesuré à cet exploit) mais un objet interactif à thèse d’une intelligence et d’un humour rares. Plus fini et sérieux que le rigolo foutraque Just Cause 3, Mad Max est comme The Witcher 3 d’abord une expérience sur l’espace, la nature et ses éléments, l’horizon, connu et inconnu. Celui, justement, que le jeu vidéo repousse chaque année un peu plus.

Les maux de la fin

Un petit mot sur les jeux Nintendo dont toutes les franchises connues sont sorties sous une forme (exploitative) ou une autre sans qu’aucune ne retienne l’attention plus que la réédition de Majora’s Mask. Oui Super Mario Maker et Splatoon sont funs et intéressants mais toutes les autres productions Nintendo sont en dessous du standard de la marque (on en parle ici). Difficile de savoir si cette année aussi de transition (et de tristesse) pour Nintendo conduira à un retour en force ou à un repli sur le marché Japonais entièrement dévoué au jeu mobile low-tech.
Toutes les rééditions HD occidentales sont méritantes. Pour évacuer les polémiques à l’exploitation mercantile, rappelons qu’elles visent d’abord les nouveaux propriétaires de consoles « nextgen », les switchers (une grosse génération Xbox 360 a basculé vers la PS4, n’est-ce pas ?) et les esthètes qui apprécient un rehaut graphique et technique (j’en suis). Celles retenues ex aequo dans ma liste sont particulièrement exemplaires et indispensables pour toutes sortes de raisons historiques. Rare Replay offre enfin l’occasion de revisiter l’histoire du studio anglais manettes en main (et ça fait parfois mal). La réédition très classieuse de la trilogie Uncharted parfaitement jouable sur PS4 anticipe bien Uncharted 4 et offre l’occasion d’une relecture après la secousse The Last of Us du même Naughty Dog. Et bien entendu, pouvoir enfin relancer le trésor Zelda Majora’s Mask quand bon nous semble ne se discute même pas.

François Bliss de la Boissière


Illustration de Une : The Talos principle / Road to Gehenna


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Réalité virtuelle, premier plongeon : partir, ne plus vouloir revenir

Je voulais y croire mais il fallait me convaincre pour de vrai. C’est fait. J’ai goûté à la vie virtuelle, brutalement, irrémédiablement conquis. Et ce n’est même pas le leader officiel de la VR Oculus Rift qui m’a fait plonger, mais le procédé PlayStation VR ex Morpheus de la PS4. Il sera sans doute premier vrai portail populaire vers la réalité virtuelle.

PlayStation VR (DR Techinsider)

Avant toute chose, parce qu’une image vaut mille mots, voir cette vidéo de London Heist sur PlayStation VR…

Fervent croyant en la prochaine réalité concrète de la réalité virtuelle, je n’étais habité que de curiosité avide au moment d’essayer enfin la technologie Sony lors de la journée média du Paris Games Week 2015. Surtout que mes deux seuls précédents essais de casques VR m’avaient laissé un goût d’inachevé.

Samsung Gear VR et Oculus Rift ? Passez votre chemin

J’ai ainsi eu l’occasion d’essayer lors de sa commercialisation aux USA le Samsung Gear VR qui utilise un Galaxy Note en guise d’écran. Si l’expérience était plaisante, j’ai quand même eu l’impression que nous étions encore loin de l’immersion promise. La définition de l’écran insuffisante, la surface de visibilité limitée devant soi, et les programmes rudimentaires disponibles, y compris la présence dans un concert live, m’avait laissé circonspect. Désolé de décevoir l’initiative Samsung Gear de John Carmack, ex idSoftware, devenu responsable de ce développement mobile chez Oculus Rift et donc Facebook. Pour un gamer technophile, pas de compromis possible. La totale technologique, ou rien.
J’ai aussi essayé l’Oculus Rift original version DK2 accessible parfois à La Gaîté Lyrique de Paris. Trop rapide, avec un casque mal ajusté sur le crâne, une définition d’image discutable, le petit trajet en wagon minier était certes nettement plus immersif que le Samsung Gear VR, mais il fallait surtout deviner le potentiel au lieu de le ressentir pleinement. Même si cet essai a conforté mon enthousiasme de rêveur enfantin.

Le grand plongeon

Après la démo du PlayStation VR au stand Sony du Paris Games Week hier soir, je me rends compte que j’étais heureusement encore sensoriellement loin du compte. Cette fois fût la bonne. Plus de doute, l’immersion physique est réelle. À tel point qu’il faut quasiment lutter à l’intérieur de soi pour ne pas se laisser totalement aller aux émotions que la situation impose de facto.
La démo choisie, à ma place, de l’émotionnellement violent London Heist « parce qu’il s’agit de la plus immersive présente ce jour au Paris Games Week » a finalement été effective pour moi. Justement parce qu’elle m’a obligé à ne pas me laisser aller comme j’y étais prêt. Je suis en effet prédisposé à disparaître dans un monde virtuel imaginaire, mais certainement pas prêt à me laisser malmener par un inconnu menaçant ! Ce qui est le cas de la première partie de la démo interactive de London Heist (si vous n’avez pas encore regardé la vidéo, il est encore temps). Au préalable la jeune hôtesse qui assiste la démo donne quelques instructions élémentaires, demande de s’assoir sur une (vraie) chaise et prévient qu’une fois debout, elle enlèvera la chaise et de ne pas s’inquiéter. Et pourquoi me mettrais-je debout demandais-je en sachant, prudent, qu’il vaut mieux ne pas se déplacer dans un espace réel avec un casque supprimant quand même la vue ? « Vous verrez bien » tente de me rassurer la jeune assistante. « Tkt » dirait un gamin que je connais en m’inquiétant deux fois plus. Mais on est là pour se lancer, pas pour tergiverser, surtout que la file d’attente des candidats est longue, le temps compté et précieux.

Casque VR sans gêne

Trois secondes dans le jeu et je suis déjà incapable d’avoir un avis sur le casque Sony lui-même et son confort. Tout au plus puis-je confirmer qu’il ne m’a pas gêné du tout pendant toute la démo jouable, qu’il m’a paru léger et confortable. Il est bien resté en place sans m’écraser le crâne ou glisser, y compris quand j’ai levé et baissé la tête, très vite même puisque cela est possible au milieu d’un décor à 360° qui existe (le verbe « s’afficher » ne correspond plus à l’expérience) sans rémanence ni décrochage. Seul le casque audio installé par dessus m’a créé une sensation d’étouffement exagérée. Mais c’est un ressenti personnel du pointilleux ergonomique que je suis. En réalité j’étais déjà en train de regarder tout autour de moi la pièce où je me retrouvais.

Voilà donc à quoi sert l’invention du relief

Et je me suis pris en pleine figure le détail technique le moins évoqué de la VR de ce début du 21e siècle : la 3D stéréoscopique ! Et d’ailleurs je n’y ai pensé qu’après la démo, pas pendant. Et pourtant c’est d’abord elle qui trompe les sens avant même de se rendre compte en tournant la tête dans tous les sens que, oui, je suis immergé dans un hangar enfumé. Le premier effort du « testeur » d’une nouvelle technologie que je me devais de représenter a donc d’abord consisté à détourner les yeux du gros bras musclé assis juste en face de moi. Pas si facile. Dans la vraie vie personne ne lâche le regard d’un type qui vous fixe d’un air mauvais en vous envoyant de la fumée de cigare jusqu’au visage. S’y appliquer dans un espace de réalité virtuelle consiste en fait déjà à créer une rupture dans le jeu, une tentative de reprendre le contrôle et de ne pas se laisser aller à croire « pour de vrai » ce qui se passe. Cela ne brise pas le jeu qui continue à son rythme mais on casse déjà les règles du « gameplay » super FPX (first person experience). J’ai donc bravement regardé tout autour de moi pour constater avec effarement que j’avais vraiment la sensation d’avoir été téléporté dans une pièce sombre, inquiétante, avec des éclairages minutieusement répartis. Un hangar de bonne proportion dont j’ai mesuré très vite les distances grâce à un ressenti tout à fait tangible de la spatialisation tout autour de moi. Dans cette 3D relief globale, contrairement à celle du cinéma en salle ou à domicile avec des lunettes 3D à la vision limitée, les effets d’ambiance, de lumières, de fumées, de poussières donnent une présence physique totale. Les bruitages d’ambiances discrets dans les oreilles confortent et appuient évidemment ce que l’on voit.

Le grand face à face virtuel

Le type en marcel en face de moi m’interpelle et me parle de plus en plus violemment. Irrité de mon manque d’attention il se lève brusquement en repoussant sa chaise et fait un petit pas rageur vers l’avant. Impossible de ne pas tressauter. Le réflexe de protection instinctif et physique vient de plus loin encore que le réflexe habituel du pratiquant jeu vidéo. Là encore ma tentative de désamorcer la situation tendue en rigolant sous le casque cachait à peine une terrible sensation d’inquiétude physique. On a beau jouer les décontractés à qui on ne la fait pas, on sent venir le passage à tabac en totale passivité. Et l’anxiété s’installe au creux du ventre malgré soi. Le type s’agite maintenant debout, se rapproche encore, chalumeau allumé à main. On est assis, la présence massive du malabar nous domine, nos muscles se tendent parce que, hé, c’est un jeu vidéo n’est-ce pas ? Pas parce qu’on a vraiment peur du gros bras bien sûr. Bien sûr. Et le jeu va bien nous demander à moment ou à un autre de réagir avec nos petites mains agrippées aux deux manettes PlayStation Move, non ?
Un smartphone sonne dans la poche du bonhomme prêt à exploser. Il entame une conversation qui le calme à peine avant de se résoudre à nous tendre le téléphone. Le piège à enrôlement ici consiste à devoir quand même obéir au type qui nous ordonne de nous lever pour attraper le téléphone. On résiste, il insiste et je n’ai pas détecté de gestes ou de mots en boucle flagrants façon jeu vidéo en mode automatique. Il faut donc bien se résoudre à jouer le jeu de l’autorité et se lever. Le bras droit se tend instinctivement vers le téléphone, une main gantée flottante apparait dans la pièce (« écran » ne correspond plus), la mienne aucun doute, et j’appuie sur la gâchette comme demandé tout à l’heure par l’hôtesse de la vie réelle pour attraper le smartphone. Je le porte naturellement à l’oreille pour écouter le message de quelqu’un. Ce mélange de gestes réels dans un espace virtuel imaginaire est bien étrange, troublant. Fondu au noir.

Pourquoi on y croit ?

À cet instant entracte de la démo il faut revenir sur le pourquoi et le comment de l’impact réussit de l’immersion. London Heist prouve que certains développeurs maitrisent déjà drôlement bien les conditions techniques et artistiques d’une immersion physique et psychologique. Cela augure bien de la suite et de la vitesse des progrès. La présence tangible, incontournable, d’un corps physique humain, quasi charnel, en face de soi est bien le premier morceau de bravoure accompli par Heist. Bon acting en performance capture, certes, mais aussi bonne évaluation du volume du corps dans l’espace tridimensionnel, et en particulier de ses gestes et de ses rapports de distance avec nous, qui n’avons pas de corps à part les mains (ou alors j’ai oublié de regarder mes jambes). Dès que l’on croit à une présence près de soi dans ce monde virtuel, c’est gagné. Car, maligne, la séquence nous laisse le temps de nous ajuster. Le malabar sûr de lui et de sa position est assis quasi immobile devant nous. Il attend visiblement que nous reprenions connaissance en nous narguant. C’est le joueur étranger à la situation en revanche qui s’agite sur sa chaise pour découvrir l’endroit où il se trouve. Exactement comme dans la peau du personnage que nous jouons malgré nous : coincé sur une chaise, se réveillant sans doute après avoir été estourbi et trainé dans ce hangar à son insu. Surtout que de films en séries, cette scène là du héros mis en mauvaise posture par de violents truands est bien connue. On l’investi en un rien de temps. Avec en plus cette petite voix intérieure qui dit : non, ils ne vont pas nous faire ce coup-là ? Eh bien si. Et c’est un exemple parfait.
La seule chose que les programmeurs peuvent encore ajouter serait sans doute que le personnage réagisse vraiment à nos positions de têtes. Je ne crois pas voir remarqué que ce fut le cas. Quand nous détournons la tête pour ignorer royalement notre vilain interrogateur, celui-ci pourrait, devrait, se replacer devant nous, ou nous demander de le regarder en face. Cela viendra sans aucune doute.

Acte deux : la fin des minis jeux de tiroir

Le deuxième acte de la séquence rend les choses plus concrètes cette fois, et plus jeu vidéo. Du classique en terme de jeu vidéo, mais de l’inédit en qualité d’immersion et de sensation d’y être. La scène commence debout. La chaise du monde réel n’est plus derrière moi, j’ai vérifié d’un coup de talon. Une voix dans l’oreillette (on suppose) demande de fouiller un bureau-secrétaire devant soi, de trouver une clé dans un tiroir, de se méfier des vigiles qui font la ronde – on commence à voir leurs lampes torche au loin – et d’attraper un flingue dans un des tiroirs si nécessaire. Nos deux mains gantées flottent devant nous. On approche de la poignée d’un des tiroirs, on appuie sur la gâchette du PlayStation Move, on tire vers soi et le tiroir s’ouvre naturellement, de l’exacte distance tirée. Je referme d’ailleurs aussitôt le tiroir et refait le geste plusieurs fois. Et chaque fois ça marche, je tiens le tiroir bien en main. Adieu toutes les raideurs des ouvertures de tiroirs de The Last of Us à SOMA (pour n’en citer que deux). Pareil pour le tiroir d’à côté et le grand en dessous. Le meuble devant moi existe donc concrètement dans une semi obscurité. J’attrape une lampe torche de la même manière instinctive avec la main droite. J’éclaire mieux le meuble. Je n’aurais pas le temps de trouver la clé en question, je m’amuse trop à ouvrir et fermer les tiroirs, à lâcher la lampe et à la reprendre en serrant bien la main. Je trouve aussi ce qui ressemble à des chargeurs de révolver dans un tiroir. Je les prends sans effort et les pose sans ménagement sur le bureau. J’attrape, je lâche, j’attrape, je jette, tout ça avec mes petites mains virtuelles qui ne le sont plus tout à fait.

Légitime jouissance

La grande salle devant moi s’éclaire brusquement. Des tireurs en costumes se faufilent partout et se cachent derrière les fauteuils, style Uncharted. J’entends des coups de feu et des balles siffler à mes oreilles. La voix dans l’oreillette me suggère de me cacher derrière le secrétaire. Comment ça ? Comment ça ? Je me baisse, je mets un genou en terre, pour de vrai, le sol est dur, et je vois bien que mon regard se retrouve désormais au ras du bureau, à l’abri des balles. Mon dieu. Action, j’y suis ! Je me relève un peu, ouvre en catastrophe un tiroir oublié, je vois le flingue. Je ne me pose pas de questions je le prends de la main gauche qui m’est naturelle et, oui, je commence à viser les silhouettes et je tire. Time Crisis, Blue Estate nous revoilà. Mais dedans, en plus joli, en plus immersif c’est sûr. Le révolver tressaute à chaque balle, l’impact est juste, la visée aussi. Le PlayStation Move vibre-t-il ? Je ne sais plus, là sur le moment je le crois. Plus de balles ! J’attrape de la main droite disponible un des chargeurs sur le bureau. Mes deux mains se rapprochent instinctivement, le révolver d’un côté, le chargeur de l’autre. Ai-je fait ça toute ma vie ? Le chargeur s’enclenche sans effort dans la crosse du révolver. Clik Klak, c’est reparti ! Mais d’où viennent ses balles qui me frôlent de plus en plus alors que je suis accroupi ? Bon sang ! Il y a un balcon bien sûr, deux mêmes ! Il suffit de lever la tête idiot. Et le bras, et de viser Instinctivement. Je ne crois pas que je puisse vraiment m’éloigner du bureau ou le contourner, et de toutes façons je ne le souhaite pas tant qu’il y a des tireurs embusqués. La sensation jouissive de jouer au cow-boy retranché derrière son bar dans une attaque saloon est trop forte. Et si je penche le flingue de côté façon gangsta pour viser, ça marche ? Oui, ça marche et la frime idiote qui va avec. Si on doit faire des choses, même au goût douteux, autant les faire avec du style. Les assaillants sont tous à terre. Fondu au noir.

Partir, ne plus revenir

24h plus tard j’ai encore la tête dans cette démo, dans cet autre monde où évidemment un garçon ordinaire se délecte de défier un gros bras et de manipuler un pistolet. Mais demain, demain je serai au volant d’une voiture, je me ferai peur au milieu d’une maison fantôme, je me faufilerai un chemin dans la jungle entre les pattes de dinosaures. David Cage si tu me lis, tu ne me feras pas croire que ton Detroit ne fonctionnera pas en VR. James Cameron j’en suis sûr, avec toute la technologie de filmage réel/virtuel que tu t’es inventé, ton ou tes prochains films Avatar pourront être présentés en full VR. J’ai goûté à une seconde life. Je sais qu’on ne fera pas que s’y entretuer et que grâce au talent sensible de certains artistes (Jenova Chen, Quantic Dream, Media Molécule…) on saura aussi s’y aimer. Alors je n’attends plus qu’une chose : y retourner. Demain, tous ensemble, nous allons imploser la matrice.

François Bliss de la Boissière

 


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Splatoon : Couleurs Sega

Depuis Animal Crossing et Pikmin, voilà une quinzaine d’années que Nintendo n’avait pas présenté un nouveau concept de jeu vidéo digne de ses Mario ou Donkey Kong.

D’un point de vue créatif et artistique l’évènement est d’importance. Heureusement, malgré un vague sentiment de familiarité (une ambiance funk hyper colorée du style Sega des années 90, des personnages s’exprimant sous forme de borborygmes) Nintendo invente ou plutôt réinvente bel et bien un nouveau style de jeu. En l’occurence Splatoon parodie à la fois les hyper populaires jeux de tir en ligne et les vraies parties de paintball dans la nature. Équipé d’un pistolet à encre descendant du pistolet à eau de Mario Sunshine (GameCube, 2002) les joueurs en équipes de 4 contre 4 en ligne arrosent les décors de couleurs pour occuper le terrain. Grâce à des situations et des personnages délirants moitié calamars obligés de s’aplatir dans les flaques de peinture pour mieux se faufiler dans le décor et grimper sur les murs, le jeu éclabousse très vite de rires et de couleurs. Nintendo met en avant les efficaces parties multijoueur en ligne mais le généreux mode solo est sans doute la vraie pépite. Là, le joueur traverse des niveaux aux architectures finement ciselées tout en échangeant des jets de peintures avec de gentils adversaires plus farfelus les uns que les autres.

  • Wii U
  • 1 joueur (2 joueurs en local, 8 en ligne)
  • Compatible Amiibo
  • Nintendo
  • PEGI * : à partir de 7 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en août 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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What remains of Edith Finch : Lettres de noblesse

Tout en restant accessible, c’est encore une production indépendante pointue concoctée avec passion en-dehors des grands éditeurs qui donne de nouvelles lettres de noblesse au medium jeu vidéo.

Contrairement au silencieux Rime sorti aussi récemment (chronique ici), ce sont les mots qui font d’abord avancer le jeu d’aventure et d’exploration : la voix off d’une jeune femme de retour dans sa maison familiale, les mots écrits dans les journaux et courriers des membres disparus de la famille, les bulles dans des BD vintage mettant en scène des souvenirs familiaux…

Chaque pièce visitée en vue subjective de la grande demeure familliale abandonnée au bord d’un lac de l’état de Washington aux USA est prétexte à la découverte d’une histoire passée. Car il s’agit là, un peu à la manière des contes d’Edgar Allan Poe, de lever le voilà sur le destin macabre d’une douzaine de membres d’une famille norvégienne dont l’arbre généalogique remonte à 500 ans.

Descendant bien sûr des meilleurs « walking simulators » * Gone Home, Vanishing of Ethan Carter ou Firewatch, Edith Finch se distingue, outre son écriture et sa réalisation entre BD et photoréalisme, en multipliant les points de vue. Au moment de revivre les scènes du passé, le joueur se retrouve ainsi parfois provisoirement dans la peau d’un chat, d’un serpent, voire d’un… requin !

* « Simulateurs de marche » : terme moqueur pour décrire un type de jeu à vocation littéraire basé sur l’exploration et l’observation.

Note :
En juillet 2022, une mise à jour gratuite permet de profiter de l’aventure en qualité next-gen sur PlayStation 5 et Xbox Series !

  • Supports (téléchargement) : PC, PS4, PS5, Xbox One & Series
  • 1 joueur
  • Voix off en anglais STF, textes en français
  • Giant Sparrow
  • PEGI : à partir de 16 ans
François Bliss de la Boissière

(Publié en septembre 2017 dans le mensuel Comment ça marche)


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The Witcher 3 : Hors du commun

Rien ne prépare au choc visuel et sensoriel du 3e épisode d’une série d’abord appréciée sur PC pour ses qualités d’écriture.

Adaptée d’un cycle de romans d’héroïque fantasy de l’écrivain polonais Adrzej Sapkowski, l’histoire suit le parcours d’un « sorceleur », sorte de magicien aventurier-détective, qui loue ses services aux villageois, seigneurs et nobliaux sur sa route. À sa vocation principale consistant à pister puis tuer des créatures fantastiques ou maléfiques (griffon, loup-garou, spectre…) qui empoisonnent la vie des habitants, s’ajoutent d’innombrables quêtes secondaires : retrouver un fils égaré, traquer un incendiaire, soulager un blessé… La routine bien rodée du RPG (jeu de rôle) prend ici une dimension tout à fait inhabituelle en gardant une échelle humaine aux situations où chaque pas, chaque rencontre et chaque combat compte vraiment. À cheval, à pieds ou en bateau à voile, le héros traverse les étendues verdoyantes, marécageuses ou enneigées d’un gigantesque monde médiéval fantastique balayé sans interruption par le vent. La présence enivrante de la végétation, de la nature sauvage (biches, cerfs, loups…) ou domestique (animaux de basse-cour crédibles) n’a jamais été aussi bien récrée. Une expérience totalement hors du commun néanmoins réservée à un public averti (scènes sanglantes et de nudités).

  • PC, Xbox One, PS4
  • 1 joueur
  • VF et VO anglaise (recommandée)/polonaise sous-titrées français
  • Namco Bandai
  • PEGI * : à partir de 18 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en août 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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Ori and The Blind Forest : Chef d’oeuvre néo-rétro

Contre toute attente, le premier chef d’oeuvre 2015 du jeu vidéo sur console surgit en exclusivité sur Xbox One (et PC Windows). Bien inspiré, Microsoft a ainsi produit un jeu dit « indé » couvé pendant 4 ans par une équipe de vétérans amoureux des jeux de plateforme-aventure à la Super Metroid et Castlevania des années 90.

Ori and the Blind Forest

Chargée de ranimer une forêt géante, la merveilleusement vivante petite créature Ori se dirige de droite à gauche dans un monde de branchages, jungles, marais et grottes dessiné et animé avec une qualité inédite à ce niveau de détail. Feuillages, eaux, créatures ennemies, tout semble palpiter et respirer autour des troncs noueux d’arbres géants et de roches gigantesques. Le mélange d’animisme à la japonaise et de tradition perfectionniste du dessin animé à l’américain accouche d’un résultat époustouflant. Bien entendu, une aussi belle réalisation graphique et sonore ne suffit pas à faire un bon jeu. La surprise devient alors totale en découvrant au bout des doigts et des méninges (parce qu’il faut se donner du mal pour trouver son chemin) un jeu extrêmement agréable et manipulable puisant, cette fois, dans la tradition du savoir-faire Nintendo. La difficulté (sauts d’adresse, esquives ennemis) est aussi au rendez-vous mais, contrairement à d’autres, rarement ingrate.

  • Xbox One, PC (Windows) (téléchargement)
  • 1 joueur
  • Microsoft
  • PEGI * : tout public

François Bliss de la Boissière

(Publié en juin 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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DmC Devil May Cry : Definitive Edition : Gothique pop

Beaucoup trop de jeux confondent agitation hystérique avec énergie dirigée dans un gameplay vif, précis, dynamique où le joueur se sent aux commandes d’un pouvoir fuyant mais toujours à sa portée. En confiant un de ses bébés au chic studio britannique Ninja Theory, l’éditeur Capcom a fait mieux que relancer une série d’action essoufflée, elle lui a offert une renaissance.

DmC Definitive Edition

Cette réédition du jeu de 2013 remasterisée en 1080p et fluidifiée par un affichage de 60 images/seconde remet en lumière une direction artistique et technique sans égale du studio Ninja Theory. Entre réalité contemporaine effondrée et limbes pop-gothiques insaisissables, au sol ou suspendu dans les airs dans un ballet de combats au sabre et aux doubles pistolets bling-bling dignes du Roméo + Juliette de Baz Luhrmann, le jeune Dante, dandy punk-rock insolent, défie les hordes de l’enfer au sein d’une messe surréaliste et rock’n roll improbable où sont convoqués les délires visuels de Salvador Dali, Max Ernst et bien d’autres. Bien joués par des comédiens en motion capture, contenant tous les bonus (costumes, personnages, galerie d’illustrations à débloquer en jouant) parus depuis, dont le chapitre Virgil’s Downfall, 20% plus rapide, accessible avec 3 niveaux de difficultés dont un inédit mode « hardcore », cette édition est en effet « définitive ».

  • Xbox One, PS4
  • 1 joueur
  • Ninja Theory/Capcom
  • PEGI * : à partir de 16 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en juin 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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The Order : 1886

Impressionnant et très abouti, cet ambitieux jeu d’aventure et d’action/tir appartient à une école de jeux signés Sony puisant leur influence dans la dramaturgie du cinéma (Beyond : Two Souls, la série Uncharted, The Last of Us…).

The Order 1886

The Order privilégie alors histoire, personnages, immersion et reconstitution minutieuse des lieux, ici un Londres fantastique de l’époque victorienne. L’expérience émotionnelle emprunte ainsi au cinéma ses effets de mise en scène et son pouvoir d’entrainement et de fascination d’une scène à l’autre. Aucun hoquet technique ne rappelle qu’il s’agit là d’un « logiciel » de jeu. L’enchaînement totalement fluide et ininterrompu entre les séquences d’action où le personnage se déplace librement dans le décor, les cinématiques dramatiques où les comédiens interprètent de manière théâtrale leurs dialogues* et les séquences de tir et de cache-cache (violence parfois un peu gratuite), inventent une expérience dirigiste mais globale. Le combat d’un ordre de puissants chevaliers/grognards contre des créatures fantastiques hybrides (lycanthropes…) et des rebelles à l’Empire gagnent alors en épaisseur et en crédibilité.

* Basculer l’interface de la PS4 en anglais permet d’entendre souvent les VO hélas absentes dans les Options, mais sans sous-titres français.

  • Support : PS4
  • 1 joueur
  • Sony Computer
  • PEGI * : à partir de 18 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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The Legend of Zelda : Majora’s Mask 3D : En perspectives

Tout en gardant les fondamentaux de son gameplay action/aventure/exploration, chaque jeu Zelda s’appuie sur un concept unique et fort (musique, océan…). Inhabituellement sombre, celui de Majora’s Mask traumatise depuis 15 ans.

Zelda Majoras Mask 3D

Sorti en 2000 sur console N64 deux ans après le chef d’oeuvre Ocarina of Time auquel il emprunte l’habillage graphique, Majora se distingue en situant l’aventure dans le monde parallèle et claustrophobe de Termina où la lune menace de tomber et de tout détruire. Link n’y cherche pas la princesse Zelda mais le garnement Skull Kid qui a dérobé le masque du titre. Pressé par le tic-tac implacable d’une horloge géante et une échéance incompressible de trois jours et trois nuits, Link revit autant de fois que nécessaire les trois journées. Équipé de dizaines de masques aux fonctions mystérieuses dont certains le transforment complètement en d’autres créatures, Link doit apprendre par coeur les habitudes des habitants de Termina de façon à accomplir la bonne tâche au bon moment des 72 heures à sa disposition (environ 1 heure réelle). Entièrement refait sur 3DS et embelli par la 3D auto-stéréoscopique, le jeu hyper complexe en profite pour s’assouplir un peu (points de sauvegardes améliorés) et utiliser le stick droit de la nouvelle New 3DS pour le contrôle de la caméra.

  • 3DS (contrôle amélioré sur New 3DS)
  • 1 joueur
  • Nintendo
  • PEGI * : à partir de 12 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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Zelda Wii U : ce sera tout ou rien

ÉDITO. La Wii U a besoin d’un sauveur et, en 2015, son nom est Link. Quels que soient les jeux à venir, seul le prestige d’un Legend of Zelda remettra la Wii U et Nintendo dans la lumière et les coeurs. Mais à quoi faut-il s’attendre exactement ?

Note: Le Zelda en question sera finalement Breath of The Wild qui sortira simultanément sur Wii U et sur Switch. Soit comme avec Twilight Princess  à la fois en guise de crépuscule d’une console et d’aube pour une autre !

Zelda Wii U : horizon dégagé

Après le fantastique remake HD de Wind Waker, la commercialisation de celui de Majora’s Mask attendu avec une impatience renouvelée depuis au moins l’apparition clin d’oeil du masque de Majora accroché à un mur de Zelda : A Link Between Worlds, laisse désormais la place libre au projet Zelda sur Wii U. Même si Nintendo continue de surveiller l’exploitation commerciale quasi sacrilège de parcelles d’Hyrule distribuées vers Mario Kart (Link en moto ? Aussi cool qu’hérétique), Hyrule Warriors ou en Amiibo, Aonuma et son équipe principale peuvent et doivent désormais se concentrer uniquement à ce Zelda version Wii U, et donc, à l’échelle Nintendo : nextgen. Toute la planète jeu a évidemment frémi devant l’extrait du jeu présenté à l’E3 2014, et en particulier face, tout bêtement, à l’écran immobile montrant un Link à cheval en train de regarder tranquillement l’horizon au milieu de plaines verdoyantes. Les extraits de gameplay ont ensuite révélé en décembre ce que au fond, chacun attend au minimum : un jeu parfaitement animé, détaillé, fluide, lumineux, généreux. Généreux… comme un monde ouvert, ont promis Aonuma et Miyamoto mais ouvert jusqu’où ? La démo révèle que Link est capable de se jeter d’une montagne et de planer en temps réel jusqu’à un point très éloigné de la carte. Les paysages dessinés à l’horizon seraient tous accessibles en temps réel, nous dit-on. Sans surprise, alors qu’il prétend ne jouer que pendant ses heures de travail, Aonuma a confié dans une interview récente jouer à… Far Cry 4 pendant ses loisirs. Cela n’a rien d’un hasard…

Une légende vraiment à l’épreuve du temps

Tous ceux qui s’y sont essayés le confirmeront (et ils sont nombreux désormais), écrire sur les jeux Zelda s’avère aussi facile que compliqué. La passion pour la saga de Link au royaume d’Hyrule injecte mille souvenirs dans les doigts sur le clavier. Mais chaque aventure fait désormais aussi l’objet de mille observations, de déconstructions thématiques comme mécaniques (ah les vilains speed runners sacrilèges et pourtant si plein d’amour pour donner autant de leur temps à bégayer et raccourcir le trajet de Link). Après des années de silence culturel autour du jeu vidéo, les livres sur le jeu vidéo ne manquent plus, et les ouvrages sur Zelda en particulier non plus. Nintendo lui-même commercialise une encyclopédie Zelda (Hyrule Historia) évidemment incontournable.
Malgré la profusion d’infos, quelle ne fut pas notre surprise d’apprendre des détails inédits et parfois mêmes croustillants à propos d’Ocarina of Time et Majora Mask’s à l’occasion de la dernière table ronde Iwata Asks consacrée au remake 3DS de Majora ? Sans forcément lever le voile sur tous les secrets intimes de la création et du fonctionnement de l’entreprise Nintendo, Eiji Aonuma nous apprend tout de même la pression que lui a imposé le déjà tout puissant Miyamoto pour concevoir Majora en une année seulement après Ocarina, qui en deviendront deux. Saturo Iwata souligne à ce sujet et non sans cynisme que le remake 3DS pris en charge par Grezzo a été conçu en 3 ans lui, soit en plus de temps que l’original ! Un luxe nécessaire et qui permet bien entendu à Nintendo de faire coïncider la sortie de Majora’s Mask avec celle de la New 3DS comme Ocarina of Time 3D avait fait décoller la 3DS quelques mois après sa commercialisation. Nouvelle preuve, s’il en fallait, de la synergie hardware/software indissociable du savoir faire Nintendo.

Zelda porte-drapeau hardware de Nintendo

Depuis quelques années, les jeux Zelda ont pris le relai des jeux Mario pour jouer les ambassadeurs hardware. Conçu pour la GameCube, Twilight Princess a été retravaillé et repoussé d’une année pour sortir avec la Wii et faire la démonstration du couple Wiimote/Nunchuk. Les jeux de l’épée de Skyward Sword ont été raffinés pour mettre en valeur le Wii Motion Plus avant d’être intégré dans les Wiimote. Link’s Crossbow Training a été conçu pour le Wii Zapper. Les remakes de Ocarina of Time puis Majora’s Mask ont été chacun leur tour les ambassadeurs technologiques premium de la 3DS puis de la New 3DS. Que va-t-il se passer alors avec le Zelda Wii U ? Le jeu va-t-il nous présenter lui aussi un nouvel accessoire ? Sinon, il s’agira du premier Zelda depuis des années à interrompre cette logique (si l’on exclu le remake HD de Wind Waker qui faisait néanmoins implicitement la preuve des qualités graphiques de la Wii U).
Dans leur présentation de fin décembre, le couple Aonuma/Miyamoto a fait la démonstration du Zelda Wii U en s’appuyant surtout sur les fonctionnalités du Gamepad tenu en mains. Utiliser tout le potentiel créatif du Gamepad vanté par Nintendo mais au fond si peu exploité pourrait suffire à soutenir le nouveau Zelda. D’autant que sans forcément le citer, Saturo Iwata a récemment réaffirmé la volonté de Nintendo de démontrer toutes les possibilités du Gamepad. Néanmoins, les derniers usagers Wii U devraient le confirmer, une fois la nouveauté passée, le Gamepad entre les mains devient vite crispant. La position écartée des mains forcée par l’écran du Gamepad ne crée pas la même sensation de contrôle intime d’une manette traditionnelle comme le rappelle le triste et heureux retour de la manette GameCube pour Smash Bros. De fait, Wind Waker HD utilise déjà de manière complémentaire le Gamepad. Pour surprendre, le nouveau Zelda est condamné à faire mieux que de présenter la carte d’Hyrule, même interactive, de permettre la gestion des objets, ou de viser façon vue subjective gyroscopique de la 3DS.

Link, le nouveau joker de la Wii U

Puisque Link défend désormais le hardware, Zelda arrivera forcément et naturellement dans le rôle du sauveur Noël 2015 d’une Wii U abandonnée par les éditeurs tiers (sauf le fidèle mais déçu Ubisoft). Comme l’anglais le dit mieux : ce devrait être le « second coming » de la Wii U. Depuis des mois Nintendo s’arc-boute sur son business modèle Wii U, rejoue des partitions bien connues avec des Mario Kart et des Smash Bros calibrés qui font tourner les moteurs et les tirelires. Mais le gamer avide d’inédits ambitieux made in Nintendo ne s’y trompera pas. L’excellent Captain Toad qui sera suivi d’ici la fin 2015 par les non moins prometteurs (faut-il douter du Nintendo Seal of Quality ?) Splatoon, Mario Maker, Yoshi Woolly World et Star Fox (supervisé par Miyamoto lui-même) éviteront à la Wii U de trop s’engourdir. Mais qu’on se le dise, ces jeux là ne seront que des amuse-gueules. Le vrai morceau, l’unique morceau – de bravoure qui illuminera la Wii U et qui fait que l’on s’accroche encore aujourd’hui au Gamepad comme à une bouteille à la mer, est bel et bien le Zelda nextgen conçu uniquement pour la Wii U.

Le monde a besoin d’un Zelda king size, sur grand écran, à la hauteur des puissances d’affichages d’aujourd’hui. Skyrim, Dragon Age Inquisition, Far Cry 4 et même les Assassin’s Creed ou le prochain The Witcher sont autant d’exemples à suivre. Y compris parce ceux-ci descendent tous du tout premier Zelda de la NES/Famicom puis, en version 3D, d’Ocarina of Time. Il serait donc temps que Nintendo rattrape ses héritiers et leur montre, pourquoi pas, de nouveaux horizons. Parce que, il faut le reconnaître, les centaines d’heures englouties dans tous ces jeux open world fourmillants d’activités n’abritent pas tant que ça de trouvailles de gameplay. Ils fonctionnent tous sur des boucles de gameplay, combats/loot/xp/repeat… tout juste rhabillés de décors et de contextes. À ce jour, même si en retard techniquement, les Zelda restent encore les patrons du gameplay évolutif ou chaque geste appris conduit à une nouvelle situation qui elle-même déclenche de nouvelles sollicitations physiques et mentales. Mais quels genres de bonnes et mauvaises surprises nous prépare Nintendo avec ce Zelda ?

Hyrule : futur royaume des animaux ?

Aonuma l’avoue donc indirectement, le monde ouvert et sauvage du Far Cry (4) d’Ubisoft est un objet d’étude pour la team Zelda chez Nintendo. Le deltaplane de Far Cry qui laisse survoler les vallées jusqu’à un point d’atterrissage, la vie sauvage en liberté, la chasse aux prédateurs, le contrôle plus ou moins indirect des animaux pour attaquer, voilà autant de moments fous et convaincants de Far Cry 4 à reproduire voire, si Nintendo a encore la magic touch, à améliorer. En tous cas à adapter au gameplay souple et pacifique de Zelda. Après tout, cavalier émérite et déjà en bonnes relations avec le royaume animal, Link fréquente depuis longtemps les chats et les poules, les cochons et les vaches, les oiseaux et les abeilles, sait déjà pêcher, attraper les papillons, jouer au cow-boy fermier avec des chèvres et sympathiser avec les petits singes… Mais que va donc faire Link obligé de caresser dans le sens du poil un hardware pur et dur innovant et un animal kingdom douillet et, en général, rassurant ?

Alerte game design : éviter les mêmes erreurs

On n’aura surtout pas l’outrecuidance de prétendre donner des leçons de game design à Nintendo. Toutefois, les intentions déclarées de Aonuma concernant ce Zelda Wii U et les grossièretés flagrantes non esquivées des derniers Zelda console de salon, Twilight Princess et Skyward Sword, laissent planer quelques inquiétudes. Pour plusieurs raisons ces deux derniers Zelda (ils mériteraient déjà des remakes complets, mais c’est une autre histoire) n’ont pas été tout à fait à la hauteur de la légende. Cherchant à vendre un Zelda plus « mature » avec une apparence plus proche des RPG occidentaux (moins de couleurs donc), et coincé par les limites de la GameCube, Twilight Princess est devenu un des Zelda les plus moches et graphiquement antidatés de son histoire. Nintendo y privilégie les grandes étendues et les grands décors au détriment des détails. Tout y semble en carton, à commencé par la nature et les arbres figés. Plus coloré et quand même mieux animé, Skyward Sword développé vraiment pour la Wii souffre, lui, d’un préambule bavard et interminable. À l’échelle du savoir-faire Nintendo, ce long tunnel obligatoire avant de s’envoler ressemble fort à une erreur de game design. De mémoire, il semble que Nintendo se soit plus ou moins excusé auprès des joueurs de cette trop longue introduction. Heureusement, la suite spirituelle de A Link to the Past sur 3DS a remis les pendules à l’heure. Zelda reprend enfin toutes ses couleurs dans A Link Between Worlds et l’idée consistant à mettre tous les objets et armes à disposition dès le début de l’aventure ressemble fort à une révolution conceptuelle. Quels défauts et quelles qualités va donc hériter le Zelda Wii U ? Graphiquement, même sans le style marqué toon shading de Wind Waker, ni le magnifique style tissu du mini Zelda de Nintendoland, le nouveau Zelda semble parfaitement animé et coloré.

Alerte game design : open world à trop tout faire

Aonuma a déjà prévenu que, façon open world, Hyrule serait toujours ouvert à l’exploration, sans doute sur le modèle de A Link Between Worlds, à grand échelle bien sûr. Mais qui dit open world, dit syndrome GTA et Assassin’s Creed. Faut-il craindre un Zelda éparpillé en centaines de mini quêtes et activités de remplissage (la fastidieuse pêche aux coffres et à la Triforce du Wind Waker GameCube original a laissé quelques marques indélébiles) ? De Nintendoland à Captain Toad, Nintendo a justement tendance ces dernières années à privilégier dans ses projets consoles de salon les mini games aux jeux de grande haleine. Quitte à casser l’élan de la course de Mario lui-même dans Super Mario 3D World. Sans doute un héritage du développement de jeux sur 3DS mobile. Encore une fois, du point de vue exploration tranquille et infinie de vastes contrées fantastiques, les modèles et repères gamers se nomment désormais The Elder Scrolls, Oblivion, ou Skyrim, Dragon Age (Inquisition) ou Far Cry et sans doute bientôt The Witcher. Déjà à l’époque du projet Ocarina of Time quand les mondes virtuels en 3D commençaient tout juste à naître, tout le monde se demandait avec quoi le joueur allait s’occuper dans tant d’espace vide. L’exploration émotionnelle de l’espace et des architectures n’était pas encore née, ni donc vécue. Aujourd’hui encore malgré les qualités avérées de ce type d’expérience contemplative (assumée par exemple par Journey) la peur du vide incite les développeurs à surcharger leurs jeux open world d’activités répétitives. Depuis A Link to the Past, l’expérience physique de l’espace et du temps qui se hume (chronologique et météorologique) fait partie de l’ADN de Zelda.

Alerte game design : le multi à tous prix

Autre tendance cette fois piochée dans le reste de l’industrie du jeu vidéo, Zelda pourrait aussi se diriger vers des modes multijoueur en ligne, notamment coopératif. Pionnier là comme ailleurs, Nintendo en avait déjà fait l’expérience avec un Wind Waker jouable sur GameCube avec un partenaire connecté en même temps avec la Game Boy Advance. Zelda Four Swords Adventures a ensuite poussé jusqu’au bout le concept d’un Zelda multi avec 4 joueurs Game Boy Advance réunis sur GameCube. Même si Link a toujours été pour l’essentiel un personnage partant seul à l’aventure, il y a de fortes chances que Nintendo inclut de manière plus ou moins optionnelle, un mode compagnonnage occasionnel à la Dragon Age Inquisition. Là aussi, l’ADN de Zelda est ailleurs mais…

Alerte game design : le piège Musou

Dans les extraits de gameplay du Zelda Wii U montrés par Aonuma et Miyamoto, Link chevauche sans contrainte les plaines d’Hyrule, et même la forêt en esquivant les arbres automatiquement. À cheval il peut frapper les ennemis à terre comme dans Twilight Princess, et le tir à l’arc bascule en mode bullet time pour mieux viser dans un joli ralenti. Autant de mécaniques de gameplay que Nintendo fignolera sans aucun doute. Dans le même temps Aonuma déclare fièrement à un Miyamoto qui joue les candides que Link peut ainsi chevaucher 3 à 4 mn sans discontinuer tellement les distances de terrain sont grandes. On se souviendra que, à pieds ou au galop, la grande plaine de Twilight Princess était bien vide. Pour donner vie aux plaines et collines du Hyrule nextgen et pour occuper Link sur son trajet, il ne faudrait pas que Nintendo rejoue le projet Hyrule Warriors et glisse entre deux donjons classiques des combats hack & slash à la Dynasty Warriors juste parce que la Wii U peut afficher des centaines de créatures passives à l’écran en même temps. Quand on pense que même Dragon Quest (Heroes) se la joue beat’em all énervé à la Dynasty Warriors, tout est à craindre de cette tendance Musou m’as-tu-vu.

Place au mystère

De ce nouveau Zelda inévitablement géant on ne sait rien, au fond. Aonuma déclare vouloir tenter de redéfinir les « conventions » bien connues de gameplay, revenir à une exploration et une approche des donjons moins dirigistes. Après la revisitation réussie de ces mêmes conventions dans A Link Between Worlds, rien ne laisse supposer que Nintendo ne trouvera pas la bonne nouvelle formule. À condition de ne pas tomber dans tous les pièges évoqués ci-dessus par un simple observateur passionné et tous ceux que seuls les professionnels de la profession savent voir et affronter. À la métaphore dépressive du demi verre vide ou plein on préférera, pour regarder venir en grand optimiste ce nouveau Zelda, le demi verre vide. Ce que l’on ne sait pas encore de ce Zelda est sans doute le meilleur : Zelda « hospitalier » comme Ocarina of Time ou « challenge » comme Majora’s Mask (voir Iwata Asks) ? Nouvel accessoire ou réinvention vraiment ludique du Gamepad Wii U ? Après le dark world, le voyage dans le temps, la musique et la chevauchée, l’éternel retour et les masques, le vent et la mer, la mutation en loup et le vol d’oiseau, quel est donc le nouveau concept FORT qui portera le Zelda Wii U ? Derrière ces mystères se cachent justement la continuation de la légende. Celle de Zelda, de Nintendo et de toute l’industrie du jeu vidéo forcément à l’affut.

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2015 sur Gameblog)

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.

This War of Mine : Vécu

Un studio de développement polonais ose prendre le contre-pied des habitudes de l’industrie du jeu vidéo en adoptant le point du vue des victimes civiles de la guerre plutôt que celui des habituels soldats.

This War of Mine

Dans un simili noir et blanc crayonné de circonstance, le jeu demande ainsi d’assister un groupe de survivants en détresse dans les ruines d’immeubles d’une ville dévastée. Le contexte s’inspire avec force et pudeur du siège de Sarajevo pendant la guerre des Balkans au mitan des années 90. L’écran présente lieux et immeubles en coupe de profil, le joueur survole ainsi du regard et de la souris les étages et les activités des survivants qu’il faut guider individuellement dans diverses tâches : fouille et collecte de matériaux et de nourriture dans les décombres, fabrication d’objets, soin aux blessés, trocs de biens indispensables mais rares entre survivants. Mélange de stratégie et de gestion de ressources, le jeu se déroule en temps réel et oblige à faire des choix drastiques dans l’urgence et l’affaiblissement physique (parfois mortel) et moral des victimes. Sobrement émotionnel, cette simulation de survie atmosphérique multitâche et responsable intègre un lien vers l’ONG humanitaire War Child.

  • PC, Mac, Linux, IOS
  • 1 joueur
  • VF et VOST
  • 11 bit Studios/Deep Silver
  • PEGI * : à partir de 18 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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Never Alone (Kisima Ingitchuna) : Pédagoludique

Mélange de jeu vidéo et d’outil pédagogique destiné à mieux faire connaître le peuple Inupiat (population Inuit de l’Alaska vivant dans le grand nord canadien) cette production indée très attachante incite à contrôler alternativement une jeune esquimau et le petit renard blanc qui ne la quitte pas.

NeverAlone

Deux joueurs avec chacun une manette se partagent ainsi éventuellement les tâches ensemble. La jeune inupiat sait tirer ou pousser les obstacles puis casser la glace en projetant des bolas (arme de jet) tandis que le leste renard blanc arrive à s’agripper aux parois verticales jusqu’à atteindre leur faîte. L’une et l’autre s’entraident ainsi cahin-caha dans leur parcours contre la nature rugueuse du grand nord. Assistés d’esprit invisibles bienveillants, ils surmontent la neige et le blizzard en se hissant sur des falaises de glace, en sautant d’icebergs en icebergs, en fuyant un ours polaire sans chuter dans la mer glacée… Certains passages nécessitent de réfléchir un peu avant d’agir. Agréable même si approximatif et très classique, le jeu de plateforme pratiqué de gauche à droite devient précieux grâce à la présence des 24 documentaires vidéos témoignant en détails de la culture inupiat.

  • PC, PS4, Xbox One  (téléchargement)
  • 1 joueur (2 en coopération locale)
  • VO inupiat ou anglaise sous-titrée française
  • Upper One Games
  • PEGI * : tout public

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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Dragon Age : Inquisition : Voyage vers l’inconnu

Champêtre et coloré, le 3e chapitre de la saga Dragon Age signée Bioware dégage un charme enjoué que ne possédaient pas ses prédécesseurs. Bien que plombée par une Heroic fantasy à la Tolkien surchargée de dialogues mal joués et d’intrigues fumeuses inutiles à l’action, l’aventure devient fascinante quand elle laisse enfin le joueur explorer librement le gigantesque monde offert à lui.

Dragons Age Inquisition

Entouré de trois compagnons contrôlés par le programme (guerrier, mage, « voleur »…), à pied ou à cheval, le joueur arpente avec un grand sentiment de liberté de beaux paysages de vallées, forêts et montagnes ponctués de grottes, villages, fermes et, bien sûr, de donjons et châteaux. En temps réel, les combats contre soldats, démons surnaturels et faune (bouquetins, chiens sauvages, grizzlis…) dépendent d’abord des statistiques liés à la puissance et à l’équipement des personnages qu’il faut donc gérer minutieusement. Une vue tactique du dessus alternative rappelle ainsi qu’il s’agit d’abord d’un jeu de rôle et non d’un jeu d’action pur lors des combats. Malgré d’étranges maladresses (interface confuse, saccades, mouvements buggés des personnages…), le jeu devient peu à peu un long et enivrant voyage vers l’inconnu.

  • PC, PS3, Xbox 360, PS4, Xbox One
  • 1 joueur (2 à 4 en réseau)
  • VF et VOST
  • Bioware/Electronic Arts
  • PEGI * : à partir de 18 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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Captain Toad : Treasure Tracker : Mise en boite Nintendo

Il y avait bien longtemps que Nintendo n’avait pas sorti un jeu totalement inédit et calmement efficace, notamment sur Wii U. Voilà chose faite et quel plaisir de retrouver intact le savoir-faire interactif de la maison de Mario.

Captain Toad Tresure Tracker

Vedette déjà exceptionnelle invitée dans le dernier Super Mario 3D World sur Wii U le temps de quelques parcours casse-têtes, le petit personnage secondaire de la famille Mario, Toad, prend définitivement le devant de la scène pour rejouer sur plusieurs dizaines de « stages » inédits le même principe de jeu de réflexion et d’exploration apaisée. Équipé d’une lampe frontale de chasseur de trésor, Toad traverse d’un pas tranquille (il ne saute pas, lui) des décors repliés sur eux-mêmes comme des mini labyrinthes en volume brouillant les perspectives (murs escamotables, recoins cachés, sols ou plafonds sans dessus dessous…). Avant d’atteindre la sortie, il récupère pièces d’or, rubis et un champignon d’or particulièrement bien caché. Sans ambition majeure, niveau après niveau, le jeu déroule une ribambelle infinie de trouvailles créatives et de nombreux clins d’oeil à l’univers Nintendo. Le gameplay parfois asymétrique utilise même le Gamepad de façon complémentaire ou originale.

  • Wii U
  • 1 joueur
  • Nintendo
  • PEGI * : tout public

François Bliss de la Boissière

(Publié en mars 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

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LittleBigPlanet 3 : innocence perdue

Syndrome ingrat : plus un jeu est original et atypique plus ses suites perdent charme et innocence. C’est sans doute pour cela que ce 3e opus confié par ses parents originaux (Media Molecule) à des parents d’adoptions (Sumo Digital, tout aussi britannique) vise d’avantage les enfants.

LittleBigPlanet 3

Trop présentes, les voix off des narrateurs et instructeurs des mille et une fonction du jeu ont désormais un ton plus infantilisant. La diminution de l’humour au 2e degré est à peu près le seul reproche que l’on puisse faire à un jeu/atelier-artistique aux idées folles et à la réalisation, pour le coup, techniquement plus assurée sur PlayStation 4. Toutes aussi craquantes, trois nouvelles poupées en toile de jute rejoignent l’original Sackboy dans un jeu de plateforme faussement maladroit – seul ou à plusieurs ensemble – qui exploite avec ingéniosité la profondeur de champ et des mécaniques qui font réfléchir. Et le gros du jeu reste toujours son mode création de niveaux, guidé mais presque sans limite, qui cumule les éléments de construction et de décoration récupérés dans les épisodes 1 et 2 avec les nouveaux gagnés en jouant à l’aventure principale du 3. Un peu moins unique mais toujours au-dessus de la mêlée.

  • PS3, PS4
  • 1 à 4 joueurs
  • Sony Computer
  • PEGI * : à partir de 7 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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Assassin’s Creed : Unity : révolution avec mise à jour

Entaché, hélas, comme un trop grand nombre de blockbusters en 2014, par de nombreux problèmes techniques au lancement (plus ou moins corrigés depuis), ce 7e épisode de la série historique a déclenché polémiques et débat politique de fond*.

Assassins Creed Unity

Historiens et idéologues posent la question : la représentation de la Révolution française dans un jeu vidéo, et notamment de ses protagonistes célèbres (de Danton à Robespierre en passant par Louis XVI), doit-elle être historiquement correcte ? Quelles que soient ses errances, cet Assassin’s Creed ne manque justement pas de fasciner. Car en entrainant le conflit séculier récurrent entre les sectes Templiers et Assassins sur les toits et dans les rues surpeuplées et agitées du Paris de la Révolution, le joueur traverse un Paris historique de 1789 à 1794 reconstitué avec un soin du détail affolant. Notre Dame de Paris, L’île Saint Louis, Le Marais, La Bastille, Les Invalides (et même Versailles, sa ville et son château), appartements, cafés théâtre… tous les quartiers et monuments s’explorent et se visitent (y compris à l’intérieur) quasi librement. Les polémiques et le gameplay répétitif habituel de la série s’effacent alors devant un inoubliable voyage dans le temps.

* Voir mon enquête sur les remous médiatiques ici

  • PC, PS4, Xbox One
  • 1 joueur (4 en ligne en coopération)
  • Ubisoft
  • PEGI * : à partir de 18 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en février 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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Just Dance 2015/Disney Fantasia : Bouge ton K

Trop souvent passés sous silence critique, les jeux de danses et musicaux, post Guitar Hero et Rock Band wave, méritent pourtant que l’on si attarde. Surtout en période de fêtes et pour enfin utiliser l’accessoire Kinect…

Disney Fantasia Le Pouvoir du son

Désormais annualisée sur le modèle des jeux de sports à partir de nouvelles pistes musicales (41 au total plutôt réservées à un jeune public), la série Just Dance fait partie des rares bons prétextes pour utiliser l’accessoire caméra de sa console de salon. En particulier le malaimé capteur Kinect désormais facultatif à l’achat d’une Xbox One. Grâce à lui, la captation des mouvements du candidat danseur qui duplique la chorégraphie préenregistrée dans l’écran devient nécessairement plus fiable et, surtout, le digest vidéo de sa prestation s’enregistre automatiquement avec plus de clarté et devient plus rigolote encore à regarder en groupe.

Plus original malgré le label familial consensuel Disney et conçu par le studio créateur des séries Guitar Hero, RockBand et Dance Central, l’inédit, et exclusif aux consoles Xbox, Fantasia, utilise la caméra Kinect pour transformer le joueur en chef d’orchestre (tel Mickey dans le long métrage éponyme). Après un apprentissage délicat, quand le joueur tient enfin à bout de bras et transforme en feux d’artifices le Bohemian Rapsody de Queen, le Feel Good Inc. de Gorillaz ou des morceaux majestueux de Bach, Vivaldi ou Mozart, le jeu d’adresse et de timing devient vraiment magique.

  • Wii, PS3, Xbox 360, Wii U, PS4, Xbox One/Xbox 360, Xbox One
  • 2 joueurs (8 en ligne)/2 joueurs
  • Accessoire caméra obligatoire (sauf sur Wii)
  • Ubisoft/Disney Interactive
  • PEGI * : tout public

François Bliss de la Boissière

(Publié en janvier 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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Sunset Overdrive : parodie pop-rock

Après avoir réservé à la PlayStation l’exclusivité des séries Spyro, Ratchet & Clank et Resistance depuis 1994, le studio californien Insomniac offre aujourd’hui à Microsoft et à sa Xbox One un inédit, lui aussi exclusif, tout à fait ébouriffant.

SunsetOverdrive

Lâché en théorie presque librement dans une ville saturée de soleil et de graffitis, le joueur repousse des hordes de mutants colorés grotesques avec des armes loufoques et ridiculement efficaces (Crache-acide, Frigo-bombe, Dirty Harry, Haute-fidélité… soit, si si : un lanceur de disques vinyles !). Dégoulinant de couleurs, de fluides éclaboussants et de clins d’oeil complices, Sunset Overdrive joue la surenchère parodique pop-rock du cartoon pour «adultes» (filtre partiel de la vulgarité et du gore disponible) dans l’esprit des jeux Sega des années 90 (Jet Set Radio, Crazy Taxi…). Malheureusement, à vouloir trop en faire, le jeu bavard et directif plombe ses propres promesses de liberté d’action. S’orienter et viser tout en rebondissant de toits en toits et en glissant (grindant) sur les palissades et les fils électriques d’une ville devenue skatepark géant fait basculer l’exercice d’équilibriste recherché dans un chaos jamais vraiment maîtrisable.

  • Xbox One
  • 1 joueur (8 en coopération en ligne)
  • Microsoft
  • PEGI * : à partir de 16 ans

François Bliss de la Boissière

(Publié en janvier 2015 dans le mensuel Comment ça Marche)

 


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Oddworld : New ’N’ Tasty : Le jeu EST le message

On peut tout à fait jouer à ce remake de L’Odyssée d’Abe au 1er degré et l’apprécier pour ce qu’il réussit à être encore : un méticuleux jeu de plateforme/réflexion à scrolling horizontal, parfois un peu raide mais toujours soucieux de rendre cohérent environnements, personnages et rebondissements.

Oddworld New n Tasty Abe

Ne rien connaître du parcours historique de l’anti héros à la bouche cousue Abe ni celui de son créateur Lorne Lanning ne gâchera pas le plaisir. Mais peu à peu la voix de l’auteur s’impose implicitement tel un ventriloque derrière celle de l’innocent Abe qui glousse de ses propres pets. Inexorablement, la prise de conscience du candide héros malgré lui va entrainer celle du joueur. La fuite en avant du personnage forcé de s’arracher à sa condition d’esclave consentant va se transformer en parcours initiatique. Sa trouille face aux monstres incarnés de la société industrielle et financière qui cherche à le dévorer pour de vrai va le transformer en fuyard courant avec une adresse maladroite puisée dans l’énergie du désespoir. Son empathie enfantine pour ses frères Mudokons asservis le pousse à les aider à s’échapper au détriment de lui-même et parfois de l’instinct de survie. Quand un Mudokon meurt, l’échec égratigne même si Abe, laconique, se contente de soupirer « Oups ». Pas besoin d’en rajouter, le cling et clang des machines à broyer, les splash et crunch des corps disloqués suffisent à déchirer les sens.

Idées noires

La fable noire est drôle parce que cruelle. Très peu de jeux mettent clairement sur la table des raisons ontologiques de jouer liées au contenu du jeu lui-même, à ce que le jeu déroule comme arguments d’intentions de mouvements en même temps que le joueur y intervient (tels les exceptionnels Portal 1 et 2 de Valve ou le roublard The Stanley Parable, tous coupables de 3e degré interactif). Les jeux entrainant le joueur et le héros dans une boucle émotionnelle et métaphysique communes et sincères sont encore plus rares. Rejouer à Oddworld n’est pas faire acte de mémoire. Contrairement à moult reconstitutions cristallisées sur l’esthétique pixel art, le remake de Abe vise la perfection CGI d’aujourd’hui. Il réinvente subtilement à cette occasion une mise en scène du plateformer 2,5D et déroule une esthétique et un gameplay contemporains aptes à refaire sonner plusieurs alertes de civilisation hélas toujours d’actualité.

Depuis 20 ans l’auteur de Abe anoblit le jeu vidéo en s’obstinant à délivrer son message avec le médium interactif. Revenu sur le devant de la scène en n’ayant rien lâché, Oddworld confirme que le jeu lui-même peut devenir le message.

François Bliss de la Boissière

(Publié en sept-oct 2014 dans le bimestriel Games)

 


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inFamous Second Son : Le tour du propriétaire

Sur PS4, InFamous rejoint ces très rares propositions interactives dont l’existence et la réussite remettent d’autorité sur la table la question fondamentale : le jeu vidéo pour quoi faire ?

infamous-second-son-ps4

Agir, courir, bondir, construire, détruire, asservir, tuer, gagner ou, parfois, être et regarder, les réponses sont multiples bien sûr, et personnelles. Mais si la célébration de la libération du corps physique encore impossible à l’homme biologique appartient bien à l’ADN du jeu vidéo, alors cette 3e incarnation d’inFamous devient cette ultime médecine de vaudou numérique qui transcende l’existence. « Free your mind » enseigne Morpheus à Neo au moment de sauter d’un gratte-ciel à l’autre dans Matrix, « oublie la peur, le doute et l’incrédulité ». En promettant un morceau de bravoure aérien à chaque instant au bord d’un précipice, Second Son transforme ce leap of faith initiatique en gage permanent. Décuplé par les improbables pouvoirs de contrôle de la fumée ou des néons (mais pas seulement), chaque saut impossible au-dessus du vide vers une façade de l’autre côté de l’avenue, chaque atterrissage invraisemblable sur une terrasse en contrebas, chaque rebond aérien d’une cheminée à une autre signe un triple bon de garantie : celui du savoir-faire technique sans commune mesure du studio Sucker Punch cette fois étalé au grand jour, celui d’une PS4 qui soutient sa thèse next-gen puissante et brillante, conviviale et tout terrain, et celui, enfin, de remettre tous les pouvoirs entre les mains du joueur.

Techno-pop-Arty

Tout en répondant à cette aspiration dévorante intrinsèque au jeu vidéo, la démonstration est technique puis arty. Car à ce Seattle ultra réaliste aux immeubles et quartiers si concrets, aux façades si solides et propices à l’escalade, répond une ville romantique habillée et déshabillée d’aubes et de crépuscules, aux nuits glams plus belles que les jours, illuminées par les gouttes de pluie et les reflets des néons sur les pavés trempés. Les années 80 ne sont pas si loin, le cinéma déambulatoire du Wong Kar Wai des années 90 non plus. De toit en toit, le joueur saute, vol plane, dash, glide presque comme le Surfer d’Argent. Qu’importe au fond la destination, les objectifs, les missions, et même l’histoire, pourvu que l’on en accepta l’ivresse. Les premières et capitales exaltations ? Celles de dominer sa propre pesanteur, puis de requalifier en joyeux terrain d’exploration l’espace urbain plombé par la sinistrose de la bassesse humaine des GTA, Max Payne et consorts.

Sunshine in

Au fil de son récit et de ses péripéties, Second Son utilise des moyens cinégéniques pour raconter quelques drames en refusant le pathos. La légèreté bêta comic book du ton s’accorde, au fond, à un gameplay où la grâce aquaplanante du vacancier Mario Sunshine fusionne avec le libertarisme assumé des graffeurs dissidents de Jet Set Radio. Peu importe alors que les figurants virtuels de la ville trébuchent sur leur propre ignorance. Cette foule anonyme de citoyens dupliqués et mal programmés occupe l’espace urbain avec un humour que Jacques Tati ne renierait pas. Début 2014, à lui tout seul et sans doute un peu involontairement, inFamous : Second Son convoque tacitement les États généraux et généreux du jeu vidéo. La technologie pour prouver quoi ? L’open world pour aller où ? Les super pouvoirs pour devenir qui ? Le jeu vidéo pour jouer à quoi ? La réponse est entre les mains du joueur, un immense sourire aux lèvres.

inFamous : Second Son
Sucker Punch / Sony Computer
PlayStation 4

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai-juin 2014 dans le bimestriel Games)

 


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GAMES_03 inFamous

Monument Valley : l’état de grâce

Monument Valley est à l’iPad ce que Journey est à la PS3 : un marqueur culturel, une mini déclaration d’intention artistico interactive pour son support (tactile) en particulier et le jeu vidéo au sens large. Et comme Journey, en bonus humaniste, le parcours apparemment sans but à travers les monuments du titre nourrit, architectures après architectures, une quête existentielle.

Monument Valley Wide Banner

Totalement original au bout des doigts malgré ses nombreuses références émotionnelles et conceptuelles (en vrac Ico, Zelda, Prince of Persia, Echochrome, Wonderputt pour le jeu vidéo, le peintre illustrateur M.C. Escher pour ses « constructions impossibles »), Monument Valley touche à l’intime tout en faisant vibrer un bien commun à tous. L’esthétique ligne claire vectorielle, les couleurs tantôt pastels ou vibrantes et, surtout, leurs juxtapositions, étalent une iconographie enfantine avec un goût trop sûr aussitôt suspect. Chaque élément semble naturel et à sa place, et pourtant. Au détour des oranges sanguines et des verts émeraudes gorgés de sève et de chlorophylle se glissent des gris mortuaires et des blancs sépulcraux. La présence de corneilles craillantes aux fenêtres ou tournant en rond sur des escaliers sans fin le souligne, la mort plane au-dessus de ces monuments désertés. La musique faussement effacée où affleurent dans un même mouvement le souffle du vent et de la mer, le bruissement des arbres et des cascades, ne laisse guère de doute, ce monde abandonné des hommes a été visité par la grâce et les dieux.

Suggestif

Sans rien soustraire au mini spectacle retenu, Monument Valley cultive avec raffinement un art de la suggestion. La brume colorée, d’où surgissent ou s’enfoncent les bâtiments, et la 3D isométrique dont les perspectives cachent toujours un pan de l’architecture, génèrent un hors champ invisible mais palpable. En mots rares et puissants, une mythologie mystique et mathématique s’installe et rend logique le périple anonyme. Ida, la petite princesse « insensée » et « silencieuse » est « condamnée à marcher parmi ces monuments » parce que « ceux qui ont volé la géométrie sacrée ont oublié leur vraie nature ». Toujours en équilibre sur des tripoutres (le fameux triangle möbusien du mathématicien Penrose), elle cherche son chemin dans les labyrinthes architecturaux en trompe l’oeil pour aller déposer au sommet de chaque édifice un cube, ou peut-être un éclat de triforce, qui ouvre le prochain portail kaléidoscopique et sans doute la mémoire.

Sacré

Sans violer ni briser la sérénité et l’ordonnancement sacré, le doigt du joueur active quelques manivelles ou molettes et participe à la reconstruction/déconstruction de cette architecture mystérieusement enlacée sur elle-même. Des blocs de bâtiments pivotent sur leur axe, se déboitent et se ré-emboîtent en de nouvelles compositions jusqu’à révéler le chemin de portes jusque là inaccessibles. De châteaux en temples et mosquées, la traversée sensorielle des dix tableaux a valeur d’initiation physique et spirituelle. En transformant, sans le dénaturer, le Rubik’s Cube claustrophobe en boite à musique pleine de courants d’air, Monument Valley propose tout simplement un voyage intérieur avec les fenêtres grandes ouvertes sur le monde. Avec douceur et délicatesse, parce que dans cette vallée de cathédrales devenues mausolées, « il ne reste plus personne pour nous pardonner », le jeu vidéo est ainsi convié à refaire ses humanités.

Monument Valley
Ustwo
iPad/iPhone/Android

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai-juin 2014 dans le bimestriel Games)

 


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BEST OF JEUX 2013 : L’année à couper le souffle

Chaque année une ou plusieurs tendances technique ou artistique se dégagent, discrètes ou « in your face ». Comme si les créateurs se passaient le mot. En 2013 l’utilisation appuyée de la respiration haletante du personnage principal a brusquement fait basculer l’usage jusque là occasionnel à la surexploitation, à la limite du ridicule dans certaines productions ou situations à force d’être aussi appuyée.

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Surjouée comme à chaque trouvaille du jeu vidéo, l’utilisation de la respiration comme outil de ponctuation ou d’amplification sonore se justifie pourtant chaque jour un peu plus pour donner vie aux personnages virtuels. Et elle s’explique de plusieurs façons. Par-delà le suspens et l’excitation de l’action, le jeu vidéo cherche désormais à provoquer, ou plutôt à faire vivre, des émotions affectives à travers des héros à l’apparence et aux réactions de plus en plus proches des êtres de chair et de sang. Faire entendre, quitte à en rajouter dans la ventilation, tous les rythmes de la respiration doit déclencher chez le joueur une empathie charnelle, rendre crédible par mimétisme biologique les situations. Et donc faire croire à ce que vit et subit son héros de polygones. Après des années de motion capture où des acteurs récitaient leur texte derrière un micro, la performance capture s’est généralisée à la plupart des grosses productions. Sur le modèle défendu par Avatar au cinéma et Naughty Dog et Quantic Dream dans le jeu vidéo, les acteurs jouent ensemble et physiquement les situations dans un studio avec des accessoires. Quand un acteur grimpe une échelle ou se hisse sur un échafaudage, il suffit de lui demander de bien faire entendre son effort pour que son souffle enregistré devienne un outil sonore de mise en scène à part entière. Au cinéma cela serait surjoué, dans un jeu vidéo avec des personnages de cire numérique, cela aide à y croire davantage. La nouvelle Lara Croft en particulier, soit disant moins sexualisée (c’est tout l’inverse !) fait entendre de façon très explicite inspirations et expirations à tout moment. Sa respiration ponctue chacun de ses gestes, les plus intimes comme sa réaction démesurée aux cascades spectaculaires provoquées par le décor. Derrière elle, les Nilin de Remember Me, Elllie et Joel de The Last of Us et, bien sûr, la Jodie de Beyond : Two Souls, soupirent et grognent à qui mieux mieux. Et parfois sanglotent. Mélangé à des effets d’ambiance assez raffinés pour oser les silences et des partitions musicales de plus en plus nuancées et inspirées, le jeu des acteurs (en VO) a également nettement progressé cette année. Malgré quelques excès, 2013 est aussi l’année de la maturité sonore. Même les dialogues des NPC de Assassin’s Creed IV sont désormais justes et bien placés dans l’espace.

Et cela tombe bien que cette année 2013 exceptionnelle (millésime même) à tous points de vue soit aussi essoufflante à entendre qu’à vivre. Malgré d’ultimes chefs d’œuvre, les consoles PS3 et Xbox 360 étaient arrivées à bout de souffle. Et, à force d’accélération, tous les halètements entendus dans l’année ont fini par accoucher… d’une nouvelle génération de consoles de salon. Après tant de contractions, le soupir d’aise est de rigueur.

Mode d’emploi de ce best of : Sur le modèle du cinéma qui ne compare pas les longs métrages et les courts métrages, productions à gros budgets, jeux dits indés et jeux portables ont chacun leur top, même si les frontières sont poreuses. Toujours militant pour davantage de créations originales et moins de suites, les jeux inédits et les suites (identifiées comme telles) sont classés à part. Ce à quoi vient s’ajouter – pourquoi faire simple ? – une nouvelle tendance/catégorie indentifiable et à suivre : les reboots (où se glisse – parce qu’il fallait bien trancher – Bioshock Infinite) dont la réussite et la perche tendue par les nouvelles consoles vont forcément déclencher un mouvement général (Thief, Zelda ?, Prey ?…). Pour des raisons indépendantes de notre volonté, jeux Xbox One pas encore pratiqués en longueur, mais, pour les avoir essayés, aucun des trois premiers jeux Microsoft ne serait apparu dans ces tops. D’une manière générale, dans la volonté d’élever le jeu vidéo au-dessus de sa condition de défouloir et de série B ou Z, même si réussis, les jeux à base de violence excessive et souvent gratuite, ne peuvent pas devenir les symboles principaux d’une année jeu vidéo. L’absence de titres célèbres dans ces listes n’est donc pas accidentelle.

Top jeux inédits 2013

Autre tendance majeure installée dans la majorité des blockbusters : pouvoir détecter à distance les ennemis et objets d’intérêts et, tant qu’à faire, y compris à travers les murs. Hier réservé à l’équipement high-tech d’un Sam Fisher dans Splinter Cell, ou à la magie noire de Dishonored, toutes les excuses sont maintenant bonnes pour offrir au joueur un super pouvoir proche du méta game : vision d’aigle dans Assassin’s Creed, ouï hyper sensible dans The Last of Us, créature commandée à distance dans Beyond, magie ou hyper sensibilité de Lara Croft dans Tomb Raider ? Une aptitude toute au service du gameplay qui se double d’une dimension esthétique puisqu’elle offre une nouvelle interprétation visuelle du décor, souvent dans de jolis noirs et blancs éthérés. Le joueur est de plus en plus dans le jeu et au-dessus du jeu. Raison de plus pour prendre de la hauteur…

1 / Beyond : Two Souls
Au-delà des polémiques stériles autour d’un gameplay qui ne serait pas ci ou ça, Beyond est une œuvre cohérente à tous les niveaux : narratif, intellectuel, interactif. Il y a quelque chose de complet, d’autonome, dans l’expérience Beyond. David Cage est sur une piste qu’il faut encourager plutôt que critiquer. Elle n’élimine pas le reste de l’industrie aux arguments interactifs plus traditionnels.
(Quantic Dream / PS3)

2 / Remember Me
Sans doute le jeu le plus visionnaire (aux côtés de Bioshock Infinite) avec son néo Paris de 2084 tagué d’étiquettes virtuelles comme si tout le monde portait déjà des Google Glass 4egénération. Histoire et background particulièrement bien écrits et thème sur l’exploitation de la mémoire pour le coup vraiment adulte. Descendant plus qu’honorable des beat’em all japonais, le touché est un peu fuyant mais toujours fiable par rapport aux besoins du jeu. Avec regrets, Remember Me semble avoir rejoint les plus célèbres incompris de ces dernières années (Mirror’s Edge, Enslaved…). Ce qui promet une prochaine réhabilitation puis un culte.
(Dont Nod Entertainment / Xbox 360, PS3, PC)

3 / The Last of Us
Dommage que le talent tout terrain de Naughty Dog se laisse aller à la surenchère de violence gore sous prétexte de générer de l’empathie. Quel joueur adulte trouvera crédible une petite fille (mineure) capable de flinguer et poignarder à tours de bras et au corps à corps des humains (en plus des « infectés ») ? Surtout que, oui, Naughty Dog a aussi réussi à concrétiser dramatiquement les échanges de coups au corps à corps. Ce qui restera surtout au-delà du jeu des comédiens impeccables dans les cinématiques (en VO) : le stupéfiant « road movie » interactif qui présente une coupe transversale de l’Amérique traversée de villes en bourgades dévastées, d’universités abandonnées en lodges perdus dans la nature. L’énorme et minutieux travail architectural à partir de lieux réels laisse vraiment l’impression d’avoir visité tous ces endroits.
(Naughty Dog / PS3)

4 / Ni no Kuni : La Vengeance de la sorcière Céleste
Le double pedigree Level-5 et studio Ghibli ne suffit pas tout à fait à expliquer la douce magie qui émane de ce vibrant hommage aux jeux de rôles japonais. Tous les clichés y sont revisités mais transcendés et allégés des lourdeurs du JRPG traditionnel (combats tour par tour semi temps réel, exploration libre…). Une splendeur visuelle intemporelle, une interactivité sophistiquée mais accessible. Un conte appréciable par les enfants ET les adultes.
(Level-5 / PS3)

5 / Zelda : The Wind Waker HD
Pas « inédit » au sens commercial puisque déjà sorti sur GameCube en 2002 (soit au moins deux générations de nouveaux gamers en arrière), mais à jamais unique, s’agit-il là d’une suite, d’un reboot, d’un remake ? Un peu tout cela et bien plus. Car voilà surtout la preuve qu’il s’agit là, comme un dessin animé de Myazaki, d’un jeu indémodable, intemporel, transgénérationnel, transtechnologie, transcontinental… qu’il fallait absolument rendre accessible à tous sur une console contemporaine. La première et suffisante raison d’acheter une Wii U.
(Nintendo / Wii U)

Top suites AAA 2013

1 / Assassin’s Creed IV : Black Flag
Le choc inattendu d’une série trop vite essoufflée par des sorties annualisées. Sur la PlayStation 4 où tout l’espace terre-mer se dévoile sans pudeur, ce Blag Flag devient le descendant adulte de Wind Waker : orages et tornades en mer compris. Au point de filer presque un coup de vieux au chef d’œuvre pourtant indémodable de Nintendo.
(Ubisoft / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)

2 / Gran Turismo 6
Après un Gran Turismo 5 au bord de l’apoplexie et de l’accident industriel plombé par une interface inabordable, GT6 retrouve de manière totalement inespérée sa couronne de Real Driving Simulator. Non seulement parce que les menus se laissent enfin découvrir sans écueils majeurs, mais parce que la conduite a fait un grand bond en avant avec une gestion bien plus souple et organique des amortisseurs et des dérapages scotchant à la route.
(Polyphony Digital / PS3)

3 / Super Mario 3D World
2D et 3D modérée se confondent dans un festival d’épreuves plutôt courtes faisant à chaque seconde la démonstration de l’inventivité sans fin de Nintendo. Épuisant de créativité.
(Nintendo / Wii U)

4 / Pikmin 3
Sans doute la version définitive du concept de RTS à la sauce Nintendo amorcé il y a déjà bien longtemps sur GameCube. Sans surprise, un peu tard dans la grande chronologie du jeu vidéo mais irrésistible sur Wii U et son rendu photo réaliste.
(Nintendo / Wii U)

5 / Battlefield 4
En laissant de côté les différents bugs, dont ceux liés aux modes multijoueur, la campagne solo de Battlefield 4 déroule morceaux de bravoure sur morceaux de bravoure. Bien sûr les triggers happy pressés de s’éprouver en ligne n’y verront, comme dans le dernier et plutôt réussi aussi Call of Duty : Ghosts, qu’une succession de rides sans grands enjeux. Et pourtant, pour le joueur « ordinaire » de FPS qui prendra le temps d’apprécier le décor et la mise en scène autour de lui, chaque tableau est vraiment épique, la claque physique énorme. Sans compter l’esthétique classieuse saturée unique du moteur Frostbite.
(DICE / PS4, Xbox One, PC, PS3, Xbox 360)

Top reboot 2013

1 / Tomb Raider
Après des trailers maladroits et des polémiques mal venues, le projet de reboot de Tomb Raider a fait très peur, jusqu’à ce que, une fois en mains, le jeu fasse ses preuves, et quelles preuves ! Plus cascadeuse de haut vol qu’Indiana Jones, cette nouvelle Lara emprunte le meilleur de tous les trucs des blockbusters de ces dernières années avec, là surgit le choc le plus important, un aplomb et un polish interactif inédit dans la série.
(Crystal Dynamics / Xbox 360, PS3, PC, Mac, à venir : PS4, Xbox One)

2 / Bioshock Infinite
Autant caser dans la section « reboot » ce Bioshock au contexte complètement réinventé qui ne retient du premier épisode qu’une partie du gameplay FPS/RPG US. Ken Levine vise clairement très haut, trébuche avec des séquences de tir absurdes qui finissent par écorner le monde si méticuleusement édifié. Il n’empêche, après Rapture sous les eaux, la cité dans le ciel de Columbia a d’ores et déjà marqué pour toujours le jeu vidéo.
(Irrational Games / Xbox 360, PS3, PC, Mac)

3 / DmC Devil May Cry
Deux choses importantes à retenir de cette fabuleuse réinvention aussi jouable que splendide à voir, une double confirmation : le savoir-faire japonais en jeu d’action est bel et bien totalement dépassé par celui de l’occident ; le studio Ninja Theory est un des meilleurs monde, et sans doute le plus chic (Enslaved).
(Ninja Theory / Xbox 360, PS3, PC)

Top jeux indés 2013

La notion de jeux indés devient chaque jour un peu plus flou. Curaté par Steam ou en accès libre autonome sur ordinateur ? Publié par Microsoft sur Xbox Live… Arcade (appellation souvent déplacée, Brothers, qui s’y trouve, n’est pas un jeu « d’arcade ») ? Soutenu par Sony Computer ? Portable ou sur appareils de salon ? Une ligne pointillée sépare désormais tous ces jeux dont le véritable point commun serait d’avoir été créé avec un « petit » budget là aussi très variable.

1 / Brothers : A Tale of Two Sons
La démonstration bouleversante qu’un jeu vidéo peut émouvoir par le gameplay, et c’est un réalisateur de cinéma qui vient la faire en collaboration avec un studio de jeu vidéo.
(Starbreeze / XBLA, PSN, PC)

2 / Luxuria Superbia
Il suffit de toucher ce jeu ventouse sur iPad pour ne plus resté bloqué aux scènes de douche ou de lap dance en substituts de scènes de sexe censurées des grosses productions. Le sexe en jeu vidéo, c’est possible finalement. Même sur l’App Store Apple, qui l’eu cru ?
(Tale of Tales / IOS, Android, PC, Mac, Linux)

3 / The Stanley Parable
Une mise en abime complice, physique et mentale étonnante du joueur et du créateur. L’équipe de Galactic Cafe a visiblement bien retenu les pistes lancées par Portal et Portal 2… (Partie encore en cours mais déjà manipulé par le jeu de façon magistrale).
(Galactic Cafe / Mac, PC)

4 / Gone Home
Un descendant indoor de Myst, plus matérialiste et midinette, mais aussi plus proche de la vie réelle, plus psychologique. L’introspection en jeu vidéo a désormais un nom. Les nostalgiques des années 90 sont tombés les premiers amoureux de ce touchant hommage à une époque grunge chérie avant d’entrainer d’autres publics. Dommage que, techniquement, le jeu donne du fil à retordre à des gros iMac (PC ?) pas plus vieux que 2009.
(The Fullbright Company / PC, Mac, Linux)

5 / The Cave
Pas si classique ce revival du puzzle exploration de Ron Gilbert, drôlement malin et bien animé. On en rit encore.
(Double Fine Productions / XBLA, PSN, IOS, Android, PC, Mac, Linux)
Top jeux portables 2013

1 / Zelda : A Link Between Worlds
L’impact émotionnel de ce revival du classique SuperNintendo ne peut vraiment pas s’apprécier sereinement tellement il bouleverse les sens et fait trembler les doigts. Le plus beau compliment qu’on puisse lui faire consiste sans doute à craindre que toute l’énergie créatrice de ce A Link Between Worlds hyper dynamique sur 3DS rende très difficile de relancer l’original.
(Nintendo / 3DS)

2 / Luigi’s Mansion 2
L’original GameCube était et reste un jeu vraiment unique. Cette suite baptisée Dark Moon en VO (sans le chiffre 2 peut-être rassurant pour le marché européen, mais, au fond, insultant) confirme un mélange d’action, exploration, puzzle et ambiance vraiment fun, toujours surprenant et fondamentalement stupéfiant. Personne en 12 ans ne semble avoir exploité le système impayable de pêche à la ligne aux fantômes. Bulletstorm en avait peut-être trouvé une déclinaison en forme de FPS…
(Nintendo / 3DS)

3 / Tearaway
Comme LittleBigPlanet avant lui, Tearaway ne peut pas exister sans le talent poétique du studio Media Molecule seul capable d’injecter dans un jeu plein de surprises, de poésie, de folie douce, d’humour premier et énième degré. Un jeu capable de mélanger des concepts abstraits tout en exploitant toute la panoplie interactive tactile disponible sur PlayStation Vita.
(Media Molecule / PS Vita)

4 / Badland
Magnifique à regarder, étonnant à jouer, seul et même à plusieurs, le tout avec un seul doigt sur iPad. Une des plus complètes production artistique sur iPad avec un gameplay vraiment organique sans cesse surprenant.
(Frogmind / IOS, Android)

5 / Ridiculous Fishing
Dans la catégorie des jeux idiots (Angry Birds quelqu’un ?) faussement simpliste, Ridiculous (c’est dans le titre) Fishing remporte le pompon. Achever ses poissons au shotgun façon ball-trap après les avoir pêchés en eaux profondes, ça ne s’explique pas.
(Vlambeer / IOS, Android)

Top DLC 2013

Hier systématiquement réservés aux parties multi-joueurs en ligne au grand désarroi des amateurs de jeux narratifs prêts à prolonger l’histoire, les DLC de jeux d’action à vocation narrative auront eu droit en 2013 à de vrais chapitres additionnels. Mention spéciale au culotté et quasi high-concept Blood Dragon vaguement accroché à Far Cry 3.
> Dishonored : La Lame de Dunwall
> Dishonored : Les sorcières de Brigmore
> Far Cry 3 : Blood Dragon
> Bioshock Infinite : Buried at sea
> DmC Devil May Cry : La chute de Vergil

Le mot de la fin.

En 2013, la conclusion de trois jeux importants ont confirmé la maturité grandissante du jeu vidéo en général. (GARANTI SANS SPOILERS) Les dernières images et ultimes mots ou silences de Beyond : Two Souls, Brothers et The Last of Us impressionnent grandement par leur audace et capacité à prolonger leur vibration interne au-delà du mot FIN. Chacun de ces jeux se concluent logiquement en même temps que leur histoire, ferment bien leur boucle narrative et émotionnelle, et pourtant, ils continuent de résonner dans le joueur/spectateur bien après la dernière ligne du générique. Les trois jeux osent un véritable coming out au moment de leur conclusion, révèlent tout à coup une ambition thématique et un propos supérieur qui offrent au jeu vidéo, après Journey, une dimension intellectuelle et philosophique que les guetteurs du jeu vidéo vraiment adulte sauront apprécier.

François Bliss de la Boissière

 


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Super Mario 3D World : Le courage du ridicule

Si le ridicule ne tue pas, il rend plus fort ? Mario golfeur, footballeur, piloteur, brawleur, baseballeur, raton laveur et maintenant Mario… cat-cheur, enfin chaton, capable de grimper les murs mais aussi condamné à trotter à quatre pattes ? Miaou quoi !

Super-Mario-3D-World

Pour Nintendo, visiblement, le ridicule donne surtout l’occasion de s’arracher aux carcans de sa propre Histoire. Une fois en mains, séduisante comme une peluche vivante, Mario chat fait craquer n’importe quelle carapace endurcie. Surtout qu’il grimpe désespérément aux murs sur le modèle des YouTube cats. Ouvertement bâtard, ce Mario Wii U tente de rassembler dans une même party les Mario Bros en scrolling horizontal jouables à plusieurs (Wii et Wii U) et le parcours exploratoire dans un espace limité du Mario 3D Land de la 3DS. Les stages enchaînent ainsi des plateaux de tailles variables à traverser sans grande rigueur, et de courtes sections de plateforming plus classiques 2D. Le mash-up conceptuel déconcerte l’esprit puis les sens. Notamment lors des parties à trois ou quatre. Plus brouillonne encore en 3D, la traversée à plusieurs des niveaux devient un improbable exercice d’éparpillement de l’attention. À l’instar d’un Super Smash Bros, le jeu de plate-forme mute en une mêlée confuse où le programme jongle avec des centaines d’éléments mobiles à l’écran (les équipes Nintendo rejouent sans cesse la démo techno des 128 Marios présentée par Miyamoto en 2000) et prend la main d’autorité sur les personnages à la traine pour les ramener dans la course. L’exercice devient alors une sorte de mode panique collectif permanent. Jouer seul, heureusement, réinjecte un peu de sérénité dans le Royaume Champignon aux allures de parc d’attractions à la Nintendoland. Plus accompagnateur que punitif, le jeu morcelle les niveaux et styles de jeux en d’innombrables et plutôt courtes sections (glissades aquatiques et courses sur circuit font partie du lot). Mais ce qui surnage, au fond, dans le palpitant exercice d’équilibriste têtu si souvent surjoué, est esthétique. La Wii U offre enfin à Nintendo l’occasion de définir à quoi son petit monde doit ressembler en haute définition, de se mettre enfin à la hauteur visuelle du grand modèle Disney. À cet égard, tout brille et épate mais rien n’est encore tout à fait joué. Aussi réjouissant qu’écœurant, entre extase obscène et vulgarité pop-fluo transcendée, le mélange de saccharine et de plastique numérique adopté par ce Mario World HD se cherche encore, comme son gameplay tout terrain, un style propre.

  • Super Mario 3D World / Nintendo / Wii U / 1 à 4 joueurs

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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The Silent Age : Autre temps

Dans la famille pointé-cliqué avec soupçon d’Another World on prend The Silent Age. Une aventure placide et minimaliste pratiquée de profil mais chargée d’ambiance 70s paranoïaque et de bons souvenirs de jeux vidéo des 90s.

The Silent Age

Nous revoilà donc de retour devant une interface de jeu à l’ancienne où il faut toucher l’écran pour diriger son unique personnage, récupérer un accessoire dans le décor qui s’installe dans un petit inventaire en bas de l’écran avant de l’utiliser à bon escient avec un autre élément de l’environnement. L’anti-héros pacifique traverse systématiquement de profil un décor ne dépassant pas deux ou trois écrans de large par environnement. Des petits effets de parallaxe créent une discrète profondeur visuelle de décors urbains essentiellement dessinés à plat. Il suffit de tapoter une fois l’écran – ou deux pour déclencher un petit trot – et le personnage va jusqu’à l’endroit choisit. Devant une porte à franchir, un escalier ou une échelle à monter, l’animation se contente d’un petit fondu au noir avant d’afficher le décor d’arrivée. Un truc un peu chiche de nos jours mais qui, au fond, participe bien au rythme tranquille de l’aventure. Et parce que économie et minimalisme ne veulent pas dire cheap ou bâclé.

Design maîtrisé

Très vite, les aplats de couleurs faussement basiques et les animations à l’économie révèlent en réalité une belle maîtrise artistique. L’ensemble dégage une esthétique design et BD, une version épurée d’un cell-shading. The Silent Age cite ses aînés des années 80-90 mais n’en profitent pas pour afficher du grain ou des pixels. Tout est lisse, propre, presque trop mais c’est voulu puisque cela met en scène un récit silencieux dans les marges où derrière le « clean » de surface se cachent de mystérieux évènements pas très « propres », eux. Une tache de sang se remarque aussitôt et peut prendre une importance capitale. L’ambiance sonore très travaillée à base de bruitages exacerbés (ventilos, craquements, bruissements, pluie…), d’ondes sonores menaçantes ponctuées de notes synthétiques plus claires à la Vangelis époque Blade Runner confirme ce que recommande le jeu dès le début : l’utilisation d’écouteurs pour en profiter pleinement. Le personnage a beau évoluer seul dans le décor, la tapisserie sonore laisse entendre un monde à l’affut. Et cela tombe bien puisque l’histoire, aussi directement racontée soit-elle, s’amuse à rejouer les paranoïas d’époques coincées entre guerre froide, multinationale diabolique (cela n’a guère évolué) et expériences scientifiques douteuses.

Le jeu vous parle

Les associations d’objets permettant d’avancer étant elles-mêmes assez basiques et linéaires (clé/porte, bâton/débloquer, ciseaux/couper…) et pas très stimulantes (mais rarement contrariantes à une ou deux crispations près), The Silent Age révèle très vite que l’important est ailleurs : dans le récit, l’écriture ciselée et dans le commentaire parfois moqueur du geste du joueur. Ainsi, quand assez inévitablement lassé devant une impasse celui-ci commence à essayer d’associer de manière incongrue ou systématique son petit inventaire avec le décor, le jeu affiche des répliques ironiques plutôt qu’un message d’erreur. La pique est en générale assez mordante et circonstancielle (pas piochée au hasard dans une base de données de répliques donc) pour faire sourire tout en embarrassant. Oui c’était idiot et même suicidaire de vouloir forcer la porte de la voiture de police, oui vraiment espérer faire tomber ce nid de guêpes au bâton est, au mieux masochiste, au pire imbécile. Le joueur n’est pas insulté mais pris à témoin de son incohérence. Ce qui n’empêchera pas le jeu de s’appuyer lui-même sur de vieilles conventions plus ou moins logiques.

Twist majeur

L’histoire, ou plutôt la manière dont elle progresse, étant la première qualité de The Silent Age, et cet Episode One plutôt court, mieux vaut en savoir le moins possible avant de se lancer. En retenant que lire l’anglais est indispensable pour tout apprécier. L’anti-héros est donc un balayeur quasi anonyme dans une grosse entreprise. Sonné par une brusque promotion à la place d’un collègue mystérieusement disparu, le personnage va mentalement tituber de questionnements personnels en mystères « bigger than life ». Son trajet sur la piste de ses nouvelles responsabilités et de son collègue va le mettre peu à peu face à un fuyant et insaisissable danger. L’ambiance 70s finement retranscrite – jusqu’à la grosse moustache à la Burt Reynolds  / Tom Selleck (qui a dit Mario et salopette ?) du personnage réussit à susciter une paranoïa permanante à laquelle participent justement les réflexions off du jeu qui commentent ses gestes déplacés. Attention vous êtes surveillés. Et le monde n’est pas tel qu’il se présente devant vos yeux puisqu’une fois équipé d’un super gadget, en provenance direct des années 50 celui-là, notre balayeur va pouvoir… voyager dans le temps ! Dans les faits, à partir d’un certain moment de l’aventure, le concept de voyage dans le temps permet de faire cohabiter deux plans du décor, celui du présent et celui, défraichi, du futur. Sans quitter les lieux, le joueur doit faire des allers-retours entre chaque époque pour trouver les objets adéquats et le bon passage. Voilà une vraie bonne astuce de gameplay.

Facile à dire, moins à faire

Sans explosions, sans mort, en 4 chapitres ramassés, la petite équipe danoise de The Silent Age réussit à tenir en haleine et donner envie de continuer l’histoire dans un prochain Episode Two. Cet épisode One étant gratuit, les créateurs – dont il faut saluer ici le talent et le courage commercial – passent par une levée de fonds public pour se donner les moyens de bien terminer l’épisode Two qui conclura l’histoire. Celui-ci sera gratuit pour les contributeurs et payant sur l’App Store lors de sa sortie « quand il sera prêt et absolument fantastique ». On y croit.

iPad/iPhone universel / Éditeur, développeur : House on Fire ApS


Les plus…

  • Ambiance visuelle et sonore
  • Ce petit goût suranné des années 80-90
  • L’écriture premier et deuxième degré
  • Le twist décliné en gameplay

Les moins…

  • Anglais lu indispensable
  • Peu d’animations
  • Incertitudes pour monter ou descendre escaliers
  • Devoir patienter jusqu’à Episode Two

François Bliss de la Boissière

(Publié en juin 2013 sur Hitphone.fr)

 


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Badland : Quand le jeu prend vie

Tous les croisements sont possibles finalement de nos jours. Une production d’allure haut de gamme AAA, atmosphérique, immersive et pourtant associée à un gameplay habile, malicieux mais se jouant avec… un seul doigt comme un pseudo casual game. À partir de moyens simples mais hyper maitrisés Badland entraine le joueur ainsi dans un nouveau monde avec ses créatures fascinantes qui provoquent la curiosité et ses règles uniques qui interpellent la soif de contrôle du joueur.

Badland

Dessiné et peint avec chaleur et raffinement, ce Badland d’origine indé (et donc sans gros moyens) force l’admiration dès l’ouverture en rejoignant avec talent la qualité visuelle faussement artisanale d’une production majeure d’un Rayman Jungle Run. Chic et culotté, Badland se distingue même de façon originale en séparant les décors colorés loin à l’arrière plan et l’action à l’avant-plan tout en aplats noirs. Un effet ombre chinoise particulièrement réussi qui met en valeur les deux espaces sans rien leur enlever. Les créatures rondes qui doivent traverser saines et sauves l’écran de gauche à droite sont elles-mêmes complètement en noir avec seulement deux petits yeux blancs expressifs à la Limbo. La bande son à base de bruitages de forêt, de crissements d’insectes, de petits hululement lointains, de bruissements de feuillages ou de ruissellements d’eau complètent un tableau réellement captivant.

Totalement organique

Le monde de Badland prend vie avec ravissement devant les yeux, dans les oreilles puis – et heureusement – au bout du doigt. Le gameplay à la fois précis et chaotique entretient cette impression d’avoir vraiment à faire à des créatures vivantes, maladroites et capricieuses, jamais tout à fait domptables. Alors qu’il suffit d’appuyer brièvement sur la vitre pour que la créature ronde plane un instant en battant de ses petits bras atrophiés (ou ailes ?) dans un décor défilant inexorablement en scrolling horizontal, les déplacements hasardeux créent une incertitude propre à défier le gamer et une empathie affective telle que l’on ressent par exemple dans les trébuchements du Sackboy des LittleBigPlanet sur consoles PlayStation.

La science du parcours…

À la satisfaction du contact tactile tout à fait maîtrisé s’ajoute une science de l’obstacle toute aussi joliment masquée dans un emballage organique palpable. Voletant toujours en fonction de la pression d’un unique doigt sur la vitre, la créature seule ou en peloton doit contourner des stalactites et des stalagmites, se faufiler entre les mâchoires de roues crantées, frôler les dents de scies circulaires, éviter les pales d’hélices géantes, autant d’excroissances surgissant comme des racines de la masse noire menaçante du décor… Le doigt sans cesse sollicité pour maintenir vaille que vaille le Kirby noir en lévitation doit aussi à apprendre à donner des petits coups au plafond pour débloquer un rocher, à le laisser retomber sur le sol le temps que le décor s’effondre, qu’une mine embusquée explose…

… et du power-up

Bien que tout se déroule sur un plan 2D de gauche à droite, l’avancée réussit à ne pas être linéaire. Certains items, ou fruits mystérieux, qu’il faut absolument consommer en passant, modifient la taille de notre espèce d’oursin des forêts finalement transformiste. Devenue brutalement énorme, la boule hirsute écrase des pans entiers de décors, toute miniature elle se faufile rapidement entre deux pics mortels. À chaque variation de volume correspond une altération crédible de sa pesanteur et de sa vélocité qui oblige sans cesse à revoir son rapport tactile, sa méthode de contrôle. Plus tard d’autres fruits magiques l’obligeront à rouler bouler, ralentiront volontairement sa mobilité, ou au contraire accélèreront brusquement son vol. Quand un fruit la rend provisoirement collante, ses mouvements se limitent alors à des petits sauts pénibles, lourdauds, irritants sans doute, mais inversant tout à coup la proposition aérienne de jeu pour mieux aborder un obstacle demandant une autre maîtrise interactive.

Un pour tous et tous pour un

Toutes ces variations plus ou moins classiques au jeu vidéo prennent véritablement leur essor quand la créature se démultiplie à l’écran. Car ce que le jeu, volontairement sans mode d’emploi ou scénario intrusif, ne dit pas, c’est qu’il s’agit non pas seulement de sauver la peau de la créature mais aussi du plus grand nombre de ses congénères collectés sur le trajet. Car certains des fruits magiques font éclore à la volée un groupe de créatures qui volètent dans les mêmes conditions que le leader. Animées elles aussi de comportements capricieux et réagissant individuellement aux aléas du décor, elles s’éparpillent hélas dans un grand désordre. Tout l’exercice consiste alors à réussir à faire passer l’obstacle au plus grand nombre alors que chaque créature-boule ne se trouve pas forcément au même endroit et ne subit pas le même danger au même instant. Évidemment même si elles ont tendances à s’agglomérer un peu et même si elles aimantent les power-up croisés, il y a de cruelles pertes et de nombreux moments où il est bien heureux de réussir à arracher une seule créature à un ensemble d’obstacles. Mais le dépit n’est jamais long. Il devient rapidement clair qu’aucun espace de jeu n’existe par accident ou maladresse. Le level design se révèle aussi maîtrisé que l’animation interactive. C’est à dire que les créateurs du jeu savent pertinemment quand le joueur va perdre toute sa portée et quand lui redonner de l’élan en lui offrant à la dernière minute une poignée de nouveaux clones, et retrouver le sourire.

Un super logiciel sous camouflage artistique

Après échecs ou réussites jamais tout à fait maîtrisées jamais vraiment involontaires, le vrai plaisir du jeu intervient quand on comprend que derrière l’aspect artistique déjà pointu se cache un programme drôlement bien ficelé. On ira jusqu’à dire un code (informatique) super sophistiqué. La première preuve surgit quand on découvre planqué dans les options un listing complet et inattendu de statistiques, des données chiffres précises et informatives, ou inutiles et alors drôles. Les chiffres attendus : combien de niveaux franchis sur les 40 fournis, de « missions » accomplies sur les 120 comptabilisées, d’achèvements réussis sur les 23 prévus, de clones sauvés… ; puis des chiffres surprenants et rigolos : combien de clones ont été écrasés, empoisonnés, laissés derrière, quelle distance a été parcouru en volant (avec l’iPad en unité de longueur !), et combien de fois le joueur a-t-il touché l’écran (!)… La deuxième preuve d’un logiciel hautement programmé en coulisses provient de la présence d’un mode multijoueur qui marche vraiment. C’est à dire que, réunis autour d’un seul même écran, deux à quatre personnes contrôlent chacun une créature pour essayer d’aller le plus loin possible à travers plusieurs niveaux. Les séances de jeu se révèlent courtes, burlesques, mais prenantes et forcément échauffantes en conditions rapprochées sur iPad mais aussi sur iPhone puisque l’appli a également le bon goût de partager ses sauvegardes entre iDevices.

Game VIP

Badland appartient au club très fermé des jeux sachant fusionner aspiration plastique et gameplay à la hauteur de son ambition visuelle (évoquons le Insanely Twisted Shadow Planet de l’illustrateur/animateur Michel Gagné). Le mélange accompli propulse le joueur vers une autre dimension, vers un monde organique aux règles autonomes où le joueur intervient sans jamais prendre totalement le contrôle. Un espace interactif quasi biologique où le joueur n’est pas poussé à devenir une méga puissance qui doit contrôler et dominer l’univers mais un agent participatif. Un invité qui, en « jouant », en interagissant, participe à la naissance publique d’une nouvelle dimension. Le joueur jouant devient l’ambassadeur et le révélateur de ce nouveau monde.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone

Les plus…

  • Gameplay simplissime et pourtant sophistiqué
  • Style graphique dessiné chaleureux et dépaysant
  • Bande son nature/animaux immersive
  • Jouer jusqu’à 4 simultanément

Les moins…

  • Sensations de perte de contrôle
  • Difficulté pas toujours égale
  • Un peu cher peut-être
(Publié le 15/04/2013 sur Hitphone.fr)

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Finding Teddy : Point’n click néo-retro

C’est à deux jeunes Français que l’on doit un très joli nouvel hommage à l’âge d’or des pixels des années 80-90. Non seulement ils revisitent la forêt d’Hyrule en version pixel art mais ils redonnent aussi à jouer en version minimaliste les point’n clicks d’il y a … 20 ans ? Le mélange prend un peu la tête mais surtout bouleverse les sens.

Finding Teddy

Le choc esthétique fait son effet dès les premiers écrans. Les contours ont beau se présenter sous forme de petits escaliers rudimentaires comme les pixels d’avant-hier, les couleurs tantôt vivifiantes ou retenues, la gestion de la lumière, et l’animation contrôlée aspirent immédiatement le spectateur. À coup sûr celui qui a traversé en personne les années 80 et 90, et, il faut l’espérer, les nouveaux venus qui trouvent là comme dans Fez, Sword & Sworcery, Canabalt et quelques chics autres, une superbe invitation à faire connaissance avec le design visuel d’une époque. Bien entendu, Finding Teddy et ses plus glorieux prédécesseurs utilisent la technologie d’aujourd’hui pour sublimer l’esthétique pixélisée inévitable d’alors. Quand il est réussi comme ici, le résultat dépoussière et redonne vie à ce qui semblait appartenir à une histoire oubliée en dehors des musées-greniers de retro gaming.

Synthèse artistique

Les deux auteurs ont tellement bien absorbé l’époque de référence que leur jeu a une capacité assez étonnante à la synthèse. Avec vraiment très peu d’effets à l’écran, des bruitages et des animations économes, ils arrivent à condenser émotion et narration en quelques images et sons. Il suffit d’un plan et de trois secondes pour saisir les enjeux et accompagner la petite fille dans un autre monde à la recherche de son nounours (un teddy bear en anglais bien sûr). Il suffit d’une descente en lévitation dans un pied de lumière sur un piédestal pour se savoir invité dans la forêt d’un Hyrule de A Link to the Past vu de profil. Il suffit d’une rencontre pour comprendre qu’il faut se méfier des créatures amies ou ennemies de la forêt tant qu’elles sont en noir et blanc. D’ailleurs, visiteuse incongrue dans cette forêt si colorée, la petite fille elle-même est en noir et blanc. Les animaux petits ou grands de la forêt ont des besoins et ne cèdent le passage que lorsqu’on leur apporte ce qui leur manque (à manger, à boire, de l’amitié…). Ou qu’on leur joue de la musique.

Pointer, cliquer, transpirer

Le gameplay fonctionne littéralement comme les jeux d’aventure point’n click d’antan. C’est à dire qu’il faut toucher le décor du doigt en espérant découvrir un élément réactif, associer un personnage ou un élément de décor avec un objet récupéré plus loin. La fillette traverse des écrans fixes vers la droite, la gauche, le bas et le haut et s’arrête à des positions fixes (un double tapotement permet de traverser les écrans en courant). Une mauvaise rencontre peut déclencher une mort immédiate (souvent cruelle) mais le jeu relance la situation exactement au même endroit. Puisqu’il n’y aucune espèce de mode d’emploi ni indication écrite à l’écran, il faut tout deviner et c’est tant mieux. Une mouche et un chat noir, tout à fait inoffensifs, viendront peut à peu aider occasionnellement la petite fille à attraper ici ou là un objet inaccessible.

La musique n’adoucit par les mœurs du point’n click

Le jeu a été réalisé en quatre mois, annoncent sans fanfaronnade les crédits. Un exploit qui explique aussi quelques petites approximations. La besace affichée en cercle façon Secret of Mana autour du personnage offre 6 poches qui ne seront jamais remplies puisque à part un flacon, chaque item utilisé disparaît aussitôt. Le tapotement sur la vitre ne réagit pas toujours au quart de tour quand il s’agit de faire afficher ce fameux cercle ou la partition qui descend du haut de l’écran. Des petites latences agaçantes mais sans conséquences sur le gameplay puisque qu’il n’est évidemment pas du tout question de faire marcher ses réflexes. Volontairement énigmatique, l’alphabet musical ésotérique se révèle surtout très contrariant (autant le savoir tellement il finit par crisper : 26 notes égales 26 lettres réparties sur une portée de 3 lignes). Le dessin pixélisé de certaines lettres est à la fois brouillon et trop similaire (le h et le i, le m et le n). L’identification des lettres est surtout aggravant parce que le jeu attend du joueur de reconnaître des séquences de notes de musique… à l’oreille. Là où les Ocarina of Time et Wind Waker de référence jonglaient entre mémoire visuelle et auditive, Finding Terry impose vraiment de reproduire sans aide visuelle jusqu’à 5 notes de musique. En sachant que les notes jouées par le programme se superposent à la partition musicale et aux notes que le joueur tente de jouer lui-même en tapotant sur les notes vierges de la partition, le résultat est plus souvent confus que serein malgré le joli concept musical.

Le pixel art ne se marchande pas

Alors qu’il est reproché, à tort, aux énigmes du très réussi The Cave du vétéran des jeux d’aventure pointer-cliquer Ron Gilbert (actuellement sur consoles de salon et PC) d’être tirées par les cheveux, ce serait plutôt du côté de Finding Teddy qu’il faudrait tourner ses plaintes. En version très modeste évidemment puisque le jeu se déroule en trois petits chapitres et quelques rébus. Si certaines associations d’objets vont de soi, d’autres imposent le vieux principe des aller-retour à tapoter tout et n’importe quoi à l’écran en espérant déclencher la bonne séquence. Qu’on se rassure, les décors sont épurés et les « clicks » pas si inutiles puisqu’il s’agit aussi de dénicher des lucioles qui débloquent de très jolies illustrations de travail sur le jeu. Mais on l’aura compris, l’essentiel est ailleurs. Quitte à se faire un peu aider (guide en anglais ici Finding Teddy se traverse surtout comme une succession d’émouvants tableaux redonnant de la lumière et des couleurs sur des univers enfouis dans les souvenirs. Le prix vaut largement la chandelle.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone et iPad

Les plus…

  • Bouleversant à regarder et entendre
  • Le rythme paisible incitant à la contemplation
  • Le mélange de nostalgie et de réinvention artistique

Les moins…

  • Énigmes à base de reconnaissance sonore quand même sévères
  • L’alphabet ésotérique moitié visuel moitié musical un rien trop confus
  • Petits flottements dans les commandes sur la vitre
(Publié le 20/02/2013 sur Hitphone.fr)

 


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BEST OF JEUX 2012 : L’année du loot

Sans rire, ni pleurer, ni – comme d’habitude – s’interroger, le jeu vidéo s’est inventé en 2012 un nouvel argument commercial ridicule : le « loot ».

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Des RPG aux FPS, la pratique utilitaire bien banale du jeu vidéo consistant à ramasser sur sa route des orbs, des pièces de monnaie, des flacons, de la magie et des munitions s’est transformée en pratique de masse. Au point de devenir un argument marketing à part entière. Un bon jeu solo aujourd’hui doit garantir une grosse dose de… looting, c’est à dire, en bonne traduction de… pillage ! Après les assassinats et autres descentes militaires en piqué, le jeu vidéo continue de cultiver le bon goût. Fouiller ou fracasser les placards, caisses ou coffres ne suffit plus. Pour trouver sa dose de subsistances ou de pseudo richesses, il faut impérativement dépouiller le cadavre d’un civil, d’un soldat, d’un maniaque, ou d’un monster, gentil ou méchant peu importe. L’important étant qu’il soit à terre, criblé de balles, égorgé, nuque brisée, brûlé vif, mort si possible, mais pas forcément. L’agonie lente, voire perpétuelle à moins d’un coup de crosse final, fait désormais aussi partie du folklore obligé…

Sans connaître par cœur ni les règles de guerre ni les lois de la cité, il semble connu de tous que, dans la vie, le pillage et la fouille de dépouilles sont strictement forbidden sous peine de… Sans même parler du code de l’honneur, de la dignité ou du dégoût pur et simple. Une critique mesquine et déplacée parce que, bien sûr, le jeu vidéo aurait comme vertu cathartique d’autoriser ce qui serait « tabou ». Sauf que dans le jeu vidéo les lignes rouges virtuelles – mais intellectuelles – se franchissent sans le savoir, en toute tranquillité. Il n’y a donc pas là transgression consciente ni bras d’honneur d’insoumis, mais une banalisation de la bêtise humaine transformée en activité virtuelle sans queue ni tête. Le jeu vidéo du jour brouille les pistes d’un monde réel de plus en plus flouté au lieu de l’éclairer comme il en a le potentiel (merci éternel à Journey justement). Mariée au level-up, la collecte d’items divers existe évidemment depuis longtemps dans certains jeux très spécialisés comme les jeux de rôle japonais, américains ou massivement multijoueur en ligne. Mais elle se retrouve aujourd’hui au premier plan aussi des jeux d’action avec, en plus, une surenchère quantitative conduisant à l’absurde organisationnel et scénaristique : stockage mobile arbitraire et de toutes façons jamais suffisant qui oblige à abandonner au hasard son butin sur la route. La fusion des genres, RPG + action ou FPS, et la combinaison de la puissance de calculs et de l’absence d’imagination conduisent à un remplissage du vide par le… looting.

Symbole plus rigolo mais tout aussi tragique de cette fuite en avant vers la surconsommation en substitut d’action, au lieu de se réinventer un gameplay, Mario lui même oblige désormais à courir après 1 million de pièces jaunes sur 3DS ! Sans (ouf !) toucher au cadavre encore fumant d’un ennemi. Quoi que, les koopas tout de même…

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Top Jeux inédits 2012

Au sens figuré, le pillage culturel du jeu vidéo s’est aussi normalisé en son sein. Les clins d’œil et autres hommages au début joliment qualifiés de rétro gaming respectueux sont surtout devenus prétexte à fabriquer aujourd’hui à la chaîne des jeux pas très chers à partir des codes graphiques et interactifs d’hier. La frontière reste fine entre réimagination et pillage du patrimoine. Il n’empêche, dans les best-of des jeux inédits retenus (les suites à chiffres ont leur propre palmarès ci-après), le nombre de jeux uniquement créés et vendus en dématérialisé a explosé. Bien qu’il faille bien un peu déplorer la fin prochaine des jeux et boutiques physiques, le jeu vidéo en tant que moyen d’expression, lui, a déjà trouvé son nouveau terreau.

1 / Journey (That Game Company)
Un jeu-Monde comme il n’en existait pas encore. Après flow et Flower, le jeu vidéo tient réellement en Jenova Chen le nouveau phare lumineux du médium interactif. Celui qui ouvre la voie et l’horizon, celui qui comprend le jeu vidéo traditionnel et refuse de le soumettre aux diktats barbares contemporains et aux conventions archaïques. L’œuvre de Jenova Chen compense en la complétant l’absence de celle de Fumito Ueda et de son Last Guardian qui manque toujours à l’appel. Le voyage espéré en début d’année a fait plus que se confirmer. Nouvelle preuve de la marque durable de cette œuvre majeure, Journey a été nominé 11 fois aux prochaines récompenses de The Academy of interactive Arts & Sciences (DICE).

2 / Dishonored (Arkane Studios)
Depuis le premier Assassin’s Creed on n’avait pas vu lancement médiatique aussi assourdissant. À tel point que la méfiance devenait de facto un pré requis. Sur le terrain, c’est à dire entre les murs et sur les toits de la cité de Dunwall imaginée par Viktor Antonov, le buzz collectif pénible se transforme en joie solitaire. Depuis Bioshock on n’avait pas vu ça, une telle cohérence entre le fond et la forme, les visuels et le level design, le scénario et les dialogues, un tel équilibre entre contraintes et liberté d’action. Seul le titre cloche. Honored aurait été plus à sa hauteur.

3 / Gravity Rush (Sony Computer Japon)
Double choc 2012. Un des jeux les plus innovants et enthousiasmants de l’année existe uniquement sur la déjà mal aimée PlayStation Vita et a été conçu par une équipe japonaise en pleine forme créative ! Deux atouts improbables à l’aube des années 2010 et pourtant. Réalisation graphique audacieuse, canons du beat-em all à la japonaise respectés mais pas seulement, l’aérien Gravity Rush dynamise l’exploration libre de la magnifique ville suspendue grâce à la manipulation de la pesanteur et les commandes singulières de la nouvelle console Sony. Un jeu signé Keiichiro Toyama (Silent Hill 1, Forbidden Siren) qu’il ne faudra désormais plus lâcher.

4 / Sound Shapes (Queasy Games)
Trop passé inaperçu, ce jeu de plateforme néo rétro hyper design et jouable au choix sur PlayStation 3 et/ou PS Vita fusionne avec un culot réussi plusieurs milieux artistiques : graphistes, musiciens et concepteurs de jeu. Le touché quasi parfait du gameplay met en scène des décors dessinés faussement abstraits d’une grande pureté plastique et des musiques électro d’un grand chic.

5 / Deadlight (Tequila Works)
L’héritier direct et responsable de Another World, Flashback, Prince of Persia (original), Oddworld : Abe’s Oddysee et donc un jeu de plate-forme/action en scrolling horizontal profitant de l’Unreal Engine pour fignoler tous les détails visuels et d’animation à la hauteur d’un blockbuster en 3D. L’ambiance générale, le rythme posé, l’assurance du gameplay, l’écriture et les dialogues, dont les voix américaines très solides, en font un jeu d’une grande maturité. Au point d’arriver à faire pardonner l’exploitation rabâchée des zombies. Réduits à l’état de silhouettes noires ils sont judicieusement baptisés « ombre ». Sans doute un contre-point au titre du jeu. Version furtivité plus cartoon, le brillant Mark of the Ninja le talonne.

6 / Little Inferno (TomorrowCorporation)
Quand on pense aux mille efforts des blockbusters pour se donner l’air transgressif alors qu’il suffit d’un feu de cheminée pour foutre le feu aux bonnes manières ! Tous supports physiques ou dématérialisés confondus, la plus étonnante pépite de la Wii U se cache pour l’instant dans le tout nouvel eShop Nintendo avant de sortir, comme il était prévu, sur iPad (dispo aussi sur PC/Mac et Linux). Les créateurs du fantastique World of Goo accouchent d’un jeu au plan fixe sur une cheminée où le joueur jette tout ce qu’il trouve dans des catalogues inutiles, y compris des nounours en peluche. Dans un plaisir forcément hautement subversif, tout est consommé jusqu’aux cendres. Y compris l’enfance et l’amour.

7 / Papo & Yo (Minority)
Le jeu a clairement quelques raideurs techniques mais l’intention derrière ce projet mérite toutes les louanges. Il fallait oser glisser le joueur dans la peau d’un petit garçon se faufilant dans une favela brésilienne. Il fallait oser lui associer, sans perdre son sérieux, une créature géante rose tantôt docile ou colérique. Il fallait oser y glisser une métaphore du fils et du père sous l’emprise de l’alcool.

8 / Escape Plan (Fun Bits Interactive)
L’ambiance gothique cartoon noir et blanc encre de chine vaut tous les messages dans ce jeu de réflexion-action pas si sobre qui exploite malignement le dos tactile de la PS Vita. Comme dans un film muet, le mélange de cruauté et de candeur met en valeur les deux personnages que l’on peut qualifier de Laurel & Hardy du jeu vidéo. C’est un compliment.

9 / Little Big Planet PS Vita (DoubleEleven)
Sans trop de surprise sinon une bonne, entre les mains d’un nouveau studio, le bébé de Media Molecule continue sa belle route créative et n »oublie pas de mettre en valeur les fonctions tactiles recto-verso de la PS Vita. Le jeu redevient expérimental pour le plus grand plaisir.

10 / The Walking Dead (Telltale Games)
Malgré de gros soucis technique et même ergonomique, le jeu émotionnellement presque digne de la série marque les esprits et l’industrie du jeu vidéo en réussissant d’une pierre deux coup (et 5 épisodes) ce qui échappait jusque là au médium : à savoir un modèle dramatique interactif et un modèle économique interdépendant. La progression dramatique réussie entretient le format épisodique à rebondissements et, réciproquement, le fractionnement en épisodes génère une tension et un désir d’en savoir plus. Un certain David Cage qui espérait déjà accoucher de ce modèle au début des années 2000 avec Fahrenheit doit grincer des dents, ou être content d’avoir eu raison. Et, pour faire bonne mesure, le jeu trouve aussi toute sa place sur l’écran tactile de l’iPad.

Top suites 2012

Elles sont là, ronflantes, rassurantes pour la population gamer qui en veut pour son argent, obligées par l’économie et la technologie qu’il faut amortir d’épisodes en épisodes, équipées quasi systématiquement de multijoueur pour, toujours, les mêmes joueurs, au détriment de ceux continuant à valoriser les aventures scénarisées. Et, quitte à soupirer devant la répétition, il faut les jouer parce que les blockbusters, avec leurs défauts et leurs rengaines, restent encore aujourd’hui le fleuron technologique de l’industrie du jeu vidéo. Et parfois, oui parfois, dans les suites, les auteurs arrivent à se réinventer. Ainsi dans ces trois jeux qui s’appuient sur leur concept initial pour aller un peu plus loin…

1 / Darksiders II (Vigil Games)
La production over ambitieuse provoque quelques hoquets techniques mais rien qui freine le gameplay en temps réel. Cette suite accentue très franchement la partie exploration/puzzle des donjons au détriment du hack & slash – de toutes façons plus sophistiqués que God of War grâce à l’équipement – et rapproche ainsi plus ouvertement le jeu du modèle Zelda. Plus complet, plus intense, bien écrit, bien joué, et totalement authentique avec, en plus, une version Wii U aux qualités certaines comme celle de donner accès directement au donjon du DLC inclus.

2 / The Darkness II (Digital Extremes)
Oui le FPS fonctionne un peu trop en couloir mais scénaristiquement les trajets restent logiques. Et surtout, la réalisation flamboyante, des visuels aux bruitages, de la narration off aux dialogues en anglais presque dignes, cette fois, du cinéma, placent cette production au top des réussites. Prise en main comprise. Le gore, condamnable parce que inutile dans tant d’autres productions, a ici toute sa place grâce à l’autodérision qu’il implique. Rarement la schizophrénie a été aussi bien mise en scène dans un jeu vidéo.

3 / Far Cry 3 (Ubisoft Montreal)
La bonne surprise est arrivée presque sans alerte. Suite ou pas, ce Far Cry efface les précédents velléitaires et devient la référence du FPS open world en milieu sauvage. Là aussi l’acting VO au top et un touché remarquable combiné à un joli sens topographique donnent corps et presque âme à un terrain de jeu/chasse saisissant. Cette fois, le joueur n’a plus besoin de rugir pour jouer au prédateur, il l’est, tout simplement. Et, il faut le signaler, en dehors des impeccables Rayman 2D, voilà un des rares jeux Ubisoft dont la prise en mains est non seulement totalement fiable mais vraiment jouissive.

Mentions spéciales à…

Spec Ops : The Line (Yager Development)
Pour ses couleurs, son sable rouge, son épatante mise en scène de l’introduction et, bien sûr, son décor inédit tout en verticalités de la ville de Dubai, ce TPS militaire s’impose artistiquement malgré une violence parfois crasseuse et au fond inutile.

Black Knight Sword (Grass Hopper)
Il faut quand même du génie pour mener à bien un tel concept et fondre un jeu de plateforme/hack & slash dans un décor de théâtre macabre en carton où le héros se déplace vraiment sur scène, devant le rideau ! Le jeu vidéo dans son ensemble avance de deux cases créatives grâce à ce projet dingue et réussi.

Catherine (Atlus Persona Team)
Totalement inclassable, c’est sa force, aux côtés de Gravity Rush et du récent Black Knight Sword, cet OVNI nippon sorti tardivement (mais courageusement) en Europe redonne foi en la scène japonaise. Même, et surtout, si l’on ne comprend pas tout. Il y a des sentiments, un peu, de l’érotisme, pas plus, de l’ésotérisme, pas trop, de la dérision, pas mal, et une partie action étrange où il faut grimper un escalier jusqu’aux cieux, à moins que cela ne soit l’enfer. Indescriptible donc.

> Okami HD (Capcom)
La réédition en HD sur PlayStation 3 avec ou sans le PS Move, redonne toute sa glory au jeu flamboyant de ex Clover Studio et confirme ce que les initiés savaient déjà depuis la PlayStation 2. À savoir qu’il s’agit là d’un des monuments du jeu vidéo et donc à entretenir absolument. Merci Capcom et Sony.

> Consoles Sony
La majorité des gamers hardcore s’active plutôt sur Xbox 360 et Xbox Live, mais comme le soulignent les tops ci-dessus, les jeux les plus créatifs et les plus innovants sont apparus cette année sur le PlayStation Network de la PlayStation 3 et sur la PlayStation Vita ! Un paradoxe terrible qui fait craindre que les consoles Sony ne deviennent des appareils arty pour happy fews avertis. Alors s’il fallait faire un vœu pour 2013 : rallumons nos PS3 et PS Vita et osons les jeux vidéo audacieux exclusifs, ils ne coûtent pas très cher, eux, et entretiennent bien plus sérieusement la culture du jeu vidéo.

> iPad Mini
Oublions les petites haines et jalousies partisanes héritières de la tradition consoles, car le futur du jeu vidéo pourrait bien être là (le GamePad Wii U en atteste en tous cas). Parfait compromis ergonomique entre l’iPod Touch/iPhone et l’iPad standard, l’iPad Mini a surtout le potentiel vertigineux de supplanter toutes les autres consoles de jeux portables. Même en se passant des si pratiques boutons tradis des PS Vita et 3DS. Sans le ressentir soi-même, il suffit de bien regarder sur quel appareil se ruent en priorité les enfants qui ont accès aux trois machines. Indice : ce n’est ni une machine Sony, ni une machine Nintendo. Alimenté par un App Store de plus en plus fourni en « vrais » jeux, l’outsider Apple d’hier est chaque jour mieux armé pour prendre la première place. Pour ne pas s’en inquiéter, après tout, il suffit de ce saisir de ce nouvel outil interactif. Le reste, c’est à dire le plaisir et la prise de conscience, viendront tout seul…

8 jeux IOS inédits incontournables

– Rayman Jungle Run
– The Walking Dead
– Lili
– Nihilumbra
– MotoHeroz
– The Room
– Tentacles Enter the Dolphin
– Vectrex Regeneration

François Bliss de la Boissière

 


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Canabalt : À perdre haleine

L’adaptation sur iOS de jeux Flash n’a pas fini de joliment surprendre. Ainsi ce très rétro chic Canabalt disponible depuis 2009 sur PC et qui entraine dans une exténuante et irrésistible fuite en avant sur iPad et iPhone.

canabalt

Rien ne vaut le noir et blanc pour faire chic. Ajoutez quelques dégradés de gris, un dessin en aplats avec des contours angulaires en escaliers faisant référence aux jeux vidéo des années 80 et voilà que surgit, avec le bon dosage, du « pixel art ». La scène Flash, par définition limitée dans ses ressources, en a fait grand usage. Issu de ce vivier créatif, le trop discret Canabalt passe beaucoup moins inaperçu une fois en main. Parce que derrière cet emballage sobre presque aristocratique se cache un jeu totalement hystérique, fondamentalement rigolo, et drôlement bien rodé.

« Run Forrest Run » (Forrest Gump)

Dans un pur dépouillement du jeu de plateforme réduit à l’essentiel, le gameplay consiste exclusivement à aider un petit bonhomme courant automatiquement de gauche à droite à éviter les obstacles ou à chuter dans le vide. Son parcours se fait sur le toit de buildings avec la ville en arrière-plan. Dès la première seconde le type court comme un fou sans jamais s’arrêter. Son pas va même en accélérant au fur et à mesure que le joueur réussit à éviter des obstacles friables sur sa route qui le ralentissent un peu. Plus il va vite, plus il va loin, plus il peut sauter loin et donc franchir des distances de plus en plus grandes entre les toits d’immeubles ou les quelques grues qui les séparent. Mais plus il va vite, plus l’anticipation devient difficile dans un redoutable mélange de jeu de réflexe et d’appréciation des distances. L’unique action consistant à déclencher le saut en appuyant sur la vitre, la vraie difficulté consiste à apprécier en une fraction de seconde la distance et la hauteur du saut à effectuer. Plus la pression sur la vitre est longue plus le bonhomme saute haut et, en fonction de sa vitesse, loin. Mais certains immeubles ou échafaudages se révèlent plus étroits que d’autres, un saut trop enthousiaste peut conduire de l’autre côté du toit visé.

Hystérie intérieure

Totalement concentré sur son objectif (course hystérique), et son contexte (les toits de buildings), le jeu organise le tumulte intérieur du joueur avec des moyens économes mais particulièrement bien choisis. Le vrai régal vient ainsi du minimalisme des moyens qui n’assomment pas les sens et qui, au contraire, incite à la revisitation. Visuels, animations, bruitages et musique de Danny Baranowsky, tous finement ciselés et mis en scène redonnent une apparence artistique presque fraiche à un gameplay bien connu dans les parcours finaux ou alternatifs de mille et un jeux de plate-forme old school. Un bruit de verre brisé en franchissant une fenêtre, l’envol d’un groupe de pigeons affolés, le grondement monstrueux du passage d’un aéronef incongru, nourrissent les yeux et les oreilles d’informations à la fois utiles à donner vie à l’action et volontairement troublantes par rapport aux micro-décisions à prendre. Le vrombissement du survol de l’engin à réaction annonce par exemple le largage d’un robot qu’il faudra éviter, ou pas. La tension s’installe parce que les évènements ne sont pas systématiques et qu’il n’est pas possible de mémoriser par cœur le parcours. Le décor et ses obstacles déclinent un nombre évidemment limité d’aléas mais leur enchainement parfaitement fluide varie d’une partie à l’autre. Y compris quand l’immeuble sur lequel on court s’effrite et s’effondre ou quand (un des accidents les plus mortels) il faut limiter son saut pour franchir brusquement un couloir limité en plafond alors que la majorité du temps seul le ciel est la limite.

Course sans fin

On avait laissé avec un peu de regret l’héroïne de Mirror’s Edge s’essouffler dans une course de run and jump en 2D faisant contre mauvaise fortune bon coeur sur iPhonepar rapport au jeu original en full 3D sur consoles de salon. Pas de regret ici, Canabalt offre tout son potentiel de la première à la dernière seconde. Avec classe, humour et ironie comme le révèlent discrètement le simple bruit des pas de courses puis, plus ouvertement, les phrases qui décrivent en détail l’échec et la mort du joueur. Et d’ailleurs quelle est exactement cette dernière seconde ? On ne le saura sans doute jamais. Si l’on en croit les scores mondiaux enregistrés consultables dans le jeu, comme ceux de ses amis Game Center, la course effrénée du mec affolé continue indéfiniment. Le score comptabilise le nombre de mètres parcourus en une session. De quelques centaines à quelques milliers dès que la concentration du joueur arrive à se maintenir et résister aux surprises du parcours. Et surtout à tenir la distance et la durée. Le meilleur score est à ce jour calé à 141 505 mètres, contre les 8000 maximums décrochés pour ce test après bien des efforts ! Aucun doute, Canabalt survol et trace sa route.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Style graphique pixel art
  • Musique de Danny Baranowsky (Super Meat Boy)
  • Toucher précis et capable de nuances
  • Interface hyper réactive

Les moins…

  • Principe de jeu unique forcément répétitif
  • Connexion Twitter intégrée défaillante
  • Un peu cher
(Publié le 28/02/2012 sur Hitphone.fr)

 


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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


Gunman Clive : Le nouveau (rétro) western

Chacun le sait, en l’absence de budget les idées comptent davantage. Essentiellement graphique, la radicalité conceptuelle de Gunman Clive redonne à jouer le classicisme d’un jeu de plate-forme et de tir sous la forme d’un dessin animé au crayon évoquant les origines de l’animation. Malin, le contexte western pas si usité, suggère en parallèle le côté pionnier de la démarche.

Gunman Clive close up

Bien masqué par le trait quasi monochrome, le game design déroule de gauche à droite les grands classiques du jeu de plate-forme 2D. Entre hommage et simple décalque, il met en scène un petit cow-boy qui doit esquiver les balles des autres cow-boys embusqués qui derrière une caisse, qui sur le toit du saloon. Les ennemis humains, bientôt rejoints par des animaux, se contentent de faire des allers-retours sur une portion du décor tout programmés qu’ils sont pour gêner le parcours (canards), agresser frontalement (pumas) ou du ciel (cigognes larguant des explosifs), ou lancer des bâtons de dynamite (humains). Le parcours d’obstacle exploite avec logique le décor minimaliste d’une ville de western et de ses cactus parfaitement mis en valeur par la vue de profil et le scrolling horizontal. Très vite cependant les clichés du jeu vidéo reprennent la main : piles improbables de caisses, échelles allant nulle part plaquées contre les murs, plateformes suspendues et mobiles, trappes au rez-de-chaussée comme dans les étages d’où surgissent des tireurs, et cow-boys géants surarmés en boss avec lesquels il faudra danser rien qu’avec son six coups…

Jeu analogique

Sans trahir ni vraiment assouplir la manœuvre, le pad virtuel à gauche n’autorise que le tir à l’horizontal. Même si le petit cow-boy peut s’accroupir et sauter pour essayer de caser une de ses trois balles (rafales de base ainsi limitées) dans le buffet d’un tireur caché derrière un paravent, cette contrainte se ressent comme une injustice puisque les ennemis, eux, ne se gênent pas pour viser en diagonale. Une jauge de santé permet d’encaisser quelques coups mais elle ne résiste pas longtemps à des volées de balles pas toujours faciles à anticiper. On retrouve, ou on réapprend, les réflexes consistant à s’accroupir ou sauter en tempo pour laisser passer les balles au-dessus ou en dessous avant que son pistolet soit lui-même dans l’axe de la cible. En s’évaporant, certains ennemis relâchent des items (bonbons, gâteaux…) redonnant un peu de santé ou apportant aussi des améliorations au colt. Celui-ci devient alors provisoirement capable de projeter plusieurs balles simultanément dans plusieurs directions, voire des balles aimantées qui débusquent l’ennemi planqué ou rattrapent celui qui se déplace.

B.a.-ba du jeu vidéo des années 80-90

Petit thesaurus old school du jeu vidéo de plateforme d’hier et du run’n gun light, Gunman Clive n’offre rien de très neuf dans le gameplay. Ses raideurs font écho à celles de la première génération de jeux d’arcade, y compris dans l’échec qui renvoie implacablement au début du niveau, certes pas très long, ou à des checkpoints intermédiaires éloignés nécessitant de refaire inlassablement des portions périlleuses. Retour à la case départ dans tous les sens du terme : logiques de parcours et d’épreuves, réapparition des ennemis à distance, notamment quelques pas derrière soi, répétition, apprentissage par l’erreur. Néanmoins, le troisième essai du jeune développeur suédois, responsable, dans des registres bien différents, de propositions toutes aussi conceptuelles (Helium Boy et Trouser Trouble fait cette fois mouche en osant plaquer un tel style visuel rétro moderne sur un gameplay d’hier. Culotté, réussi notamment grâce aux animations très fluides des personnages, Gunman Clive gifle d’un geste apparemment négligé des années et des kilomètres de dessins et décors clichés du jeu vidéo. Au titre de cette audace artistique, d’une réalisation technique soignée (contrôles et visuels alternatifs intéressants dans les Options), d’une appli petit prix universelle iPhone/iPad (mais pas de sauvegarde partagée), et de la sincérité nostalgique de son gameplay, Gunman Clive mérite un coup de chapeau et une salve d’honneur.

Par François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Le trait et l’animation crayonnés
  • L’adéquation pionnière du western et du « sépia »
  • Retour aux sources gameplay 8 bits
  • Le western et son cow-boy

Les moins…

  • Difficulté old school rageante
  • Pas possible de tirer en diagonale
  • Les ennemis reviennent même derrière
  • Boucle musicale et bruitages trop maigres
(Publié le 18/05/2012 sur Hitphone.fr)

 


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Vectrex : Retour de la console atypique des années 80

La première console de salon à déporter le jeu vers un 2e écran n’est pas la Wii U de Nintendo mais la Vectrex distribuée par General Consumer Electric en… 1982 ! Et parce que la Vectrex était équipée de son écran, l’appli du même nom est la première à totalement reproduire sur iPad l’expérience non seulement des jeux mais de la machine elle-même !

Avec son écran incorporé, sa manette intégrée (elle se rangeait DANS le casier de la console/écran) et sa technologie vectorielle dépouillée radicale osant se détourner du graphisme bitmap brouillon mais coloré popularisé par la fameuse Atari 2600 et tous ses suiveurs (Intellivision), la console Vectrex avait dû surprendre à son époque par son audace, son culot même, et son prix forcément plus élevé. Elle avait tellement d’avance sur son temps que le design de son boitier incluait l’équivalent d’une poignée pour la transporter, détail pratique que l’on verra deux ans plus tard sur le tout premier ordinateur tout en un, le Macintosh d’Apple et même, 28 ans plus tard, sur le fameux tout en un, iMac du même Apple. Mais du coup, comme toutes les choses un peu singulières et un peu rares (distribution hasardeuse des jeux à l’époque en France), elle n’a pas dû manquer de faire l’objet d’un culte.

Culte jusqu’au fétichisme

C’est d’ailleurs la première conclusion à laquelle conduit l’appli Vectrex compatible iPhone mais qui prend vraiment sa mesure sur iPad standard. Car celle-ci ne se contente pas de copier à l’identique le catalogue de jeux. Elle va jusqu’à reproduire avec un mimétisme confondant toute l’expérience visuelle, sonore, et ergonomique de la machine. On ne glisse pas une cartouche dans l’iPad pour lancer un jeu mais c’est tout comme. Des photos hautes résolutions montrent une étagère où s’alignent les boites de jeux au-dessus d’une console posée sur un bureau. Un touché du doigt affiche en gros plan un scan de la boite du jeu retenu avant de plaquer sur l’écran de la console un des fameux caches en plastique associé à chaque jeu. L’expérience est troublante de fidélité et de soin. Nous sommes dans une zone de qualité affective allant bien au-delà des besoins techniques de reproduction. Plus qu’un fac-similé fétichiste, il y a là une sorte de volonté de réhabilitation, de refaire vivre toute l’expérience singulière de la console d’alors et pas seulement des jeux. Parce que l’expérience de chaque jeu Vectrex était intimement liée à la technologie, à l’ergonomie de la console et au rapport intime qu’elle générait avec son écran individuel.

L’arcade à domicile

Seule dans sa catégorie grâce à son écran et à sa technologie d’affichage vectorielle, la Vectrex reproduisait à domicile une expérience de salle d’arcade que les autres consoles de salon de l’époque reliées aux télévisions ne pouvaient vraiment dupliquer. L’écran vertical et autonome face à soi, la manette équipée à la fois de quatre boutons bien alignés et d’un mini stick analogique, la vitesse d’affichage et de déplacements des éléments à l’écran qu’autorisaient les formes vectorielles minimalistes moins gourmandes en calcul… autant de détails singuliers que l’adaptation presque littérale sur iPad réussit à faire renaître. Notamment, on l’imagine, en utilisant le mini cabinet iCade compatible (hélas non testé). En l’état, simplement avec la vitre de l’iPad, le choc est déjà grand. Parce que, tout en respectant la haute définition d’aujourd’hui, les fameuses lignes vectorielles s’affichent avec une clarté exceptionnelle sans adoucir leurs raideurs originales. Les écrans de chargement de la console ou de chaque jeu se calent, semble-t-il, aussi sur le même rythme que la console de 1982 qui était là aussi plutôt performante.

Émulation tactile impossible

Puisque d’un point de vue visuel, sonore et environnemental, l’appli duplique sans faillir les conditions originales, le vrai challenge consiste à tenter de reproduire aussi les conditions de contrôle. Le résultat, malheureusement, convainc moins. Le bas de l’écran totalement occupé par l’image du jeu affiche en surimpression les 4 boutons de la manette et sur la gauche un cercle tentant de symboliser le contrôle analogique du stick. Fixes, les 4 boutons chevauchent le cache en plastique du jeu (l’overlay en anglais) et gâche un peu l’esthétique d’ensemble. Comme dans la proposition des années 80, le cache devant l’écran sert à donner quelques couleurs (ici éclatantes) à l’image vectorielle monochrome et, dans certains jeux, à esquisser ou embellir des contours de terrain. L’appli permet d’enlever ce fameux revêtement plastique transparent à volonté et les 4 boutons semblent alors mieux intégrés sur la ligne horizontale du cadre. En revanche, leur espacement réduit complique lourdement la fidélité des contacts sur une vitre lisse sans repère. Car les jeux plaquent sur chacun d’eux des actions parallèles la plupart du temps (tir, accélération, téléportation instantanée, boost…). Et contrairement aux boutons des pads de consoles qui se pratiquaient plutôt avec les pouces, la manette Vectrex se posait sur la table pour être manipulée comme un piano avec quatre doigts de la main droite. Une prise en main proche aussi de l’arcade ou des micro-ordinateurs pilotés au clavier.

Position arcade sinon rien

L’iPad tenu en mains, ce sont les pouces qui sont sollicités et il faut quitter l’écran des yeux pour trouver leur marque. À moins de jouer en posant l’iPad sur une table, ce qui semble peu probable puisque le Vectrex avait adopté un format vertical. Mais le plus incontrôlable reste encore le stick analogique virtuel sur la main gauche. Très souvent celui-ci sert à faire tourner sur son axe le vaisseau, tel celui de MineStorm perdu au milieu de son champ d’astéroïdes, ou de Solar Quest aspiré par l’attraction du soleil, mais sans repère tactile, le doigt glisse désespérément d’un bord à l’autre dans l’espoir de trouver le point de réactivité. Le fait que l’icône du stick puisse être placée n’importe où sur l’écran embrouille la manœuvre au lieu de la faciliter. Curieusement, bien que tous les éléments graphiques soient bien trop petits à l’écran, le compromis de la prise en main sur iPhone fonctionnerait presque mieux puisque les 4 boutons occupent tout le bas de l’écran et obligent cette fois à utiliser le pouce droit tandis que le gauche se place n’importe où pour actionner les contrôles analogiques.

Rythme et raideur des années 80 inclus

Même si, de mémoire, chaque jeu est plutôt ramassé et donc court par rapport aux standards d’aujourd’hui (modes deux joueurs alternatifs originaux inclus), le niveau élevé des challenges reste associé à la raideur ergonomique des années 80 (et aux besoins goulus des machines à sous qu’étaient les bornes des salles d’arcade). À quoi s’ajoute involontairement la translation impossible sur des contrôles virtualisés à l’écran. Pour jouer vraiment pour de bon, aller au devant du score, l’afficher sur un joli tableau noir aux côtés de ceux de ses amis (fonctions non actives sur version, par ailleurs complète, fournie par le développeur), il faudra vraiment se diriger vers l’accessoire iCade qui fera grimper la facture (100 euros environ).

Vectrex Regeneration

L’appli Vectrex 2012 se présente presque comme un écosystème contemporain. L’appli est offerte avec le jeu MineStorm, un très efficace clone d’Asteroids d’Atari qui était justement inclus directement dans l’OS de la machine. Allumer la console lançait automatiquement le jeu ! Inévitablement pour prolonger l’expérience il faudra passer à la caisse en achetant un premier pack à 5,99 euros contenant 17 des jeux les plus connus et réussis de la console : WebWars (une fuite en avant dans un tunnel que l’on retrouvera plus tard en niveau spécial d’un Sonic, précurseur de la série WipeEout), Starhawk, Star Ship (tir en vue tellement subjective dans l’espace que si un vaisseau ennemi franchit le tir de barrage du joueur, la vitre de la console/cockpit se brise !), Star Castle, Spike (un hilarant détournement de Donkey Kong avec un personnage et sa dulcinée criant au secours grâce à un procédé de synthèse vocale que l’on imagine rare, voire inédit, à l’époque), Solar Quest, Scramble (quasi identique à celui de Konami – alors que la marque n’est pas créditée – tout premier modèle de shoot à défilement horizontal), RipOff, Pole Position, Hyperchase, Heads Up, Fortress of Narzod, Cosmic Chasm (un contre la montre curieusement tempéré dans un jeu de labyrinthe qui exploite la mémoire et les nerfs), Blitz !, Berzerk, Bedlam, Armor Attack (jeu de cache-cache incroyable entre tanks et hélicoptères vu du dessus).

Proof of life

Sur d’autres étagères qui s’affichent d’un glissement horizontal du doigt sur l’écran, l’appli met en scène un espace cassettes VHS avec plusieurs pubs internationales d’époque (dont une française !), une galerie de polaroïds et un court rappel historique de la console (hélas en anglais). Les étagères n’étant pas remplies, la passion et le soin visibles de l’ensemble laissent deviner qu’elles se complèteront dès que l’équipe de développement aura de nouveaux éléments vintage à présenter. Loin de se contenter de devenir le musée virtuel de référence qui se crisperait sur le passé, l’expérience Vectrex va encore plus loin puisque l’équipe développe ou fait développer à une communauté d’enthousiastes des jeux inédits. Pas forcément beaucoup plus accessibles ou inventifs que ceux des origines, mais preuves tangibles d’une envie commune. Quatre d’entre eux sont inclus dans le premier pack à 5,99 euros.

Noblesse de l’émulation

Il ne s’agit pas de prétendre que tous ces jeux vintages soient réellement jouables aujourd’hui sans d’incommensurables efforts. Comme beaucoup de leur cousins des années 80-90 ils ont surtout valeur d’énormes curiosités historiques, pour la nostalgie, l’étude ou, le plus important finalement comme l’a démontré l’exposition de prestige Game Story à Paris en 2011 : la mémoire historique et culturelle du jeu vidéo. À ce titre, l’appli Vectrex est non seulement exemplaire mais indispensable.

On aime…

  • L’expérience Vectrex globale reproduite à 99 %
  • Soin et respect absolus dans la présentation
  • Évolutif avec prochains packs vintage et jeux inédits

On aime moins…

  • Rotation à 360° du stick analogique virtuel très problématique
  • Pour jouer sérieusement il faut investir dans le cabinet iCade
  • À terme, l’addition peut devenir salée

Note : 4/5

Vectrex

Plate-forme : iPhone & iPad
Editeur : Rantmedia Games Ttd
Développeur : Rantmedia Games Ttd
Version testée : 1.1.0 (24/11/2012)
Langue : Anglais
Taille : 131 Mo
Prix : Gratuit + pack intégré 5,99 €

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai 2012 sur Hitphone.fr)

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2012 : Les grands rendez-vous du jeu vidéo (que le voyage commence)

Que serait une année jeux vidéo sans d’abord une année de désirs et d’anticipations. La chambre d’écho d’Internet le confirme tous les jours, le jeu vidéo fait couler beaucoup d’encre virtuelle avant même d’être joué. On soupçonne même qu’une majorité en parle avec la même passion frénétique qu’un pratiquant quotidien sans forcément y jouer encore (le temps, l’argent, les responsabilités…). Un peu comme le sexe quoi. Il faut aussi avouer que, capable d’entretenir le suspens pendant deux ou trois années autour d’une production respectant à priori son calendrier (Bioshock Infinite, et ça commence tout juste pour The Last of us), l’industrie du jeu vidéo est passée maître du teasing. Un suspens qui devient plus délicat à entretenir positivement quand les jeux à auteur et à hauteurs (ça marche dans les deux sens) repoussent sans cesse leurs dates de sortie. Ainsi d’un insaisissable Last Guardian qui finit par se transformer en nouvelle arlésienne quand producteur et créateur quittent, ou presque, le navire, ou même d’un Journey ou d’un Amy dont les vocations artisanales-dématérialisées provoquent à moindre échelle (les mois remplacent les années des grosses prods) la même fuite en avant. Planifié ou pas, le buzz des jeux vidéo reste une histoire sans fin. Et s’il faut poser, en priant que tout se passe bien, son regard plein de désir sur les incontournables de 2012 en esquivant les trop télégraphiés (pourquoi les citer, ils seront au rendez-vous pour sûr, eux), voilà les bons repères sur lesquels compter… *
 

> Les grosses productions

Alan Wake’s American Nightmare : Comme on a l’impression de ne pas avoir été au bout du potentiel d’une histoire d’écrivain maudit perdu dans les forêts nord-américaines, il y a de quoi replonger. Surtout, que presque qualifiable de jeu d’auteur – voir ci-dessous – les gars de Remedy y mettent certainement tout leur cœur.

– Darksiders II : Le nouveau et plus sombre design à la Soul Reaver ne rassure pas sur la direction artistique mais le premier jeu n’était pas visuellement novateur. Par contre le gameplay complet du premier donne toute confiance dans une suite.

– Aliens : Colonel Marines : Après le énième échec du dernier jeu Aliens (vs Predators) et les réussites inégales de Gearbox (Borderland ok, Duke Nukem pas ok), plus aucune raison de se faire d’illusions sauf que, si, on croira toujours possible un jeu Aliens réussi (il y en a bien eu deux au moyen-âge du jeu vidéo : sur 3DO et SuperNintendo). Et puis c’est l’année de Prometheus.

– Asura’s Wrath : Pas certain que le gameplay, trop techno-jap, suive le délire de la mise en scène, mais c’est tellement énorme qu’il faut y aller.

Catherine : Il paraît que ça parle de sexe, de drague, et peut-être d’amour ? Si seulement ça pouvait vraiment être jouable. C’est japonais, tout devrait s’expliquer.

DmC (Devil May Cry) : L’heure de gloire du studio Ninja Theory (Enslaved) finira bien par arriver, dommage que cela doive passer par le reboot d’une licence qui ne leur appartient pas, mais tant mieux pour Devil May Cry.

Fortnite : Epic (Gears of War) lance une nouvelle licence et ose quelque chose de différent visuellement et techniquement. Il y a du Valve dans l’air et c’est tant mieux.

– Grand Theft Auto V : Le retour dans un Los Angeles mille fois visités déçoit clairement, mais le savoir-faire et la patte RockStar restent inimitables et incontournables.

– Luigi’s Mansion 2 (3DS) : Même si réalisation et prise en main semblent très proches de l’original GameCube, limite remake, et qu’il aurait été plus judicieux de le trouver sur Wii avec Wiimote, on ne boudera pas cette suite d’un des jeux Miyamoto les moins reconnus (et à tort).

– Mass Effect 3 : Si le gigantesque bon qualitatif entre le 1 et le 2 se renouvelle avec le trois, alors toutes les bonnes raisons seront réunies pour retourner dans l’espace. Mais svp BioWare/EA, que la version originale anglaise soit incluse avec la VF (« localisation » de toutes façons inutiles > voir l’énorme succès des GTA non doublés).

– Paper Mario (3DS) : Même si on ne voit pas le rapport avec la 3D puisque de base le jeu fonctionne en aplats (mais le concept de la version Wii qui basculait de la 3D à la 2D devrait s’y retrouver), les Mario Paper abritent toujours un vivier de trouvailles graphiques ou conceptuelles.

Prey 2 : Le virage Blade Runner et ce que l’on devine du gameplay ne reflètent plus grand chose du premier Prey mais ce dernier avait des qualités et des audaces si uniques à l’époque (et mal reçues faut pas bousculer les habitudes surtout) qu’on n’aura pas le choix.

– SSX : Il y a une petite chance qu’EA réussisse à exploiter correctement l’énorme potentiel sport extrême + altitudes + gigantisme des décors, et il ne faudrait pas la laisser passer.

– Steel Battalion : Heavy Armor : Le premier Steel Battalion avait laissé une lourde trace indélébile il y a (déjà) dix ans avec son gigantesque accessoire tableau de bord. Cette fois, entre réalisme et technomégafolie, la simulation utilisera le Kinect de la Xbox 360, c’est à dire rien dans les mains ? Et le Wireless Speed Wheel alors ?

– The Last of us : Naughty Dog fatigue à chasser sur le terrain du gros cinéma, et à se lancer dans un vulgaire survival avec enfant aux prises à des loques humaines (pas des zombies paraît-il), mais Naughty Dog reste en première ligne de cette tendance. Il faut donc y être.

Tomb Raider (reboot) : Mais quand est-ce qu’ils vont comprendre qu’il faut caster Evangeline Lilly dans le rôle titre, en jeu vidéo ou en film qui se passera bien de l’A. Jolie (même si Olivia Wilde est une bonne idée aussi).

– Uncharted : Golden Abyss (PS Vita) : L’un des deux jeux qui fera la démonstration des capacités de la PS Vita. Forcément indispensable.

– WipEout 2048 (PS Vita) : Le deuxième.


> Les jeux d’auteur (avec ou sans grosse équipe derrière)

Ceux-là on les respecte avec leurs défauts et leurs qualités parce qu’ils représenteront la volonté et le travail de personnalités uniques. Dans ces jeux (et il y en aura d’autres en 2012 qu’on ne connait pas encore) de petite, moyenne et grosse échelle, des créateurs expriment en direct leur vision du monde et du jeu vidéo qu’ils commentent forcément plus ou moins explicitement. Culturellement capital.

> Amy (Paul Cuisset) : Si on se passerait bien d’un énième survival horror avec des morts-vivants dedans, on ira chercher dans le gameplay à vocation émotionnelle cette production artisanale d’un français presque célèbre couvé par un autre français à suivre : Éric Viennot devenu producteur pour l’occasion avec son studio Lexis Numérique.

– Bioshock Infinite (Ken Levine) : Une femme devant l’écran, une ville au tournant du XXe siècle, après les abysses, les cieux, Ken Levine continue son étonnant chemin politique tout en donnant à jouer des productions monumentales. Un des grands rendez-vous de l’année 2012.

– Journey (Jenova Chen) : Après flOw et Flower, le 3e jeu contemplatif et pacifiant de Jenova Chen confirmera l’indispensable singularité de sa démarche.

– The Last Guardian (Fumito Ueda) : Littéralement un des derniers représentants d’un jeu d’auteur aux choix artistiques radicaux et ambitieux. Pour nous les joueurs, et pour l’exemple, il doit réussir à aller au bout de son haletant projet.

The Witness (Jonathan Blow) : L’auteur de Braid prend son temps, comme il se doit, et devrait apporter une nouvelle pierre solide à la maison jeu vidéo même si son projet reste encore incompréhensible (ce que l’on qualifiera de bon signe).

 

> PlayStation Vita : la courageuse

Pas sortie en occident et déjà en perte de vitesse (la 3DS en a vu d’autre avant de décoller), la nouvelle portable Sony devra se découvrir en mains dès le 22 février en occident. À son crédit, l’écran OLED flashy et les contrôles multitouch recto et verso qui devront déclencher de belles trouvailles avantageuses sur la 3DS et son écran tristement monotouch. À son détriment, un prix élevé qui pourrait être revu à la baisse d’ici la sortie européenne et les Memory Card propriétaires coûteuses et pourtant indispensables. De la poignée de jeux déjà planifiée, seules deux grosses adaptations portables s’annoncent incontournables. Moins pour leur originalité que pour leur efficacité technique garantie. La suite dépendra de l’imagination des développeurs sur lesquels on peut presque toujours compter.

 

> Wii U : l’énorme joker

Si découvrir une nouvelle console Nintendo est en soit le must total en jeu vidéo et transforme déjà l’année 2012 en évènement, le meilleur doit s’abriter derrière les jeux vidéo made in Kyoto qui en feront la démonstration. Las, avec deux Mario et deux Zelda tous majeurs sortis fin 2011, il ne faudra pas compter sur eux pour défendre la Wii U à sa sortie. S’il faut craindre les jeux casuals démonstratifs à la Wii U Play/Sports/Dogs, on peut aussi espérer que Nintendo vise d’abord les core gamers et introduise de nouvelles franchises guidées par la lumière, par exemple, d’un nouveau Pikmin. Le salon E3 de cet été devrait donner le la de la U.

 

> Trois outsiders qui peuvent créer la surprise…

Minecraft (Xbox Live) : Après avoir abasourdi avec une version pourtant light sur iPad, le phénomène et réellement phénoménal Minecraft va enfin se retrouver entre les mains de la grande population Xbox 360. Le monde ne sera plus pareil après.

– Fez (Polytron) : Le magazine Edge a braqué ses feux sur cette production étrange et minimaliste qui réinterprète à sa façon l’ère 8 et 16 bits et, après observation des vidéos, il y a là en effet quelque chose de spécial à surveiller de près.

– Quantum Conundrum (Airtight Games) : Publié par Square Enix mais surtout conçu par Kim Swift, ex jeune étudiante devenu lead designer chez Valve après avoir présenté le concept de Portal, ce projet inédit de FPS puzzle game révèlera peut-être pour de bon l’auteur qui sommeille dans Kim Swift. S’il ne ressemble pas trop à… Portal.

 

> Ils feront mal à la tête

Trop télégraphiés, trop opportunistes, trop détournés, on y jouera mais on n’en n’attend rien de spécial malgré l’infernal buzz collectif qui affirme déjà le contraire… Quant aux productions japonaises, notamment la vague de beat’em up plus ou moins remixés, si on ne doute pas de leur qualité technique, il serait temps qu’elles s’arrachent aux années 90-2000…

– The Darkness II

– Max Payne 3

– Halo 4

– Syndicate

et…

– Final Fantasy XIII-2

– Soul Calibur V

– Street Fighter x Tekken

– Ninja Gaiden III

* Dans l’ordre alphabétique, sélection non exhaustive. Jeux exclusivement PC non compris, sorry.

Pour une liste presque plus complète et complaisante, voir ici

 François Bliss de la Boissière


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BEST OF JEUX 2011 : L’enfance de l’art

La prouesse et le m’as-tu-vu (pyro)technique des productions AAA cachent un vide d’inspiration que révèlent un peu plus chaque jour les mille et une trouvailles des jeux dits indépendants sur IOS, XBLA et PSN. Gamer averti ou critique attitré d’aujourd’hui doivent se la jouer schizophrène, être capable d’encaisser sans vomir les roller coasters interactifs téléguidés qu’on lui jette à la face à coups de plans médias assourdissants, et garder assez d’attention pour entendre la petite musique vraiment inédite qui peut surnager dans la multitude des « mini » games. Pour ne pas avoir la tapageuse impression que tout a déjà été dit dans le jeu vidéo il faut ainsi se prendre par la main et aller chercher dans les méandres des plateformes de téléchargements la production innovante qui redonne foi au médium. Au-delà de l’entretien d’une culture noble du jeu vidéo, de 0,79 € à 70 € la proposition de jeu, en période de crise économique et artistique, le joueur, comme le citoyen, a le devoir de choisir responsable. 

Portal 2

> Jeux neufs ou presque en 2011…

Le premier Portal était un prologue, chaque Zelda une réinvention. Portal 2 et Skyward Sword (aussi le plus mauvais intitulé de la série) sont bel et bien des originaux allant chercher au plus profond de leurs entrailles leurs potentiels d’imagination et de gameplay. Au double titre de leur dramaturgie émotionnelle et intellectuelle fondues et prolongées par leurs prises en main, ils atteignent un niveau de maturité thématique et interactif inouï et unique. Quant aux clins d’œil supérieurs et irrévérencieux de El Shaddai et de Bulletstorm, ils citent ouvertement leurs inspirations avant de les imploser de l’intérieur. Du hack’n slash plate-forme élégant et arty au FPS bourrin, l’humour décalé ou flagrant dézinguent avec truculence tous ces jeux d’action décérébrés qui se prennent si au sérieux. Minecraft enfin, réinvente à lui tout seul la notion de jeu bac à sable que l’on croyait connaître. Même la version light sur iPad créé ce vacuum incompréhensible dans lequel le joueur chute dans un puis sans fin. Sans la rubrique jeux indés, cela ne ferait dont que 5 jeux originaux surnageant au milieu des suites convenues et des rééditions. Le jeu vidéo avance toujours mais en radotant à grande échelle. Et la critique suit.

1 / Portal 2 (Valve)

2 / Zelda : Skyward Sword (Nintendo)

3 / El Shaddai : Ascension of the Metatron (Ignition Entertainment)

4 / Bulletstorm (People Can Fly)

5 / Minecraft (Mojang > PC / Mac version finale / iPad version Pocket)

 

> Super redoublants ou plus en 2011…

Pourquoi Uncharted 3 ne rejoint pas ce peloton de mises à jour faisant mieux que les précédentes ? Parce qu’ici nous pleurons toujours le plus serein Uncharted 1 et qu’à force de vouloir marier cinéma et jeux vidéo Uncharted 3 franchit la ligne rouge en prenant systématiquement le pouvoir sur le gamer réduit à jouer à un descendant haut de gamme de Dragon’s Lair. Pour comprendre la plénitude d’un gameplay ouvert et fourmillant au sein d’une narration et d’une dramatisation crédible, voir tout simplement le dernier Zelda Skyward Skword qui remet les pendules à l’heure du joueur et pas seulement du spectacle.

– Dead Space 2

– Forza Motorsport 4

– Killzone 3

– Gears of War 3

– inFamous 2

– Little Big Planet 2

– Mario Kart 7 (3DS)

 

> Les créas indés, tous supports confondus…

Ce n’est plus un frémissement, cette fois l’originalité se trouve vraiment là, dans les coulisses de la Xbox 360 et de la PS3 et en pleine face sur iPad (ou en version mini sur iPhone/iPod Touch bien sûr). La première liberté retrouvée de ces productions décidées par leurs auteurs et non des plans marketings ? Une aspiration artistique (visuelle, sonore, intellectuelle) qui repousse les frontières trop balisées de l’esthétique du jeu vidéo.

Superbrothers : Sword & Sworcery EP (iPad)

– Insanely Twisted Shadow Planet (XBLA)

– Ilomilo (XBLA)

– Outland (XBLA/PSN)

Magnetic Billiards (iPhone)

 

> Les à côtés de la plaque de 2011…

Ils nous ont annoncé des réinventions, des révolutions même, et ils ont offert des banalités, des approximations techniques et thématiques… À quoi bon recopier pour faire moins bien ?

– Deus Ex Human revolution

– Child of Eden

– Resistance 3

 

> Les crashs et pire de 2011…

De patchs en DLC en autojustifications publiques, ceux là ont définitivement raté leurs objectifs (on ne parle pas des ventes) et provoquent de la douleur à tous les niveaux…

– Brink

– Duke Nukem Forever

– Homefront

– Test Drive Unlimited 2

 

> Top rééditions 2011…

On les rachète encore sans problème dans ces conditions techniques honorables… Note à Square Enix : les rééditions de jeux SuperNintendo au prix fort sur IOS c’est du mauvais jeu (Chrono Trigger) et sûrement du mauvais business.

Zelda : Ocarina of Time 3D (3DS)

Ico & Shadow of the Colossus Classics HD (PS3)

– Beyond Good & Evil (PSN/XBLA)

Another World (iPad)

World of Goo (iPad)

– Oddworld : La Colère de l’Étranger (PSN)

 

> Accessoire star de l’année 2011…

– Wireless Speed Wheel (Xbox 360) : Sans conteste le gadget gamer de l’année. Non seulement le design fer à cheval high-tech ventouse les mains mais la technologie embarquée version volant Mario Kart XXL garantit une prise en mains miraculeuse avec Forza 4. Rien à voir avec les impraticables volants à retour de force, bien mieux qu’un contrôle à la manette qu’il ridiculise, le volant sans fil Microsoft devient d’office la référence des jeux de course (même sans les boutons RB et LB qui manquent parfois dans les menus). Parfait sur Forza 4, compatible avec Dirt 3 (le jeu identifie un volant classique et permet au moins de paramétrer le nouvel accessoire) mais hélas pas Need for Speed : Shift, le Wireless Wheel qui vibre et clignote serait potentiellement parfait pour une simulation de méchas, de tanks ou d’avions de chasse… Pire, on rêverait d’en profiter sur un WipEout PS3. Mais Sony, et sa manette Dual Shock gyroscopique qui ne sert pas, s’est complètement laissé doubler à droite sur ce coup là… Coûteux au détail (50 €), il suffit de trouver les enseignes qui vendent Forza 4 en demandant un petit euro de plus pour fournir le volant avec ! Faut-il en dire plus ?

François Bliss de la Boissière

 


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

Minecraft (Pocket Edition) : Forteresses de solitude

Il existe des phénomènes de jeux indés comme Minecraft dont les affolants chiffres de ventes de la version PC doivent expliquer l’intérêt. Réduite à sa plus simple expression, la version dite « Pocket », aride au pays des applis chatoyantes sur iPad, n’aide pas, de prime abord, à comprendre l’engouement généralisé. Pourtant, plusieurs heures plus tard, résidence principale et secondaire construites sur une falaise face à un océan au bout du monde, Minecraft a pris inexorablement le pouvoir sur le joueur.

Minecraft Pocket Edition

Avouons un certain scepticisme à l’approche du phénomène Minecraft comme devant tout succès populaire qui finit par imposer un consensus. Lâché en vue subjective dans un espace faussement cartésien sans indications du pourquoi ni du comment, les premières longues minutes de balades hagardes dans un décor presque sans horizon, irrémédiablement cubique et silencieux, laisse plus que circonspect. Inspiré d’un FPS, les déplacements en vue à la première personne ne donnent pas immédiatement satisfaction avec le pad virtuel à portée de main gauche sur l’écran, surtout avec le bouton saut en son centre qui ne permet pas de bien déclencher un bond en avant. Heureusement la main droite, elle, posée n’importe où sur l’écran donne la direction des déplacements et offre la liberté de regarder dans toutes les directions (option pour gaucher possible).

Un terrain vierge pourquoi faire ?

De près ou de loin, le principe semble désormais connu de tous. Le joueur désincarné se balade librement en vue subjective dans un décor de blocs façons lego assemblés au petit bonheur procédural (automatique donc). Selon le calcul aléatoire du programme, le premier monde offert (un par sauvegarde) esquisse des collines, des ravins, des pyramides peut-être, des arbres isolés, une montagne neigeuse, des dunes de sable. Un paysage de petits angles droits, de textures hideuses que l’on dirait tirées d’une version de travail d’un logiciel en cours d’élaboration. Après en avoir fait péniblement le tour, l’environnement délimité par un brouillard opportun révèle finalement sa nature limitée de grand plateau carré. Une option vue à la 3e personne avec un personnage pour de bon digne d’un Lego ou de Gregory Horror Show (excellent jeu Capcom méconnu sur PS2), reste un peu raide mais a le mérite de donner un peu de recul visuel sur les décors. Parce que, le nez toujours au ras du sol et des blocs, il n’est pas toujours facile de se positionner correctement au sein de la structure que l’on finit, inévitablement, par commencer à bâtir.

Petit OS du bâtiment

La main droite s’équipe ainsi d’un bloc de granit, de terre, de marbre peut-être, ou de bois parmi 36 disponibles dans un menu accessible instantanément. Après les avoir sélectionnés à partir de l’unique page de stock, le joueur garde ainsi sous la main en permanence trois des blocs de construction qui comprennent aussi des fleurs, une échelle, une torche, ou un bloc de lierre/feuillage. Le changement d’un matériau à l’autre est instantané, tout comme la pose du bloc sur le sol. Il suffit de placer son doigt n’importe où devant soi pour que le bloc sélectionné s’y dépose. Pour supprimer un bloc posé ou même un élément du décor déjà en place, il suffit de le viser et de maintenir la pression du doigt un moment. Une petite animation donne l’impression que la main frappe le bloc jusqu’à ce qu’il disparaisse. Comme dans un RPG, un camembert rouge, pas très visible sous le doigt, indique le seuil de résistance du matériau au fur et à mesure de sa destruction. Un détail sans véritable utilité mais qui participe petit à petit à la solidification mentale de l’environnement. Tout juste aidé par des couleurs basiques, le joueur devient peu à peu conscient de la variété des matériaux.

À quoi bon ?

Le plus étonnant ici est, presque, l’absence de mode d’emploi et, surtout, de mode d’intention. Le joueur est lâché dans cet espace presque vide et doit découvrir par lui même ce qu’il peut y faire et comment. Le but du jeu, s’il y en a un, n’est jamais indiqué. Qu’est-ce que le jeu attend du joueur, que donne-t-il à jouer ? N’y a-t-il pas au moins quelques exemples de constructions et de maquettes comme dans une boite Lego, quelques indices incitateurs ? Rien ici. Ni âme qui vive ni panneaux. Traine alors ce fantasme du jeu bac à sable, le fameux sand box qui doit laisser le joueur libre de tout découvrir et tout manipuler. Sans la réputation déjà établie du jeu sur PC, il est facile, désorienté et peu encouragé par les trois bruitages et l’absence totale de musique, de très vite lâcher prise. Par conséquent, c’est sur le web et via l’expérience des autres joueurs qu’on se cherche une raison à jouer et de découvrir qu’il s’agit d’utiliser les blocs de pierre à disposition pour dessiner son paysage, construire sa maison ou son Panthéon personnel.

À la recherche du moi

Il faut le dire quitte à froisser, l’esthétique fonctionnelle de Minecraft rappelle les mauvais jours des Micro ordinateurs d’hier. Rien ici n’évoque le pixel rétro chic de Sword & Sworcery . On en a beaucoup voulu à l’appli semi pro Home Design 3D
de construction de maisons d’intérieurs de gâcher, et justifier, ses fonctions derrière un masque trop fonctionnel de laideur. La dernière bouillie de textures pixels rétro croisée dans un jeu vidéo provenait d’un malin 3D Dot Game Heroes sur PS3 d’allure volontairement pixel art en hommage appuyé au Zelda : A Link to the Past de la Super Nintendo. Mais, il fallait s’en douter, l’aspect rude inachevé de Minecraft est au fait au service d’un jeu construction au fonctionnement unique, un algorithme ingénieux (2,9 Mo seulement sur iOS) capable de construire et déconstruire ad vitam aeternam un environnement. Si unique qu’il transcende les goûts de n’importe quel joueur, et sans doute même non joueur, le happe dans sa boulimie endémique : empiler, creuser, faire, défaire, dresser des murs, des maisons, des châteaux, esquisser des grottes, des plages, des chemins… Les textures 8 bits appliqués sur des polygones qui en voudraient plus, permettent au programme de donner au joueur une liberté totale et toujours, il faut insister, immédiate de créer et détruire des volumes qui deviennent irrésistiblement des structures. Sans le dire, avec une capacité inhabituelle de nos jours à générer un plaisir diffus et croissant, les coups de pioches virtuels de Minecraft tapent directement dans l’inconscient de chacun. Quelque part au fond d’un tunnel creusé sous la montagne, en haut de la pyramide dressée au milieu du rien, le joueur dépose quelque chose de lui, probablement d’intime. En tous cas lors de sa première grande partie, quand il arrive vierge et construit presque malgré lui quelque chose.

L’origine de la civilisation

Le jeu existe dans une sorte d’incitation à faire. D’abord douce et liée à la simple curiosité de découvrir la réaction des matériaux et les gestes possibles, puis peu à peu impérieuse quand les blocs empilés deviennent un mur, qui en appelle un autre puis deux autres pour devenir habitacle. Des blocs translucides dessinent des fenêtres, deux blocs évidés, une porte d’entrée, des blocs verts un jardin où on plantera les fleurs de la maigre sélection. En deux minutes, une maison surgit du néant comme un début de civilisation. L’effet boule de neige devient alors imparable. Et la terrasse avec vue sur mer ? La passerelle privative vers ce terrain nu qui s’annexe ? Et le solarium en bois, le mur de protection, les torchent qui chassent les ténèbres d’un tunnel ? Les blocs en équerre qui servent de canapé ? Aussi rudimentaire soit-elle, la maison, son espace intérieur et son contour extérieur, appartiennent totalement au joueur. Le système réussit à stimuler simultanément les sens créatifs et de la propriété en passant par le besoin fondamental de se créer un abri contre un monde, inhabité, mais dont la désolation crée l’inquiétude.

Faire et défaire

Malléables jusqu’à changer de fonction selon les intensions de l’apprenti bâtisseur, les blocs de construction servent eux-mêmes d’outils à la manœuvre. Pour bâtir le toit il faut se créer un escalier temporaire à l’aide des mêmes blocs. Plaquer le motif échelle tout le long d’un mur pour y installer un étage ou une fenêtre. Tomber bêtement dans le fossé creusé autour de sa tour de guet et il faut là aussi se recréer une échelle provisoire à l’aide des mêmes blocs supprimés. Il suffira alors de les éliminer une fois remonté à la surface. Chaque geste allant très vite, rien n’est jamais grave, tout peut s’improviser et se rectifier instantanément, du sol au plafond. Un joueur soigneux n’oubliera pas de détruire par la suite ses assistants provisoires, un autre laissera sans doute trainer ainsi de nombreuses esquisses comme autant d’outils abandonnés sur le chantier. Pas de problème de stock ici, toutes les matières sont en quantités illimitées. Inutile donc d’essayer d’emmagasiner du matériau en détruisant/collectant machinalement comme le voudrait l’ordinaire d’un city builder. Mais comme la sélection restreinte des 36 éléments de bases est courte, le joueur a intérêt à devenir respectueux de certaines surfaces qui, une fois détruites, ne pourront pas être recrées. Ainsi les blocs de neige n’existent que dans le décor, comme le bois du tronc de certains arbres, car cette version « light » du jeu sur iPad ne permet pas de les récupérer pour les réutiliser.

Je suis le seigneur du château

Minecraft a ce petit parfum de god game PC à l’ancienne, bien mieux disposé au contrôle clavier/souris qu’à la manette. Même s’il manque une carte générale des lieux et une possibilité de survoler le terrain, l’interface tactile directe sur la vitre de l’iPad fait des miracles. Non seulement elle se substitue sans trahir au clavier/souris mais, encore une fois, elle crée un effet de proximité assez unique. Toucher directement le sol ou un bloc de rocher pour le générer ou le supprimer en maintenant la pression finit par entretenir un véritable lien physique entre la matière du jeu et le joueur. Chaque pierre posée par un geste unique appartient alors fondamentalement au joueur comme autant d’intentions matérialisées. Méticuleusement ou de manière foutraque et improvisée, mais toujours petit à petit, brick by brick, le joueur aura fait naître une grotte, un jardin, une maisonnette, un temple, un pont, un palace, une pyramide, sa muraille de Chine, son empire de poche. Et quand il relance sa sauvegarde, se retourne sur son œuvre à jamais inachevée, il sait être chez lui, que ce petit coin du monde là lui appartient.

Distribué gratuitement sur PC sous forme partielle gratuite puis complète et payante, Minecraft s’est retrouvé en 2010 star ludique indé dans un environnement PC de plus en plus déserté par le jeu vidéo. Minecraft compte désormais 16,6 millions de joueurs et a été acheté 4,1 millions de fois. Fort de cette popularité, le tsunami cubique s’apprête à imposer sa puissance tranquille sur tous les autres supports, traditionnels avec la Xbox Live début 2012 et, malgré son prix trop élevé, là tout de suite sur iPad et iPhone.

* Mode multijoueur par connexion Wi-Fi inopérant et donc non testé. Appli universelle iPad/iPhone mais uniquement pratiquée sur le grand écran de l’iPad.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad…

Les Plus…

  • Immédiateté des commandes
  • Principe de jeu illimité et créatif
  • Possibilité d’écouter la musique stockée sur l’iPad pendant le jeu

Les moins…

  • Ni mode d’emploi, ni objectifs = déconcertant
  • Où sont les moutons et autres vies sauvages des versions PC complètes ?
  • Visuels, bruitages, menus… arides jusqu’à la sècheresse
(Publié le 21/11/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Zelda : Skyward Sword… De main de maître

La vague assommante de jeux casuals tout public lancée par Nintendo lui-même a fini par faire douter. Le maître du jeu vidéo avait-il perdu son savoir-faire ? La société Nintendo était-elle même encore intéressée à concevoir un jeu vidéo d’envergure coûteux et condamné à se vendre moins bien qu’une bête compilation de mini games familiaux ? Le nouveau Zelda offre la magistrale réponse et recadre au passage toutes les prétentions pyrotechniques volatiles des pseudos blockbusters du jeu vidéo d’aujourd’hui. Ici repose tranquillement le cœur du jeu vidéo, son articulation la plus complète.

Zelda Skyward Sword

L’évidence ne s’imposera sans doute pas sans l’avoir joué éperdument, mais passé son introduction un peu douloureuse (un chouia bavard, visuels basse définition hors d’âge, première séance de vol plané pénible) ce Zelda là doit mettre tout le monde d’accord. Cette fois, contrairement au bâtard Twilight Princess ni Cube ni Wii, Zelda Skyward Sword ne joue plus à Tolkien, au Seigneur des Anneaux de bas étages cherchant à séduire un Occident déjà égaré sur les Terres autrement plus vastes (et vides) de Morrowind puis Oblivion. Le nouveau Link ne dépend plus que de lui-même (et un peu de l’Avatar de Cameron, allez), renoue avec sa propre histoire, remet à plat sa condition pour, encore une fois, l’élever. Le vertige, d’ailleurs, est concrétisé. Comme Mario parti dans les étoiles de la Galaxie se trouver une nouvelle raison d’exister, le monde de Zelda s’installe là-haut dans un Célesbourg (toutes les francisations des noms propres valent leur pesant de trouvailles sémantiques kawaii) littéralement au-dessus des nuages. À dos de Célestriers (oiseaux montures improbables), il prend ses distances, plane plus librement encore sur la mer de nuages qu’il ne surfait déjà au-dessus de l’océan de Wind Waker.

Intimité cognitive

Ado toujours muet, ce Link là, apprenti chevalier déclaré, n’a plus le côté gamin candide de celui du Wind Waker cell shadé ou des épisodes DS. Mais il a une chambre bien à lui dans le pensionnat de l’école de chevaliers, dort sans façon dans tous les lits qu’il croise chez l’habitant, visite la salle de bain et s’assoit sur la cuvette des toilettes avant de se laver les mains. Le héros sera grand mais la route de l’apprentissage longue. Comment mieux ne pas intimider le joueur que de réduire le héros en devenir à ces petits riens qui l’humanisent. Ce qu’on appelle tutorial partout ailleurs, Nintendo le transforme en processus d’apprivoisement puis d’adoption. Le joueur semble se familiariser avec les commandes alors qu’il s’engage dans un processus affectif à travers une relation avant tout cognitive qui se tisse chaque minute, des gestes ordinaires aux grands exploits. Les petits pas non préprogrammés de Link le font ainsi chuter et rater sa cible plus qu’un jeu contemporain (au hasard : Uncharted) ne l’autoriserait. Nintendo instaure ainsi un rapport plus complexe que le simple attachement héroïque assisté entre le personnage de fiction et le joueur. Link agace en trébuchant sur une passerelle au-dessus du vide, en refusant de bien se caler devant un coffre pour l’ouvrir. Pour un peu on le giflerait comme un ami qui trahit la confiance. Mais quand il faut avancer en équilibre debout sur un rocher en roue libre ou sur une corde au-dessus du vide, le programme sait très bien compenser les limites de contrôle et de la pesanteur. Et quand vient l’heure d’abattre un colossus (l’hommage à l’œuvre de Fumito Ueda glisse comme une citation compliment entre les dieux), ce mélange d’assistance partielle et d’hésitation oblige à la concentration, force le joueur à ne plus faire qu’un avec le petit corps virtuel. Avec la Wiimote (Motion) Plus qui suit, en effet, les vrais mouvements du bras pour accompagner ceux du glaive, les tremblements du joueur et du héros virtuel s’alignent, et ordonnent la fusion *.

Relation physique contagieuse

Des doigts de la manette traditionnelle jusqu’à la main libérée de la Wiimote, la relation physique, telle une contagion, grimpe désormais jusqu’au bras. Pas d’agitation factice Wii Fit ou de sportif Resort ici, l’enjeu, toujours, se mesure à ce qu’il met en scène pour jouer. Il n’y a pas décalage entre l’action et l’intention. Les fantasmes de l’escrime, du duel de sabre, ou du vol aérien se vivent désormais aussi en partie dans le corps et expliqueront qu’il vaudra mieux se lever au moment d’affronter un boss, de devoir lui jeter avec tout le bras les fleurs-bombes dans la gueule ouverte, de porter des coups d’épée de côté, de biais, de bas en haut ou de haut en bas, avant d’achever en coup d’estoc. S’il existe une limite à cette simulation, elle se situerait dans le souvenir de la projection mentale des jeux précédents. Parce que, oui, bien que semi automatisés, les coups d’épée donnés à coups de bouton A dans les précédentes aventures de Zelda ont toujours été organisés de façon à créer l’illusion mentale que le joueur accomplissait la gestuelle complète alors qu’il n’en n’était rien. En effectuant pour de bon le geste aujourd’hui, le même joueur ne fait qu’acter ce qu’il croyait déjà exécuter. Selon toute probabilité, un néophyte total de la série recevra en revanche ce Zelda comme les joueurs d’hier et d’avant-hier ont reçu A Link to The Past ou Ocarina of Time. Skyward Sword porte en lui d’innombrables occasions de se dire «mais comment est-ce possible ?».

Clés célestes

Du village céleste où l’on se perd mille fois au-dessus des nuages, des dédales verdoyants de la forêt conduisant au Temple de la Contemplation, des mines au désert jusqu’au Temple de la Terre, la ligne droite n’existe pas dans le monde de Zelda. Ni plus vraiment d’espaces vides sur Terre. Seul le génie sans cesse renouvelé de l’architecture environnementale made in Nintendo a capacité à faire oublier et accepter le vieux rouage de cause à effet du levier qui ouvre un couloir qui donne accès à un coffre qui donne la clé qui défait le verrou de la porte géante derrière laquelle se cache presque immanquablement un donjon qui, lui aussi, rejoue l’enchainement infernal jusqu’au boss. Entre les mains de Nintendo, le procédé vieux comme le monde interactif fait de presque chaque étape la démonstration humble d’une inventivité sans fin, d’une aptitude à la remise en scène créative. Il en ressort cet étrange mélange de familiarité rassurante, de sensation insaisissable de «déjà vu», saupoudrée au-dessus d’un espace pourtant neuf, inspiré au point d’aspirer irrésistiblement vers lui, jusqu’au fin fond de lui.

Reconnaissance par le geste et le touché

Chaque lever de rideau sur une région de la carte du monde ajoute une strate inédite de gameplay. Le nouvel éclairage apporte d’abord une nouvelle complexité, géographique, mécanique et conceptuelle. Ici comme nulle part ailleurs, l’intellectualisation de l’essence encore et toujours indiscernable du jeu vidéo se joue au lieu de se verbaliser. L’abstraction succède au gameplay et non l’inverse. Après avoir agi, joué, consommé ou consumé, l’accompli prend une perspective, un relief conceptuel que l’intellect, en retard sur les mains et l’action, peine à verbaliser parce que les mots, justement, ne suffisent pas à exprimer une connaissance acquise par le geste et le touché, l’immersion topographique.

Pot pourri pour potion… magique

En revenant à la source de l’histoire du royaume d’Hyrule avec une Zelda simplement «Dame» avant de devenir princesse, Nintendo aurait pu remettre les compteurs à zéro, alléger l’équipement, reconfigurer les bases et s’adresser à la nouvelle génération de joueurs. Au lieu de ça, la Zelda Team de Eiji Aonuma se défie elle-même, garde et absorbe tous les acquis. Et dans un pur acte de folle confiance instinctive en son savoir-faire (comment expliquer autrement de telles audaces), elle y greffe des nouvelles aptitudes, parfois même fondamentales, fait évoluer à la puissance plus les précédentes. Y compris celles, serviables, d’autres jeux prestigieux de la marque dont les spécialistes retrouveront les traces (un Link prenant feu aux fesses comme un Mario, roulant sa boule comme dans Galaxy, soufflant les poussières tel un Luigi’s Mansion ou collectionnant et socialisant à coups de services rendus comme dans un Animal Crossing). Et rien n’est oublié du chef d’orchestre de Wind Waker ou du chien loup et de l’ambiance vaguement cyber de Twilight Princess. Du scarabée volant téléguidé permettant de survoler les niveaux, d’appréhender et anticiper les lieux et les mystères, les distances, les espaces et les combats avant de s’y ruer, au système de sélection des armes et accessoires en anneaux (version Wiimote des fameux menus en cercles concentriques du Secret of Mana), la refonte des commandes, du rythme d’accès aux choix, modifie grandement la prise en main et les sensations.

Profondeur insondable

Alors que les grosses productions pleines, surtout, d’esbroufe technique, se laissent saisir dès leur début, la profondeur interactive insondable de Skyward Sword refuse, comme les papillons et les insectes que Link doit attraper au filet, de se laisser capturer à la première ou énième approche. Chaque coffre ouvert, sur Terre ou dans les îles flottantes des cieux, cache la promesse irrésistible d’un autre trésor et renvoi à plus tard ou plus loin l’horizon. Les explications redondantes des dialogues – pour la première fois à réponses multiples – des aides cyber-computées de l’esprit de l’épée qui remplace les fairies et autres petits conseillers malins à dos de canin (Ocarina, Twilight…), des indices vidéo de la marche à suivre diffusés par les pierres boiing-boiing récupérées du remixe d’Ocarina sur 3DS, aucun prémâché de l’assistance à jouer ne gâche l’aventure ni même un moment de jeu. Ce Zelda, comme ses grands ascendants Ocarina et Wind Waker, se suffit à lui-même. Mieux, et stigmatisant l’ensemble du médium jeu vidéo qui singe et piétine la syntaxe cinématographique, Skyward Sword recentre toutes les notions dispersées de narration par le verbe ou des cinématiques frigides transformant le joueur en spectateur passif. Nettement plus fournie et explicite qu’Ocarina, mais aussi plus vive, plus copieuse, flirtant avec le jeu de rôle traditionnel (amélioration monnayée de l’équipement chez le forgeron), même en démarrant trop doucement, l’histoire ne plombe plus autant que Twilight Princess. Car respectueux de son concept aérien, tout en chatouillant le drame sombre et mystique, Skyward Sword se veut léger et badinant. Ce qui le sauve.

Jeu somme ?

Le jeu somme cherché en vain dans l’ombre d’Ocarina par Twilight Princess se retrouve plutôt ici, dans un Skyward Sword plus honnête avec lui-même, plus raffiné, moins pédant, enfin en phase avec son histoire, sa généalogie tactile toujours en progression. Y compris avec ses failles. L’objet, en tant que jeu vidéo d’aventure protéiforme, se révèle dans tous les cas trop énorme en densité, en variété, en durée, pour s’appréhender dans sa totalité. Skyward Sword explose les critères du raisonnable et les compteurs du moment (quantitatif, qualitatif, chronométrés, financiers). De l’ordre du marathon (avec pour preuve un Link désormais suspendu lui-même à une jauge limitée d’essoufflement qui force le joueur à tempérer pour tenir la distance), ce qu’il donne à jouer encore et encore sans presque ne pas radoter pendant des dizaines d’heures ne supporte pas la synthèse, ni la comparaison avec quoi que ce soit d’autre que sa propre généalogie, son ADN digital. Depuis toujours, le processus encyclopédique de la série qui se nourrit d’elle-même, s’appuie sur ses propres acquis et cumule d’épisodes en épisodes les accessoires et le savoir-faire, construit un univers interactif wikipédiaque sans commune mesure. À observer et ressentir la force de conviction de cet univers ludique, sa démesure non mégalomane, sa puissance écrasante et pourtant non dominante, au-delà du plaisir qu’il peut, ou pas, de nos jours, provoquer, l’aventure mérite tous les respects. Des joueurs, vétérans ou apprentis, comme des développeurs qui regarderont là, une nouvelle fois stupéfiés, ce que leur outil de travail peut vraiment accoucher.

La Wii, ultime frein de Zelda

Malgré le vent et l’azur infini, les jours et les nuits, les torsades temporelles, les pauses poétiques contemplatives, le souffle n’a toutefois pas tout à fait la même force d’évocation que les grands épisodes de référence. D’abord parce que l’impact visuel reste sur Wii bien en dessous du possible six ans après l’avènement de la haute définition. Parfois gracieuse, souvent brouillonne, l’astuce graphique transformant les textures basse résolution en aplats de peintures impressionnistes oscille entre le barbouillage baveux et le hors sujet, et n’atteint que rarement le sublime. Peut-être aussi parce que l’humain, le joueur, n’a pas physiquement la possibilité de voler et ne saura tout à fait s’identifier aux vols d’oiseaux, alors qu’il aura probablement expérimenté pour de vrai l’appel du grand large de l’esquif de Wind Waker ; parce que son âme, aussi, aura déjà été agrandie et libérée par Ocarina of Time et Wind Waker et qu’il y a hélas, en chacun et en dehors de la plume des poètes, un espace d’absorption émotionnelle limité. Même si d’aventures en aventures le nombre de cœurs réceptacles de Link et du joueur augmente, l’ivresse d’une aventure aussi ambitieuse teste d’abord les limites et la disponibilité émotionnelle de chacun. Car, c’est sûr, ce Zelda là fait déborder et le calice et le vase et pose implicitement la question : Que sont donc ces « jeux vidéo » que vous avez honoré ces dernières années ? Le vrai et unique master chief sword est de retour, ou plutôt il a toujours été là. Matrice, nombril et centre de gravité du jeu vidéo, ce nouveau Zelda renvoi tout le monde et toutes les prétentions satellites sur orbite. Le vent dans les voiles, à l’aise.

* Pour être tout à fait précis et transparent : le jeu a été joué sur une version de travail officiellement complète qui a néanmoins provoqué des bugs de reconnaissance des mouvements avec une Wiimote Plus qui ont disparu après avoir changé de… Wiimote Plus (pas d’explication rationnelle sous la main). La version vendue en magasin devrait, en toute logique scrupuleuse Nintendo, avoir éliminée ce problème.

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2011 sur Chronicart.com)

 


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ICO : la Playstation 2 a trouvé son âme

Préambule relecture 2011…

L’introduction ci-dessous le disait alors, au-delà de la tristesse provoquée par le cataclysme tombé sur New York en septembre, l’année jeux vidéo 2001 avait été particulièrement fructueuse. Ico arrivait en sourdine au milieu d’un jeu vidéo bien occupé à autre chose qu’à traverser en silence une forteresse désertée et presque monochrome. Convaincre alors par le texte et la critique qu’il se passait là quelque chose d’inhabituel et même de capital n’a pas été chose aisée. Il fallut prendre sur soi et ses propres congés pour jouer le jeu jusqu’au bout. Les discussions allaient bon train dans la rédaction à cette époque et il a aussi fallu passer en force cet énorme compliment parmi une population de gamers, majoritaire ici ou ailleurs, guère réceptive à toutes les nuances, sans doute féminines, de Ico. Le 9,5 sur 10 alors imposé contre tous a sonné comme une hérésie, et même une trahison. Aujourd’hui, alors qu’Ico et sa suite Shadow of the Colossus appartiennent au patrimoine du jeu vidéo mais aussi de l’humanité et que la double réédition en HD et 3D rend à nouveau accessible les deux chef d’œuvres de Fumito Ueda, le rédacteur savoure aujourd’hui doucement, et sans plus de fierté qu’il n’en faut, le bien fondé de la petite lutte intellectuelle qu’il a alors mené dix ans plus tôt pour essayer de projeter le jeu dans la lumière qu’il méritait. En attendant, le temps qu’il faudra, The Last Guardian qui reviendra éclairer un jeu vidéo de plus en plus égaré, pour ne pas dire hagard.

Voilà ce que ce rédacteur énamouré disait alors d’un Ico qui vaut encore toutes les louanges aujourd’hui dans sa version 3D qui recrée un nouveau vertige des sens.

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ICO : la Playstation 2 a trouvé son âme

Passionnant, poétique, profond, léger, inattendu, singulier, fascinant, harmonieux, délicat, subtil et surtout hyper jouable, l’Emotion Engine de la Playstation 2 porte enfin bien son nom. En un mot : chef-d’œuvre.

Préambule obligatoire : Bons jeux, la rançon du succès

Quelle année 2001 pour les jeux vidéo ! Mais c’est une chose d’anticiper la tempête, et une autre d’être dedans. Jouer d’une traite à Final Fantasy X, Gran Turismo 3, Devil May Cry, Max Payne, Silent Hill 2, Super Monkey Ball, Wave Race Blue Storm, Commandos 2, WRC, Luigi’s Mansion, a de quoi donner le vertige. Même à un professionnel qui en a vu d’autres. Tous des jeux uniques, formidables, totalement différents les uns des autres, incontournables pour les consommateurs et la culture jeu vidéo. Un concentré vidéo ludique qui excuse toutes les erreurs passées de l’industrie, les attentes vaines, les promesses non tenues. Que dire ensuite pour attirer l’attention sur un jeu qui, lui non plus, ne ressemble pas aux autres ? Un jeu qui réussit l’exploit de scotcher à l’écran un joueur qui, depuis quatre mois, a le privilège de pratiquer les meilleurs jeux de la planète ? La spirale de la surenchère verbale que provoque cette production 2001 ne va-t-elle pas finir par nuire à nos propos ? Sans doute, mais que voulez-vous, après des dizaines de critiques amères les années précédentes, on ne va pas faire la fine bouche au moment où le paradis des jeux est à portée de main. Et puis, quand on rencontre des chef-d’œuvres il n’y a pas photo. Un critique de jeu vidéo n’est qu’un vecteur. Il doit faire passer l’information avec le plus de justesse et de précision possible, et la passion doit transiter par le raisonnable pour rallier les suffrages. C’est le standard que nous nous efforçons de maintenir, et même si les cotas de jeux extraordinaires sont en train d’exploser sur Overgame, et que l’incrédulité gagne même les rangs des professionnels, nous sommes bien obligés de témoigner du marché. Et l’information du jour c’est que ICO est un phénomène.

Mais d’où sort ce #@!?$* de bon jeu ?

Retenez bien ce nom : Fumito Ueda. Il est le Directeur et Game Designer de ICO. Entouré d’artistes forcément de haut niveau, dans une équipe apparemment nouvelle chez Sony Computer Japon, il semble être le responsable d’un jeu qui dépasse largement son statut de loisir pour rejoindre – lâchons le mot puisque le débat est ouvert sur Overgame * – celui d’œuvre-d’art. Il faut dorénavant surveiller les projets de cet homme car un jeu comme ICO ne survient pas simplement sur un carnet de commandes. Il faut bien un artiste avec une vision pour réussir un tel projet. Au cas où le doute s’infiltrerait affirmons dès cet instant que ICO est un véritable jeu vidéo. Aucun doute là-dessus. C’est bien le joueur qui est en contrôle, l’interactivité est à son maximum. Et si ICO réussit à faire vivre une aventure émotionnelle subtile et forte jusque là inédite dans les jeux vidéo, ce n’est pas ICO qui sort du cadre, c’est toute l’industrie qui est tirée vers le haut. Quand on parlera d’émotions dans un jeu vidéo, d’émotions subtiles qui ne s’appuient pas grossièrement sur la peur, le stress et l’hystérie, il faudra faire référence à ICO. Là où Silent Hill 2 rend adultes les sentiments de peur surexploités dans les jeux vidéo, ICO invente les rapports amoureux platoniques, où deux êtres apprennent à se découvrir en pleine adversité. L’angoisse existentielle de Silent Hill 2 est tournée vers l’intérieur, à l’autre bout du spectre émotionnel, l’interrogation existentielle d’ICO est tournée vers l’extérieur, vers l’autre personne, vers un décor vu du dehors, énorme et énigmatique. Pour trouver les réponses, l’un, introverti pousse son héros à se ronger de l’intérieur tandis que l’autre conduit vers l’extraversion à la conquête de son environnement. Silent Hill 2 creuse la nuit, ICO construit (édifie) le jour.

Parlons peu, parlons bien, parlons du jeu

Sur le jeu proprement dit il n’y a pas grand chose de plus à ajouter à notre avant-première. Non pas qu’ICO ne se laisse pas raconter, mais en l’absence de menu de gestion, de carte des lieux, de jauge de santé, d’accessoires, de magies, d’armement et de tout attribut habituel aux jeux vidéo, les explications sont forcément courtes. ICO est un petit bonhomme qu’il faut diriger à travers le labyrinthe d’une énorme forteresse médiévale. A sa disposition : un bâton pour se défendre, et une agilité reflétant son jeune âge et sa silhouette allongée. Emmuré vivant par les membres de son propre village parce que né avec des cornes, ICO s’arrache de justesse au tombeau où il doit mourir à petit feu pour croiser une autre victime de l’énorme prison. Le destin de sauveur devient inéluctable dès qu’on aperçoit la silhouette féminine gracile enfermée dans une cage suspendue plusieurs dizaines de mètres au-dessus du vide. Surtout que sans elle, pas de fuite possible. Les destins de la jeune princesse Yorda et de ICO sont dorénavant liés à la vie à la mort. Car pour s’arracher au tombeau de pierre il faudra l’agilité et l’esprit du garçon et la magie mystérieuse de la jeune fille pour ouvrir les portes… magiques. Plus simple et cliché est impossible, et pourtant, quel voyage !

La Forteresse de la solitude

Yorda et ICO sont les seuls êtres humains de cette aventure. Une troisième présence omniprésente hante pourtant le jeu : la forteresse qui les retient prisonnier. Ce château nordique et oublié par ses habitants est construit comme un véritable édifice. À une échelle gigantesque. Il y a le donjon où sont enfermés les nouveaux tourtereaux, la bâtisse principale et menaçante, corps central du monstre de pierre, les tours annexes, gardiennes symétriques qui permettront de déverrouiller les portes monumentales de l’enceinte, et des surprises… Quand les deux héros traversent les salles et autres jardins, cela n’a rien à voir avec une succession de niveaux artificiels mis bout à bout. Chaque salle, chapelle, tombeau, cour intérieure a une place justifiée dans l’architecture. On a vraiment l’impression de visiter une forteresse géante issue de l’habituel délire mégalomaniaque de l’homme. Pour dire : la conformité apparente de cette architecture rend les donjons de Zelda totalement artificiels en comparaison. Dépouillés et vides comme un château médiéval déserté, ce sont les différentes roches et architectures qui donneront une identité aux lieux. En sachant que l’échelle des salles continue dans le gigantisme. ICO et Yorda sont aussi petits dans le décor qu’un pèlerin au centre de la cathédrale de Chartres (par exemple). Crédible jusque dans ses arrières salles ou ses installations obscures, cette architecture grandiose n’a plus rien à voir avec l’habituelle conception de niveaux, prétexte à créer des embûches au joueur. Les deux héros reviendront d’ailleurs plusieurs fois sur leur pas (possible de faire complètement demi tour à n’importe quel moment en théorie) pour trouver leur chemin jusqu’à la sortie. L’impression d’écrasement et de menace est ainsi permanente. Et, quand à la véracité des lieux s’ajoute des éléments ésotériques énigmatiques, pas besoin d’un message en clair pour comprendre qu’il vaut mieux fuir.

« The incredible machinerie »

En cherchant la porte de sortie, ICO devra déclencher de curieux mécanismes. Rien de beaucoup plus étrange que ceux qui déclenchent un pont-levis ou une herse, et toujours logique avec le décor du moment (moulin à vent décrit, cascade d’eau intérieure, tombeau et, plus généralement, portes et pont-levis…). À une époque où poulies, poids et contre poids faisaient office d’énergie à la place de l’électricité, il est vite logique d’avoir à les déclencher. Même si le nombre de mécanismes plus ou moins directs est un peu plus élevé que la réalité ne le voudrait. L’important, et cela fait partie des grandes qualités de cette aventure, est que chaque élément est cohérent avec le suivant et qu’on y croit. Pour sortir de chaque espace il faut beaucoup observer les lieux (la caméra distante est contrôlable pour de magnifiques panoramiques et, en plus, le bouton R2 permet de zoomer à n’importe quel moment !), prendre des risques, essayer. La solution n’est jamais loin, jamais très compliquée, à condition de rester concentré.

Des cornes au naturel mais pas de magies artificielles

Nul besoin de super pouvoirs, à son âge ICO est souple et agile comme un gymnaste. Avec ce qu’il faut d’hésitation et de maladresse pour être humain (ICO trébuche, perd l’équilibre au bord du vide pour se rattraper in extremis), le petit personnage saute par dessus des précipices (la forteresse est construite à même la roche d’une falaise au bord de la mer), grimpe le long de chaînes (et s’y balance), se suspend aux corniches naturelles, nage. Son énergie est telle que la vitesse avec laquelle il tire ou pousse des caisses métalliques renvoie tous les autres habitués au royaume des escargots paraplégiques. Chaque geste et posture adoptée est d’une justesse effarante. Il faut remonter à Prince of Persia, Flashback et Heart of Darkness pour retrouver une telle précision dans l’animation. Il y a tellement de phases intermédiaires entre les gestes clés que ICO devient très vite une entité vivante. Il ne faut pas hésiter à zoomer sur lui dès que l’occasion d’une caméra rapprochée se profile, car ICO est aussi fignolé de près que de loin. Les ombres sur son corps réagissent en fonction de l’éclairage, du soleil, les mouvements de ses vêtements suivent la direction du vent, des mèches de cheveux frémissent, et ses yeux clignent naturellement. Tant de détails pour un personnage contrôlable la plupart du temps à distance est un des indices de l’amour du travail bien fait qui se dégage de ce soft.

Des personnages qui émeuvent pour de bon

La princesse Yorda est le premier personnage virtuel à exprimer tant de vie. Le joueur ne la contrôle jamais et, honnêtement, telle une vraie femme dans la vraie vie, le joueur masculin et le garçon ICO se demanderont tout le long de l’aventure ce qui la dirige, ce qui l’habite. Une fois libérée de sa cage, la lumineuse (elle cache un secret forcément) Yorda prend vie. Livrée à elle-même, elle se promène dans les salles. Hésitante, parfois capricieuse, elle rejoint quand même ICO quand celui-ci l’appelle. En insistant elle prend la main du garçon qui l’entraîne dans sa course. Et il faudra l’entraîner fermement d’une salle à l’autre pour survivre, quitte à être un peu brusque. Seulement comme elle n’a pas le même stamina que le jeune garçon, elle se fait un peu prier. Le contact entre les deux êtres est de ce point de vue, et de bien d’autres, remarquable. Yorda ne suit pas ICO dans sa course avec constance lorsqu’ils se tiennent par la main, du coup leur contact se relâche parfois, ICO est tiré malgré lui en arrière, ou bien elle est bousculée vers l’avant. Le lien grandissant qui les unie se tisse au fil des périls, au fur et à mesure que le joueur apprend à gérer le tempérament un peu lunaire de Yorda. Quand, après avoir franchit un précipice tout seul, ICO se retourne et tend la main vers la jeune fille pour qu’elle l’attrape en sautant dans le vide, le pouvoir émotionnel du jeu décolle littéralement.

Un seul bâton contre les ombres noires

L’essentiel du jeu demande jugeote et agilité, observation et adresse. ICO devra toutefois protéger Yorda en se battant avec son bâton (qui deviendra une épée bien plus tard). Les esprits esclaves de la forteresse n’ont qu’une idée : récupérer la princesse et la remettre dans sa cage. À intervalles irréguliers, des esprits, des ombres noires comme l’encre, surgissent de failles spatio temporelles dans le sol (de sombres portails magiques, si vous préférez). Changeant de forme sans arrêt, n’ayant pas vraiment de substances, ces esprits aux yeux fous (effets de bougés extraordinaires) tantôt araignées, tantôt goules, tantôt sortes de diables volant, chercheront inlassablement à arracher Yorda de la protection d’ICO. Des grands coups de bâton les réduiront à l’état de fumée noire, mais faut-il encore réussir à les toucher, car ils savent très bien esquiver. Les accrochages avec ces ombres sont aussi formidables que le reste du jeu. Et faciles, car il suffit d’être prudent et patient pour éloigner la menace. Il s’agit autant d’un jeu d’esquive que d’anticipation. Quand une goule réussit à mettre Yorda sur son épaule et à l’entraîner dans l’affreux trou noir du sol, in extremis, ICO peut toujours lui tendre la main pour l’arracher aux ténèbres ! Ça se complique quand les monstres, silencieux et animés comme une matière noire en mutation, se mettent à voler à travers une énorme pièce. Si jamais l’un deux arrive à kidnapper Yorda et à la transporter à l’autre bout de la salle gigantesque, il y a peu de chances que ICO ait le temps de la rattraper. Il faut donc soit empêcher totalement qu’une ombre lui mette la main dessus, soit positionner ICO près du trou où elle risque d’être absorbée. Un peu de tactique ne fait de mal à personne. Sinon c’est Game Over. Et on recommence la séquence à l’entrée de la dernière pièce (pas vraiment pénalisant). D’une manière générale il ne fait pas bon laisser Yorda seule trop longtemps, surtout pas dans une autre pièce. Sinon ICO entendra son petit cri, la longue note métallique caractéristique de l’apparition des esprits et il faudra la rejoindre au plus vite. Qui a dit que la vie à deux était facile ?

Une histoire qui survole les autres

Parmi les audaces du jeu, la façon indirecte et elliptique dont est racontée (non racontée) l’histoire est exemplaire. Les scénaristes se sont volontairement effacés derrière une forme abstraite de récit. Une façon qui convient parfaitement à un jeu vidéo puisqu’elle ne se juxtapose pas à l’interactivité. De la courte scène d’introduction utilisant le moteur 3D (pas de cinématiques ici, et c’est tant mieux), aux brèves « cut-scenes » éparpillées ici et là, ce sont surtout les longs et larges mouvements de caméra qui racontent. Quand ICO et sa compagne rentrent dans une nouvelle salle, la position de la caméra n’est jamais anodine. Presque à chaque fois, la vue d’ensemble hiérarchise (inconsciemment) les éléments architecturaux dans l’espace, soit pour justement donner un peu plus d’indices sur le grand « schéma » où sont plongés nos héros, soit pour commencer à donner une indication sur le problème qu’il va falloir résoudre. Alors que le jeu semble progresser tranquillement, chaque nouvelle vision architecturale, chaque sculpture nourrit le joueur tout en l’intriguant. Et la soif d’en savoir plus, de voir plus loin, devient inextinguible. À l’image de cette narration qui montre sans dire, Yorda parle parfois à ICO dans une langue étrange, inconnue. Les sous-titres affichés à l’écran révèlent une langue hiéroglyphique mystérieuse. Les sentiments passent dans le ton de la voix mais pas les faits. Un équilibre audacieux et, nous en sommes encore étonné, totalement réussi.

D’où vient le vent, hein ? D’où ?

Dedans, autour, par dessus et par dessous, l’autre entité qui habite l’aventure avec une force peu commune est le son. La musique éthérée est rare, elle laisse la place aux bruits d’ambiance qui n’ont jamais été mixés avec autant de réalisme. Les bises s’ajustent à la taille des pièces, à leur réverbération. Dehors, le vent souffle en fonction des endroits : quand les héros sont dans une cour à ciel ouvert ou sur la crête d’une falaise, l’air ne souffle pas de la même façon. Des oiseaux crient, et cela justifie les colombes et autres pigeons qui se posent ici et là et laissent des plumes s’envoler. Les mécanismes qui se déclenchent couinent de tous leurs métaux rouillés. L’eau paisible ou en cascade rend l’air humide et l’oreille confirme ce que l’œil perçoit. À ce titre, le bruissement des arbres accompagne les plus beaux feuillages (mobiles) qui nous aient été donnés de voir dans un jeu vidéo.

Le soin et le brio avec lequel le monde est recréé n’ont d’égal que dans sa capacité à rendre poétique l’ensemble. Ambiance écologique sans être bêtement new age, le pouvoir d’évocation du son rejoint l’image pour un spectacle émotionnel à couper le souffle.

Un soft optimisé pour l’éternité

Une fois le livre d’ICO refermé il reste dans le cœur et dans la bouche un double sentiment. Celui d’une aventure si prenante que l’on voudrait continuer encore et encore (10 heures en moyenne, soit tout de même, pour donner un ordre d’échelle : 2,5 fois des films fresques comme Ben-Hur ou Autant en Emporte le vent), et celui d’avoir terminé l’histoire comme il le fallait, comme l’histoire le réclamait, comme le voulait les auteurs. La sensation d’accomplissement au terme de l’aventure est presque sans équivalent. En puissance évocatrice elle dépasse même les satisfactions pourtant célébrées des jeux les plus lyriques, comme, encore et toujours, Zelda ou les Final Fantasy. À peine grandiloquent, totalement cohérent, fermant la boucle d’une histoire dont on ne connaîtra jamais les deux bouts, la conclusion d’ICO entraîne le jeu vidéo sur un rivage qu’il n’a jamais accosté.

Chef-d’œuvre inattendu, pour comprendre la finesse du propos de l’aventure, il suffit peut-être d’expliquer que, pour sauvegarder la partie, nos deux héros doivent trouver un banc de pierre, s’y asseoir ensemble et s’assoupir un instant avant de se réveiller, de renaître ensemble. Même à l’abri dans son canapé moelleux, le joueur ne pourra s’empêcher de partager le destin tragique et beau de ICO et Yorda. Sans doute la première idylle crédible du jeu vidéo.

François Bliss de la Boissière

(Publié sur Overgame le 24/10/2001)

 


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Magnetic Billiards : Le génie de la réinvention

Inutile de faire des ronds de jambe littéraires, en se réappropriant les principes du billard classique, ce petit bijou interactif créé à lui tout seul un nouveau « fondamentaux » du jeu vidéo. Le glissement discret des règles et des lois physiques du billard pose de nouvelles bases interactives comme un Pong ou un Tetris en leur temps. En adoptant en plus une interface graphique comme dessinée à la craie sur un fond bleu de plans d’architecture (blueprint), le jeu se donne une allure durable, impossible à dater, à l’image de son gameplay à la fois moderne et classique.

Magnetic Billiards

Billard détourné par twists créatifs

Pour aller à l’essentiel, le jeu se pratique plutôt comme un billard français (sans poche) mais avec un nombre de boules variable et sans boule blanche de référence. Les boules de même couleur doivent être projetées les unes contre les autres en évitant le contact avec les autres. Une fois agglomérées en grappes de tailles variables, celles-ci s’évaporent automatiquement et le joueur peut s’atteler à une autre série de couleurs. Le but de la partie consiste à faire disparaître toutes les boules de la table, et celui des concepteurs à réinventer sans cesse des dispositions de base qui obligent à bien agir et à réfléchir. Gros ajout interactif malin au jeu de rebonds qu’il faut d’habitude deviner, le jeu permet de visualiser la trajectoire probable de la boule avant de lâcher son coup. Mieux, en cas de réussites successives, cette prévisualisation d’abord limitée augmente et permet d’anticiper la trajectoire complète de la boule. Une facilité qui semble d’abord gâcher le jeu d’adresse avant de finir par faire partie intégrante du gameplay puisqu’il faut générer le plus grand nombre de rebonds possibles pour atteindre un score maximum. Le trajet entre deux boules isolées sur une table ne doit jamais être une ligne droite. Et le système virtuel de visée anticipée devient un vrai jeu tactile quand il faut bien se caler sur l’angle qui va permettre 20 rebonds successifs avant le contact.

Règles de premier et de second plan

Puisqu’elles dérivent du billard, rien n’oblige à assimiler les règles pour se lancer. Et heureusement, parce que les créateurs, bavards et drôles, se sont amusés à les faire longues et qu’elles ne s’affichent qu’en anglais. Le joueur apprend assez vite et spontanément ce qu’il a le droit de faire ou pas en jouissant d’abord de l’excellent moteur physique, puis des bruitages et animations chargés en références entre bande dessinée, flipper traditionnel et psychédélisme doux. Deux vies, ou essais, autorisent deux échecs avant de devoir recommencer la table et, même si des menus/onglets en papier déchiré s’incrustent un peu trop souvent pour relancer la partie, les transitions restent rapides et fluides. D’un mode à l’autre, d’une table à l’autre, d’une explication – qui se propose en cas d’échecs répétés – à l’affichage arc-en-ciel d’un super score, tout ce qui constitue le logiciel disparaît dans une mise en scène graphique habile et toujours adaptée à la bonne ambiance. Les subtilités et la sophistication du gameplay qu’il faut absolument maitriser pour atteindre un score supérieur et déverrouiller une autre table (progression non linéaire laissée au libre choix du joueur) demande en revanche la consultation des règles avancées.

Jeu adulte fondamental

Derrière son apparence presque enfantine, Magnetic Billiards cache un jeu adulte. Le principe de visée et de contrôle des rebonds plus ou moins attendus dissimule, à moyen terme, un vrai jeu de réflexion. Tel le jeu de damier Othello qui se complique au fur et à mesure, ce néo billard se transforme en jeu de stratégie quand le nombre de boules à l’écran augmente (et il augmente jusqu’à étouffer tout l’espace !). Chaque coup devient précieux. Les trajectoires entre les boules « ennemies » et celles qui doivent se rencontrer deviennent périlleuses (bien frôler ajoute des points). Le système de viser tactile très novateur (avec deux variations optionnelles à essayer) permet de maîtriser finement la force de propulsion. Rien n’empêche de déclencher un chaos rageur dans la foule trop bien rangée des boules ou de se la jouer subtile et d’amortir chaque trajectoire jusqu’à ce que les boulent s’effleurent. L’apprentissage sera rude et les récompenses surprises qui surgissent lors d’un délai de réflexion allongé ou lors de la consultation de la 25ème page (chiffre non contractuel, la doc en contient 29, ou plus, les auteurs communiquent en effet de manière facétieuse avec leur public) indiquent bien que s’appliquer et prendre son temps comptent autant que de bien viser ou bien intuiter.

Héritages multiples

Décalées et chics, les mélodies ragtime au piano de ce Magnetic Billiards décidemment surprenant, évoquent un tripot au tournant du XXe siècle tandis que les bruitages puisent dans l’âge d’or des salles d’arcade des années 70-90 (le jeu s’invente d’ailleurs un historique remontant à 1888 !). Un mash-up sonore culotté rejoint par le greffon visuel entre BD et dessins industriels. L’ensemble oscille ainsi entre le sérieux et l’ironie. Ce que confirme la présence dessinée à la Robert Crumb des deux vétérans du jeu vidéo à l’origine de cette pépite, les frères John et Ste Pickford déjà habitués au détournement (au hasard d’une ludographie de plus de 80 jeux depuis 1983 : l’excellent et sous-estimé Wetrix dérivé aquatique de Tetris datant de 1996).

Précision et confort des sens

Magnetic Billiards réussit ce rare mélange effectif de gameplay pointu, presque technique, et de ressenti douillet propre au confort des sens. L’échec ne se perçoit pas comme une punition. Un score moyen encourage intellectuellement à rejouer sans faire appel aux ressorts habituels de frustration. Signe en général ultra positif de satisfaction, quand l’appli propose, sans chantage, de nouvelles tables ou de nouveaux modes de jeu en payant in app (de 0,79 € le mode bonus à 2,99 € la Skeleton Key qui donne accès à tout : 20 tables supplémentaires en niveau de difficulté supérieur et 3 modes dit d’arcades – contre la montre, « furie », etc), l’utilisateur a simplement envie de dire merci aux créateurs en payant pour davantage de contenu. Le houleux modèle freemium se déploie ici au mieux de ces avantages. Plaisir des sens et de l’intellect, aussi habile à faire parler les doigts que les neurones, Magnetic Billiards transforme le vieux en neuf avec un flair artistique et un brio technique qui prend à l’improviste. Et c’est tant mieux.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone et iPad…

Les plus…

  • Réalisation et ambiance inédites épatantes
  • A la fois novateur et roots (multi référenciel)
  • Gratuit (20 tables de jeu)

Les moins…

  • Aides et humour hélas en anglais uniquement
  • Achat in app un peu confus du contenu additionnel
  • Position verticale seulement
(Publié le 17/10/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Another World : Jeunesse éternelle

Qui aurait imaginé un jour que les plateformes mobiles Apple deviendraient des supports privilégiés pour revivre et donc archiver l’histoire du jeu vidéo ? Après les Final Fantasy, Secret of Mana japonais, les Prince of Persia et Myst américains, le Flashback français, c’est au tour du tout aussi historique Another World du, alors très jeune, développeur Éric Chahi d’être adapté sur iPad et iPhone.

Another World

Jeu immersif avant l’heure

Il ne le savait pas en créant le jeu tout seul en 1991, mais commençait peut-être à vraiment le mesurer en 2007 lors de la réédition 15ème anniversaire sur PC. Aujourd’hui, à l’occasion d’une nouvelle ressortie cette fois pour les 20 ans du titre (ça ne nous rajeunit pas !, ndlr) sur les très tendances appareils tactiles d’Apple, l’auteur-développeur Éric Chahi ne peut plus douter que son jeu vidéo appartient à la grande Histoire de l’industrie interactive. Celle, culturelle, qui la définit à travers les âges. Car, étonnamment, Another World se révèle un condensé de concepts utilisés aujourd’hui à grands renforts de budgets et de moyens techniques inimaginables il y a 20 ans. Premier jeu empruntant au cinéma un découpage de scènes non interactives (très très brèves), l’aventure de ce jeune scientifique propulsé par accident sur une planète hostile est aussi la première esquisse de jeu collaboratif quand il se fait aider par un gentil extra-terrestre local. Le qualificatif « immersion », revendiqué à toutes les occasions aujourd’hui, prévalait d’emblée dans un Another World mystérieusement silencieux, sans parole, sans texte, avec à peine de la musique. Les bruitages, capitaux dans leur économie, devenaient le guide pour survivre aux périls, et donnaient vie à cette planète rocheuse hors champ.

Mise à jour graphique respectueuse de l’original

Que peut faire de plus une réédition contemporaine sans dénaturer le jeu original ? Le moins possible. Lisser les contours en escaliers de la grossière définition des années 90, ajouter quelques coups de pinceaux (très réussis dans les grottes en sous-sol), transformer les pixels carrés en vrais aplats de couleurs. Exercice redoutable de retouche qui doit trouver l’équilibre entre l’original, difficilement regardable ou jouable de nos jours, et un reconditionnement high-tech qui risquerait de perdre l’essence de l’œuvre initiale (préfère-t-on jouer aujourd’hui aux éditions classiques de Prince of Persia ou au remake 3D du jeu de plateforme original ?). Cette édition iPad/iPhone, tout comme celle sur PC d’il y a quelques années, reste donc très prudente, limite conservatrice, et ne fait que raffermir le souvenir forcément enjolivé gardé en mémoire. Preuve permanente de la présence de l’original en coulisses, il suffit de glisser deux doigts vers le bas sur la vitre à n’importe quel moment pour rebasculer aux visuels d’alors, et inversement. Belle leçon technique à travers les âges.

Contrôles tactiles à la hauteur de l’enjeu

C’est entendu, malgré tous les efforts des développeurs, le contrôle aux pads virtuels sur iPhone ou iPad ne remplacera jamais celui d’une vrai croix directionnelle ou d’un pad analogique. Dans le cas d’Another World cependant, le contrôle original basique ne demandait pas vraiment une pure agilité des doigts. Il fallait surtout savoir exactement quel pas ou quel geste effectuer et cela se vérifie aujourd’hui malgré les 3 modes de difficultés dont un Normal plus facile que l’original, selon l’éditeur. Une fois compris ce qu’il faut faire, l’exécution est assez simple. Les deux modes optionnels de contrôle, tactile direct sur la vitre (n’importe où pour faire marcher ou courir son personnage vers la droite ou la gauche, dans les coins bas droite et gauche de la vitre pour qu’un frottement déclenche le saut et une pression fasse tirer le pistolet) ou fixe à l’aide de deux pads virtuels à afficher où l’on veut sur l’écran, donnent toute satisfaction. C’est à dire que mourir et recommencer cent fois fait partie de la méthode de progression. Inutile d’accuser les contrôles, le jeu a été construit comme cela à l’époque. Parfois pénible, ce système d’épreuves par l’échec avait, et a toujours, la vertu de participer à l’anxiété du héros jouant sa vie dans une fuite en avant perpétuelle.

Un précurseur à revisiter

Jeu total avant l’heure, Another World inventait dès 1991 un savant mélange qu’il n’est pas certain que les blockbusters d’aujourd’hui aient encore trouvé. Jeu d’aventure, de réflexion, d’action, éventuellement de contemplation, l’essai interactif du jeune Éric Chahi générait une émotion jusqu’alors inédite dans le jeu vidéo. Aujourd’hui, écouteurs aux oreilles, les sobres décors bleutés aux aplats désormais d’allure arty, les cent morts et répétitions d’actions (courir, sauter, tirer, et même nager) se visitent comme un musée vivant d’un jeu vidéo qui meurt et ressuscite autant de fois que nécessaire pour être qualifié d’éternel.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Retrouver une légende du jeu vidéo
  • Le lifting graphique respectueux de l’original
  • Les 13 « Réalisations » (trophées) GameCenter rajoutées

Les moins…

  • Le principe de progression par l’échec
  • Sobriété visuel et sonore un peu aride de nos jours
  • Prix un peu élevé
(Publié le 22/09/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Superbrothers : Sword & Sworcery EP : Hommage avant-gardiste classieux aux jeux 8 bits

Quand on aime et pratique le jeu vidéo, on peut être à la fois enthousiasmé et agacé par le débat stérile cherchant à (dis)qualifier le jeu vidéo en tant qu’art. Les gamers et curieux savent déjà qu’il n’est guère utile d’attendre une institutionnalisation du médium pour croiser dans le jeu vidéo ce qu’on appelle universellement de… l’expression artistique.

Sword_and_Sworcery

Tout en se donnant à jouer, le mélange d’étrangeté et de familiarité de Sword & Sworcery en est un nouveau bel et singulier exemple. Sur iPad*, en plus, où l’interface de jeu mélange point’n’click à l’ancienne, mais en direct sur la vitre, et action temps réel, la démarche aborde de nouveaux territoires. Hybride, le projet est d’ailleurs l’enfant d’un ensemble de talents canadiens, des stylistes de Superbrothers, du studio de développement Capy, et du musicien-compositeur Jim Guthrie qui réalise là un hypnotisant et riche mixe environnemental, rock, synthé (à la John Carpenter des années 80), médiéval sérieux et touches humoristiques décalées**.

Le rejeton expérimental oscille ainsi entre rétro gaming et avant-gardisme audiovisuel interactif. Marchant sur les œufs pixélisés de la référence et de la citation, Sword & Sworcery se sous-titre lui-même « le jeu d’aventure archétypal » et cite littéralement Zelda, avec notamment les triangles de la Triforce omniprésents. En effet archétypal, le chevalier équipé d’un sac à dos, suivi ou précédé par un bucheron et son chien, ne nécessite aucune généalogie explicative. Parce que la démarche artistique joue à part égale avec le principe de « jeu » interactif, tout ce qui s’apparente directement à un jeu vidéo lui-même peut sembler perfectible, voire un rien rustique. Le contrôle des déplacements au double tapotement (baptisé « tip tap » par les créateurs) ou en maintenant le doigt pressé sur la vitre se confond parfois avec le déplacement au doigt du décor, ou au tip tap sur un élément du décor contenant une information textuelle. Malgré des jeux de couleurs, de lumières et de particules qui dirigent le regard, l’observation du décor à la recherche d’indices ou de pixels à cliquer semble plus compliqué que nécessaire. La première « difficulté » du « jeu » se situerait plutôt là, dans une raideur tactile qui, au fond, rappelle elle aussi les premiers jeux animés bit par bit.

Entre rétro gaming et modernité, une expérience visuelle et sonore unique et singulière

En réalité, chaque élément tactile et mobile prend une dimension émouvante grâce à sa maladresse et au travail extrêmement sensible sur chaque bruitage, aux inserts très pointus de musique et l’hommage/clin d’œil aux jeux d’antan. L’aventure prend de la valeur parce qu’elle fait référence à un certain nombre de codes clés archis connus du jeu de rôle et d’action médiéval. La modernité s’impose au milieu des bouillies de pixels monochromes parce que le projet ne garde qu’un essentiel squelettique pour mieux le transcender. Sa palette graphique minimaliste mais chic, son enrichissement sonore contemporain impossible à l’époque de référence évitent à l’expérience de sentir la naphtaline au contraire du récent, et malgré tout captivant, 3D Dot Games Heroes sur PlayStation 3. L’ombre cubique des Another World, Flashback, premiers Zelda 8 bits et même des œuvres de Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus) ne s’impose pas et ne sera d’ailleurs perceptible que dans l’écho des souvenirs de chacun.

Définitivement « ailleurs » tout en cherchant à maintenir le contact avec la culture gamer, Sword & Sworcery ouvre un nouvel espace intriguant quand l’aventure demande de prendre l’iPad en position verticale lors des combats. Le rituel typique du jeu de rôle japonais consistant à faire basculer automatiquement les combats dans un espace-temps temporaire est ici mis physiquement en scène entre les mains du joueur. Une fois en position verticale, la caméra zoom sur le chevalier toujours aussi pixélisé et affiche en bas de l’écran l’icône d’une épée à droite et, le cas échéant, de son bouclier à gauche. Les combats contre des loups ou des entités d’outre-tombe pratiqués avec le pouce de chaque main évoquent alors un timing de coups et de blocages à la Prince of Persia (l’original), tout en restant sur une position fixe. Plus tard, l’accès aux informations enregistrées dans le grand livre demandera aussi d’orienter la tablette en position verticale via un culotté système de rayons lumineux à aligner. Le jeu ne rate jamais une occasion de s’amuser avec les codes bien connus du jeu d’action-rôle et de rendre le joueur complice de ce regard amusé et respectueux sur le passé.

Du côté de la propagation virale qui sied parfaitement à un Sword & Sworcery définitivement atypique, un bouton Twitter accessible en permanence permet de poster à volonté les étonnants échanges, tantôt courts dialogues ou phrases narratives, jouant avec les mots et les tournures entre poésie, vieil anglais ou novlangue (hélas pas de version française qui serait, avouons le, bien difficile à retranscrire sans trahir). On ne s’étonnera ainsi pas de savoir que le célèbre Peter Molyneux (Populous, Black & White, Fable) s’est laissé séduire lui-même et qu’en grand mégalomane du jeu vidéo que nous aimons tous, il a choisi de poster le succès de sa première quête qui s’écrit, pour lui comme pour les autres, après avoir réussi à tromper un démon cornu embusqué dans un temple oublié : « We got The Megatome & we are the smartest ». « Nous avons obtenu le Megatome et nous sommes le plus malin ».

Superbrothers : Sword & Sworcery EP, de son nom complet aussi prétentieux et plein d’auto dérision que sa bible auto proclamée, « The mythopoetic psychocosmology », a décidemment tous les atouts pour devenir culte.

* Version iPhone/iPod Touch prévue pour avril.
** L’album de la bande son, Jim Guthrie’s Sword & Sworcery LP : The Ballad of the Space Babies sortira sur iTunes prochainement.

Sur iPad / Capybara Games


Les plus…

  • Le design pixel art radical chic
  • Bruitages et musiques sincères et arty
  • La revisitation respectueuse et amusée des jeux de rôle-action
  • L’ambiance générale et la démarche artistique

Les moins…

  • Visuels dépouillés arides et parfois brouillons
  • Pas tout à fait multitâche (on repasse par l’écran de sauvegarde auto et check-points)
  • Un peu trop ésotérique surtout à cause de l’anglais obligatoire
  • Prix élevé pour une expérience qui peut déconcerter

François Bliss de la Boissière

(Publié le 28/03/2011 sur Hitphone.fr)

 


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World of Goo : Chef-d’œuvre gluant

World of Goo fait partie de ces petites merveilles interactives sur iPad qui provoque, une fois croisée et pratiquée, le sentiment d’appartenir à un club d’initié. Il y a les chanceux éclairés ayant joué le jeu sur PC, Mac puis sur Wii, qui savent que World of Goo existe. Et les autres, encore dans l’ignorance, dont le seul avantage est d’avoir devant eux le futur plaisir de découvrir, à leur tour, un des jeux les plus malins et les plus étonnants de la scène indépendante ou, allez, du jeu vidéo en général.

world_of_goo

Quels que soient les mots écrits ici ou là, le plaisir éprouvé à jouer World of Goo dépasse largement sa condition de puzzle-game. Avant de vraiment réussir les épreuves de plus en plus sophistiquées, la circulation dans les menus, la lecture hilarante (hélas en anglais) des petits panneaux de bois indicatifs, les pistes musicales entre émotion et ironie (cinéma grand spectacle, jazzy…) et la manipulation des matières molles envoient un nombre incalculable de signaux agréables et douillets. Un « comfort game », sans doute mais un jeu cruel aussi, dans tous les sens du terme. Le joueur peut plancher de longues minutes sur un niveau, à construire un édifice de fortune avant que celui-ci ne s’effondre juste quand le but à atteindre est à quelques centimètres. Fragiles, ô combien fragiles, les petites créatures – en boules de gomme dirons-nous à défaut d’autre description – qu’il faut rapatrier vers la sortie, croisent les dents d’acier mortelles des scies circulaires, disparaissent dans des marées noires de pétrole, s’enflamment pour d’ultimes adieux. Derrière ses graphismes cartoons et bon enfant et ses manipulations toutes aussi arrondies et spontanées se cachent bien toutes les douleurs et les satisfactions d’un jeu vidéo totalement fidèle à sa nature.

Physique caoutchouc sophistiquée

World of Goo épate parce qu’il trouve un équilibre tout à fait personnel entre principe élaboré de jeu à base d’une physique caoutchouc sophistiquée, manipulations simplissimes et échafaudages, à l’écran et dans la tête, d’une belle complexité. Irrésistiblement attiré par les petites boules qui avancent toutes seules dans le décor, le doigt cherche automatiquement à en toucher une. En maintenant la pression et en déplaçant la boule, le joueur réalise que celle-ci s’étire de façon élastique avant de se solidifier, ou presque, en ce qui ressemble à une branche en caoutchouc. Chaque boule ainsi déplacée et étirée forme un échafaudage flexible à l’élasticité incontrôlable entre construction d’allumettes et Tour Eiffel miniature. Les petites créatures se déplaçant en aveugle et sans jamais s’arrêter le long des branches de caoutchouc ainsi collées de bric et de broc, le joueur tente d’assembler un fragile édifice vertical ou horizontal vers la sortie où elles se rueront automatiquement en poussant des craquants soulagements de joie.

Un casse-tête génial qui colle aux doigts

La pesanteur joue un grand rôle et toute tour montée à la verticale sans consolidations sera amenée à s’effondrer sous son propre poids ou bousculée par les vents. Il faut donc penser à appuyer l’édifice en construction sur les éléments de décors naturels, en évitant les traquenards du trajet : précipices, piques, marée noire, puits, cheminées, flammes… Le but étant de faire sortir du niveau un nombre précis, ou plus, de petites créatures, toute la difficulté consiste à ne pas en utiliser trop pour construire son échafaudage vers le salut. Chaque boule devenue branche étirée reste en effet condamnée à ne pas être sauvée. À moins de croiser une rare espèce verte aux capacités spéciales. Le joueur doit calculer le sacrifice de quelques uns pour le bien de la majorité. Faut-il y percevoir une dimension politique ? Sans doute. Parce qu’entre les panneaux indicatifs aux messages subversifs, et les infernaux pièges de la World of Goo Corporation qui s’étalent sur une little big planète aussi ronde et naturalia que dangereuse et pleine d’embuches industrielles, il semblerait bien que le joueur touche ici de son doigt divin un monde d’exploités en quête d’un sauveur.

L’héritage Lemmings

Descendant des Lemmings, bien sûr, World of Goo ne passe cependant par aucun menu ou options et se contente juste du contrôle direct au doigt du matériau élastique. Tout juste peut-on croiser des insectes volant dans le décor qui offrent, une fois touchés, une option « crtl/Pomme Z » qui annule la dernière manipulation ou des ballons roses gonflés à l’hélium qui serviront à entrainer les créatures vers une sortie hors de portée tout là haut dans le ciel.

Que l’on soit joueur inconditionnel ou simple amateur, il faut absolument jouer à World of Goo pour, d’une part, s’offrir un des grands plaisirs sensoriels du jeu vidéo, et d’autre part, mesurer, et apprécier l’imagination artistique dont est capable le jeu vidéo sans pour autant tomber dans de la prétention. Devant les yeux, un cartoon très soigné. Dans les oreilles des partitions où, entre des compositions féériques à la Danny Helfman (les films de Tim Burton) et des hymnes western classique, des saxophones, des chœurs ou des accordéons enrichissent l’expérience. La version Wii du jeu (à télécharger sur Wiiware) garde à se titre un avantage, celui de pouvoir apprécier cette musique à travers un ampli. Sur Wii également, le geste de saisie des créatures avec la Wiimote reste un must inégalé. Mais, entre nous et entre tous, aucune version de World of Goo n’élimine l’autre. Déjà jouée ou pas, cette pépite interactive mérite d’être toujours dans la poche, sans cesse rejouée et, c’est là peut être aussi l’avantage sur iPad, d’être montrée à ses amis. Ils n’y résisteront pas, et cette découverte qui leur apportera une bonne dose de bonheur et de sourires transformera le démonstrateur en bienfaiteur.

Par François Bliss de la Boissière

Sur iPad…

Les plus…

  • Tenir les petites boules avec le doigt
  • Le déplacement rapide au doigt du décor pour observation
  • Modèle physique et design intelligent des niveaux
  • Les musiques exceptionnelles (et les bruitages)

Les moins…

  • Le doigt cache le décor où il doit interagir
  • Ne pas pouvoir déplacer le décor avec un 2e doigt, pas de fonction pinch
  • Il faut tâtonner et progresser par l’échec
  • Textes et aides humoristiques non traduits en français
(Publié le 21/01/2011 sur Hitphone.fr)

 


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La petite musique des jeux vidéo

De ses débuts il y a tout juste 30 ans jusqu’à aujourd’hui, le jeu vidéo a évolué très vite, techniquement et artistiquement. La musique illustrant les jeux vidéo est par exemple passée des sons bip bip 8-Bits de ses débuts aux compositions orchestrales d’aujourd’hui. La technologie a suivi cette évolution mais pas toujours la législation. Surtout en France où l’exception culturelle qui protège les auteurs-compositeurs au risque de compromette l’équilibre budgétaire nécessaire à la conception d’un jeu vidéo.

L’âge adulte artistique

Bien que restitués avec des moyens techniques alors limités à sa naissance dans les années 70 aux années 90, les thèmes musicaux des premiers jeux vidéo ont acquis une célébrité jusqu’à devenir des classiques et être interprétés par des orchestres symphoniques. L’apparition du support CD sur ordinateur, puis la première console PlayStation de Sony, a changé les choses au milieu des années 90 en permettant d’illustrer l’environnement sonore et musical des jeux avec une qualité optimale de reproduction. Habitué à concevoir des musiques synthétiques plus économiques à produire, l’industrie dans son entier n’a pas immédiatement basculée vers des compositions acoustiques. Aujourd’hui néanmoins, les mélodies que l’on entend sur les derniers jeux Mario sur Wii (Super Mario Galaxy…) ont été enregistrées par un vrai orchestre symphonique et s’apprécient dans toute leur grâce pendant que le joueur saute de planètes en planètes. 

Avec l’arrivée des ambitieuses consoles PlayStation 2 et Xbox dans les années 2000, les jeux vidéo ont commencé à se mettre en scène et à se dramatiser avec des partitions musicales dignes de productions hollywoodiennes. Certains compositeurs travaillent d’ailleurs dans les deux industries. Un des plus connus, Harry Gregson-Williams, a composé la musique du jeu Metal Gear Solid et des films Shrek, Narnia, Kingdom of Heaven… Immédiatement identifiables, les thèmes des séries de jeux japonais Dragon Quest, ou Final Fantasy, composé par le respecté Nobuo Uematsu, et américains, Halo composé par Martin O’Donnell, génèrent, comme ceux des films Star Wars, Indiana Jones ou Superman un culte lié à toute l’émotion que les notes de musique peuvent provoquer.

La musique de jeux vidéo en tournée

Depuis 2005, un orchestre symphonique dirigé par la baguette de deux chefs d’orchestre compositeurs de musique de jeux, Tommy Tallarico (Earthworm Jim, Prince of Persia…) et Jack Wall (Myst III et IV, Splinter Cell, Mass Effect 1 et 2…), interprète en public dans les plus prestigieuses salles de concert du monde les thèmes d’une sélection de jeux vidéo célèbres. Déjà passée deux fois à Paris, la dernière prestation de la tournée Video Games Live a eu lieu dans le Palais des Congrès de la capitale le 17 décembre dernier avec un nouveau chef d’orchestre, l’italien Emmanuel Fratianni, compositeur co-crédité sur le jeu Advent Rising. Ponctuellement, des invités rejoignent les prestations live. Kinuyo Yamashita, la compositrice japonaise du jeu Castlevania a par exemple participé aux concert donnés à Newark aux USA fin décembre 2010. Lors de la première représentation à Paris en 2009, le créateur français du jeu Rayman, Michel Ancel, est monté sur scène avec deux musiciens pour jouer en live le thème de son prochain jeu Beyond Good and Evil 2. Une captation du concert existe en CD Audio et il est possible d’écouter des extraits gratuits en streaming sur Deezer.

L’élite des OST

Réservés à une élite de passionnés qui devaient acheter à prix d’or des versions imports, les OST (Original Sound Tracks), ou bandes originales de jeux vidéo, ont commencé à être éditée en CD Audio. D’abord au Japon grâce aux compositions très appréciées sur les jeux de rôle des éditeurs Square et Enix, puis, peu à peu dans le reste du monde. De nos jours, les OST ne sont plus rares et se trouvent presque facilement dans le commerce en France. À commencer par les magasins de musique dématérialisée accessible sur les stores d’Amazon ou d’Apple. La musique des jeux Mass Effect 1 et 2 signée Jack Wall est par exemple disponible en 6 albums sur iTunes. Le store Apple référence également 10 OST des jeux vidéo japonais Final Fantasy : des bandes originales complètes ou des réinterprétations orchestrales ou au piano.

Musique étouffée en France

En pleine effervescence, la création de musique pour jeu vidéo est freinée en France par une situation juridique aujourd’hui bloquée. Encore considéré comme un simple logiciel informatique, le jeu vidéo ne peut pas s’appuyer sur un réel statut législatif et culturel. Un trouble légal qui peut créer des situations dramatiques comme le raconte Emmanuel Forsans, un ancien producteur de jeux vidéo en France, actuellement responsable de l’Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV).

« Les sociétés de jeux vidéo français ne veulent plus faire travailler les compositeurs français pour des raisons de droits d’auteurs inquantifiables à payer » explique Emmanuel Forsans. « Le jeu vidéo étant depuis son origine considéré juridiquement comme un logiciel et non une œuvre, l’usage jusqu’ici avait été de payer le travail d’un compositeur de musique de jeu vidéo une somme forfaitaire nette. Mais il y a quelque temps, un compositeur français est revenu sur cette convention et les tribunaux lui ont reconnu, comme pour les compositeurs de musique de films, un droit de propriété intellectuelle sur sa musique qui l’autorise à percevoir des droits d’auteurs, c’est à dire un fort pourcentage sur les ventes du jeu. Le studio de développement qui l’avait déjà payé une somme nette a été obligé de lui régler une somme rétroactive si élevée que l’entreprise a été mise en grande difficulté financière. Depuis, dans le milieu, plus personne n’ose faire travailler un musicien français. Même si la loi n’a pas été modifiée et que du côté de la Sacem (l’organisme qui collecte et redistribue les droits d’auteurs aux artistes), le jeu vidéo reste un logiciel, ce premier cas peut faire jurisprudence.« 

Musique de chambre entre le CNC, le SELL, le SNJV et la SACEM

Depuis plusieurs années et encore à ce jour, des discussions sont en cours entre la Sacem et le SELL (instance de représentation des éditeurs de jeux et de logiciels) autour de la définition du jeu vidéo et de ses composantes artistiques. Donnent-elles, ou pas, droit, à des rémunérations spécifiques liées à la propriété intellectuelle ? Déjà engagé dans le dossier jeu vidéo, le CNC (Centre National de la Cinématographie) arriverait un peu mieux plus à faire avancer les choses selon Emmanuel Forsans. Au cœur de cette négociation, c’est la définition même de ce qu’est le loisir interactif qui se pose. « Le jeu vidéo est un ensemble hétéroclite d’images, de sons, d’interactions » expliquait en 2009 Nicolas Gaume actuel Président du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), « il n’a pas de statut juridique mais des jurisprudences contradictoires« .

« On a un peu surprotégé les musiciens en France« 

Programme informatique composé d’éléments rudimentaires animés et bruités à ses débuts, le jeu vidéo a évolué vers un ensemble composite faisant appel à des talents dans de nombreuses disciplines, en plus des programmeurs informatiques : illustrateurs, graphistes, animateurs, scénaristes, dialoguistes, acteurs, cascadeurs, compositeurs et musiciens. Avec sa singularité interactive, l’assemblage des disciplines autour de la création d’un jeu vidéo ressemble de plus en plus à son grand frère le cinéma. Pour cet ancien producteur de jeux néanmoins, « on a un peu surprotégé les musiciens en France« . Dommage collatéral de ce flou juridique qui gèle les relations de travail, les éditeurs de jeux vidéo font appel à des compositeurs résidant ailleurs qu’en France. Installé dans de nombreux pays, le français Ubisoft utilise par exemple, sur sa série de jeux Assassin’s Creed, le talent du compositeur danois Jesper Kid installé à New York. Un imbroglio juridique autour de la notion d’auteurs et de leurs droits sur le point de se complexifier avant d’être résolu en France. Les jeux les plus récents commencent à faire participer le joueur dans la création de contenu utilisable à l’infini par d’autres joueurs en ligne (LittleBigPlanet2 sur PS3 par exemple). Le joueur participatif devient, de fait, co-auteur. Sera-t-il un jour en droit de réclamer des droits d’auteur ?

Note complémentaire : La chance aux chansons

Le succès des jeux de rythme musicaux Guitar Hero et Rock Band a créé une nouvelle économie florissante entre l’industrie musicale et le jeu vidéo. Chaque chanson pop ou rock incluse dans les jeux ou vendue au détail sur les magasins PlayStation ou Xbox en ligne rapporte quelques centimes aux auteurs. Pas de quoi changer la carrière des stars de la musique sauf que, les musiciens concernés, dont des rockeurs un peu oubliés, ont eu la satisfaction de voir naître un regain d’intérêt pour leur albums grâce aux jeux vidéo musicaux. Les comptes semblent ici bon pour tout le monde jusqu’à ce qu’un éditeur de jeu ait eu la curieuse idée d’utiliser les silhouettes des dites stars de la musique en omettant d’obtenir leur autorisation et donc de payer cette présence célèbre par avatar interposé. Des procès de plusieurs millions de dollars sont maintenant en cours. Mais c’est une autre chanson.

François Bliss de la Boissière

(Enquête publiée (ou pas) dans le mensuel Comment ça Marche #9 de mars 2011)

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BEST OF JEUX 2010 : Une sélection militante

Le jeu vidéo repose sur des formules, des concepts et des gameplays qui évoluent beaucoup plus lentement que les technologies qui les supportent. La stabilisation hardware du côté des consoles en place depuis 4-5 ans permet aux studios de mieux finaliser leurs productions et, parfois, d’ouvrir la porte vers de nouvelles expériences…
 

Militant comme toujours ici pour un jeu vidéo digne de lui-même, on s’obstinera à ne vouloir reconnaître que dans les premiers jets les jeux les plus légitimes. Même si elles sont techniquement supérieures au premier essai, les suites numérotées sont toujours coupables de naître d’un plan d’amortissement sur plusieurs années et non d’une pure volonté artistique. Si le jeu n°2 est « enfin » abouti cela implique que le premier été commercialisé sans l’être. Si le jeu n°3 révèle enfin le potentiel de la série c’est que les créateurs ont échoué à bien s’exprimer dans le premier. Que l’on entende bien, le work in progress artistique est tout à fait admissible, même s’il prend le joueur en otage de ses recherches et errements. En revanche, le procédé économique qui consiste à transformer le consommateur payant plein pot en béta testeur (un métier normalement rémunéré) ne devrait pas exister. Ce qui est vrai pour un artiste-concepteur comme Jonathan Blow qui a consacré deux années pleines à finaliser la mécanique du gameplay de son Braid alors que le jeu aurait pu être commercialisé bien avant, devrait l’être pour des grosses productions avec des budgets colossaux. Le modèle freemium aujourd’hui généralisé dans les jeux sociaux sera peut-être celui du jeu vidéo tout court demain.

Best of 2010 : Les jeux originaux

1 / Limbo (Playdead/Xbox Live) : Pourquoi ce jeu dit « indépendant » en tête de tous les jeux cette année et non Braid, flOw ou Flower les années précédentes ? Parce que contrairement aux propositions mettant en scène un gameplay/concept à la limite de l’abstraction, Limbo place l’humain au cœur du projet. Limbo ne se présente pas comme un pur objet interactif mais comme une œuvre qui réussit à intégrer l’interactivité à un ensemble de moyens d’expressions artistiques. Du noir et blanc expressionniste à la bande son minimaliste et enveloppante à la David Lynch, de l’absence de mode d’emploi aux mouvements discrets de caméra vers l’avant ou l’arrière, chaque élément appartient à une même sphère narrative émotionnelle et cérébrale. Le participant pénètre dans un univers complet de conte macabre par les yeux d’un petit garçon qui se réveille et dont l’éveil au monde, en quelque sorte, est naturellement fantasmatique et craintif. Un exemple parmi d’autre de la maîtrise artistique intime, aussi importante que le reste, la mise à mort chronique du personnage suggère elle aussi un commentaire à plusieurs niveaux. La lenteur de la fermeture au noir qui la conclut a déjà valeur d’ultime expiration et sert, comme le reste, à rythmer les palpitations du récit muet. Sa répétition cruelle et inévitable, chagrinante d’un point de vue émotionnel, mais non pénalisante en terme de jeu, distille un commentaire tragicomique sur ce principe mort/résurrection si fondamental au jeu vidéo tel qu’il existe depuis 30 ans. L’échec éventuel, la perplexité devant les décors en forme d’impasse ou de gouffre génèrent du récit. Ce temps de réserve individualise la relation psychique et somatique qu’entretiennent le joueur et le petit garçon à l’écran. Limbo fait preuve d’une énorme maturité d’expression physique et métaphysique non pas parce qu’il a le culot de mettre en scène des petits enfants suicidaires, mais parce qu’il réussit à concrétiser et à projeter devant nous la psyché sans garde-fou d’un enfant. Complètement référentiel (on pense à Another World), mais aussi tourné vers le futur artistique du jeu vidéo, Limbo n’est plus que du « jeu ».

2 / Heavy Rain (Quantic Dream/PS3) : Encore bancale et trop consciente d’elle-même en tant que jeu dans l’obligation de faire jouer, l’expérience ciné-interactive Heavy Rain laisse néanmoins une marque indélébile dans la mémoire du participant et la généalogie du jeu vidéo en général. Comme dans Fahrenheit, articuler le récit sur une histoire de psycho killer reste une solution bien racoleuse en direction, sans doute, des gamers, et finalement hors champ quand l’essentiel qualitatif se joue dans l’ordinaire des relations des personnages avec leur environnement proche. A ce titre, Heavy Rain réussit pleinement son pari de générer un suspens psychologique à la minute avec des choses banales et à créer une densité émotionnelle entre les personnages et le joueur.

3 / Enslaved : Odyssey to the West (Ninja Theory/PS3, Xbox 360, PC) : En quelques minutes explosives, Enslaved donne vie à deux personnages charismatiques, et à un monde complet avec ses ruines inédites, ses robots et drôles de machines tout aussi inoubliables. Enslaved s’approprie avec intelligence beaucoup de clichés avec une volonté de les transcender et de se rendre accessible à tous. Frustrant un moment pour un gamer averti, les rognages qui enlèvent du gameplay (esquisses de QTE à la God of War avec les boss, survol automatique des drones qui pourraient être pilotés par le joueur) sont autant au service de grand public que d’un récit initiatique qui ne doit pas s’arrêter en si bon chemin. Ce qui n’empêche pas de tomber sur des séquences retorses et des zones de creux. D’une manière générale, le chic et l’élégance, la générosité et l’envie d’en découdre avec les décors, le gameplay, le jeu des acteurs et la mise en scène, envoient mille signaux de bienvenue en direction d’un jeu vidéo respectueux et en quête de réinvention.

4 / Darksiders (Vigil Games/PS3, Xbox 360, PC) : L’outsider qui cache sans doute un des gameplay les plus complets et les plus sophistiqués de l’année derrière un design D&D trop souvent vu. Exploration, simili plate-forme, vol, combats à l’épée hack’n slash, progression des pouvoirs et gestion manuelle des améliorations, absolument chaque rouage du gameplay donne satisfaction aux bouts des doigts et du mental comme un jeu Rare ou Nintendo. C’est cette présence tactile fiable et stimulante au fil d’environnements et d’architectures sophistiqués qui permet de supporter le contexte gothico-démoniaque grandiloquent.

5 / Kirby Au fil de l’aventure (Good-Feel, Nintendo/ Wii, disponible USA, sortie 25 février Europe) : La Wii ne se porte jamais aussi bien que quand elle joue en 2D à réinventer les chartes graphiques normatives et oublie (hélas ?) les fonctionnalités de reconnaissance dans l’espace de la Wiimote. Bien plus qu’un simple décor qui ferait tapisserie, les fils à couture, cordages, boutons, fermetures éclairs et autres tissages (dessinés et non photo réalistes comme dans LittleBigPlanet qui l’inspire un peu) donnent prétexte à une multitude de trouvailles graphiques au service du gameplay. Devenu petite voiture ou tank géant, le transformiste Kirby continue un parcours de plate-forme à mi-chemin de l’expérimental et du grand public. Un grand classique comme le restent encore Yoshi’s Story sur Nintendo 64 ou les (Super) Mario Paper sur GameCube et Wii.

6 / Alan Wake (Remedy/Xbox 360) : Encore une grande envie de réconcilier cinéma et jeu vidéo qui n’arrive pas à proposer mieux qu’une cohabitation alternée. Mais, assez bien jouée et mise en scène, la tentative est ici belle et prenante parce qu’elle s’appuie sur un environnement naturel particulièrement bien restitué. Personnage central du jeu, la forêt nord-américaine, ses ombres, son vent, sa brume, ses chalets en bois et ses rivières dégagent une présence organique inédite. La puissance d’évocation est si forte qu’elle rend crédible les situations les plus gauches.

7 / Red Dead Redemption (Rockstar San Diego/PS3, Xbox 360) : Le jeu de l’année choisi par la majorité des édiles du jeu vidéo, Red Dead Redemption impressionne surtout parce qu’il réussit quelque chose que l’on croyait impossible : un GTA western où les paysages horizontaux remplacent ceux des buildings verticaux. Cette prouesse technique admise il reste un jeu d’aventure en manque flagrant de personnalité. RDR décline tous les clichés du western classique qu’on ne supporterait plus au cinéma, comme si le western spaghetti des années 70 n’était pas passé par là. Habité de beaucoup trop de figures génériques (et de raideurs et de bugs décidemment indécrottables des free roaming games), ce premier western interactif démontre surtout qu’il va être possible – une fois cette surprise passée – d’en créer bientôt un avec une vraie personnalité.

8 / Bayonetta/Vanquish (PlatinumGames/PS3, Xbox 360) : Il faut regrouper ces deux jeux dans le même bouillonnement créatif halluciné du « jeune » studio PlatinumGames qui balance sur le marché à une cadence improbable des jeux fous et énormes qui demanderaient des années à n’importe quelle autre équipe japonaise ou occidentale. Hyper racoleur, les deux projets manquent de finesse mais pas d’imagination. Toujours au service d’un gameplay fouillé à la japonaise malgré des compromis d’accessibilités plus ou moins bien amenés, les tourbillons graphiques et sonores sexués et ultra fétichistes entrainent le joueur dans un spectacle interactif proche de l’ivresse.

9 / Sports Champions/The Shoot (Zindagi Games/Sony/PS3) : Il fallait faire la preuve de la pertinence du PlayStation Move, vis à vis de la Wiimote de Nintendo qu’il plagie, par le jeu et non par un plan de communication massif. Et ce sont justement deux jeux d’allure modeste qui font totalement l’affaire. Tennis de table où le gamer retrouve ses tics et faiblesses de vrai joueur de ping-pong, lancé de frisbees hyper raffiné et, surtout, tir à l’arc incroyablement tangible, offrent une précision de jeu HD dans la compile Sports Champions qui renvoie l’approximatif Wii Sports à ses balbutiements de nouveau né. Quant aux supers plateaux de cinéma thématiques de The Shoot et son accessoire ultra kitsch PS Move Zapper, ils développent un superbe jeu de tir sur rails que le tir au canard de Wii Play n’avait fait qu’esquisser sans concrétisation sérieuse il y a déjà quatre ans. Le jeu à reconnaissance dans l’espace trouve ici la maturité technique qui va permettre aux gamers de se livrer avec confiance à de sérieux jeux comme le prochain Killzone 3.

Best of 2010 : La suite au prochain numéro

– Super Mario Galaxy 2 (Nintendo/Wii ) : La concession commerciale du chiffre 2 fait mal chez un Nintendo qui ne cache plus son jeu marketing. Totalement vertigineux et sans doute intimidant pour tous les créateurs du monde, le jeu laisse sur place toute la concurrence d’une galaxie à l’autre.

– Mass Effect 2 (Bioware/Xbox 360, PC, PS3 le 23 janvier) : Avec une partie action cette fois vraiment travaillée en accord avec ses visuels somptueux et son histoire fouillée, et non intrusive, Mass Effect 2 devient le jeu d’aventure total entrevu dans le premier épisode. Gros point noir : en l’absence d’option alternative, la VF insupportable oblige les anglophiles à mettre la main sur un exemplaire en VO (en provenance d’Angleterre par exemple).

– Rock Band 3 (Harmonix/PS3, Xbox 360) : Le clavier musical est une merveille (bien que trop cher) même si l’apprentissage difficile. Comme les modes pro qui entrainent les joueurs vers un véritable apprentissage des instruments de musique. Peut-être le chant du cygne du genre musical en désamour, mais quel chant !

– God of War III (Santa Monica Studio/PS3) : L’énorme sens du spectacle fait avaler un gameplay solide qui ne change pas plus que les enjeux.

– Halo Reach (Bungie/Xbox 360) : C’est léché, fluide, efficace, toujours bien accompagné musicalement mais enfin, combien de campagnes faut-il avant de passer à autre chose ? Bungie a en tous cas compris et change justement de camp. Ce qui n’empêchera pas de continuer à voir débarquer des jeux Halo…

Best of 2010 : Jeux indépendants (ou presque)

– Les Mésaventures de P.B. Winterbottom (XBL, PC) : Héritier direct des concepts mentaux de Braid mélangeant espace et temps et manipulations au millimètre, mais pas suiveur, ces mésaventures là se la jouent burlesque comme un film muet avec un cachet et un raffinement artistique qui en dit à son tour long sur les possibles audaces artistiques du jeu vidéo.

– Super Meat Boy (XBL, PC) : Une vivifiante revisitation de la mécanique de précision des jeux de plate-forme au touché aussi impeccable que l’humour moitié trash moitié gamin. Adulte sans le dire.

– 3D Dot Game Heroes (PS3) : Commercialisé en boite et en magasin, ce vibrant hommage à Zelda a Link to the Past aurait aussi bien pu se vendre directement en ligne dans la catégorie indé. Inégal mais à voir absolument, ce duplicata en pixel art du monde de Zelda souligne, en passant, combien un vrai Zelda innovant manque au monde du jeu vidéo depuis The Wind Waker.

– Lazy Raiders (XBL) : Une grande folie concentrée que ce puzzle-game plate-forme qui mélange design à l’ancienne, gameplay tourneboulant bien plus fouillé qu’il n’en a l’air, et animations à faire craquer toutes les générations.

– And Yet it Moves (Wiiware, aussi sur Mac) : Limite aride, presque trop sec, mais innovant, le concept aperçu sur Mac d’un jeu de plate-forme en papier froissé où il faut faire tourner le décor pour que le personnage progresse, est enfin devenu presque jouable grâce à la Wiimote.

– Saving Private Sheep (iPad, iPhone, iPod Touch) : Angry Birds par ci, Angry Birds par là, dans la même catégorie puzzle-destruction des décors on peut préférer les bêlements irrésistibles des moutons casqués et les regards hilarants du loup aux aguets.

Le meilleur du pire 2010 : les déceptions

– Gran Turismo 5 (PS3) : Psychorigide jusqu’à l’absurde, interface étouffée par une gaine d’un autre âge, techniquement en retard sur la concurrence (Need for Speed : Shift notamment), GT5 stigmatise, avec FFXIII, tout le retard technique et culturel pris par les développeurs japonais face à l’occident. La fin d’un mythe.

– Final Fantasy XIII (PS3) : Un autre symbole majeur du jeu vidéo japonais s’effondre. 15 ou 20 heures de jeu en couloir où les combats au tour par tour se pratiquent en boucle avant d’apprécier un jeu qui s’ouvrirait d’avantage ? Les aficionados patients de la série acceptent aveuglément cette aberration mais le marché, lui, ne suit pas, et il a cette fois raison. 6 mois plus tard, tristesse, le jeu se brade déjà au tiers de son prix initial. (On ne classera pas le MMORPG Final Fantasy XIV sur PC dans cette liste mais les innombrables problèmes techniques au démarrage confirment de graves déficiences de conception chez Square Enix).

– Epic Mickey (Wii) : Survendu par un vétéran du jeu vidéo PC qui n’a pas su recréer le touché interactif des modèles Nintendo qu’il visait.

– Steam sur Mac : Un mariage contre-nature qui ne prend pas encore (voir détails ici).

– Wii Party (Wii) : La laideur passe-partout et les innombrables messages expliquant en longueur des séquences de jeu qui ne durent que quelques secondes laissent plus que perplexe : indifférent.

– Dark Void (PS3, Xbox 360, PC) : Encore un des jeux ambitieux et totalement ratés téléguidés à l’extérieur par Capcom qui oblige l’éditeur à se replier au Japon.

– Sonic the Hedgehog 4 : Episode 1 (PSN, XBL, WiiWare) : La différence avec tous les jeux Sonic annuels est que tout le monde a cru à la réussite de celui-là. Et patatras.

– Game Room (XBL) : La salle d’arcade virtuelle façon PlayStation Home rétrogaming promise par Microsoft sur Xbox 360 se retrouve plombée par des interfaces laborieuses et une ambiance sans âme. Voir une première visite ici.

– Lost Planet 2 (PS3, Xbox 360, PC) : Capcom a autant de problèmes à piloter ses productions à l’étranger (cf Dark Void cette année) qu’en interne au Japon. En voulant chasser sur ses terres le gamer occidental supposément fan des jeux multijoueur, Lost Planet 2 perd une grande partie de ce qui faisait la qualité du premier jeu.

– Split/Second Velocity / Blur (PS3, Xbox 360, PC) : Ratage presque total de repositionnement pour deux studios spécialistes de la simulation d’arcade qui tentent des jeux de courses purement arcade et sans sens de la simulation. On s’y ennuie sans savoir vraiment pourquoi.

– Crackdown 2 (Xbox 360 ) : Une déception inattendue tellement le premier jeu assurait bien ses arrières. Comme quoi les suites peuvent parfois faire moins bien, techniquement et conceptuellement.

– Metroid Other M (Wii) : Encore un exemple d’une réussite japonaise originale qui perd son essence à vouloir s’occidentaliser. Quelle mauvaise idée de (mal) scénariser les péripéties, d’automatiser la visée et de transformer en bonne idée sur le papier en exercice pénible le changement de prise en main de la Wiimote (vue subjective/vue à la 3e personne) en plein combats de boss. Et visuellement, ce projet Wii n’est pas non plus à hauteur de la série.

– Dante’s Inferno (PS3) : Du culot, de l’effronterie même à vouloir arracher de force un gameplay à L’Enfer de Dante, sauf que le gameplay ressemble comme deux gouttes de sang à God of War. Les gamers qui connaissent depuis longtemps l’enfer mais pas la Divine Comédie ne se sont pas laissés impressionner.

– Aliens vs Predator (PS3, Xbox 360 PC) : L’aura des monstres et le capital interactif de leurs mondes restent si grands qu’on veut y croire à chaque fois, et puis, comme pour Sonic de l’autre côté du spectre : patatras. À ce niveau de ratages systématiques, on peut parler de malédiction.

Best of 2010 : Rééditions

Ils le méritaient bien, surtout de si belle manière…

– Grand Theft Auto : Chinatown Wars HD (iPad)

– God of War Collection (PS2 > PS3)

– Hydro Thunder Hurricane (Dreamcast > XBL)

– ChuChu Rocket HD ! (Dreamcast > iPad)

– Prince of Persia Retro (iPad)

– Sly Trilogy (PS2 > PS3)

Hors concours en 2010 :

Le PC et sa galaxie Blizzard, StarCraft II, WoW Expansion

– COD Black Ops, Medal of Honor, Battlefield Bad Company 2 : RAS same players shoot again and again (voir ici pour les échauffourées)

DS et PSP : Totalement effacées par les mobiles Apple, de l’iPod Touch à l’iPad. La relève est indispensable, et vite.

François Bliss de la Boissière

 


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King Kong : mariage mixte

Le cinéaste Peter Jackson a fait appel à un game designer français pour réaliser le jeu vidéo tiré de son film King Kong. Une alliance créative avant d’être commerciale.

King Kong

Peter Jackson, le réalisateur hirsute désormais mythique de la trilogie du Seigneur des Anneaux et du prochain remake de King Kong, parle aux médias par vidéo interposée : « Pendant les tournages je trouve toujours un moment pour jouer aux jeux vidéo. Dernièrement, le jeu Beyond Good & Evil m’a tellement plus que j’ai demandé à son auteur de réaliser le jeu tiré de mon film King Kong« . Cocorico ! Michel Ancel, l’auteur en question, est français ! Son éditeur Ubisoft, français aussi. Du jamais vu, les licences de films sont habituellement entre les mains des gros éditeurs américains. Mieux, alors que, en faillite, l’essentielle de la scène française du jeu vidéo s’est expatriée, Michel Ancel continue de travailler à Montpellier.

Credo : essayer d’imaginer un « film interactif »

Répétons-le, au risque de lasser : les jeux vidéo tirés de films sont rarement recommandables. Produits marketings aux qualités interactives discutables, ils ne font qu’exploiter la notoriété d’un blockbuster cinématographique. La situation s’améliore pourtant peu à peu, grâce aux énormes progrès technologiques et à l’implication d’une génération de cinéastes imprégnés de la culture jeu vidéo. Ainsi, Peter Jackson qui, non seulement a eu le bon goût de repérer un jeu d’aventure où l’héroïne est féminine, mais a poussé la délicatesse jusqu’à choisir de collaborer avec son auteur. « Peter Jackson a l’habitude de travailler avec des créatifs, explique Michel Ancel. À partir du moment où il a senti que nous étions dans l’esprit du film, il nous a laissé travailler librement ». Un seul credo : essayer d’imaginer un « film interactif » où l’immersion du joueur serait totale. L’écran n’affiche à cet effet aucune des indications techniques habituelles des jeux vidéo. Tout le design de l’aventure du jeu décalque celui du film. « Nous avons eu accès aux croquis préparatoires dessinés par Jackson lui-même, s’enthousiasme le producteur du jeu Xavier Poix. Nous avons ainsi utilisé tout le bestiaire, y compris des animaux non retenus pour le film« .

Projet commencé avant le film

Le développement d’un jeu vidéo ambitieux peut occuper des centaines de gens pendant plus de quatre ans. Celui de King Kong a démarré aussitôt le feu vert début 2004. « Comme la réalisation du jeu a commencé avant celle du film, les équipes de Weta Digital (studio d’effets spéciaux de Peter Jackson) ont eu la surprise de voir s’animer leurs créatures avant de les avoir eux-même créées« , s’enorgueillit Xavier Poix. La musique (interactive) devant être introduite au plus tôt dans la réalisation du jeu, un compositeur différent du film a été choisi. Une décision heureuse puisque, à six semaines de la sortie du film (14 décembre), le compositeur James Newton Howard remplace sans préavis Howard Shore ! Les cris effrayants de King Kong et des T-Rex ont aussi été fabriqués de toute pièce pour le jeu. L’écho déchirant de leur rage raisonnant encore dans la tête longtemps après l’avoir entendu, il n’y a pas à regretter la VO animalière du film. Surtout que les acteurs du film ont prêté leurs vraies voix aux dialogues additionnels (disponibles en VOST au côté d’une VF) et que les cris de détresse eux, sont bien assurés par Naomi Watts, la nouvelle fiancée du grand singe.

Spielberg d’abord

Si l’alliance artistique du jeu vidéo et du cinéma accouche d’un succès avec King Kong, la cohabitation des deux médias pourra s’autoriser une orientation plus créative. Les cinéastes interviendront d’avantage sur le développement des jeux inspirés de cinéma. On le sait peu, l’indémodable Steven Spielberg a par exemple initié, à partir de son film Il Faut Sauver le Soldat Ryan et le jeu Medal of Honor, le genre, depuis répandu, des simulations de guerre réaliste. D’ailleurs, son intérêt relancé par l’arrivée d’une nouvelle génération de consoles de jeux (Xbox 360, PlayStation 3) qu’il qualifie de prometteuse, le réalisateur d’E.T. vient de signer avec l’éditeur Electronic Arts pour concevoir trois jeux vidéo originaux, c’est à dire des jeux inspirés par aucun autre média ! Peter Jackson, enfin, dont la boulimie de travail a fini par avoir raison de son surpoids, s’est déclaré producteur exécutif du film Halo, un blockbuster du jeu vidéo dont il supervisera la montée jusqu’au grand écran.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 26 octobre 2005 dans TéléCinéObs)

 


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Lara Croft and The Guardian of Light : Vue de haut

L’aventurière la plus célèbre du jeu vidéo revient avec une double surprise dans son sac à dos : un partenaire pour l’aider à traverser les temples oubliés et une toute nouvelle interface de jeu.

Ainsi, au lieu d’épouser ses acrobaties au cœur de l’action comme d’habitude, ce jeu uniquement disponible en téléchargement réinvente un mode de contrôle à l’ancienne beaucoup plus simple inspiré des jeux « indépendants » actuellement en vogue. Toujours au dessus et à distance des décors, la vue englobe à la fois une bonne partie des décors et les déplacements de l’héroïne. Ce choix drastique au début volontairement déconcertant avec Lara Croft a aussi comme objectif de faire jouer une autre personne en même temps, sur le même écran TV (mode en ligne à venir). Au contrôle d’un indigène familier des lieux, le deuxième joueur aide Lara Croft à franchir les obstacles et à abattre les nombreuses créatures mythologiques. Qu’on ne s’y trompe pas, les décors apparemment simplifiés cachent autant de pièges retors et de chausse-trappes que d’habitude. L’exploration des salles est beaucoup moins libre qu’auparavant mais chacune d’entre elle abrite assez d’énigmes pour que le mélange d’action, de gymnastique et de réflexions maintienne sans cesse l’intérêt. Plus concentrée, mieux équilibrée, jouable à deux, cette aventure parallèle baptisée Lara Croft au lieu de Tomb Raider fait mieux que sortir de la cuisse de la série habituelle, elle ouvre une aristocratique nouvelle lignée.

  • Supports (téléchargement) : Xbox 360 (testée), PS3 et PC
  • 1 à 2 joueurs
  • PEGI * : à partir de 12 ans
  • Square-Enix
  • Prix : 15 € env.

François Bliss de la Boissière

(Avis publié en octobre 2010 dans le mensuel Comment ça marche)

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Limbo : Le cauchemar chef d’oeuvre

Le sombre et délicat Limbo a tout les atouts du chef d’œuvre. En mettant très simplement en scène un petit garçon qui doit sortir seul d’une dangereuse forêt pendant une nuit qui n’en finit pas, Limbo réussit l’improbable miracle d’offrir une vraie mécanique de jeu vidéo au service d’un monde mystérieux inoubliable. Parmi ses audaces, le jeu est en noir et blanc ! La bande son, elle, sans musique, créé un incroyable espace sonore à partir de sophistiqués et minimalistes bruitages (pluie, vent, craquements…). Mûrement conçue, et plutôt destinée à un public adulte tellement l’isolement du petit héros muet intimide, l’aventure s’apparente à un jeu de réflexion où il faut franchir méthodiquement les obstacles et les périls cruellement mortels. Gouffres, étangs, insectes géants, usine abandonnée, le parcours façon jeu de plateforme ne cesse de surprendre. En osant mélanger les contes de Grimm ou de Perrault (Le Petit Poucet) pour l’histoire, et le cinéma expressionniste allemand pour la forme, Limbo apporte de nouvelles dimensions culturelles, poétiques et émotionnelles au jeu vidéo que chacun appréciera à son niveau.

L’humain d’abord

Contrairement aux propositions mettant en scène un gameplay/concept à la limite de l’abstraction, Limbo place l’humain au cœur du projet. L’aventure ne se présente pas comme un pur objet interactif mais comme une œuvre qui réussit à intégrer l’interactivité à un ensemble de moyens d’expressions artistiques. Du noir et blanc expressionniste à la bande son minimaliste et enveloppante à la David Lynch, de l’absence de mode d’emploi aux mouvements discrets de caméra vers l’avant ou l’arrière, chaque élément appartient à une même sphère narrative émotionnelle et cérébrale. Le participant pénètre dans un univers complet de conte macabre par les yeux d’un petit garçon qui se réveille et dont l’éveil au monde, en quelque sorte, est naturellement fantasmatique et craintif. Un exemple parmi d’autre de la maîtrise artistique intime, aussi importante que le reste, la mise à mort chronique du personnage suggère elle aussi un commentaire à plusieurs niveaux. La lenteur de la fermeture au noir qui la conclut a déjà valeur d’ultime expiration et sert, comme le reste, à rythmer les palpitations du récit muet. Sa répétition cruelle et inévitable, chagrinante d’un point de vue émotionnel, mais non pénalisante en terme de jeu, distille un commentaire tragicomique sur ce principe mort/résurrection si fondamental au jeu vidéo tel qu’il existe depuis 30 ans. L’échec éventuel, la perplexité devant les décors en forme d’impasse ou de gouffre génèrent du récit. Ce temps de réserve individualise la relation psychique et somatique qu’entretiennent le joueur et le petit garçon à l’écran. Limbo fait preuve d’une énorme maturité d’expression physique et métaphysique non pas parce qu’il a le culot de mettre en scène des petits enfants suicidaires, mais parce qu’il réussit à concrétiser et à projeter devant nous la psyché sans garde-fou d’un enfant. Complètement référentiel (on pense à Another World), mais aussi tourné vers le futur artistique du jeu vidéo, Limbo n’est plus seulement du « jeu ».

François Bliss de la Boissière

(Digest d’un avis publié dans Comment ça marche en octobre 2010 et en Best of des jeux 2010 ici)

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Comète Mario à l’approche : une 3D toujours prisonnière de la 2D

Les 2 Super Mario Galaxy ont beau jouer avec les perspectives et les volumes comme nulle part ailleurs sur cette planète, ils s’attellent à contraindre Mario, et le joueur, dans de grands couloirs, ou des petites bulles. En 2008 nous pointions du doigt ce concept camouflé en regrettant la perte de liberté goutée avec Super Mario 64 et Super Mario Sunshine. En 2010 Shigeru Miyamoto en personne avalise la notion (merci à lui) et explique tout haut ce concept de gameplay 2D encapsulé dans un monde visuellement en 3D…
Mario Galaxy 2

En pleine euphorie consensuelle autour du premier Super Mario Galaxy en 2008, nous avions jugé nécessaire de lancer un débat qui n’avait pas lieu en qualifiant le jeu de « meilleur jeu 2,5 D de tous les temps ». Nous écrivions alors…

Mario Galaxy enlève au joueur la liberté d’explorer que lui avait donné Mario Sunshine et même, dans une moindre mesure, Mario 64. À ce titre, Mario Galaxy se donne visiblement le même objectif que Zelda Twilight Princess sur Wii : reconquérir coûte que coûte le cœur et les mains des gamers fidèles dont les variations 3D un tantinet relâchées ont fini par perturber, et donc décevoir. Un revirement à double tranchant. Les parcours hyper concentrés et pratiquement sans détour des niveaux de Mario Galaxy sont bien dignes des versions 2D. Mais après Mario Sunshine il s’agit d’un retour en arrière. Depuis toujours, les jeux Mario, Zelda et Metroid cumulent à chaque épisode les acquis des précédents. Une véritable gageure réussie par Nintendo de la 2D à la 3D. Pourtant, l’Observatoire de l’espace de Mario Galaxy n’est qu’un petit carrefour fonctionnel à côté du château de Mario 64 et de l’île Delfino de Mario Sunshine regorgeant de secrets. Quelques uns des niveaux de Mario 64 laissaient déjà un peu d’espace à une exploration vraiment libre (avant la sortie du jeu et en regardant les screens, les observateurs se demandaient déjà en quoi ces espaces «vides» auraient une pertinence ludique et interactive !). Puisque la 3D était acquise et les moyens d’occuper l’espace virtuel aussi, un bon nombre des niveaux de Mario Sunshine permettait de se «promener», de visiter les décors tout en allant à la découverte des surprises dissimulées. Une liberté d’aller et venir qui semblerait ne pas avoir tout à fait convenu à la majorité. Dans Mario Galaxy les parcours sont tous explicitement des trajets d’un point de départ (sans retour en arrière possible) à un point d’arrivée. Les quelques rares planètes permettant un peu de flânerie sont bien trop petites pour dégager un sentiment d’exploration. En réalité, un niveau (une «galaxie») est fragmenté en plusieurs mini planètes dont l’ensemble n’est jamais préhensible ni à pieds ni d’un regard (ce qui fait partie du charme et du mystère). Mario est redevenu le champion, certes tarabiscoté, du parcours A-B.

Cherchant à comprendre pourquoi, dans l’évolution de Mario, Nintendo avait jugé bon de brider la liberté de la 3D, nous poursuivions…

Pour reconquérir son public, Zelda Twilight Princess ramenait Link dans les lieux du jeu référent Ocarina of Time et compilait toutes les aptitudes précédentes. Dans Mario Galaxy, le retour aux valeurs sûres se fait en supprimant la liberté de déplacement du petit bonhomme en salopette et en inhibant le contrôle de la caméra dans une grande majorité de situations. Sans clairement identifier pourquoi, la pensée dominante considère donc que Mario Galaxy a retrouvé toutes ses qualités originales (que n’avait apparemment pas Mario Sunshine), qu’il est même le vrai descendant de Mario 64.

Avant de nous indigner…

Est-ce à dire que Mario ne s’exprimait pas comme il faut dans l’espace 3D plus ouvert de Sunshine ? Qu’il s’éloignait trop de son essence ? Que la réalisation était mal adaptée ? Ne serait-ce pas plutôt le public qui n’a pas su ou voulu suivre l’évolution de Mario vers plus de liberté et de responsabilité ? Car dans Sunshine Mario ne faisait pas que courir après la Princesse Peach. Condamné à tort au nettoyage de l’environnement, par les autorités de l’île où il comptait passer ses vacances, le plombier oisif se retrouvait avec des responsabilités écologiques et civiques. Le pistolet à eau donnait au Jump Man de Miyamoto une prise sur le monde qu’il n’avait jamais eu auparavant. Pour la première fois Mario pouvait impacter sur son environnement avec d’autres outils que son ventre, quand il glisse, son postérieur et sa tête, quand il saute. L’opinion générale a donc rejeté ce Mario presque administré, libre de circuler mais, interdit de vacances, enfin utile. Alors, rejeté par une humanité encore primitive qui n’a pas voulu de lui parmi elle, Mario, le petit prince déguisé en crapaud depuis toujours, s’est arraché à la pesanteur terrestre et s’en est allé tout là-haut voir si son destin ne serait pas finalement plus cosmique que terre-à-terre.

Puis de rendre hommage au talent…

Le génie total de Nintendo est de (presque) réussir à faire oublier que Mario Galaxy est un retour en arrière par rapport à Mario Sunshine. Le vire-voltage permanent du personnage d’une planète à l’autre – et cette fois il vole vraiment comme Superman, mais sans le contrôle du joueur –, la constante impression de sens-dessus-dessous, la folie visuelle provoquée par toutes sortes de mécanismes aux lois physiques autonomes, alimentent une ivresse jouissive, fiévreuse et aveuglante. Mario s’agite beaucoup mais pris dans un perpétuel effet d’entrainement il ne contrôle rien. Quand il a l’opportunité de courir librement, il tourne littéralement en rond sur de petites planètes dont il fait vite le tour. Les seules vraies occasions de franchir du terrain, ou plutôt de l’espace, sont automatisées. Quand le joueur a la main, il est merveilleusement et inexorablement guidé vers un objectif. Sauf à croiser le chemin de planètes « blagueuses » plus challenges, les parcours se font sans chronomètre, il reste donc possible de prendre son temps, de regarder alentour. Sauf que la caméra garde souvent une position prédéterminée et fixe et que la vue subjective, elle aussi pas systématiquement possible, ne laisse pas voir grand-chose puisque les petites surfaces des planètes sont courbes. Au mieux peut-on observer quelques amas de planètes suspendues dans le vide lointain comme le petit Link de Wind Waker repérait au loin une île perdue dans l’immensité de l’océan. Link pouvait alors décider de s’y rendre, Mario lui, doit subir le diktat du jeu.

Et de conclure…

Si la raison d’être ontologique de la 3D virtuelle est d’offrir un espace à arpenter ou posséder, à l’instar d’un Pandemonium ou d’un Crash Bandicoot, Mario Galaxy et ses parcours fléchés dans le cosmos ne serait-il pas le summum du jeu 2D camouflé dans un environnement 3D ? Est-ce que cela lui enlève ses qualités, son inventivité, sa folie ? Non, bien sûr.

Aujourd’hui, Super Mario Galaxy 2 prolonge et sans doute surclasse Galaxy 1. Et au moment où, à nouveau, personne ne soulève la question d’une 3D téléguidée allant chercher dans un monde en volume l’essence d’un gameplay en 2D, Shigeru Miyamoto explique publiquement son projet d’accommoder la 3D à un gameplay en 2D. Voici quelques extraits de son échange avec Satoru Iwata désormais disponible en bonne VF…

« Jouer un jeu en 3D comme s’il s’agissait de 2D »

Satoru Iwata : J’ai l’impression que les gens disent souvent “J’ai tendance à me perdre dans un Mario en 3D alors que ça ne m’arrive jamais avec les jeux en 2D ” ou encore “Les Mario en 3D sont plus difficiles que les Mario en 2D, je ne peux pas y jouer”. J’ai le sentiment que vous avez voulu attaquer ce problème de front.

Shigeru Miyamoto : Oui, mais je pense aussi que nous avons résolu certains problèmes liés aux Mario en 3D avec le premier Mario Galaxy. Vous arpentez des sphères, par conséquent, si vous marchez tout droit, vous finirez toujours par revenir à votre point de départ.

Satoru Iwata : Vous ne pouvez pas vous perdre.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Nous avons remarqué autre chose durant le développement de Mario Galaxy 2. On parle souvent des jeux Mario en 3D, mais en fait, c’est simplement le monde qui vous entoure qui est en 3D. Les aspects les plus amusants du gameplay sont liés à la 2D.

Satoru Iwata : Qu’entendez-vous par là ?

Shigeru Miyamoto : Eh bien, même si le terrain est en 3D, il contient de nombreux objets ainsi que le personnage de Mario. Si vous observez le terrain du dessus, il est plat.

Satoru Iwata : Ah, je vois. Si la caméra est placée au-dessus de votre tête ou sur le côté, vous pouvez y jouer comme s’il s’agissait d’un titre en 2D.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Contrairement aux Mario en 2D qui ne proposent qu’une vue de côté, les jeux en 3D offrent un changement bienvenu, car ils ne comportent pas seulement une surface plane, mais incluent également de la profondeur.

(…)

Satoru Iwata : Le monde est en 3D, mais vous avez mis de côté tous les aspects propres à la 3D qui risquaient de dérouter ou de déstabiliser le joueur. Vous avez consciemment développé le jeu pour que la 2D soit son principal atout.

Shigeru Miyamoto : Oui, c’est pour ça que je pense qu’il est facile à prendre en main.

François Bliss de la Boissière


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BIOSHOCK 2 : Aquabon ?

Faut-il ou non replonger dans Rapture ? Même en avançant avec humilité et respect, l’opportunisme mercantile peut-il reconditionner sans dommage une œuvre assez marquante pour mériter d’exister sans suite ? Faut-il cautionner une nouvelle descente en apnée dans un enfer unique tout juste maintenu à distance par les eaux de l’Océan ? En gros, Bioshock 2 nous fait-il boire la tasse et prendre les vessies d’une redite pour les lanternes d’un premier jeu brillant ?
 Bioshock 2
Phénomène totalement inhabituel, des développeurs américains jusqu’aux attachés de presse stagiaires délégués pour présenter le jeu, l’essentiel de la communication de Bioshock 2 s’est articulée sur le thème de la modestie. L’ordinaire de la communication du jeu vidéo à suite surjoue habituellement la surenchère. Uncharted 2, Assassin’s Creed 2 et Mass Effect 2 n’y ont récemment pas échappé. Leurs suites devaient corriger les « approximations » (aveux à postériori transformés en un nouvel argument de vente), améliorer les conditions de gameplay, décupler l’impact audiovisuel et tactile. Pas Bioshock 2.

Prenant le taureau par les cornes, l’éditeur 2K Games a préféré désamorcer en amont les procès d’intention. Rien n’égalera le premier jeu. La suite ne doit pas altérer le souvenir de l’original, ni brusquer son univers, ses appétences intellectuelles, ses codes esthétiques et interactifs. Rarement propagande aura pris autant de précaution à faire savoir qu’une suite ne cherchera pas à « faire mieux » et se contentera de prolonger un univers qui, sous entendu, ne nécessitait, « nous sommes tous d’accord », ni revisitation ni réhabilitation. Bioshock 2 a donc été conçu pour les fans du 1. Comprendre : ceux parmi les fans qui ne peuvent s’empêcher de réclamer une nouvelle casserole d’un plat qu’ils apprécient. Les autres fans, ceux qui pensent qu’un jeu vidéo devrait se suffire à lui-même comme un livre, une BD ou un film, ceux-là, devront s’incliner devant les fans affamés qu’il serait odieux de priver. L’éditeur vient d’annoncer que Bioshock 2 s’était déjà vendu à 3 millions d’exemplaires en un mois quand le premier Bioshock atteint un joli 4 millions en deux ans et demi de commercialisation. Si l’univers peut se réduire à une équation, nulle doute qu’un jeu vidéo peut se légitimer par une addition.

Recette salée
Sans tabou ni trompette mais avec quelques suspicions quand même, Bioshock 2 vient donc servir la soupe. Salée, toujours, puisque l’océan, plus présent que jamais autour d »une cité au bord de l’implosion, et le sang mêlé aux flaques d’essence, continuent de suinter et couler des sols craquelés aux plafonds fissurés. De choc il n’y a plus. L’onde du bang original fut néanmoins si forte que son écho rebondit encore sans effort des couloirs vitreux aux halls majestueux de la métropole engloutie. Une ville souvenir d’elle-même dans le premier jeu, une ville souvenir du premier jeu dans le deuxième. Assez littérale et forcément non préméditée, la mise en abîme fonctionne. Le scénario sonne juste aussi, bien qu’il se cogne aux logiques de gameplay. Ainsi, l’idée d’endosser le scaphandre d’un Big Daddy (Protecteur en VF) serait complètement bonne si elle avait joué le jeu jusqu’au bout de l’identification. Mais puisqu’il est impensable de laisser le joueur durablement enfermé dans la carapace 20 000 lieues sous les mers de gros gardes du corps, mahousse costauds mais lourdauds, et lents d’esprit, les injections de Plasmides et autres Fortifiants devront suffire à justifier qu’il bougeât très vite comme un athlète. Et donc trahir l’image et la pesanteur trainées par les intimidants Big Daddy de Bioshock 1.

Trivialités
Le Rapture d’Andrew Ryan se voulait un espace de liberté individuelle, mais Flèche pointeuse et portes verrouillées tracent un chemin rigide et sans finesse dans les ruines au bord de l’apoplexie finale. Le vagabondage architectural se justifie moins que le reniflage trivial des recoins. Par un mécanisme de transfert mental automatique, l’espace au fond plutôt vide, se densifie artificiellement avec la multitude de pseudos objets à collecter dans chaque coffre oublié, caisse enregistreuse, bars et autres planques. Et bien sûr, avec toujours le même mauvais goût qui empêche ce jeu vidéo, comme le premier, de s’élever vers la noblesse qu’il frôle, en dépouillant les cadavres d’humains mutants aux corps disloqués, brûlés, mitraillés, électrifiés… La brutalité physique s’impose toujours. Malgré la belle sélection d’armes et de pouvoirs, bien décrites, désignées et mises en scène, les combats font plus brouillons que jamais. Les adversaires aux capacités physiques variées, telles les nouvelles Grandes Soeurs, ne se déplacent pas en respectant des lois physiques que l’on peut appréhender ou anticiper. Ils sautent dans toutes les directions, s’éloignent ou s’approchent à des vélocités inattendues ou restent bêtement à portée de coups de crosse comme les maniaques suicidaires qu’ils sont. Le décor fracassé où le joueur ne peut jamais vraiment anticiper les distances, cachettes et surplombs, offre toujours aux adversaires l’avantage, même passé la surprise. Seules les plus habiles réussiront à jouer avec le décor plutôt que contre. L’outillage mécano-magique relativement sophistiqué ne conduit ainsi généralement qu’à des affrontements pratiqués à l’instinct, au réflexe. Des bagarres qui finissent, dans tous les cas, en carnages incontrôlables.

Pour et contre
Dès que l’on cesse de discutailler le bien fondé de cette suite, l’ensemble fait la blague. Surtout quand il se contente de décliner respectueusement l’univers original. Lorsque Bioshock 2 tente de s’envoler de quelques encablures inédites, l’absence de Ken Levine, le visionnaire à l’origine du premier choc, se fait sentir. Bonne idée sur le papier, les passages sous l’eau que permet le scaphandre du Big Daddy manque, par exemple, singulièrement d’envergure visuelle et matérielle. Les malignes récréations cérébrales des phases de piratages du premier Bioshock, ont été remplacées ici par un jeu de réflexe métronomique bien réducteur. Là encore, paraît-il, il s’agit de répondre aux réclamations des « fans ». Mais où s’exprime donc cette majorité qui impose ses lois appauvrissantes aux amateurs satisfaits et silencieux ? Assagis, les visages des Petites sœurs ont ainsi perdu l’étrangeté, digne mais franchement perturbée, du premier jeu. Ils sont lissés de toute aspérité subversive tout comme les moments originellement si importants où le joueur décide d’épargner la Petite Sœur ou de lui soutirer tout l’Adam quelle possède. Ces instants dramaturgiques cruciaux ont perdu tout impact. Ils reflètent une des grandes carences d’un jeu revu et corrigé pour plaire à un plus grand nombre encore : la mise en scène. Rien ne remplace ici l’introduction du premier jeu ni aucune des scènes poignantes de Bioshock 1. Si le contexte physique peut faire illusion, sa mise en situation tombe à plat.

Les larmes se perdent dans l’océan
L’éditeur 2K Games a bien de la chance. La richesse de l’univers visuel, auditif, et scénaristique du premier Bioshock a marqué si profondément qu’il entraine de facto un désir d’y retourner. A-t-on bien tout vu dans le premier épisode ? A-t-on tout compris d’une fiction aux ramifications complexes et au thème politique majeur ? C’est grâce à ce sentiment de jeu plus grand que sa condition qu’un Bioshock 2 trouve sa place. Dès les premières notes profondes du lancinant violoncelle, les craquements des vieux gramophones crachant de vieux tubes du début du XXe siècle ou des magnétophones où s’expriment cette fois des femmes à leur tour emportées par les folies de l’utopie Rapture *, tout un univers sensible se réactive. Le monde écroulé de Bioshock se nourrit d’un passé régurgité qu’un Bioshock 2 même fatigué n’a aucun mal à ruminer. Même en partie dévitalisée, la dimension artistique du jeu perdure et se laisse visiter, armes à la main bien sûr, comme une gigantesque galerie in situ. Assumons notre faiblesse collective pour les gouttes d’Adam et d’Eve qu’il reste à téter et laissons les Petites Sœurs orphelines se charger de sangloter sur l’autel du premier Bioshock.

* « Si le monde moderne avait été un de mes patients, j’aurais diagnostiqué un profil suicidaire… En cela, Andrew Ryan avait raison. Rapture… est une délivrance ». Sofia Lamb, politicienne et psychiatre qui a pris la place d’Andrew Ryan.

François Bliss de la Boissière

 


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HEAVY RAIN : En quête d’hauteur

En 2008, l’existence risquée de Mirror’s Edge dans un contexte jeu vidéo au fond très conservateur avait conduit à militer pour son audace et à le qualifier de « jeu indispensable ». Heavy Rain fait partie des jeux de cette trempe. Que l’on aime ou pas, ou plutôt, que l’on saisisse ou pas ce qu’il veut véhiculer ou transformer dans le jeu vidéo, il devait exister et son message interactif doit être encouragé.

Heavy Rain

Comme son jeu à mi parcours du loisir interactif et du spectacle cinématographique, son auteur David Cage avance sur le fil du rasoir. Aimer le médium jeu vidéo au point de vouloir le transformer contre lui-même et les attentes d’un public à la passion fébrile, et donc de dénoncer ses limites, relève de l’exercice kamikaze. Un simple critique habitué au pilori public numérique le sait déjà. Embarqué dans le même diagnostique, un « créateur » de jeu comme Cage a le mérite d’aller plus loin et de jouer sa chemise et quatre ans de sa vie pour le démontrer. Il concrétise sa critique théorique avec une proposition interactive qui porte en elle le message. Comme un dessin ou une musique, un jeu vidéo peut valoir tous les discours. L’atypie d’Heavy Rain par rapport aux habitudes du jeu vidéo montre par l’exemple ce qu’il est possible d’imaginer. Oui, hurle chaque goutte de pluie d’Heavy Rain, il est autorisé de faire un jeu au rythme tranquille, sans hystérie gratuite, sans obligation de répéter ad vitam nauseam les mêmes gestes, sans combos, sans game over. Le message passe très vite au cerveau et dans les doigts du joueur quand il rate trois fois de suite le geste demandé pour aider la compagne du premier personnage à porter les commissions au début de l’histoire. L’épouse se détourne naturellement de son mari en soupirant de sa maladresse, et le joueur de se retrouver, comme le personnage virtuel, piteux de ne pas avoir réussi ce minimum de galanterie. Dans un ensemble assez bien équilibré de conventions stéréotypées de la vie de tous les jours, de mise en scène entre cinéma et télé réalité, et de respiration sonore et musicale qui surjoue ce que les personnages de polygones ne peuvent encore tout à fait exprimer, Heavy Rain arrive à entrainer le joueur, au sens large, sur un territoire qu’il n’a pas encore visité.

Héritages

Exorcisons les reproches faciles. Bien sûr les histoires à choix multiples existent au moins depuis Dragon’s Lair, les QTE depuis Shenmue, puis Resident Evil 4, et les QTE combos depuis God of War. Évidemment, les pulsions sanguines de la musique à la Se7en, les typos flottantes dans le décor du générique façon Panic Room, puis l’obsession serial killer, font planer l’ombre de David Fincher sur nombre d’éléments cinématographiques d’Heavy Rain. Du côté jeu, la mélancolie et le voyage introspectif des pères et maris de Silent Hill 1 et 2 à la recherche de leur fille ou de leur femme ont aussi beaucoup marqué l’auteur. Jusqu’à la contemplation désolée du reflet dans le miroir… Et Heavy Rain, ses splits screens, ses étranges demandes d’action en temps réel descendent de Fahrenheit, le précédent jeu de Quantic Dream. Les emprunts se voient, et alors ? Cage se dédouane avec une lapalissade. Tout art découle des précédents, le cinéma a emprunté au théâtre, à la photographie… Le jeu vidéo a le droit d’emprunter à ses prédécesseurs. Les enfants miment les parents jusqu’à trouver leur propre personnalité. En tant que moyen d’expression le jeu vidéo étant toujours dans l’adolescence, quoi de plus naturel. La difficulté dans un projet ambitieux comme Heavy Rain étant évidemment de trouver la bonne distance entre influences culturelles constitutives et citations trop littérales. Une observation fragmentaire à la loupe du jeu peut révéler de nombreux copiés/collés mais pris comme un tout, Heavy Rain est bel et bien une entité pleine, autonome, et artistiquement légitime.

Jouer avec

Heavy Rain joue donc à faire du cinéma. Mais contrairement aux interminables et lourdingues impositions de cinématiques non interactives d’un Metal Gear Solid, voire même les Assassin’s Creed, le jeu n’immobilise pas le joueur. Il y a, de fait, des moments où l’histoire avance toute seule, sans intervention tactile du joueur. Mais le savoir-faire du jeu et la qualité interne de son rythme font passer inaperçus ces courts moments là. Car la réussite de la réalisation tient à la charge émotionnelle que le joueur finit progressivement par accumuler. Il devient presque aussi indispensable, voire plus, de savoir ce qu’il va se passer ensuite plutôt que de réussir la prochaine action. Et ce malgré de grosses ficelles mélodramatiques. Cage et son équipe ont trouvé un singulier milieu d’intérêt concerné entre passivité et interaction. L’inaction se vit bien parce qu’elle reste porteuse d’intensité. De son côté, et sans que l’on ressente un va et vient artificiel, l’interactivité qui provoque volontairement des ratages, s’accepte parce qu’elle enchaine toujours sur un morceau d’histoire cohérent et des comportements humains relativement crédibles au sein de la fiction.

Pause et pose

Contrairement à un film qui entraine le spectateur dans son inexorable emballement, le jeu vidéo permet à son utilisateur, un peu comme un lecteur de bande dessinée, de choisir son rythme sans interrompre le programme, sa « magie ». Les protagonistes d’Heavy Rain peuvent à volonté regarder par la fenêtre, s’assoir et réfléchir. Avec une caméra toujours instable induisant, selon les situations et l’interprétation subjective, curiosité, paranoïa ou empathie, à travers les regards imaginaires d’un voyeur, d’un espion hors champ ou, plus pénétrant encore, d’un méta point de vue plus ou moins objectif, on regarde ici les personnages penser. Hérésie pour les adeptes du jeu vidéo frénétique de naissance, avancée culturelle pour ceux qui ont vu dans le lointain Myst et ses suites une fusion exceptionnelle du récit explicite et implicite grâce à ses touches interactives chirurgicales.

Abstractions interactives

Les audaces conceptuelles et tactiles d’Heavy Rain brillent autant parce qu’elles font exploser plusieurs bulles de conventions du jeu vidéo prisonnier de lui-même. Bien amenées, des situations ordinaires comme se raser sans se couper, faire cuire une omelette pour une invitée en détresse, regarder un petit garçon triste faire ses devoirs, ou essayer en vain de le distraire en l’entrainant vers la balançoire ou un manège, peuvent générer plus d’intensité dramatique que tous les affrontements intergalactiques. La fascination provoquée par les énormes gros plans des visages animés en guise de salle d’attente entre deux chapitres ne s’épuise pas avant la fin de l’aventure parce qu’ils imposent une humanité troublante derrière leur étrangeté polygonale. Comme les séries TV US modernes, la narration chapitrée ose les ellipses de façon à laisser des moments en suspens, des petits trous narratifs qui occupent et déconcertent le joueur malgré lui. C’est grâce à cela que les énigmes puzzles plus ou moins bateau des enquêtes croisées se vivent avant tout à travers le parcours émotionnel des uns et des autres et non le déroulé arithmétique des indices. Le rébus général cherche au fond le diagramme d’un damier émotionnel. En attendant, sans doute, de trouver un échiquier plus complexe et subtil.

Le final cut moebius

Les rares scènes d’action violente où un personnage peut vraiment mourir au sein de l’histoire, et ne plus appartenir au récit qui va continuer, génèrent de fascinantes et inédites émotions. Le jeu touchant là de nouvelles strates psycho-cognitives, l’impact sur le participant ne sera pas décryptable du jour au lendemain. David Cage a beau rationnaliser à longueur d’interviews, il y a évidemment ici des choix de game design, de situations et de déclinaisons narratives qui relèvent plus de l’instinct que de la raison. Long à s’afficher parce que enregistrant le parcours singulier du joueur à travers l’histoire, le superbe et malin générique final, alors personnalisé, affiche d’une manière énergique des bribes de récit non croisés par le joueur. Une incitation futée à revivre l’aventure qui vaut bien tous les scores chiffrés du monde. Petit frère d’Avatar sur bien des points – avancées techniques et performance capture en première ligne – à moins d’un miracle, Heavy Rain, ne changera pas du jour au lendemain l’industrie du jeu vidéo comme le film de James Cameron vient de bousculer le monde du cinéma. Mais il a le potentiel de changer le regard que le monde porte sur le jeu vidéo. À chacun sa révolution.

François Bliss de la Boissière

 


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Mass Effect 2, version IMAX

À jeu géant, présentation hors norme. Electronic Arts a fait de son mieux pour entrainer les médias dans l’espace. Dans la salle IMAX de la Géode à Paris on ne vous entend pas non plus vraiment crier, ou alors d’étonnement.

Mass Effect 2

Il n’est même pas nécessaire de passer par l’écran de la Géode comme en a eu l’initiative Electronic Arts jeudi dernier pour s’en rendre compte. Mass Effect 2 est très probablement le plus beau jeu Xbox 360, toutes périodes confondues. Il s’aligne et dépasse même sans doute le haut de gamme de la PlayStation 3 comme Uncharted 2. Le level design rigoureux aperçu de Mass Effect 2 (MA2), la taille contrôlée des environnements explorables, comme dans Uncharted justement, permet au studio Bioware de pousser au maximum tous les effets de textures, de lumières, de reflets, de transparences, de forcer sur les polygones jusqu’à bien arrondir les angles des corps et volumes et ajouter une infinité de détails sur les équipements des héros. Les visages eux-mêmes impressionnent de finesse. Humains avec ou sans cicatrices, ou extra-terrestres frippés avec boursoufflures et ridules géantes. Tout cela sans qu’une baisse de framerate ne se fasse remarquer pendant les scènes d’action. À quelques effets d’escaliers près aperçus sur les petits écrans Samsung de démonstration, le rendu graphique correspond à celui des bandes-annonces HD téléchargeables sur Xbox 360. Mass Effect 2 est définitivement un jeu de 3e génération sur Xbox 360. Pour donner un ordre d’idée, la qualité visuelle en temps réel frôle celle du film en images de synthèse Final Fantasy : Les créatures de l’esprit. Un compliment pour le jeu mais le film datant de 2001, on voit que le jeu vidéo a encore un net retard sur les capacités digitales du cinéma. Presque 10 ans si l’on prend Mass Effect 2 en repère.

L’éditeur semble être tout à fait conscient des qualités visuelles exceptionnelles de MA2 et plutôt que de le déclarer au porte-voix, une présentation sur l’écran IMAX de la Géode à Paris valait bien des discours. Pas d’entourloupe, quoiqu’incurvée, l’image du jeu a bien gardé ses proportions 16/9 mais n’occupait évidemment qu’une partie de l’écran hémisphérique. Voir un jeu projeté dans de telles dimensions, assis dans de vrais fauteuils de cinéma occupés par plusieurs centaines de personnes, médias et gamers invités, provoque un drôle d’effet. D’abord une belle sensation de confort et d’immersion digne du cinéma, puis l’impression que le jeu vidéo, brusquement, a les ressources technologiques suffisantes pour passer à la vitesse supérieure. Ou plutôt à la taille supérieure. L’affichage géant accentuait forcément l’aliasing et enlevait éclat et contrastes aux couleurs, mais le choc était réel. Impeccables et proches des joueurs, speech et démonstration en temps réel d’Adrien Chow, « producteur » chez Bioware nous dit-on, a fait grande impression. Sa routine pourtant maintes fois répétées à travers le monde avant la France ne se ressentait pas en dehors de l’absence totale d’hésitations. Un sacré professionnel de la communication.

C’est bien gentil ces histoires de « graphismes » crie un lecteur au fond de la salle, mais le jeu lui-même que vaut-il ? Pour y répondre sérieusement il faut y toucher, ce qui n’a pas encore été le cas. L’observation minutieuse des joueurs aux manettes dans la salle d’attente avant la « séance » a tout de même permis de relever de belles choses. Reconfirmons-le encore une fois, on peut croire toutes les bandes-annonces, en version HD. Dès la création du héros, au choix masculin ou féminin, la différence avec le premier Mass Effect se ressent. Les scènes de dialogues, en anglais, sonnent plus « vraies » que le premier épisode. Le principe de sélection des répliques pose toujours un problème de latence au milieu des conversations et continue d’enlever tout sens du rythme que doit avoir une scène de dialogue entre plusieurs personnes. Le problème conceptuel de cohérence narrative provoqué par ces dialogues à choix multiple adorés par les amateurs de jeux de rôle à textes n’est pas encore résolu. Ni ici ni ailleurs. Les cadrages, voire le montage, redonnent heureusement du lustre cinématographique à ces scènes trop hachées. Les séquences de tir, toujours à la 3e personne et très vite au début de l’aventure, sont d’évidence beaucoup plus nerveuses. À l’œil, on jurerait qu’elles appartiennent à un jeu d’action à part entière contrairement aux mous échanges de Mass Effect 01. Après le bel exemple de Borderlands, la cohabitation d’un jeu d’action digne de ce nom et du jeu de rôle sans compromis de Mass Effect 2 semble enfin confirmer la fusion prochaine, complémentaire et systématique, des genres pour atteindre l’idéal d’un jeu total sans point faible (à moins de travailler volontairement à des jeux de rôle rétro concept descendant directement des jeux de rôles papier ou de plateau). Un petit doigt nous dit qu’un des meilleurs exemples de cette fusion viendra de la nouvelle couveuse id Software (Quake, Rage…) et Bethesda Sofware (les Fallout et Elder Scrolls).
Parmi la multitude de détails contenus dans un Mass Effect 2 visiblement réalisé avec beaucoup d’amour et d’attention, le contrôle manuel de son petit vaisseau, presque comme celui du Capitaine Olimar dans Pikmin, de planètes en planètes sur la carte en 3D de la galaxie, montre que, malgré son grand sérieux, ce Space Opera là veut aussi détendre l’atmosphère. L’aquarium géant à entretenir dans les quartiers du héros et le « hamster de l’espace » dans sa cage y contribuent aussi.

Nota bene, les dessous du jeu vidéo…
Pas facile de suivre. À la présentation presse de jeudi dernier à la Géode, le 21, tout le monde a été obligé de s’engager, en apposant sa signature, à ne rien publier sur le jeu avant le 26. Aujourd’hui jeudi 26, des tests, et non des avant-premières, fleurissent sur les sites français. À quoi bon cette présentation d’un soir et cet embargo factice si, au fond, des versions de tests allaient être mises à disposition de certains magazines et qu’aucun papier dit de « preview » ne pouvait sortir entre-temps ? Les coulisses de la presse jeu vidéo deviennent de plus en plus tordues, et contrôlées. Passons.

François Bliss de la Boissière

 


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