Super Mario 3D World : Le courage du ridicule

Si le ridicule ne tue pas, il rend plus fort ? Mario golfeur, footballeur, piloteur, brawleur, baseballeur, raton laveur et maintenant Mario… cat-cheur, enfin chaton, capable de grimper les murs mais aussi condamné à trotter à quatre pattes ? Miaou quoi !

Super-Mario-3D-World

Pour Nintendo, visiblement, le ridicule donne surtout l’occasion de s’arracher aux carcans de sa propre Histoire. Une fois en mains, séduisante comme une peluche vivante, Mario chat fait craquer n’importe quelle carapace endurcie. Surtout qu’il grimpe désespérément aux murs sur le modèle des YouTube cats. Ouvertement bâtard, ce Mario Wii U tente de rassembler dans une même party les Mario Bros en scrolling horizontal jouables à plusieurs (Wii et Wii U) et le parcours exploratoire dans un espace limité du Mario 3D Land de la 3DS. Les stages enchaînent ainsi des plateaux de tailles variables à traverser sans grande rigueur, et de courtes sections de plateforming plus classiques 2D. Le mash-up conceptuel déconcerte l’esprit puis les sens. Notamment lors des parties à trois ou quatre. Plus brouillonne encore en 3D, la traversée à plusieurs des niveaux devient un improbable exercice d’éparpillement de l’attention. À l’instar d’un Super Smash Bros, le jeu de plate-forme mute en une mêlée confuse où le programme jongle avec des centaines d’éléments mobiles à l’écran (les équipes Nintendo rejouent sans cesse la démo techno des 128 Marios présentée par Miyamoto en 2000) et prend la main d’autorité sur les personnages à la traine pour les ramener dans la course. L’exercice devient alors une sorte de mode panique collectif permanent. Jouer seul, heureusement, réinjecte un peu de sérénité dans le Royaume Champignon aux allures de parc d’attractions à la Nintendoland. Plus accompagnateur que punitif, le jeu morcelle les niveaux et styles de jeux en d’innombrables et plutôt courtes sections (glissades aquatiques et courses sur circuit font partie du lot). Mais ce qui surnage, au fond, dans le palpitant exercice d’équilibriste têtu si souvent surjoué, est esthétique. La Wii U offre enfin à Nintendo l’occasion de définir à quoi son petit monde doit ressembler en haute définition, de se mettre enfin à la hauteur visuelle du grand modèle Disney. À cet égard, tout brille et épate mais rien n’est encore tout à fait joué. Aussi réjouissant qu’écœurant, entre extase obscène et vulgarité pop-fluo transcendée, le mélange de saccharine et de plastique numérique adopté par ce Mario World HD se cherche encore, comme son gameplay tout terrain, un style propre.

  • Super Mario 3D World / Nintendo / Wii U / 1 à 4 joueurs

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Quantic Dream, un studio terre à terre

Lors de notre rencontre avec David Cage fin 2013 au moment de la sortie et donc de la promotion de Beyond : Two Souls, nous avons demandé au « maître artisan » David Cage (voir entretien fleuve complet) également maître des lieux de nous faire rapidement visiter son studio parisien…

Quantic Dream by Bliss

Installé depuis 1997 dans le 20e arrondissement sur la petite ceinture bordant Paris à l’est, pas très loin des bureaux d’Ubisoft campés à Montreuil, le studio de David Cage codirigé par Guillaume de Fondaumière s’est considérablement agrandi depuis le succès de Heavy Rain (3,5 millions d’exemplaires vendus). En 2004 le studio employait 60 personnes. Aujourd’hui le tramway flambant neuf passe devant, une station Velib trône juste en face et presque 200 salariés sont installés dans deux grandes salles après avoir investi un étage supplémentaire.

Les plafonds débonnaires qui laissaient voir autoroutes de câbles et de tuyauteries sont désormais recouverts du traditionnel faux plafond blanc à damiers des bureaux. Malgré les grandes baies vitrées aux extrémités d’un bâtiment de briques oranges aux allures d’école construit en 1984, peu de lumière du jour perturbe les interminables enfilades d’écrans d’ordinateurs (au moins deux par poste). Avec tant de garçons penchés sur leurs écrans, le lieu ressemble plus à une lan-party en cours qu’à des bureaux high-tech. Cage s’excuse presque de la banalité offerte aux regards.

Un rapide détour par le studio de motion capture planqué quelque part derrière une porte métallique verrouillée et la singularité du studio Quantic Dream se fait enfin sentir. Les petits points de lumière rouges ou vertes accrochées en hauteur à d’étranges structures métalliques maintiennent le lieu inoccupé dans une semi obscurité presque religieuse. Le son amorti des voix, lui, donne l’impression de pénétrer un caisson d’isolation géant. Mouchetées des pieds à la tête par les fameux capteurs de performance capture, les acteurs ont joué toutes leurs scènes sur ce plateau, cernés par 64 caméras. Si l’ensemble du travail a pris dix mois de tournage, l’enregistrement des performances des deux acteurs stars n’a duré qu’un mois. Ellen Page et Willem Dafoe, en particulier, se sont donc installés à Paris pendant deux périodes de 15 jours.

Quantic Dream loue son studio de motion capture (mocap dans le jargon raccourci) à des entreprises externes. « Mais ce n’est qu’une prestation de service » explique Cage peu motivé par le sujet entre deux volées de marches. « Nous louons le lieu, l’équipement et fournissons des techniciens mais nous n’intervenons pas. Je ne fais pas partie du packaging« , dit-il en souriant. Le voisin Ubisoft occupe parfois le plateau. Plus récemment toutes les captations du prestigieux Dishonored du studio lyonnais Arkane ont eu lieu ici. « Sans ma participation » confirme le maître des lieux.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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David Cage entretien : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

L’auteur de Beyond : Two Souls parle d’une voix douce, presque doucereuse, en retrait comme s’il voulait se maîtriser lui-même, dire ce qu’il a dire, il y tient, mais sans agressivité. Les diagnostics les plus sévères sur le jeu vidéo d’aujourd’hui glissent alors sans provocation, telles des évidences de sagesse collective.

Quand on émet des doutes sur le bien-fondé d’enfermer des acteurs célèbres dans une gangue de cire numérique, David Cage se tend et déroule à volonté son argumentaire technique. Quand on lui dit que son jeu est peut-être, avant tout, une étude de caractère, il sourit et garde la formule. Quand on lui demande si par hasard sa démarche finale ne serait pas métaphysique, il s’éclaire et vous lâche le merci de celui qui n’est pas encore sûr d’avoir été compris.

François Bliss de la Boissière

Beyond Two Souls

Entretien 3e partie : la quête métaphysique caché

Bliss/EH : La fin propose un choix quasiment métaphysique qui se vit de manière intime. Votre objectif était là ?

David Cage : Oui, merci (grand sourire). Ce choix final est LA conclusion de votre expérience de jeu depuis la première minute. Vous le construisez à partir de votre vécu dans l’histoire, à travers les gens morts ou vivants pendant votre parcours. Vous pouvez vous retrouver dans la situation de souhaiter rejoindre « de l’autre côté » ceux que vous avez aimés ou, au contraire, vous dire : « Non, j’ai encore des choses à faire dans la vie, j’y crois et je reste là ». Je ne sais pas si tous les joueurs vont ressentir ça, mais c’est l’aboutissement de votre voyage. Et c’est le seul choix vraiment conscient, celui où il y a écrit : tu peux faire ceci ou cela. Je ne voulais pas que ce choix soit fait par hasard et que le joueur ne comprenne pas ce qui lui arrive. Ça devait être limpide.

Bliss/EH : Beyond ne serait-il pas avant tout une étude de caractère ?

David Cage : Je commence souvent à écrire avec une idée simpliste, et ce n’est qu’au bout d’un an que je sais de quoi je voulais parler. C’est très bizarre, peut-être que cela fonctionne ainsi pour des tas de gens, mais quelque part, c’est le stylo qui dit quelque chose et toi, tu es spectateur de ce que tu as écrit. Et tu réalises de quoi ta petite voix intérieure voulait parler. L’idée vraiment stupide et super cool d’une petite fille qui a un lien avec une entité surnaturelle m’a amené sur des sujets qui n’ont rien à voir. Et à la fin, cette idée devient anecdotique et l’histoire s’est changée, en effet, en une étude de caractère. Ce qui compte c’est son voyage, les moments auxquels elle est confrontée, ceux qui font de nous ce que nous sommes.

Bliss/EH : Le long monologue de l’une des fins dit quelque chose qui relève de la morale. A ce moment-là, vous vous exprimez directement ou c’est le personnage ?

David Cage : Oh, c’est nous deux évidemment (rires). Mais il n’y a pas vraiment de notion de morale ou de religion. En écrivant je me suis très peu posé la question de ce qu’il y a après la mort. Mais depuis, on me pose beaucoup la question. Paradoxalement j’ai écrit cette histoire avec beaucoup de foi dans le fait qu’il existe quelque chose après la mort alors qu’à titre personnel, je pense malheureusement, rationnellement, qu’il n’y a rien. Mais Jodie a des raisons d’y croire.

Bliss/EH : Cette histoire a été inspirée par une expérience personnelle…

David Cage : Oui, j’ai perdu quelqu’un de ma famille dont j’étais très proche et cela m’a beaucoup affecté. Avec des parents et des grands-parents assez jeunes j’ai été peu touché par la mort jusqu’à maintenant. Quand je me suis retrouvé dans un petit cimetière du patelin où je suis né à regarder un cercueil descendre dans la tombe… Je me suis dis… tout ça pour ça. Une visite dans les catacombes de Paris avait déjà provoqué en moi une expérience existentielle en contemplant ces empilements de crânes de gens qui se sont aimés, détestés, qui ont eu des passions, se sont battus pour devenir quelqu’un. Et ils finissent en pile. Je n’en tire pas quelque chose de nihiliste, mais cela met les choses en perspectives. Ce n’est pas très gai ce que je raconte (rires) mais cette réflexion a été une pierre angulaire lors de l’écriture.

Bliss/EH : Comment faites-vous pour réussir à lancer toujours de nouveaux jeux là où tout le monde se réfugie dans les suites ?

David Cage : Je ne sais pas, à chaque fois c’est un nouveau défi. Je fais les choses avec passion, enthousiasme et sincérité. Il faut convaincre l’équipe, puis Sony. Cela aurait été beaucoup plus facile avec un Heavy Rain 2 que de dire « allez on repart de zéro vous allez voir ça va être super ». Puis il faut convaincre les joueurs. Jusque là tout le monde a suivi. Mais depuis que je fais la promo de Beyond, le jeu qui me terrifie le plus est Heavy Rain ! C’est une compétition horrible parce que les gens vous jugent à l’aune de Heavy Rain et vous demandent si Beyond sera pareil. Eh bien non, c’est autre chose.

Bliss/EH : Certaines de vos déclarations provoquent des tempêtes. Pourquoi ces attaques contre le jeu vidéo actuel ?

David Cage : Il faut différencier ce que je dis dans une interview de deux heures et ce qui est retranscrit, extrait hors contexte et mis en gros titres par une certaine presse que je ne rencontre même pas. Vous vous retrouvez à vous justifier de choses que vous n’avez jamais dites. C’est très gênant. Ensuite, en effet, je m’inscris en rupture avec une partie du jeu vidéo. Non pas pour dire que ce que font les autres est nul, j’ai beaucoup de respect pour les jeux, les développeurs et les joueurs qui aiment tous ces jeux d’action. Je dis juste que les jeux basés sur des boucles de violence ne peuvent pas représenter 100 % du jeu vidéo. J’aimerais qu’il y ait un peu plus de place pour d’autres expériences. Qu’un Journey, un Unfinished Swan, un Papo & Yo ou un Gone Home existe est extraordinaire. Quand vous allez au cinéma, rien ne vous empêche d’aller voir Transformers un jour et un Woody Allen le lendemain. Dans le jeu vidéo il y a malheureusement beaucoup de Transformers et pas assez de jeux qui essaient de faire des choses différentes. C’est tout ce que je dis.

Bliss/EH : La différence, c’est que vos jeux font appel à de gros budgets…

David Cage : Vous avez raison, nous sommes dans une situation assez particulière et nous avons beaucoup de chances. Nous avons la liberté artistique d’un développeur indé avec les moyens financiers d’un développeur AAA. Nous faisons donc des jeux indés AAA…

Bliss/EH : Avec votre succès et votre ambition, comment êtes-vous perçus dans les milieux du jeu vidéo et du cinéma que vous côtoyez aussi entre Hollywood et le festival de Tribeca où Beyond a été présenté ?

David Cage : Je ne sais pas comment je suis perçu et ce n’est pas forcément ce qui m’empêche de dormir. Je suis sincère, il y a des gens qui apprécient et d’autres qui détestent. On est qui on est. Que voulez-vous que je fasse, que je me taise ? Que je fasse des shooters pour être comme tout le monde ? Non, je ne peux pas me renier, je ne peux pas être quelqu’un d’autre. Et les gens qui apprécient notre démarche apprécient que nous ayons un discours et des jeux pas comme les autres. Le truc le plus scandaleux que j’ai osé dire a été que le jeu vidéo doit grandir. Qu’est-ce que je n’avais pas dit là ! Il n’y a que moi qui vois les choses comme ça dans le milieu ? Pendant ce temps-là, en off, des gens viennent me voir : « Ah tu as eu drôlement raison de dire ça ». Pourquoi s’en cacher : oui, le jeu vidéo doit grandir.

Bliss/EH : Vous ne pratiquez pas le politiquement correct…

David Cage : Je ne cherche pas à provoquer, ni à me taire non plus. Si vous regardez les jeux que j’ai faits, je crois que vous y verrez une cohérence de la vision. Je ne suis pas un opportuniste, un mec qui fait des suites pour gagner du fric, qui s’est prostitué pour faire l’adaptation de tel ou tel film, qui fait un shooter quand les shooters se vendent. Non, je suis un mec qui croit en la même chose depuis 16 ans. Et les jeux vidéo ne m’ont pas attendu pour grandir, je le vois bien, il y a des gens qui évoluent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont 40 ans comme moi et qu’à 40 ans tu n’écris plus les mêmes jeux que quand tu as 20 ans. Et heureusement, c’est logique et sain.

Bliss/EH : Quelles pistes pensez-vous suivre après Beyond ?

David Cage : J’aimerais aborder des thèmes avec plus de sens. Faire un jeu qui ait un parti pris sur une idée précise, m’attaquer à un sujet difficile, à un sujet de société. Mais je veux le faire de manière intelligente et sensible, avec un angle, parce que j’ai le sentiment que cela peut être très fort. Il est possible d’utiliser ce média pour dire quelque chose. Mais je suis un gamin dans un magasin de bonbons. Il n’y a qu’à tendre la main : ce sujet là, personne ne l’a jamais fait ! Et tu peux le faire, tu as tout ce qu’il faut, des gens qui croient en toi, qui vont te suivre. J’ai envie d’aller vers la comédie, vers un truc transgressif, de faire une suite à Kara… Mais écrire un projet prend un an. Donc la prochaine pâtisserie que je choisis, il faut que j’y crois vraiment, il faut que je me dise : c’est la meilleure…

Bliss/EH : Vous ne pensez pas d’abord à des manières de jouer ?

David Cage : Bien sûr, il y a des idées de jeux qui m’intéressent et sur lesquelles nous travaillons. Je crois que nous commençons à avoir des solutions pérennes parce que si, demain, je me lance dans une comédie interactive, une romance ou un soap opera, j’ai les outils. Même s’il y a encore beaucoup d’autres briques à ajouter à ce langage, on y travaille quotidiennement. Mais je suis très attaché au sens parce que je continue de penser que ce que l’on a à dire va devenir de plus en plus important. Si ça se trouve je n’ai rien à dire (rires) mais j’ai envie de le savoir. De voir si le jeu vidéo et l’interactivité permettent de dire quelque chose ou si nous sommes condamné à faire des jouets.

Début de l’entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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David Cage entretien : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel,

David Cage a changé en dix ans. Il a désormais cette aura particulière indéfinissable des gens habitués aux regards et aux caméras. Et peut-être au succès. Entretien fleuve 2e partie…

Bien que ses jeux en forme de manifestes disent le contraire, Cage, de sa voix toujours trop calme qui tient l’ego en laisse, affirme ne pas avoir de grand message à délivrer, ne se revendique ni artiste, ni même auteur. « J’ai juste l’impression d’être un artisan qui fait son travail ».

François Bliss de la Boissière

david-cage 2014 DR

Entretien 2e partie : Le voyage est essentiel

Bliss & EH : Le chapitrage désordonné du jeu semble dessiner à l’écran le concept de narration élastique que vous défendez depuis longtemps…

David Cage : Nous avons simplement présenté ces scènes par leurs titres, en montrant où elles se situent dans la vie de Jodie. L’idée était surtout d’aider le joueur à s’y retrouver. D’autant que nous voulions garder des choix implicites, qu’ils se fassent en jouant, aient des conséquences tout en gardant l’expérience fluide, organique. Ça peut poser problème à des gens parce que souvent, dans les jeux, il y a des gros panneaux qui clignotent : « à droite ou à gauche », « oui ou non ». Et là, il n’y a rien.

Bliss/EH :  Heavy Rain donnait envie d’essayer tous les embranchements, les personnages pouvaient mourir, il y avait presque du game over. Beyond ne fonctionne pas comme ça…

David Cage : Non, et c’est aussi une rupture avec les conventions. Certains nous disent que puisqu’il n’y a pas de game over, le joueur va s’en désintéresser, ne pas faire attention. Mais ce n’est pas un jeu de tir où vous recommencez jusqu’à réussir. Là, vous allez vivre la vie de ce personnage, voir des choses, en rater d’autres, mais vous racontez votre propre histoire. Nous avons voulu créer un voyage de 10-12 heures dont on se souvienne. Qu’il marque, qu’il y ait des moments forts et qu’on finisse le jeu en se disant : j’ai vécu quelque chose. L’essentiel, c’est le voyage.

Bliss/EH : Tous vos jeux évoquent la séparation du corps et de l’esprit, met en scène des variations du corps astral. Cela vous préoccupe ?

David Cage : Ce n’est pas quelque chose qui m’habite particulièrement. Je suis plus intrigué par la schizophrénie, l’idée d’être quelqu’un d’autre. J’ai fait plusieurs jeux dans lesquels on contrôlait différents personnages. Jodie et l’entité sont deux personnages à part entière, mais on contrôle aussi Jodie à différents âges, son apparence change, comme sa façon de parler, de bouger. C’est presque comme avoir un personnage différent dans chaque scène. Mais le point de départ de Beyond est ailleurs. Dans le métro, vous voyez parfois des sans-abris qui parlent tout seuls. Ils ont visiblement bu et on dirait qu’ils ont un dialogue enflammé. Ils écoutent, ils répondent. Je me suis demandé ce qui se passerait si eux voyaient vraiment quelque chose que je ne vois pas. L’idée de Jodie et de l’entité est venue de là. Mais ce n’est pas quelque chose qui me hante, je n’ai pas le sentiment qu’une âme puisse exister indépendamment du corps et je le regrette profondément. Ce qui ne m’empêche pas de me demander ce qui se passerait si… Écrire c’est aussi ça : imaginer des choses et les traiter comme si elles étaient possible.

Bliss/EH : Beyond se frotte à des thèmes inhabituels dans le jeu vidéo : le suicide, l’accouchement, la pauvreté, l’enfant-soldat… Vous avez rencontré des résistances pour les imposer ?

David Cage : La plupart des jeux sont basés sur des mécaniques de violence. Vous avez un flingue, vous courez, vous sautez, et voilà. Quelques uns essaient d’avoir un propos dans leurs cinématiques mais, à 90 %, l’expérience de jeu, c’est ça. Nous avons très vite décidé de ne pas créer une mécanique violente en boucle. Il y a tellement de jeux qui font ça très bien, on ne va pas en rajouter un. Nous essayons de mettre l’histoire, le propos au cœur de l’expérience. Et quand vous abordez ces thèmes, vous avez tout à coup plein de gens qui vous donnent plein de raisons de ne pas le faire. Il y a des scènes dans Beyond pour lesquelles, oui, on a dû se battre. Y compris pour des choses qu’on n’imaginait pas qu’elles puissent poser problème.

Bliss/EH : Comme quoi ?

David Cage : Par exemple dans la scène d’anniversaire où un personnage propose à Jodie de fumer. La discussion a été interminable. Mais elle a 14 ans, ce n’est pas bien de fumer. Que fume-t-elle ? Du tabac ? Oui, oui, c’est du tabac (rires)… La censure ne fait pas la distinction entre parler de quelque chose et en faire la promotion. Dans cette scène, Jodie prend une taffe, elle a la tête qui tourne, les autres se foutent d’elle et elle sort. Nous ne glorifions rien du tout. Et je vous passe les scènes de sexe parce que, là, on ne peut quasiment rien faire. Par contre, on voit des jeux où on tire sur un personnage et sa tête explose. Ça, c’est bon, ça va. Mais dès qu’on touche des sujets un peu sensibles…

Bliss/EH : D’où vient le choix des deux séquences anormalement longues avec les sans-abris et les Navajos ?

David Cage : Elles se sont produites comme ça, pendant l’écriture. J’ai l’habitude des scènes de 15-20 minutes et, là, je ne sais pas pourquoi, j’avais besoin de plus d’espace. Ce sont aussi des ruptures dans la narration, des histoires dans l’histoire.

Bliss/EH : Est-ce que ces personnages sont là parce que, comme Jodie, ils vivent à la marge ?

David Cage : Sûrement, mais je n’ai pas fait une analyse profonde. Quand j’écris, je suis mon instinct. Avec les sans-abris, il m’importait de raconter l’histoire de ces bannis et de montrer que, même en dehors de la société, il reste de l’humanité. Les gens vivent encore des choses, les ressentent, s’entraident. Ils sont peut-être plus humains que ceux qui passent sans les voir. Je n’ai pas de grand message social à transmettre, mais ça m’intéressait de vous mettre dans la peau d’un sans-abri, de vous asseoir par terre et de vous dire que vous deviez trouver de quoi manger.

Bliss/EH : Vous savez ce que font les gens dans la scène où, en tant qu’Aiden, ils ont le choix entre perturber le rendez-vous amoureux et ne pas agir ce qui est presque scandaleux pour un gamer ?

David Cage : Sur les 200 ou 300 personnes testées, nous avons été surpris de voir que plus de 60 % des gens ne faisaient rien. Et je suis d’accord, pour un gamer, ne rien faire… La scène est presque plus intéressante si vous ne faites rien parce que c’est le seul moment où vous allez avoir un peu de background sur Clayton. Vous allez enfin entendre qui il est, d’où il vient, les confidences de Jodie. Et puis, intentionnellement, ne pas agir, c’est agir parce que vous voulez que cette relation arrive. Et elle peut arriver ou pas. Sans révéler tous les secrets, même si on laisse la scène se dérouler, si Jodie s’est fait agresser dans le bar quand elle était ado, elle va le repousser.

Bliss/EH : Dans cette scène la curiosité du joueur est titillée jusqu’au voyeurisme et se retrouve peut-être dans l’accompagnement affectif de la situation mais aussi dans la curiosité de savoir jusqu’où le jeu va oser aller…

David Cage : L’idée n’était évidemment pas de se diriger vers la pornographie ni de se retrouver en situation de « mater ». J’essaie toujours de mettre le joueur dans la peau du personnage qu’il contrôle. Dans la première moitié de la scène vous jouez Jodie qui se prépare, ou pas, au rendez-vous amoureux. Dans la deuxième, vous jouez Aiden qui peut intervenir en pensant : « Ah non, elle m’appartient, pas question qu’elle ait une relation avec quelqu’un d’autre », ou ne rien faire en pensant qu’elle a le droit de fréquenter quelqu’un. Voilà deux versions de la scène selon la caractérisation des personnages que le joueur a décidé.

Bliss/EH : On s’identifie au personnage, on en sort, on veut le protéger ou le torturer… Est-ce que l’entité correspond à la position du joueur ?

David Cage : Je ne l’ai pas pensé comme ça en écrivant. Peut-être que c’est là, on écrit des choses sans se rendre compte, mais je n’ai pas assez de recul.

Bliss/EH : Le survol des décors par l’entité ne serait-il pas tout simplement un outil des développeurs mis en scène dans le jeu ?

David Cage : Ses déplacements ressemblent en effet à la caméra libre utilisée pour débugger les jeux. Mais j’étais plus intéressé à faire d’Aiden un personnage à part entière et lui donner un rôle plutôt qu’un pouvoir. Quand on écrit, il y a la tentation d’imaginer un super-héros super cool. Avec ses pouvoirs, Jodie va détruire des trucs, ça va être génial, elle va être super contente. Mais en réalité, qu’est-ce que c’est ennuyeux ! N’est-ce pas plus intéressant qu’elle souffre de ce pouvoir ? Qu’elle ne puisse pas mener une vie normale, avoir une relation amoureuse, une amitié, des copains ? J’ai essayé d’ancrer dans une forme de réalité l’histoire d’une petite fille autour de qui il se passe des choses bizarres.

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Comme dans la rue, pas de minimum requis. Ça fera plaisir, et si la révolution des microtransactions se confirme, l’auteur pourra peut-être continuer son travail d’information critique sans intermédiaire. Pour en savoir plus, n
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David Cage entretien : Le Maître Artisan 1/3, même pas peur

Ses déclarations agacent, son succès aussi sans doute, comme son côté homme orchestre. Mais sa parole est libre et son travail parle pour lui. Envers et contre tous, l’auteur/producteur/scénariste/dialoguiste/directeur d’acteurs/réalisateur de Beyond : Two Souls suit son petit bonhomme de chemin. Rencontre.

David Cage © Sony Computer

Il y a un malentendu David Cage. Ses prises de paroles publiques et sa dénonciation des travers créatifs de l’industrie du jeu vidéo passent pour de la suffisance, voire du mépris envers les gamers nourris au point’n click avant-hier, aux jeux de plateforme hier, aux FPS aujourd’hui, et aux jeux de rôles depuis toujours. En réalité David Cage défend sa cause, prêche à la ronde ce qu’il aspire à entreprendre lui-même. Après tant de projets improbables, intrigants mais critiqués à chaque fois en amont de leurs sorties, The Nomad Soul, Fahrenheit, Heavy Rain et Beyond : Two Souls prouvent au moins une chose : David Cage applique à lui-même les leçons qu’il semble distribuer à la cantonade. « Vous vous rendez compte, j’ai apparemment choqué l’industrie du jeu vidéo en suggérant qu’elle devait… « grandir » « . En osant aborder dans son dernier jeu des thèmes aussi essentiels qu’inusités dans le jeu vidéo que l’amour (filial et amoureux), la maternité, le sexe, la pauvreté, les enfants soldats et le suicide, Cage fait magistralement la démonstration de ce qu’il voulait dire par… « grandir ».

François Bliss de la Boissière

Entretien 1ère partie :  Même pas peur

Note aux lecteurs : l’interview contient des spoilers qui peuvent gâcher l’expérience du jeu Beyond : Two Souls.

Bliss/EH : Vous travaillez désormais avec des pointures d’Hollywood. Vous aviez dit que votre expérience avec David Bowie sur The Nomad Soul avait chassé toute peur…

David Cage : Quand j’ai travaillé avec Bowie j’étais totalement inconscient. Et ça m’a rendu un service extraordinaire. Si j’avais été pleinement conscient de ce qu’était la légende Bowie, j’aurais été paralysé. Je savais qui il était sans spécialement connaître son travail… Naïvement, et très horrible de ma part, nous nous sommes parlés, nous avons travaillé ensemble, lui comme acteur ou compositeur, moi qui créais un jeu, on avait envie de faire un truc ensemble et on l’a fait. Je pense que quand vous travaillez avec des monuments comme David Bowie ou Willem Dafoe, vous êtes obligés de faire abstraction de leur réputation.

Bliss/EH : Avec sensiblement la même technologie de performance capture que vous, James Cameron a créé un mixte entre un humain et une créature fantastique et, du coup, a donné de l’humanité à cette créature. Dans Beyond, des acteurs humains sont au contraire placés dans une gangue virtuelle qui gomme un peu de leur jeu.

David Cage : Vous êtes le premier à me dire ça. Voilà six semaines que je fais le tour du monde pour parler de Beyond et ce que tout le monde relève, c’est la qualité de l’acting, l’intensité dans les regards, l’émotion. Si vous pensez cinéma, je vous suis complètement, le résultat est moins bien que l’acteur en vrai. Mais vous savez quoi ? L’acteur en vrai n’est pas interactif. Donc c’est super dans un film mais, moi, je suis dans un jeu. Je ne vois pas comment faire autrement. Si vous me demandez si la technologie est à 2000 % fidèle à l’original, la réponse est non. Mais je pense que Beyond fait partie du haut du panier. Et vous me comparez à James Cameron qui a des centaines de millions de dollars de budget… J’ai vu des choses dans Beyond jamais vues en temps réel. Avant, on ne pouvait pas filmer le personnage qui ne parle pas parce qu’il ne se passait rien. Et là, il y a des moments où vous regardez dans les yeux d’Ellen Page et vous voyez exactement ce qu’elle ressent. Ça ripe encore mais infiniment moins. Après, on peut voir la bouteille à moitié vide ou à moitié pleine. Je sais d’où est partie cette industrie. Est-ce que c’est enfin parfait ? Non. Est-ce que nous avons fait un putain de progrès ? Oui.

Bliss/EH : Le photoréalisme est-il le but ultime ?

David Cage : Non, pour moi jamais. Ça a l’air paradoxal parce que je travaille sur des jeux plutôt réalistes, mais je suis intéressé par le rendu qui correspond à l’histoire que je veux raconter. Demain, je pourrais faire un truc complètement cartoon si j’ai une histoire qui nécessite ce type de rendu. Copier la réalité est difficile. On essaie d’atteindre un point où on peut faire oublier les différences au joueur. Parfois on y arrive, parfois un peu moins. Quand vous regardez un anime japonais, ce n’est pas réaliste du tout mais, il y a un moment où ce n’est plus ça qui compte mais l’histoire, les personnages. Pixar a démontré qu’on pouvait obtenir quelque chose d’extrêmement émouvant avec des souris, des robots, des jouets en plastique. Je serais stupide de considérer le photoréalisme comme le Graal.

Bliss/EH :  Ellen Page a-t-elle été consultée sur son look et sa nudité requise dans le jeu ?

David Cage : Nous en avons discuté, montré la direction envisagée et parlé des scènes de nudité et d’amour qu’elle aurait. Cela s’est passé très simplement. Il était évident que nous n’allions pas faire un porno. Mais ni Ellen, ni Willem, ni David Bowie à l’époque de Nomad Soul, n’interviennent pour dire : ça oui, ça non. Les gens qui rejoignent un projet par passion ne jouent pas les dictateurs.

Bliss/EH : Comment avez-vous procédé pour les scènes où elle est enfant ?

David Cage : Nous avons travaillé avec une actrice américaine de 8 ans, Caroline Wolfson, qui faisait déjà du théâtre. Elle a pris des cours de comédie pendant un an et elle s’est prêtée au jeu de façon très sérieuse. Pour l’apparence physique, nous nous sommes appuyés sur les films d’Ellen puisque nous avons la chance de travailler avec une actrice qui tourne depuis l’âge de 6 ans.

Bliss/EH : Quel est votre processus d’écriture ? Vous écrivez en anglais ?

David Cage : J’ai écrit le récit en français de manière chronologique parce que je voulais trouver une cohérence à mon personnage. Il a ensuite été traduit puis un dialoguiste américain l’a adapté. Après, sur des post-it, j’ai mélangé les scènes, je voulais qu’elles se répondent. Ce travail a été intéressant pour garder l’arc narratif, la structure classique, sans la lier à la chronologie. Vous vous dites : j’ai besoin d’une scène forte ici par rapport à ce personnage-là ou, pour raconter la relation entre Jodie et Aiden, j’ai besoin d’un conflit. Et vous jouez sur les émotions en ne tenant moins compte de la timeline. Ça crée une dynamique différente. Quand vous commencez le jeu vous avez l’impression qu’on saute d’un truc à l’autre mais, normalement, il y a un moment où les choses tombent à leur place et, tout à coup, vous embrassez la vie de Jodie.

Bliss/EH : Les scènes militaires tôt dans le jeu sont-elles là pour répondre à une demande des gamers ou de l’éditeur ?

David Cage : Personne ne me dit rien, ou si on me dit quelque chose, je n’écoute pas beaucoup. Je suis un peu borné et je fais ce que j’ai envie. Évidemment, j’écoute mon équipe, mais nous ne sommes pas du genre à téléphoner au marketing pour savoir quoi faire. Ce ne sont pas eux qui écrivent mon script et ce n’est pas moi qui fais la campagne marketing.

Bliss/EH : Ce tutoriel où l’on se cache pour tuer n’est pas une réponse à ceux qui vous reprochent de ne pas faire de « vrais » jeux ?

David Cage : Ce n’était pas en réaction à quoi que ce soit. Simplement, dans le récit, Jodie va être entraînée par la CIA et des scènes importantes en tirent parti par la suite. On ne voulait pas faire du Metal Gear, ni du Splinter Cell et ça reste marginal. Mais, dans quinze ans de la vie de quelqu’un, il ne peut pas y avoir que des scènes intimistes. La vie, c’est se sentir heureux, triste, mal à l’aise… Ce sont tous ces moments, toutes ces couleurs, ces atmosphères qui vont former une vie. Et ce qui m’intéressait, c’est qu’à la fin, vous disiez : putain, j’ai vécu tout ça ! Et là-dedans, oui, il y a une scène d’infiltration, mais il y a aussi une scène d’amour, des scènes d’enfance…

Bliss/EH : La fusillade collective imposée au joueur en Somalie était-elle indispensable ? C’est une concession, une recherche de polémique ?

David Cage : Non, non, non (d’une voix très basse)… ma démarche était vraiment narrative, personne ne m’a rien dicté. Quand tu racontes une histoire comme ça, tu dois décider où poser tes embranchements. J’ai écrit une variante où Jodie refuse d’accomplir sa mission mais je me suis retrouvé dans une situation beaucoup moins intéressante. Elle basculait du côté des gentils, sa relation avec Clayton fonctionnait moins bien, sa fuite de la CIA pas du tout… Jodie est conditionnée, elle y va à reculons mais elle pense le faire pour les bonnes raisons…

Entretien à suivre ici…

David Cage : Le Maître Artisan 2/3, le voyage est l’essentiel

David Cage : Le Maître Artisan 3/3, la quête métaphysique

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière et Erwan Higuinen

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Jonathan Blow : Master class

L’auteur de Braid a rejoint ces rares créateurs qui font des jeux par intime conviction, les Fumito Ueda, David Cage, Lorne Lanning, Ken Levine (la liste est courte)… qui cherchent à raisonner le monde en utilisant le médium jeu vidéo. Mais à créations atypiques, auteurs singuliers… Jonathan Blow, comme ses semblables, ne se laisse pas facilement attraper.

Jonathan Blow © Giant Bomb

Le brouhaha Internet a fini par institué le polémique et trop jeune Phil Fish – créateur du magnifique Fez – en porte-parole énervé de la scène indé alors qu’en réalité, sous des manières de gentleman réfléchisseur, Jonathan Blow est sans doute le représentant involontaire (il refuse de jouer les porte-drapeaux) le plus à vif. Question de tempérament. Aux questions qui provoquent des coups de chaud et de sang chez le jeune Phil Fish (retiré depuis de l’oeil public), Jonathan Blow répond à froid, avec méthodes ou, le plus souvent, laisse glisser. Si on insiste il résiste, joue à l’occupé (il l’est, son jeu The Witness sort en exclusivité sur PlayStation 4 avant la fin de l’année), à celui qui ne comprend pas tout. L’exercice de l’interview ne l’intéresse pas et au fil des échanges, l’intervieweur se retrouve en train d’appliquer peu à peu malgré lui un nouveau tutorial d’échanges. Et quand l’auteur de Braid daigne répondre, il n’y a pas de gras, il parle directement à l’os.
Prétentieux ? Sans doute. Esprit fort et indépendant surtout. Programmeur d’abord, créateur précieux de jeux uniques ensuite, Jonathan Blow parle comme il conçoit ses jeux et donc nécessairement le monde. Ce qui est dit est moins important que ce qui est impliqué. Pour créer des jeux au gameplay émergeant (jamais le mot déjà passé de mode ne sera utilisé) il fallait bien une pensée au fonctionnement émergeant natif. Discussion à trous mais avec quelques clés…

Bliss : De Braid à The Witness, vous êtes à la recherche d’une communication muette directe entre le jeu et le joueur, et notamment directement à partir du gameplay… Comment fonctionnez-vous ?

Jonathan Blow : Oui, il y a définitivement dans mon style quelque chose qui fait que j’accorde de l’importance à une communication ne passant pas par le langage. Plutôt que de le dire en mots dans un tutorial laborieux, j’essaie que mes jeux fassent par eux-mêmes la démonstration de ce que vous pouvez y faire. Le processus de conception consiste essentiellement à, d’abord, écouter le jeu, attentivement, de façon à découvrir où celui-ci veut aller et ce qu’il veut montrer aux gens ; puis à décortiquer le résultat en petits paliers simples. Il s’agit de simplifier pour la personne qui joue le voyage qui va de l’absence de connaissance du jeu jusqu’à une connaissance profonde. Cela ne me semble pas si difficile à faire, et le résultat a tendance à être très intéressant. Mais ce n’est pas une pratique adoptée par l’industrie en général.

Bliss : D’abord cérébraux, vos jeux pourraient fonctionner avec n’importe quelle apparence visuelle, et pourtant vous mettez un point d’honneur qu’ils soient spéciaux et « parfaits », pourquoi ?

Jonathan Blow : Les visuels soutiennent le jeu de bien des manières. En premier lieu, de bons visuels font partie de la façon dont vous communiquez au joueur qu’il est entre de bonnes mains. Si le joueur voit que la représentation visuelle n’a pas été soignée, alors il sait aussitôt qu’il ne s’agit pas là d’un jeu où chaque détail a été minutieusement préparé. Alors, si les visuels ne sont pas fignolés, peut-être que le gameplay non plus. Et quand arrive le moment inévitable où le joueur ne comprend pas – encore – ce qui lui arrive, au point de, en quelque sorte, commencer à contester le jeu dans son ensemble, le joueur accordera moins le bénéfice du doute au jeu. Tandis que quand l’expérience commence bien, il est beaucoup plus facile pour le joueur de faire ensuite confiance au jeu, de savoir que si quelque chose ne semble pas clair, c’est probablement intentionnel, qu’il existe une raison. Ce processus se passe essentiellement inconsciemment, je pense.

Bliss : Braid et The Witness mettent en scène la solitude à une époque où les jeux vidéo s’enorgueillissent en affichant des dizaines de personnages à l’écran, jouables ou non jouables. Votre approche est artistique technique ?

Jonathan Blow : Oui, ces deux jeux parlent du fait d’être seul, mais ils présentent des façons différentes d’être seul. Chaque jeu a son propre parfum. Mon prochain jeu n’aura probablement pas ce sentiment de solitude. Mais pour un jeu d’aventure comme The Witness inspiré par l’esprit des deux premiers Myst, être seul semblait juste.

Bliss : Qu’est-ce qui est important pour vous : que votre jeu dise quelque chose sur la condition du médium jeu vidéo ou qu’il dise quelque chose sur le monde autour de lui ?

Jonathan Blow : C’est différent pour chaque jeu, et pour moi qui change avec le temps. Avec Braid j’étais un peu en train de montrer que le jeu vidéo peut faire certaines choses. Mais, honnêtement, je ne suis plus intéressé par ça désormais. Le problème c’est que tant de jeux idiots continuent à être faits. Je ne suis pas sûr que je puisse adresser de manière productive cette inertie culturelle, à part en faisant davantage de bons jeux, ce qui est bien mon intention. Quant à dire quelque chose sur le monde, eh bien, peut-être, mais je ne raisonne pense pas tout à fait de cette manière. Je ne suis pas vraiment intéressé à concevoir un jeu avec un thème politique, par exemple. Je suis surtout captivé par l’observation ce qui se passe sous certaines circonstances, et d’en faire un rapport détaillé. Donc il s’agit sans doute d’un commentaire « à propos du monde » d’une certaine façon, mais pas vraiment de la manière que les gens attendent.

Bliss : Un jeu peut-il être ouvertement utilisé comme le moyen d’expression d’une personne ?

Jonathan Blow : Je ne comprends pas pourquoi quelqu’un poserait encore cette question. Nous sommes dans un monde où quelqu’un peut empiler une pile de rochers sur une plage interprété alors évidemment comme une expression artistique, mais par ailleurs un jeu vidéo ne pourrait pas l’être ? Quel sens cela fait-il ? Je ne me sens pas concerné par la notion populaire de jeu vidéo. La plupart des jeux vidéo d’aujourd’hui peuvent sauter d’une falaise sans que que cela m’atteigne. Visiblement un grand nombre de gens ont envie de jouer de tels jeux, très bien, mais moi, non.

Bliss : Vous vous désintéressez du jeu vidéo d’aujourd’hui mais votre envie d’en faire vous-même vient bien de quelque part. Quelles ont été vos premières influences ?

Jonathan Blow : Jeune je jouais à énormément de jeux vidéo. Je peux vous dire quelques favoris, comme l’aventure textuelle Trinity de Brian Moriarty (1986), ou la station de travail de collège Netrek (un des premiers jeux en ligne en 1988, ndr) mais c’est assez difficile de voir une connexion entre eux et ce que je réalise maintenant. Je dirais que plus récemment le jeu non électronique Zenda m’a influencé substantiellement. Plus spécifiquement, pour Braid le livre Villes Invisibles (1973) de Italo Calvino a eu une influence majeure, bien que cela soit difficile de voir ça dans le résultat final.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a marqué esthétiquement, des peintres, des illustrateurs, des… architectes ? Braid a une esthétique jeu vidéo mais The Witness semble utiliser des techniques d’aquarelle…

Jonathan Blow : Visuellement, je choisis n’importe quel style réclamé par un jeu. Cela change d’une réalisation à l’autre. Le style de Braid n’est pas venu directement d’un peintre en particulier, mais parce que je voulais un monde qui exprime une touche humaine là où la plupart des plateformers du moment utilisaient des palettes stériles de couleurs 3D précalculées. Je voulais provoquer une incertitude dans le ressenti des déplacements tout en s’assurant que tout ce qui peut être touché pendant le gameplay paraisse solide et certain. The Witness a un style visuel très différent parce que le gameplay est différent. Ce que font les peintres quand ils peignent une scène est vraiment différent de ce que nous faisons maintenant quand nous devons restituer une scène en 3D dans un ordinateur. Je ne sais même pas vraiment comment franchir le pont qui sépare les deux en terme de moyen d’expression. Je pense que si vous essayez de restituer une apparence graphique façon peinture cela va juste être une faible imitation, à moins de travailler très dur à comprendre quels sont les vrais paramètres expressifs du système que vous devez préparer, puis, plutôt que de copier la peinture de quelqu’un, de les utiliser pour aller là où ils veulent aller. Je pense que pour faire un bon travail avec ça il faudrait un vaste projet de recherche, ce qui pourrait m’intéresser d’entreprendre un jour, mais là maintenant j’ai beaucoup d’autres choses à m’occuper.

Propos recueillis en septembre 2013 par François Bliss de la Boissière

Bio check

Indépendant à tout prix

42 ans, programmeur et concepteur américain de jeux vidéo, Jonathan Blow est définitivement apparu sur la carte des grands du jeu vidéo lors de la sortie de l’ovni vidéoludique Braid en 2008 conçu en 4 ans. Développeur autonome, il fait néanmoins entendre sa voix dans les diverses manifestations professionnelles du secteur (Game Developer Conference…). Bien que co-fondateur de l’Indie Fund qui finances des projets indépendants, Blow se défend de représenter la scène ou les jeux indés dont il se « sent actuellement plutôt éloigné ». Son jeu The Witness, un héritier contemporain de Myst, doit sortir en exclusivité provisoire sur la PlayStation 4 de Sony.

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : Reality check

Nouvelles techno pour quoi faire (de mieux) ? 3e et dernière partie d’une réflexion sur un conflit entre marques et constructeurs qui n’a plus de raisons d’être qu’en surface. Dans leurs entrailles technologiques, les 3 concurrents en lice jouent le même jeu ou presque.

Next-Gen DR

Dur

La PlayStation 4 et la Xbox One sont équipées de processeurs AMD comme la Wii U avant elles. Le ventre de toutes les nouvelles consoles ressemblent désormais à celui d’un PC haut de gamme. Les nuances des différences techniques entre les consoles Microsoft et Sony ne parlent qu’aux développeurs les plus pointus. Premier argument de séduction, les qualités graphiques augmentées des unes et des autres se vérifieront empiriquement et devront sans doute attendre la deuxième vague de jeux. La Xbox One est cette fois équipée d’un lecteur Blu-ray, les jeux tiendront (enfin) sur un seul disque comme sur PlayStation 3 et 4.

Futur proof

Les consoles sont de facto compatibles 3D stéréoscopique et, potentiellement, UltraHD (résolution 4K : 3840×2160), le nouveau super format des écrans TV disponibles en magasins et appelés à se démocratiser les prochaines années. Tactile. Les changements les plus tangibles viennent des manettes. Celle de la Xbox One équipe pour la première fois les gâchettes de moteurs de vibrations et de résistances indépendants aptes à rendre plus palpables encore les mondes virtuels. La Dualshock 4 change radicalement de prise en main et de design avec des sticks et des gâchettes ne glissant plus. Elle incorpore un mini pad tactile cliquable aux possibilités inattendues.

Social

La grosse révolution au potentiel viral incalculable associée à l’accès aux réseaux sociaux consiste à pouvoir capturer et enregistrer des extraits images ou vidéo de sapartie et à les partager. Contrôle à distance. Xbox One et PS4 sont en théorie plus autonomes, capables de télécharger de lourds fichiers (jeux et films) en tâche de fond, en mode veille, se pilotent à distance par Internet ou des applis mobiles. Les caméras associées à chaque console permettent de manipuler des éléments par le geste, d’apparaître en pied dans l’écran et de reconnaître la manette du joueur et sa position dans la pièce.

Point noir

Aucune console n’est spontanément rétro compatible avec les jeux des générations précédentes.

 

Lire aussi…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme  et à vapeur

François Bliss de la Boissière

(Aurait dû être publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games sauf que l’encadré imprimé par erreur sur la page de Games #1 ci-dessous ne contient pas le texte prévu. Celui-ci est donc lisible ici-même.)

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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme et à vapeur

La PlayStation 4 et la Xbox One semblent siffler le top départ de la 8e génération de consoles de salon fin 2013 alors qu’en réalité, dilué, le palier générationnel a déjà été franchi il y a de longs mois. Réflexions en 3 parties autour d’un conflit chronique depuis… toujours.

Next-Gen DR

Trop low-tech pour flasher les esprits, la Wii U a ainsi été la première fin 2012 à mettre entre les mains une tablette permettant de jouer en coordination avec l’écran du téléviseur. Une innovation doucement complexe et next-gen tellement évidente que les deux concurrents Sony et Microsoft n’auront de cesse, encore une fois, d’imiter Nintendo et de proposer des contrôles similaires via des applis sur tablettes ou même en passant par la PSVita devenue manette auxiliaire avec écran tactile de la PlayStation 4. Mais, pour la première fois, ces trouvailles de gameplay et de contrôles tactiles désormais répandus n’ont pas été inventées par un des acteurs du jeu vidéo.

La pomme…

Le premier vrai danger pour l’industrie historique du jeu vidéo vient de l’extérieur et s’appellent Apple, et dans une moindre mesure, Android. Un flux ininterrompu d’applis interactives tactiles, jeux vidéo en tête, alimente sans tarir les 250 millions d’iPhone, les 153 millions d’iPad et les 500 millions de smartphones et tablettes Android. Des appareils mobiles potentiellement capables de communiquer avec le téléviseur, d’y faire afficher leur contenu et donc leurs jeux. Initiées par des start-ups qui confondent encore bonnes intentions et savoir-faire (nombre de prétendant aux consoles de salon se sont cassées les dents au fil des âges : 3DO, Jaguar, Pippin, Phantom…), les mini consoles Android à glisser sous le téléviseur ne sont pour l’instant que de pales imitations de consoles de salon. Google en personne, grand maître de l’écosystème Android, fera peut-être mieux en sortant une console à son nom. C’est prévu. En cachant le mieux ses ambitions, le concurrent le plus inquiétant de Nintendo, Sony et Microsoft se nomme donc Apple. La marque devenue la plus populaire au monde devant Coca-Cola et Google a déjà posé une bombe à retardement sous le téléviseur. Il suffirait d’une mise à jour logicielle pour que le discret galet Apple TV qui diffuse pour l’instant des chaînes de VOD devienne apte à afficher des applis et donc des jeux. Une mise à jour suffirait pour transformer un Apple TV qui ne coûte que 109 € en console de salon. Les iPhone et iPad déjà dans les foyers devenant de facto des manettes tactiles.

… et la vapeur

Alors que ces challengers sont bien connus, l’arrivée récente du projet Steam Machine du bien aimé et fortuné studio Valve ouvre une porte inattendue. Si passer des jeux PC/Mac à la moulinette Linux pour les afficher dans un PC tout en un à brancher sous le téléviseur s’avère une solution aujourd’hui incertaine, la révélation surprise de la manette tactile SteamOS osant éradiquer les sticks analogiques, concrétise l’ambition de Steam de conquérir à son tour le salon. Une chose est sûre, ultra puissantes, polyvalentes, aussi ouvertes sur le monde virtuel, le nuage que le salon, toutes ces machines sont aptes à évoluer en temps réel, à se diriger de façon organique là où les joueurs et les consommateurs iront. Dans 3 ou 5 ans, la même console dans la même boite n’offrira sans doute pas le même service qu’aujourd’hui.

À suivre…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : reality check

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 1/3 : endémique

La 8e génération de consoles de salon est là, plus grosse, plus lourde, plus bruyante, plus chère que jamais. Et encore une fois elle défie toutes les conjectures. Réflexions en 3 parties sur un conflit chronique depuis… toujours.

next-gen DR

Il n’y a pas si longtemps, les prévisionnistes de la high-tech annonçaient les PlayStation 3 et Xbox 360 comme étant la dernière génération de consoles de jeux vidéo. Leurs descendantes allaient devenir des petites « box » donnant uniquement accès à des services dématérialisés, dont le jeu vidéo. C’était mettre la charrue avant les bœufs, confondre les emballements sans gravité de la Loi de Moore et la pesanteur naturelle de la population et du marché physique. C’était oublier que dans l’exercice de la démocratie directe générée par Internet, les gamers sont au premier rang, qu’ils défendent leur histoire, leurs droits de consommateur et un certain savoir-jouir attaché à leur console, objet affectif, fétiche et de nos jours pièce à collection. Comme l’aura démontré à son corps défendant le précurseur Onlive et sa tentative de proposer du jeu (PC) en streaming, ni le marché, ni la technologie, ni les réseaux ne sont prêts. Les consoles de salon réduites en mini box ce sera peut-être pour la prochaine génération, dans 7 ou 10 ans. En 2013, les nouvelles consoles rejouent alors la carte de la puissance ici et maintenant et se contentent de rêver l’amorce d’une vie éternelle de services dans le nuage. En espérant que les joueurs les suivent.

Rédemption et inceste

Depuis sa renaissance inespérée après le crash de 1983 qui a vraiment failli étouffer l’embryon, l’industrie interactive s’autorégule. Le jeu vidéo cultive l’égo du joueur mais dès que le succès d’une marque prend le dessus et trop d’assurance sur la concurrence, le marché remet la pendule des orgueils à l’heure. Sega est venu défier Nintendo qui caracolait seul en tête dans les années 90. La PlayStation 2 de Sony s’est épanouie sur les cendres fumantes de la Dreamcast de Sega. L’outsider Xbox 360 a pris la place du cœur des core gamers devant l’arrogante PlayStation 3. L’histoire est connue, au point de devenir prévisible, et pourtant elle se répète. En déclarant la Xbox One maîtresse des services télé et des chaînes de sport, Microsoft a cru pouvoir impunément faire le coming out du « media center » refoulé depuis les années 2000. Aveuglé par le succès (80 millions de Xbox 360 vendues), l’arriviste Microsoft a le premier oublié les fondamentaux du jeu vidéo à vocation exclusive que les vétérans Nintendo et Sony entretiennent jalousement, quitte à masquer leurs intentions. Les trois fabricants chassent pourtant les mêmes chimères de convergences audiovisuelles : le GamePad Wii U pilote la télévision, les PlayStation 3 et 4, Xbox 360 et One proposent des services de VOD et d’écoute de musique… Et le jeu vidéo dans tout ça ? Pour les nostalgiques de l’âge d’or du jeu vidéo, l’époque bénie des consoles uniquement dédiées au jeu vidéo est révolue et marque la fin d’une ère. Machines hybrides à tout faire, les nouvelles consoles auraient perdu leur vocation initiale et donc leur personnalité. Le conflit entre les marques traditionnelles n’a pourtant jamais été aussi saignant, les enjeux économiques et technologiques aussi importants. Surtout que les nouveaux challengers Apple et Steam viennent à leur tour défier les monstres sacrés du jeu vidéo.

À suivre…
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 2/3 : à pomme et à vapeur
Consoles Next-gen, la guéguerre est déclarée 3/3 : reality check

François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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Naissance de blissTUBE

Comme quelques images valent plus que bien des mots et en attendant de prochains articles (on ne se l’interdit pas), rendez-vous sur…

blissTUBE sur YouTube pour consulter des vidéos made in « exclusives »

blissTube

Et…

blissTUBE sur Tumblr pour consulter des photos chics & softs 

tumblr blissTube

Opinions et news à suivre également sur Twitter @Bliss_voice

 


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Éric Viennot/Kickstarter : Same player shoot again

Malgré deux tentatives, le projet de jeu Taxi Journey lancé sur la plateforme vedette de financement participatif Kickstarter a échoué. Beau joueur, l’auteur français transmédia de Alt-Minds revient sur l’expérience. Décryptage.

Eric Viennot DR

Bliss : Vous avez l’habitude de faire appel à de très gros partenaires institutionnels pour monter vos projets (Corto Maltese dernièrement), pourquoi procéder autrement avec Taxi Journey ?

Éric Viennot : La plupart des gros éditeurs sont de plus en plus frileux pour sortir des jeux alternatifs et préfèrent se recentrer sur quelques IP. Cela laisse peu de place pour des jeux qui ne sont pas des blockbusters, les fameux Triple A. Taxi Journey est une nouvelle licence avec un gameplay original de type puzzle-aventure et un parti pris graphique très fort, justement le genre de projet qui pourrait trouver un mode de financement alternatif.

Bliss : Qu’est-ce qui vous a incité à arrêter le premier lancement du projet Kickstarter Taxi Journey en juin dernier avant l’échéance annoncée ?

Éric Viennot : Après un démarrage difficile, nous avons estimé au bout d’une semaine que nos chances de réussir étaient réduites et qu’il serait plus sage de relancer la campagne en septembre. Cela nous laissait plus de temps pour travailler le gameplay et surtout créer une communauté de fans, ce que nous n’avions pas eu le temps de faire en amont du lancement Kickstarter.  Malheureusement cela n’a pas été suffisant.

Bliss : Taxi Journey a plus de 21 000 fans Facebook mais n’a récolté que 1161 contributions pour un total de 40 403 $ sur les 130 000 $ espérés. Pourquoi un tel écart ?

Éric Viennot : Les jeux qui marchent le mieux sur Kickstarter sont les RTS, les RPG ou les hack’n slash. Taxi Journey ne fait pas partie de ces catégories. On a beaucoup discuté avec les membres de la communauté. Beaucoup n’ont pas concrétisé leur attachement à l’univers du jeu par une promesse d’achat, parce qu’ils nous disent qu’ils auraient souhaité avoir une démo jouable avant de s’engager. Nous avons reçu des centaines de mails à ce sujet. Depuis quelques mois, Kickstarter s’est transformé en plateforme de pré-achat. Il y a désormais énormément de projets qui sont lancés. Pour se démarquer, de plus en plus de développeurs arrivent avec une démo jouable. Cette concurrence entraine également une baisse des prix que nous n’avons pas anticipé. Bref, cela a été compliqué de transformer l’essai.

Bliss : Le principe du financement participatif semble peut-être davantage dans les mœurs du modèle économique libéral américain où les citoyens doivent s’associer pour compenser le désengagement de l’État. Ce modèle peut-il vraiment fonctionner en France sans un grand changement culturel ?

Éric Viennot : Je ne crois pas que les gens qui participent à ces campagnes KS le fassent par esprit capitaliste puisque les sommes qu’ils mettent à disposition ne leur permettent pas d’être co-producteurs et donc d’espérer faire un retour sur investissement. La plupart le font par passion, simplement pour permettre à des projets originaux de voir le jour. En le faisant, ils ont le sentiment de participer à une aventure, de pouvoir en échange influer sur certains aspects du projet. Je suis resté assez utopiste et je pense encore que dans certains domaines, Internet peut toujours jouer un rôle de contre pouvoir contre les lobbys et la puissance financière. En un sens, et par rapport au sujet qui nous préoccupe, la dématérialisation et le crowdfunding sont assez complémentaires : ils mettent en contact direct consommateurs et producteurs indépendants. La dématérialisation résout le problème de surface linéaire accordée au produit qui a été longtemps un frein aux productions indépendantes. Mais cela modifie considérablement le rôle et le métier des producteurs qui doivent avoir des compétences d’éditeurs afin de faire la promotion de leurs titres, ce qui n’est pas toujours dans leur ADN.
Quant à savoir si c’est un truc typiquement anglo-saxon, oui c’est vrai. En France, on voit qu’investir, même des petites sommes sur KS, reste réservé encore à une élite hyperconnectée et parlant bien anglais.
Cela dit, le succès de certains projets financés sur des sites français de financement participatif prouve que cela peut aussi attirer le public français mais davantage dans les domaines de la musique et du cinéma que dans celui des jeux vidéo. Car la plupart des hardcore gamers ne s’intéressent encore majoritairement qu’aux grosses licences (GTA, Call of Duty…).
Nous savons, vous comme moi, que le gros du public des gamers est très conservateur.

Bliss : De nombreux projets de jeux sont lancés sur Kickstarter mais beaucoup ont aussi capoté, au point de faire douter de la pérennité du processus. A-t-il un avenir durable ?

Éric Viennot : Il y a indéniablement un effet de mode et il y aura, comme avec toutes les bulles, un retour de bâton. Notamment quand on verra que certains projets pourtant financés ont du mal à sortir ou sortent atteindre le niveau de qualité souhaité. D’ailleurs, les annonces comme celle de Tim Schafer ont déjà entamé la confiance de certaines personnes (après avoir récolté 3 M$ le vétéran de LucasArts et auteur de Psychonauts en a réclamé d’avantage pour boucler son projet Broken Age, ndr). La nature a horreur du vide et je vois bien d’ici quelques années l’apparition de modèles mixtes de financement et l’apparition de nouveaux éditeurs dont la vocation sera justement de financer et produire des jeux indés puisque malheureusement la plupart des gros éditeurs ne font plus ce travail. Je l’ai souvent dit : je ne vois pas pourquoi on ne verrait pas à l’avenir des mécènes passionnés investir dans les jeux vidéo plutôt quand dans l’art contemporain.

Bliss : Envisagez-vous de refaire appel à Kickstarter et si oui que changerez-vous dans votre approche ?

Éric Viennot : Pourquoi pas si l’occasion se présente. Mais sans doute pas pour ce type de jeu.

Propos recueillis fin 2013 par François Bliss de la Boissière

(Publié en décembre 2013 dans le bimestriel Games)

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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


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The Silent Age : Autre temps

Dans la famille pointé-cliqué avec soupçon d’Another World on prend The Silent Age. Une aventure placide et minimaliste pratiquée de profil mais chargée d’ambiance 70s paranoïaque et de bons souvenirs de jeux vidéo des 90s.

The Silent Age

Nous revoilà donc de retour devant une interface de jeu à l’ancienne où il faut toucher l’écran pour diriger son unique personnage, récupérer un accessoire dans le décor qui s’installe dans un petit inventaire en bas de l’écran avant de l’utiliser à bon escient avec un autre élément de l’environnement. L’anti-héros pacifique traverse systématiquement de profil un décor ne dépassant pas deux ou trois écrans de large par environnement. Des petits effets de parallaxe créent une discrète profondeur visuelle de décors urbains essentiellement dessinés à plat. Il suffit de tapoter une fois l’écran – ou deux pour déclencher un petit trot – et le personnage va jusqu’à l’endroit choisit. Devant une porte à franchir, un escalier ou une échelle à monter, l’animation se contente d’un petit fondu au noir avant d’afficher le décor d’arrivée. Un truc un peu chiche de nos jours mais qui, au fond, participe bien au rythme tranquille de l’aventure. Et parce que économie et minimalisme ne veulent pas dire cheap ou bâclé.

Design maîtrisé

Très vite, les aplats de couleurs faussement basiques et les animations à l’économie révèlent en réalité une belle maîtrise artistique. L’ensemble dégage une esthétique design et BD, une version épurée d’un cell-shading. The Silent Age cite ses aînés des années 80-90 mais n’en profitent pas pour afficher du grain ou des pixels. Tout est lisse, propre, presque trop mais c’est voulu puisque cela met en scène un récit silencieux dans les marges où derrière le « clean » de surface se cachent de mystérieux évènements pas très « propres », eux. Une tache de sang se remarque aussitôt et peut prendre une importance capitale. L’ambiance sonore très travaillée à base de bruitages exacerbés (ventilos, craquements, bruissements, pluie…), d’ondes sonores menaçantes ponctuées de notes synthétiques plus claires à la Vangelis époque Blade Runner confirme ce que recommande le jeu dès le début : l’utilisation d’écouteurs pour en profiter pleinement. Le personnage a beau évoluer seul dans le décor, la tapisserie sonore laisse entendre un monde à l’affut. Et cela tombe bien puisque l’histoire, aussi directement racontée soit-elle, s’amuse à rejouer les paranoïas d’époques coincées entre guerre froide, multinationale diabolique (cela n’a guère évolué) et expériences scientifiques douteuses.

Le jeu vous parle

Les associations d’objets permettant d’avancer étant elles-mêmes assez basiques et linéaires (clé/porte, bâton/débloquer, ciseaux/couper…) et pas très stimulantes (mais rarement contrariantes à une ou deux crispations près), The Silent Age révèle très vite que l’important est ailleurs : dans le récit, l’écriture ciselée et dans le commentaire parfois moqueur du geste du joueur. Ainsi, quand assez inévitablement lassé devant une impasse celui-ci commence à essayer d’associer de manière incongrue ou systématique son petit inventaire avec le décor, le jeu affiche des répliques ironiques plutôt qu’un message d’erreur. La pique est en générale assez mordante et circonstancielle (pas piochée au hasard dans une base de données de répliques donc) pour faire sourire tout en embarrassant. Oui c’était idiot et même suicidaire de vouloir forcer la porte de la voiture de police, oui vraiment espérer faire tomber ce nid de guêpes au bâton est, au mieux masochiste, au pire imbécile. Le joueur n’est pas insulté mais pris à témoin de son incohérence. Ce qui n’empêchera pas le jeu de s’appuyer lui-même sur de vieilles conventions plus ou moins logiques.

Twist majeur

L’histoire, ou plutôt la manière dont elle progresse, étant la première qualité de The Silent Age, et cet Episode One plutôt court, mieux vaut en savoir le moins possible avant de se lancer. En retenant que lire l’anglais est indispensable pour tout apprécier. L’anti-héros est donc un balayeur quasi anonyme dans une grosse entreprise. Sonné par une brusque promotion à la place d’un collègue mystérieusement disparu, le personnage va mentalement tituber de questionnements personnels en mystères « bigger than life ». Son trajet sur la piste de ses nouvelles responsabilités et de son collègue va le mettre peu à peu face à un fuyant et insaisissable danger. L’ambiance 70s finement retranscrite – jusqu’à la grosse moustache à la Burt Reynolds  / Tom Selleck (qui a dit Mario et salopette ?) du personnage réussit à susciter une paranoïa permanante à laquelle participent justement les réflexions off du jeu qui commentent ses gestes déplacés. Attention vous êtes surveillés. Et le monde n’est pas tel qu’il se présente devant vos yeux puisqu’une fois équipé d’un super gadget, en provenance direct des années 50 celui-là, notre balayeur va pouvoir… voyager dans le temps ! Dans les faits, à partir d’un certain moment de l’aventure, le concept de voyage dans le temps permet de faire cohabiter deux plans du décor, celui du présent et celui, défraichi, du futur. Sans quitter les lieux, le joueur doit faire des allers-retours entre chaque époque pour trouver les objets adéquats et le bon passage. Voilà une vraie bonne astuce de gameplay.

Facile à dire, moins à faire

Sans explosions, sans mort, en 4 chapitres ramassés, la petite équipe danoise de The Silent Age réussit à tenir en haleine et donner envie de continuer l’histoire dans un prochain Episode Two. Cet épisode One étant gratuit, les créateurs – dont il faut saluer ici le talent et le courage commercial – passent par une levée de fonds public pour se donner les moyens de bien terminer l’épisode Two qui conclura l’histoire. Celui-ci sera gratuit pour les contributeurs et payant sur l’App Store lors de sa sortie « quand il sera prêt et absolument fantastique ». On y croit.

iPad/iPhone universel / Éditeur, développeur : House on Fire ApS


Les plus…

  • Ambiance visuelle et sonore
  • Ce petit goût suranné des années 80-90
  • L’écriture premier et deuxième degré
  • Le twist décliné en gameplay

Les moins…

  • Anglais lu indispensable
  • Peu d’animations
  • Incertitudes pour monter ou descendre escaliers
  • Devoir patienter jusqu’à Episode Two

François Bliss de la Boissière

(Publié en juin 2013 sur Hitphone.fr)

 


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Badland : Quand le jeu prend vie

Tous les croisements sont possibles finalement de nos jours. Une production d’allure haut de gamme AAA, atmosphérique, immersive et pourtant associée à un gameplay habile, malicieux mais se jouant avec… un seul doigt comme un pseudo casual game. À partir de moyens simples mais hyper maitrisés Badland entraine le joueur ainsi dans un nouveau monde avec ses créatures fascinantes qui provoquent la curiosité et ses règles uniques qui interpellent la soif de contrôle du joueur.

Badland

Dessiné et peint avec chaleur et raffinement, ce Badland d’origine indé (et donc sans gros moyens) force l’admiration dès l’ouverture en rejoignant avec talent la qualité visuelle faussement artisanale d’une production majeure d’un Rayman Jungle Run. Chic et culotté, Badland se distingue même de façon originale en séparant les décors colorés loin à l’arrière plan et l’action à l’avant-plan tout en aplats noirs. Un effet ombre chinoise particulièrement réussi qui met en valeur les deux espaces sans rien leur enlever. Les créatures rondes qui doivent traverser saines et sauves l’écran de gauche à droite sont elles-mêmes complètement en noir avec seulement deux petits yeux blancs expressifs à la Limbo. La bande son à base de bruitages de forêt, de crissements d’insectes, de petits hululement lointains, de bruissements de feuillages ou de ruissellements d’eau complètent un tableau réellement captivant.

Totalement organique

Le monde de Badland prend vie avec ravissement devant les yeux, dans les oreilles puis – et heureusement – au bout du doigt. Le gameplay à la fois précis et chaotique entretient cette impression d’avoir vraiment à faire à des créatures vivantes, maladroites et capricieuses, jamais tout à fait domptables. Alors qu’il suffit d’appuyer brièvement sur la vitre pour que la créature ronde plane un instant en battant de ses petits bras atrophiés (ou ailes ?) dans un décor défilant inexorablement en scrolling horizontal, les déplacements hasardeux créent une incertitude propre à défier le gamer et une empathie affective telle que l’on ressent par exemple dans les trébuchements du Sackboy des LittleBigPlanet sur consoles PlayStation.

La science du parcours…

À la satisfaction du contact tactile tout à fait maîtrisé s’ajoute une science de l’obstacle toute aussi joliment masquée dans un emballage organique palpable. Voletant toujours en fonction de la pression d’un unique doigt sur la vitre, la créature seule ou en peloton doit contourner des stalactites et des stalagmites, se faufiler entre les mâchoires de roues crantées, frôler les dents de scies circulaires, éviter les pales d’hélices géantes, autant d’excroissances surgissant comme des racines de la masse noire menaçante du décor… Le doigt sans cesse sollicité pour maintenir vaille que vaille le Kirby noir en lévitation doit aussi à apprendre à donner des petits coups au plafond pour débloquer un rocher, à le laisser retomber sur le sol le temps que le décor s’effondre, qu’une mine embusquée explose…

… et du power-up

Bien que tout se déroule sur un plan 2D de gauche à droite, l’avancée réussit à ne pas être linéaire. Certains items, ou fruits mystérieux, qu’il faut absolument consommer en passant, modifient la taille de notre espèce d’oursin des forêts finalement transformiste. Devenue brutalement énorme, la boule hirsute écrase des pans entiers de décors, toute miniature elle se faufile rapidement entre deux pics mortels. À chaque variation de volume correspond une altération crédible de sa pesanteur et de sa vélocité qui oblige sans cesse à revoir son rapport tactile, sa méthode de contrôle. Plus tard d’autres fruits magiques l’obligeront à rouler bouler, ralentiront volontairement sa mobilité, ou au contraire accélèreront brusquement son vol. Quand un fruit la rend provisoirement collante, ses mouvements se limitent alors à des petits sauts pénibles, lourdauds, irritants sans doute, mais inversant tout à coup la proposition aérienne de jeu pour mieux aborder un obstacle demandant une autre maîtrise interactive.

Un pour tous et tous pour un

Toutes ces variations plus ou moins classiques au jeu vidéo prennent véritablement leur essor quand la créature se démultiplie à l’écran. Car ce que le jeu, volontairement sans mode d’emploi ou scénario intrusif, ne dit pas, c’est qu’il s’agit non pas seulement de sauver la peau de la créature mais aussi du plus grand nombre de ses congénères collectés sur le trajet. Car certains des fruits magiques font éclore à la volée un groupe de créatures qui volètent dans les mêmes conditions que le leader. Animées elles aussi de comportements capricieux et réagissant individuellement aux aléas du décor, elles s’éparpillent hélas dans un grand désordre. Tout l’exercice consiste alors à réussir à faire passer l’obstacle au plus grand nombre alors que chaque créature-boule ne se trouve pas forcément au même endroit et ne subit pas le même danger au même instant. Évidemment même si elles ont tendances à s’agglomérer un peu et même si elles aimantent les power-up croisés, il y a de cruelles pertes et de nombreux moments où il est bien heureux de réussir à arracher une seule créature à un ensemble d’obstacles. Mais le dépit n’est jamais long. Il devient rapidement clair qu’aucun espace de jeu n’existe par accident ou maladresse. Le level design se révèle aussi maîtrisé que l’animation interactive. C’est à dire que les créateurs du jeu savent pertinemment quand le joueur va perdre toute sa portée et quand lui redonner de l’élan en lui offrant à la dernière minute une poignée de nouveaux clones, et retrouver le sourire.

Un super logiciel sous camouflage artistique

Après échecs ou réussites jamais tout à fait maîtrisées jamais vraiment involontaires, le vrai plaisir du jeu intervient quand on comprend que derrière l’aspect artistique déjà pointu se cache un programme drôlement bien ficelé. On ira jusqu’à dire un code (informatique) super sophistiqué. La première preuve surgit quand on découvre planqué dans les options un listing complet et inattendu de statistiques, des données chiffres précises et informatives, ou inutiles et alors drôles. Les chiffres attendus : combien de niveaux franchis sur les 40 fournis, de « missions » accomplies sur les 120 comptabilisées, d’achèvements réussis sur les 23 prévus, de clones sauvés… ; puis des chiffres surprenants et rigolos : combien de clones ont été écrasés, empoisonnés, laissés derrière, quelle distance a été parcouru en volant (avec l’iPad en unité de longueur !), et combien de fois le joueur a-t-il touché l’écran (!)… La deuxième preuve d’un logiciel hautement programmé en coulisses provient de la présence d’un mode multijoueur qui marche vraiment. C’est à dire que, réunis autour d’un seul même écran, deux à quatre personnes contrôlent chacun une créature pour essayer d’aller le plus loin possible à travers plusieurs niveaux. Les séances de jeu se révèlent courtes, burlesques, mais prenantes et forcément échauffantes en conditions rapprochées sur iPad mais aussi sur iPhone puisque l’appli a également le bon goût de partager ses sauvegardes entre iDevices.

Game VIP

Badland appartient au club très fermé des jeux sachant fusionner aspiration plastique et gameplay à la hauteur de son ambition visuelle (évoquons le Insanely Twisted Shadow Planet de l’illustrateur/animateur Michel Gagné). Le mélange accompli propulse le joueur vers une autre dimension, vers un monde organique aux règles autonomes où le joueur intervient sans jamais prendre totalement le contrôle. Un espace interactif quasi biologique où le joueur n’est pas poussé à devenir une méga puissance qui doit contrôler et dominer l’univers mais un agent participatif. Un invité qui, en « jouant », en interagissant, participe à la naissance publique d’une nouvelle dimension. Le joueur jouant devient l’ambassadeur et le révélateur de ce nouveau monde.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone

Les plus…

  • Gameplay simplissime et pourtant sophistiqué
  • Style graphique dessiné chaleureux et dépaysant
  • Bande son nature/animaux immersive
  • Jouer jusqu’à 4 simultanément

Les moins…

  • Sensations de perte de contrôle
  • Difficulté pas toujours égale
  • Un peu cher peut-être
(Publié le 15/04/2013 sur Hitphone.fr)

 


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Finding Teddy : Point’n click néo-retro

C’est à deux jeunes Français que l’on doit un très joli nouvel hommage à l’âge d’or des pixels des années 80-90. Non seulement ils revisitent la forêt d’Hyrule en version pixel art mais ils redonnent aussi à jouer en version minimaliste les point’n clicks d’il y a … 20 ans ? Le mélange prend un peu la tête mais surtout bouleverse les sens.

Finding Teddy

Le choc esthétique fait son effet dès les premiers écrans. Les contours ont beau se présenter sous forme de petits escaliers rudimentaires comme les pixels d’avant-hier, les couleurs tantôt vivifiantes ou retenues, la gestion de la lumière, et l’animation contrôlée aspirent immédiatement le spectateur. À coup sûr celui qui a traversé en personne les années 80 et 90, et, il faut l’espérer, les nouveaux venus qui trouvent là comme dans Fez, Sword & Sworcery, Canabalt et quelques chics autres, une superbe invitation à faire connaissance avec le design visuel d’une époque. Bien entendu, Finding Teddy et ses plus glorieux prédécesseurs utilisent la technologie d’aujourd’hui pour sublimer l’esthétique pixélisée inévitable d’alors. Quand il est réussi comme ici, le résultat dépoussière et redonne vie à ce qui semblait appartenir à une histoire oubliée en dehors des musées-greniers de retro gaming.

Synthèse artistique

Les deux auteurs ont tellement bien absorbé l’époque de référence que leur jeu a une capacité assez étonnante à la synthèse. Avec vraiment très peu d’effets à l’écran, des bruitages et des animations économes, ils arrivent à condenser émotion et narration en quelques images et sons. Il suffit d’un plan et de trois secondes pour saisir les enjeux et accompagner la petite fille dans un autre monde à la recherche de son nounours (un teddy bear en anglais bien sûr). Il suffit d’une descente en lévitation dans un pied de lumière sur un piédestal pour se savoir invité dans la forêt d’un Hyrule de A Link to the Past vu de profil. Il suffit d’une rencontre pour comprendre qu’il faut se méfier des créatures amies ou ennemies de la forêt tant qu’elles sont en noir et blanc. D’ailleurs, visiteuse incongrue dans cette forêt si colorée, la petite fille elle-même est en noir et blanc. Les animaux petits ou grands de la forêt ont des besoins et ne cèdent le passage que lorsqu’on leur apporte ce qui leur manque (à manger, à boire, de l’amitié…). Ou qu’on leur joue de la musique.

Pointer, cliquer, transpirer

Le gameplay fonctionne littéralement comme les jeux d’aventure point’n click d’antan. C’est à dire qu’il faut toucher le décor du doigt en espérant découvrir un élément réactif, associer un personnage ou un élément de décor avec un objet récupéré plus loin. La fillette traverse des écrans fixes vers la droite, la gauche, le bas et le haut et s’arrête à des positions fixes (un double tapotement permet de traverser les écrans en courant). Une mauvaise rencontre peut déclencher une mort immédiate (souvent cruelle) mais le jeu relance la situation exactement au même endroit. Puisqu’il n’y aucune espèce de mode d’emploi ni indication écrite à l’écran, il faut tout deviner et c’est tant mieux. Une mouche et un chat noir, tout à fait inoffensifs, viendront peut à peu aider occasionnellement la petite fille à attraper ici ou là un objet inaccessible.

La musique n’adoucit par les mœurs du point’n click

Le jeu a été réalisé en quatre mois, annoncent sans fanfaronnade les crédits. Un exploit qui explique aussi quelques petites approximations. La besace affichée en cercle façon Secret of Mana autour du personnage offre 6 poches qui ne seront jamais remplies puisque à part un flacon, chaque item utilisé disparaît aussitôt. Le tapotement sur la vitre ne réagit pas toujours au quart de tour quand il s’agit de faire afficher ce fameux cercle ou la partition qui descend du haut de l’écran. Des petites latences agaçantes mais sans conséquences sur le gameplay puisque qu’il n’est évidemment pas du tout question de faire marcher ses réflexes. Volontairement énigmatique, l’alphabet musical ésotérique se révèle surtout très contrariant (autant le savoir tellement il finit par crisper : 26 notes égales 26 lettres réparties sur une portée de 3 lignes). Le dessin pixélisé de certaines lettres est à la fois brouillon et trop similaire (le h et le i, le m et le n). L’identification des lettres est surtout aggravant parce que le jeu attend du joueur de reconnaître des séquences de notes de musique… à l’oreille. Là où les Ocarina of Time et Wind Waker de référence jonglaient entre mémoire visuelle et auditive, Finding Terry impose vraiment de reproduire sans aide visuelle jusqu’à 5 notes de musique. En sachant que les notes jouées par le programme se superposent à la partition musicale et aux notes que le joueur tente de jouer lui-même en tapotant sur les notes vierges de la partition, le résultat est plus souvent confus que serein malgré le joli concept musical.

Le pixel art ne se marchande pas

Alors qu’il est reproché, à tort, aux énigmes du très réussi The Cave du vétéran des jeux d’aventure pointer-cliquer Ron Gilbert (actuellement sur consoles de salon et PC) d’être tirées par les cheveux, ce serait plutôt du côté de Finding Teddy qu’il faudrait tourner ses plaintes. En version très modeste évidemment puisque le jeu se déroule en trois petits chapitres et quelques rébus. Si certaines associations d’objets vont de soi, d’autres imposent le vieux principe des aller-retour à tapoter tout et n’importe quoi à l’écran en espérant déclencher la bonne séquence. Qu’on se rassure, les décors sont épurés et les « clicks » pas si inutiles puisqu’il s’agit aussi de dénicher des lucioles qui débloquent de très jolies illustrations de travail sur le jeu. Mais on l’aura compris, l’essentiel est ailleurs. Quitte à se faire un peu aider (guide en anglais ici Finding Teddy se traverse surtout comme une succession d’émouvants tableaux redonnant de la lumière et des couleurs sur des univers enfouis dans les souvenirs. Le prix vaut largement la chandelle.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone et iPad

Les plus…

  • Bouleversant à regarder et entendre
  • Le rythme paisible incitant à la contemplation
  • Le mélange de nostalgie et de réinvention artistique

Les moins…

  • Énigmes à base de reconnaissance sonore quand même sévères
  • L’alphabet ésotérique moitié visuel moitié musical un rien trop confus
  • Petits flottements dans les commandes sur la vitre
(Publié le 20/02/2013 sur Hitphone.fr)

 


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BEST OF JEUX 2012 : L’année du loot

Sans rire, ni pleurer, ni – comme d’habitude – s’interroger, le jeu vidéo s’est inventé en 2012 un nouvel argument commercial ridicule : le « loot ».

dunwall_bridge_concept_art_by_viktor_antonov

Des RPG aux FPS, la pratique utilitaire bien banale du jeu vidéo consistant à ramasser sur sa route des orbs, des pièces de monnaie, des flacons, de la magie et des munitions s’est transformée en pratique de masse. Au point de devenir un argument marketing à part entière. Un bon jeu solo aujourd’hui doit garantir une grosse dose de… looting, c’est à dire, en bonne traduction de… pillage ! Après les assassinats et autres descentes militaires en piqué, le jeu vidéo continue de cultiver le bon goût. Fouiller ou fracasser les placards, caisses ou coffres ne suffit plus. Pour trouver sa dose de subsistances ou de pseudo richesses, il faut impérativement dépouiller le cadavre d’un civil, d’un soldat, d’un maniaque, ou d’un monster, gentil ou méchant peu importe. L’important étant qu’il soit à terre, criblé de balles, égorgé, nuque brisée, brûlé vif, mort si possible, mais pas forcément. L’agonie lente, voire perpétuelle à moins d’un coup de crosse final, fait désormais aussi partie du folklore obligé…

Sans connaître par cœur ni les règles de guerre ni les lois de la cité, il semble connu de tous que, dans la vie, le pillage et la fouille de dépouilles sont strictement forbidden sous peine de… Sans même parler du code de l’honneur, de la dignité ou du dégoût pur et simple. Une critique mesquine et déplacée parce que, bien sûr, le jeu vidéo aurait comme vertu cathartique d’autoriser ce qui serait « tabou ». Sauf que dans le jeu vidéo les lignes rouges virtuelles – mais intellectuelles – se franchissent sans le savoir, en toute tranquillité. Il n’y a donc pas là transgression consciente ni bras d’honneur d’insoumis, mais une banalisation de la bêtise humaine transformée en activité virtuelle sans queue ni tête. Le jeu vidéo du jour brouille les pistes d’un monde réel de plus en plus flouté au lieu de l’éclairer comme il en a le potentiel (merci éternel à Journey justement). Mariée au level-up, la collecte d’items divers existe évidemment depuis longtemps dans certains jeux très spécialisés comme les jeux de rôle japonais, américains ou massivement multijoueur en ligne. Mais elle se retrouve aujourd’hui au premier plan aussi des jeux d’action avec, en plus, une surenchère quantitative conduisant à l’absurde organisationnel et scénaristique : stockage mobile arbitraire et de toutes façons jamais suffisant qui oblige à abandonner au hasard son butin sur la route. La fusion des genres, RPG + action ou FPS, et la combinaison de la puissance de calculs et de l’absence d’imagination conduisent à un remplissage du vide par le… looting.

Symbole plus rigolo mais tout aussi tragique de cette fuite en avant vers la surconsommation en substitut d’action, au lieu de se réinventer un gameplay, Mario lui même oblige désormais à courir après 1 million de pièces jaunes sur 3DS ! Sans (ouf !) toucher au cadavre encore fumant d’un ennemi. Quoi que, les koopas tout de même…

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Top Jeux inédits 2012

Au sens figuré, le pillage culturel du jeu vidéo s’est aussi normalisé en son sein. Les clins d’œil et autres hommages au début joliment qualifiés de rétro gaming respectueux sont surtout devenus prétexte à fabriquer aujourd’hui à la chaîne des jeux pas très chers à partir des codes graphiques et interactifs d’hier. La frontière reste fine entre réimagination et pillage du patrimoine. Il n’empêche, dans les best-of des jeux inédits retenus (les suites à chiffres ont leur propre palmarès ci-après), le nombre de jeux uniquement créés et vendus en dématérialisé a explosé. Bien qu’il faille bien un peu déplorer la fin prochaine des jeux et boutiques physiques, le jeu vidéo en tant que moyen d’expression, lui, a déjà trouvé son nouveau terreau.

1 / Journey (That Game Company)
Un jeu-Monde comme il n’en existait pas encore. Après flow et Flower, le jeu vidéo tient réellement en Jenova Chen le nouveau phare lumineux du médium interactif. Celui qui ouvre la voie et l’horizon, celui qui comprend le jeu vidéo traditionnel et refuse de le soumettre aux diktats barbares contemporains et aux conventions archaïques. L’œuvre de Jenova Chen compense en la complétant l’absence de celle de Fumito Ueda et de son Last Guardian qui manque toujours à l’appel. Le voyage espéré en début d’année a fait plus que se confirmer. Nouvelle preuve de la marque durable de cette œuvre majeure, Journey a été nominé 11 fois aux prochaines récompenses de The Academy of interactive Arts & Sciences (DICE).

2 / Dishonored (Arkane Studios)
Depuis le premier Assassin’s Creed on n’avait pas vu lancement médiatique aussi assourdissant. À tel point que la méfiance devenait de facto un pré requis. Sur le terrain, c’est à dire entre les murs et sur les toits de la cité de Dunwall imaginée par Viktor Antonov, le buzz collectif pénible se transforme en joie solitaire. Depuis Bioshock on n’avait pas vu ça, une telle cohérence entre le fond et la forme, les visuels et le level design, le scénario et les dialogues, un tel équilibre entre contraintes et liberté d’action. Seul le titre cloche. Honored aurait été plus à sa hauteur.

3 / Gravity Rush (Sony Computer Japon)
Double choc 2012. Un des jeux les plus innovants et enthousiasmants de l’année existe uniquement sur la déjà mal aimée PlayStation Vita et a été conçu par une équipe japonaise en pleine forme créative ! Deux atouts improbables à l’aube des années 2010 et pourtant. Réalisation graphique audacieuse, canons du beat-em all à la japonaise respectés mais pas seulement, l’aérien Gravity Rush dynamise l’exploration libre de la magnifique ville suspendue grâce à la manipulation de la pesanteur et les commandes singulières de la nouvelle console Sony. Un jeu signé Keiichiro Toyama (Silent Hill 1, Forbidden Siren) qu’il ne faudra désormais plus lâcher.

4 / Sound Shapes (Queasy Games)
Trop passé inaperçu, ce jeu de plateforme néo rétro hyper design et jouable au choix sur PlayStation 3 et/ou PS Vita fusionne avec un culot réussi plusieurs milieux artistiques : graphistes, musiciens et concepteurs de jeu. Le touché quasi parfait du gameplay met en scène des décors dessinés faussement abstraits d’une grande pureté plastique et des musiques électro d’un grand chic.

5 / Deadlight (Tequila Works)
L’héritier direct et responsable de Another World, Flashback, Prince of Persia (original), Oddworld : Abe’s Oddysee et donc un jeu de plate-forme/action en scrolling horizontal profitant de l’Unreal Engine pour fignoler tous les détails visuels et d’animation à la hauteur d’un blockbuster en 3D. L’ambiance générale, le rythme posé, l’assurance du gameplay, l’écriture et les dialogues, dont les voix américaines très solides, en font un jeu d’une grande maturité. Au point d’arriver à faire pardonner l’exploitation rabâchée des zombies. Réduits à l’état de silhouettes noires ils sont judicieusement baptisés « ombre ». Sans doute un contre-point au titre du jeu. Version furtivité plus cartoon, le brillant Mark of the Ninja le talonne.

6 / Little Inferno (TomorrowCorporation)
Quand on pense aux mille efforts des blockbusters pour se donner l’air transgressif alors qu’il suffit d’un feu de cheminée pour foutre le feu aux bonnes manières ! Tous supports physiques ou dématérialisés confondus, la plus étonnante pépite de la Wii U se cache pour l’instant dans le tout nouvel eShop Nintendo avant de sortir, comme il était prévu, sur iPad (dispo aussi sur PC/Mac et Linux). Les créateurs du fantastique World of Goo accouchent d’un jeu au plan fixe sur une cheminée où le joueur jette tout ce qu’il trouve dans des catalogues inutiles, y compris des nounours en peluche. Dans un plaisir forcément hautement subversif, tout est consommé jusqu’aux cendres. Y compris l’enfance et l’amour.

7 / Papo & Yo (Minority)
Le jeu a clairement quelques raideurs techniques mais l’intention derrière ce projet mérite toutes les louanges. Il fallait oser glisser le joueur dans la peau d’un petit garçon se faufilant dans une favela brésilienne. Il fallait oser lui associer, sans perdre son sérieux, une créature géante rose tantôt docile ou colérique. Il fallait oser y glisser une métaphore du fils et du père sous l’emprise de l’alcool.

8 / Escape Plan (Fun Bits Interactive)
L’ambiance gothique cartoon noir et blanc encre de chine vaut tous les messages dans ce jeu de réflexion-action pas si sobre qui exploite malignement le dos tactile de la PS Vita. Comme dans un film muet, le mélange de cruauté et de candeur met en valeur les deux personnages que l’on peut qualifier de Laurel & Hardy du jeu vidéo. C’est un compliment.

9 / Little Big Planet PS Vita (DoubleEleven)
Sans trop de surprise sinon une bonne, entre les mains d’un nouveau studio, le bébé de Media Molecule continue sa belle route créative et n »oublie pas de mettre en valeur les fonctions tactiles recto-verso de la PS Vita. Le jeu redevient expérimental pour le plus grand plaisir.

10 / The Walking Dead (Telltale Games)
Malgré de gros soucis technique et même ergonomique, le jeu émotionnellement presque digne de la série marque les esprits et l’industrie du jeu vidéo en réussissant d’une pierre deux coup (et 5 épisodes) ce qui échappait jusque là au médium : à savoir un modèle dramatique interactif et un modèle économique interdépendant. La progression dramatique réussie entretient le format épisodique à rebondissements et, réciproquement, le fractionnement en épisodes génère une tension et un désir d’en savoir plus. Un certain David Cage qui espérait déjà accoucher de ce modèle au début des années 2000 avec Fahrenheit doit grincer des dents, ou être content d’avoir eu raison. Et, pour faire bonne mesure, le jeu trouve aussi toute sa place sur l’écran tactile de l’iPad.

Top suites 2012

Elles sont là, ronflantes, rassurantes pour la population gamer qui en veut pour son argent, obligées par l’économie et la technologie qu’il faut amortir d’épisodes en épisodes, équipées quasi systématiquement de multijoueur pour, toujours, les mêmes joueurs, au détriment de ceux continuant à valoriser les aventures scénarisées. Et, quitte à soupirer devant la répétition, il faut les jouer parce que les blockbusters, avec leurs défauts et leurs rengaines, restent encore aujourd’hui le fleuron technologique de l’industrie du jeu vidéo. Et parfois, oui parfois, dans les suites, les auteurs arrivent à se réinventer. Ainsi dans ces trois jeux qui s’appuient sur leur concept initial pour aller un peu plus loin…

1 / Darksiders II (Vigil Games)
La production over ambitieuse provoque quelques hoquets techniques mais rien qui freine le gameplay en temps réel. Cette suite accentue très franchement la partie exploration/puzzle des donjons au détriment du hack & slash – de toutes façons plus sophistiqués que God of War grâce à l’équipement – et rapproche ainsi plus ouvertement le jeu du modèle Zelda. Plus complet, plus intense, bien écrit, bien joué, et totalement authentique avec, en plus, une version Wii U aux qualités certaines comme celle de donner accès directement au donjon du DLC inclus.

2 / The Darkness II (Digital Extremes)
Oui le FPS fonctionne un peu trop en couloir mais scénaristiquement les trajets restent logiques. Et surtout, la réalisation flamboyante, des visuels aux bruitages, de la narration off aux dialogues en anglais presque dignes, cette fois, du cinéma, placent cette production au top des réussites. Prise en main comprise. Le gore, condamnable parce que inutile dans tant d’autres productions, a ici toute sa place grâce à l’autodérision qu’il implique. Rarement la schizophrénie a été aussi bien mise en scène dans un jeu vidéo.

3 / Far Cry 3 (Ubisoft Montreal)
La bonne surprise est arrivée presque sans alerte. Suite ou pas, ce Far Cry efface les précédents velléitaires et devient la référence du FPS open world en milieu sauvage. Là aussi l’acting VO au top et un touché remarquable combiné à un joli sens topographique donnent corps et presque âme à un terrain de jeu/chasse saisissant. Cette fois, le joueur n’a plus besoin de rugir pour jouer au prédateur, il l’est, tout simplement. Et, il faut le signaler, en dehors des impeccables Rayman 2D, voilà un des rares jeux Ubisoft dont la prise en mains est non seulement totalement fiable mais vraiment jouissive.

Mentions spéciales à…

Spec Ops : The Line (Yager Development)
Pour ses couleurs, son sable rouge, son épatante mise en scène de l’introduction et, bien sûr, son décor inédit tout en verticalités de la ville de Dubai, ce TPS militaire s’impose artistiquement malgré une violence parfois crasseuse et au fond inutile.

Black Knight Sword (Grass Hopper)
Il faut quand même du génie pour mener à bien un tel concept et fondre un jeu de plateforme/hack & slash dans un décor de théâtre macabre en carton où le héros se déplace vraiment sur scène, devant le rideau ! Le jeu vidéo dans son ensemble avance de deux cases créatives grâce à ce projet dingue et réussi.

Catherine (Atlus Persona Team)
Totalement inclassable, c’est sa force, aux côtés de Gravity Rush et du récent Black Knight Sword, cet OVNI nippon sorti tardivement (mais courageusement) en Europe redonne foi en la scène japonaise. Même, et surtout, si l’on ne comprend pas tout. Il y a des sentiments, un peu, de l’érotisme, pas plus, de l’ésotérisme, pas trop, de la dérision, pas mal, et une partie action étrange où il faut grimper un escalier jusqu’aux cieux, à moins que cela ne soit l’enfer. Indescriptible donc.

> Okami HD (Capcom)
La réédition en HD sur PlayStation 3 avec ou sans le PS Move, redonne toute sa glory au jeu flamboyant de ex Clover Studio et confirme ce que les initiés savaient déjà depuis la PlayStation 2. À savoir qu’il s’agit là d’un des monuments du jeu vidéo et donc à entretenir absolument. Merci Capcom et Sony.

> Consoles Sony
La majorité des gamers hardcore s’active plutôt sur Xbox 360 et Xbox Live, mais comme le soulignent les tops ci-dessus, les jeux les plus créatifs et les plus innovants sont apparus cette année sur le PlayStation Network de la PlayStation 3 et sur la PlayStation Vita ! Un paradoxe terrible qui fait craindre que les consoles Sony ne deviennent des appareils arty pour happy fews avertis. Alors s’il fallait faire un vœu pour 2013 : rallumons nos PS3 et PS Vita et osons les jeux vidéo audacieux exclusifs, ils ne coûtent pas très cher, eux, et entretiennent bien plus sérieusement la culture du jeu vidéo.

> iPad Mini
Oublions les petites haines et jalousies partisanes héritières de la tradition consoles, car le futur du jeu vidéo pourrait bien être là (le GamePad Wii U en atteste en tous cas). Parfait compromis ergonomique entre l’iPod Touch/iPhone et l’iPad standard, l’iPad Mini a surtout le potentiel vertigineux de supplanter toutes les autres consoles de jeux portables. Même en se passant des si pratiques boutons tradis des PS Vita et 3DS. Sans le ressentir soi-même, il suffit de bien regarder sur quel appareil se ruent en priorité les enfants qui ont accès aux trois machines. Indice : ce n’est ni une machine Sony, ni une machine Nintendo. Alimenté par un App Store de plus en plus fourni en « vrais » jeux, l’outsider Apple d’hier est chaque jour mieux armé pour prendre la première place. Pour ne pas s’en inquiéter, après tout, il suffit de ce saisir de ce nouvel outil interactif. Le reste, c’est à dire le plaisir et la prise de conscience, viendront tout seul…

8 jeux IOS inédits incontournables

– Rayman Jungle Run
– The Walking Dead
– Lili
– Nihilumbra
– MotoHeroz
– The Room
– Tentacles Enter the Dolphin
– Vectrex Regeneration

François Bliss de la Boissière

 


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Canabalt : À perdre haleine

L’adaptation sur iOS de jeux Flash n’a pas fini de joliment surprendre. Ainsi ce très rétro chic Canabalt disponible depuis 2009 sur PC et qui entraine dans une exténuante et irrésistible fuite en avant sur iPad et iPhone.

canabalt

Rien ne vaut le noir et blanc pour faire chic. Ajoutez quelques dégradés de gris, un dessin en aplats avec des contours angulaires en escaliers faisant référence aux jeux vidéo des années 80 et voilà que surgit, avec le bon dosage, du « pixel art ». La scène Flash, par définition limitée dans ses ressources, en a fait grand usage. Issu de ce vivier créatif, le trop discret Canabalt passe beaucoup moins inaperçu une fois en main. Parce que derrière cet emballage sobre presque aristocratique se cache un jeu totalement hystérique, fondamentalement rigolo, et drôlement bien rodé.

« Run Forrest Run » (Forrest Gump)

Dans un pur dépouillement du jeu de plateforme réduit à l’essentiel, le gameplay consiste exclusivement à aider un petit bonhomme courant automatiquement de gauche à droite à éviter les obstacles ou à chuter dans le vide. Son parcours se fait sur le toit de buildings avec la ville en arrière-plan. Dès la première seconde le type court comme un fou sans jamais s’arrêter. Son pas va même en accélérant au fur et à mesure que le joueur réussit à éviter des obstacles friables sur sa route qui le ralentissent un peu. Plus il va vite, plus il va loin, plus il peut sauter loin et donc franchir des distances de plus en plus grandes entre les toits d’immeubles ou les quelques grues qui les séparent. Mais plus il va vite, plus l’anticipation devient difficile dans un redoutable mélange de jeu de réflexe et d’appréciation des distances. L’unique action consistant à déclencher le saut en appuyant sur la vitre, la vraie difficulté consiste à apprécier en une fraction de seconde la distance et la hauteur du saut à effectuer. Plus la pression sur la vitre est longue plus le bonhomme saute haut et, en fonction de sa vitesse, loin. Mais certains immeubles ou échafaudages se révèlent plus étroits que d’autres, un saut trop enthousiaste peut conduire de l’autre côté du toit visé.

Hystérie intérieure

Totalement concentré sur son objectif (course hystérique), et son contexte (les toits de buildings), le jeu organise le tumulte intérieur du joueur avec des moyens économes mais particulièrement bien choisis. Le vrai régal vient ainsi du minimalisme des moyens qui n’assomment pas les sens et qui, au contraire, incite à la revisitation. Visuels, animations, bruitages et musique de Danny Baranowsky, tous finement ciselés et mis en scène redonnent une apparence artistique presque fraiche à un gameplay bien connu dans les parcours finaux ou alternatifs de mille et un jeux de plate-forme old school. Un bruit de verre brisé en franchissant une fenêtre, l’envol d’un groupe de pigeons affolés, le grondement monstrueux du passage d’un aéronef incongru, nourrissent les yeux et les oreilles d’informations à la fois utiles à donner vie à l’action et volontairement troublantes par rapport aux micro-décisions à prendre. Le vrombissement du survol de l’engin à réaction annonce par exemple le largage d’un robot qu’il faudra éviter, ou pas. La tension s’installe parce que les évènements ne sont pas systématiques et qu’il n’est pas possible de mémoriser par cœur le parcours. Le décor et ses obstacles déclinent un nombre évidemment limité d’aléas mais leur enchainement parfaitement fluide varie d’une partie à l’autre. Y compris quand l’immeuble sur lequel on court s’effrite et s’effondre ou quand (un des accidents les plus mortels) il faut limiter son saut pour franchir brusquement un couloir limité en plafond alors que la majorité du temps seul le ciel est la limite.

Course sans fin

On avait laissé avec un peu de regret l’héroïne de Mirror’s Edge s’essouffler dans une course de run and jump en 2D faisant contre mauvaise fortune bon coeur sur iPhonepar rapport au jeu original en full 3D sur consoles de salon. Pas de regret ici, Canabalt offre tout son potentiel de la première à la dernière seconde. Avec classe, humour et ironie comme le révèlent discrètement le simple bruit des pas de courses puis, plus ouvertement, les phrases qui décrivent en détail l’échec et la mort du joueur. Et d’ailleurs quelle est exactement cette dernière seconde ? On ne le saura sans doute jamais. Si l’on en croit les scores mondiaux enregistrés consultables dans le jeu, comme ceux de ses amis Game Center, la course effrénée du mec affolé continue indéfiniment. Le score comptabilise le nombre de mètres parcourus en une session. De quelques centaines à quelques milliers dès que la concentration du joueur arrive à se maintenir et résister aux surprises du parcours. Et surtout à tenir la distance et la durée. Le meilleur score est à ce jour calé à 141 505 mètres, contre les 8000 maximums décrochés pour ce test après bien des efforts ! Aucun doute, Canabalt survol et trace sa route.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Style graphique pixel art
  • Musique de Danny Baranowsky (Super Meat Boy)
  • Toucher précis et capable de nuances
  • Interface hyper réactive

Les moins…

  • Principe de jeu unique forcément répétitif
  • Connexion Twitter intégrée défaillante
  • Un peu cher
(Publié le 28/02/2012 sur Hitphone.fr)

 


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iPad Mini : Extension du domaine du jeu

Sans être tout à fait une surprise, l’iPad Mini révèle un potentiel sans limite repérable. Nouveau standard de tablette, remplaçant de l’iPad traditionnel, tueur de liseuses numériques et des mini tablettes Android ? Tout cela et même plus, comme d’être en situation de devenir la console portable du marché qui renversera pour de bon les autres. Ce qui déchainera les passions…

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Sidération…

Steve Jobs n’en voulait pas et il faut continuer de donner raison à son intuition visionnaire. Deux ans et demi séparent ses déclarations et la sortie de l’iPad Mini. Une éternité sous le tempo du tic-tac emballé de l’horloge numérique. Aujourd’hui, l’évidence physiologique de l’iPad Mini contredit moins le gourou d’Apple qu’elle ne conforte et prolonge son flair. À chaque moment du temps et de l’espace son point de convergence. L’iPad 1 avait sa raison d’être dans le paysage numérique il y a deux ans, l’iPad Mini a la sienne aujourd’hui. Steve Jobs en aurait sans doute convenu. L’entreprise orpheline Apple a en tous cas pris sans lui cette décision importante à plus d’un titre. L’iPad Mini est notamment la première création d’un appareil Apple qui n’aura été ni souhaité ni conçu par Steve Jobs. Même si bien d’autres considérations économiques sont à l’origine de la naissance de l’iPad Mini, du point de vue simplement empirique de l’utilisateur, Apple a eu raison de s’émanciper. Car après la stupeur de tenir un iPad aussi léger, nait la réalité bien concrète de l’usage. Et, contre toute attente, l’iPad Mini trouve sa place dans le quotidien de la vie numérique sans nécessairement phagocyter l’iPhone ou l’iPad traditionnel.

Logique de la généalogie numérique

Quand le premier iPad a été présenté au monde en 2010, l’ambassadeur d’un futur post… ordinateur de bureau (attention à ne plus vexer les ténors du monde PC au risque de les pousser à refaire… Surface) devait frapper l’esprit et les sens. Son généreux format A4 entre les mains affirmait sans conteste la « magie » de ce nouvel avatar de la révolution numérique en cours. Le rapport surface d’écran et finesse de la machine (y compris du lourdaud premier iPad sans équivalent en 2010) avait le pouvoir de créer un choc sensoriel, de bousculer la programmation des cerveaux calés sur le format des écrans de smartphones ou d’ordinateurs de bureau. Tout à coup les magazines, les eBooks, Youtube, Internet dans son intégralité (sauf le controversé Adobe Flash bien entendu) et les jeux vidéo s’affichaient dans une toute nouvelle splendeur digitale, surtout intimement saisie par les mains. Le statut naturel de cahier numérique endossé par l’iPad réduisait le populaire iPhone à l’état de carnet de notes et s’imposait, pour les consommateurs assidus de contenus digitaux, comme un grand frère complémentaire chez soi, au bureau, ou au café. Une évidence pratique qui se découvre chaque jour en se substituant carrément à des usages professionnels : présentateur TV équipé d’un iPad (maquillé) à la place d’une pile de fiches, chef d’entreprise lisant son discours sur un iPad, conférenciers, médecins, aviateurs, banquiers, commerciaux, photographes, artistes… et bien d’autres. Quelques 100 millions d’exemplaires vendus plus tard, l’iPad est devenu un standard du monde informatique, c’est à dire de l’usage quotidien du numérique.
Néanmoins, malgré son apparente portabilité, notamment depuis la version 2 plus franchement slim, la taille et le poids (601 à 652 g) de la tablette 9,7 Apple deviennent handicaps au moment de vraiment l’utiliser en mobilité. L’iPad se transporte d’un endroit à l’autre pour être utiliser à un endroit ou à un autre mais malgré de nombreuses tentatives, il n’arrive pas sincèrement à rejoindre un usage mobile. Trop lourd trop encombrant trop voyant. Dès qu’il met la main sur un iPad Mini, un usager d’iPad standard ressent un choc physique presque irréel. Les dimensions si radicalement réduites d’un outil si familier (presque moitié moins lourd) déclenche un premier rejet d’incrédulité avant d’ouvrir grand les fenêtres de possibles déçues de l’iPad 1 et 2.

Tablette reboot

Qu’Apple l’ait envisagé ou pas, l’iPad Mini déclenche une totale réévaluation des usages de l’iPad traditionnel. Le mini offrant exactement les mêmes services à travers le même catalogue de 275 000 applis, il ne faut pas longtemps pour mesurer celles qui gagnent au change de la réduction. Première évidence, la lecture de livres numériques. Le format 200 x 134,7 mm le rapproche de celui d’un livre et son demi poids, plus léger encore en ressenti que sa pesée réelle (308 g), permet vraiment de le tenir d’une main sans fatigue. Y compris en position horizontale puisque le cadre étroit ne laisse pas beaucoup de marge pour le tenir en vertical. Les sessions de lecture allongé sur canapé ou dans le lit avec un iPad normal deviennent brusquement des souvenirs douloureux. Testé dans la rue grâce au partage de connexion 3G via Wi-Fi d’un iPhone, l’iPad Mini, même seulement Wi-Fi, devient de facto l’écran GPS de préférence. Facile à dégainer d’un sac à main, beaucoup plus intuitif à tenir là aussi d’une main que l’iPad, il n’encombre pas la marche à pied ni les mains. Son écran nettement plus généreux que l’iPhone devient, tel un GPS automobile de luxe, un vrai guide visuel en marchant là où le petit écran de l’iPhone oblige l’utilisateur à se crisper sur son écran au lieu de regarder son trajet. Grâce à de nombreuses applis, l’iPad fait également office de télécommande d’une installation audiovisuelle à domicile. Les mêmes aptitudes de l’iPad Mini, sans l’encombrement sur la table du salon ou sur les genoux, réinventent et facilitent là aussi l’usage domestique. D’une manière générale, le Mini passe de mains en mains beaucoup plus facilement, s’attrape et se trimballe d’une pièce à l’autre avec une décontraction que ne supporte pas l’autre iPad. L’iPad Mini craint sans doute autant la chute que son grand frère mais sa légèreté la rend moins probable, sa prise en main plus assurée. Chaque nouveau jour de cohabitation une scission naturelle distingue peu à peu les usages avérés et potentiels de chaque appareil.

Mini problèmes

Plus évident à la lecture d’eBooks et d’un certain nombre d’autres pratiques, l’iPad Mini trouve quand même ses limites. Par exemple dans la lecture de magazines ou de quotidiens (le grand argument contre une tablette petit format de Steve Jobs justement). Le ratio d’écran du Mini étant le même que l’iPad 2 non rétina (1028×768 px), les éléments graphiques s’affichent en petit format et, dans le cas de certains boutons de commandes (les + et x de la navigation sur Safari notamment), deviennent plus délicats à déclencher. Rien de choquant pour un utilisateur déjà bien habitué aux miniatures sur iPhone, mais crispant par rapport à l’accessibilité spontanée du « grand » iPad. La saisie de texte au mini clavier virtuel cumule, elle, des avantages et des inconvénients. Les touches plus petites imposent là aussi un exercice de légèreté que sauront maîtriser sans problème les forcenés du speed texto sur Smartphones mais qui éloignent encore une fois l’iPad de la convivialité d’un clavier physique pour la saisie de texte au kilomètre. En revanche, grâce à ses dimensions plus resserrées, les touches du clavier alphanumérique s’accèdent plus facilement et donc plus vite. En particulier celles regroupées au centre de l’écran en position horizontale qui obligent à parfois allonger la main sur iPad traditionnel. Et il en va de même pour toutes les commandes et prompteurs placés au milieu de l’écran. Les audaces ergonomiques du jeu vidéo offrent à ce titre un bon test.

Game changer

Voilà déjà plusieurs années que l’iPhone et son pendant iPhone Touch se comportent comme des consoles portables, quand bien même personne n’ose l’affirmer ainsi, en particulier Apple. Dans leur foulée, les premières générations d’iPad ont magnifié le catalogue de jeux de l’AppStore qui couvre désormais tous les genres, tous les styles et toutes les époques. En s’immisçant entre le petit écran des iPhone/iPod Touch et les grands écrans de l’iPad, le Mini semble encore une fois redondant, bâtard le cul entre deux chaires. À l’usage pourtant, dégager en touche l’iPad Mini s’avère une plus grosse erreur théorique encore concernant le jeu vidéo. Car en réalité, de Angry Birds à Secret of Mana, de Another World à Skylanders, de Lazy Raiders à Need forSpeed, l’iPad Mini devient la première vraie console de jeu Apple susceptible de supplanter toutes les autres. Un danger d’autant plus sérieux pour la concurrence que ce damné iPad Mini arrive encore une fois non déclaré sur le terrain du jeu vidéo. Et que les enfants, déjà scotchés aux iPad et iPhone, ne vont pas s’embarrasser de scrupules culturels made in jeux vidéo traditionnels pour se ruer sur l’irrésistible l’écran de l’iPad Mini.

Le jeu vidéo traditionnel sous pression

L’affaire est grave pour les constructeurs historiques Sony et Nintendo, et dans une moindre mesure Microsoft, que tous les gamers du monde affectionnent, même si officiellement ils nient la menace. En particulier un Nintendo qui joue à l’aveugle de surface tout en allumant des contre-feu aux propositions Apple (3D sur 3DS, manette tablette sur Wii U, écosystème favorable aux développeurs indes sur eShop…). Quelques minutes de jeux sur iPad Mini suffisent sans aucun doute à donner un énorme coup de vieux à la PlayStation Vita et à la 3DS. Et même au GamePad de la Wii U qui se la joue console portable de salon. Nul besoin de se déclarer expert en ergonomie pour saisir à quel point la simplicité, l’éclat et la réactivité de l’iPad Mini remplacent d’une seule vitre lisse tous les efforts « boutonneux » de la concurrence. La finesse de l’appareil entre les doigts, sa vitre à tout faire, son impression de légèreté presque déraisonnable compensée par la sensation de solidité procurée par la coque métallisée, rendent l’appareil bien plus malléable que toutes les autres solutions tout à coup vulgairement mécaniques des constructeurs historiques. Presque n’importe quel jeu devient une évidence sur iPad Mini. La taille de l’écran ouvrant grand, mais pas trop, le jeu, l’écartement des mains et donc la prise en mains bien plus crédible et proportionnée que celle de l’iPad tradi… Toutes les manipulations et formes de contrôle à une ou deux mains deviennent intuitives, mieux, agréables. Si les consoles portables traditionnelles étaient comparées à des épées versatiles prêtes à tous les combats, l’iPad Mini serait un sabre de samouraï. Sous l’autorité de son design, tous les jeux se transforment en expériences pures. Même avec les jeux quelconques, rudimentaires ou mal fagotés. Et, à fortiori, avec un bon jeu, même compliqué par les ersatzs de contrôles analogiques sur la vitre. Une limite ergonomique de moins en moins sensible grâce au génie des créateurs de jeu qui s’adaptent de mieux en mieux à ces nouvelles contraintes et réinventent petit à petit de nouvelles interfaces ou façons de jouer.

Mario acculé

Bien sûr, comme le démontre encore une fois le GamePad de la Wii U, les sticks analogiques et boutons physiques offrent l’expérience de jeu la plus riche. Mais cet héritage ergonomique mécanique des années 80-90 est voué à disparaître. Même si Nintendo semble faire deux pas en arrière avec les interfaces de jeux traditionnelles associées à la Wii U à moitié portable, le GamePad propose bien de jouer, comme la DS et 3DS, en touchant une vitre au doigt ou au stylet. La PS Vita de Sony inclut toujours des boutons mais un jeu Vita porte réellement son nom et son ambition quand il use et abuse de fonctions tactiles rétro verso comme l’attendu Tearaway de Media Molecule. Il suffit de regarder autour de soi pour apercevoir toute une génération de joueurs naître dans et avec les interfaces tactiles. Sans compter le fond désormais commun d’aptitudes gyroscopiques et de reconnaissance de mouvements des appareils dans l’espace, et pas seulement des manettes. À ce petit jeu vidéoludique non déclaré, l’iPad Mini prend instantanément la pole position. Aussi rudimentaires soient-ils aujourd’hui, les jeux de course de l’App Store deviennent de redoutables concurrents avec un iPad Mini jouant parfaitement au volant sans fil là où la taille de l’iPhone ridiculise le geste, et le poids de l’iPad normal plombe l’exercice au-delà de la curiosité. Et puis, tout simplement, l’écran 7,9′ et le piqué (même non Retina) de l’iPad Mini tournent en dérision ceux pourtant courageux de la 3DS XL, de la PS Vita et du GamePad Wii U. Au-delà du matériel, ils restent aujourd’hui encore à Nintendo et Sony des arguments de poids du nom de Mario, Zelda, Pokémon ou Uncharted, Little Big Planet, Gran Turismo qui garantissent, pour l’instant, la fidélité d’une clientèle. Mais Sega, Square Enix, Microsoft, Ubisoft, Capcom, Epic et bien d’autres encore éditent et développent des jeu sur l’AppStore, anciens ou inédits. À quoi s’ajoute une scène indé de plus en plus libre et présente, composée de vétérans du jeux vidéo et de nouveaux venus.

Détournement de tsunami

Même si la première vocation de l’iPad Mini consiste à endiguer le raz de marée de tablettes mini formats inventées par la concurrence, quelques semaines de cohabitation quotidienne avec le petit iPad révèlent avec assez de certitude que le barrage défensif d’Apple va très vite se transformer en détournement du courant. Et ce, encore une fois, contre la plupart des pronostics et le scepticisme à vue courte où se rejoignent professionnels blasés du commentaire et population indifférente ou mal informée et donc légitimement, elle, méfiante. Au cœur d’un modèle de vie numérique actif, bien entendu, les deux modèles d’iPad se révèlent complémentaires au lieu de se concurrencer. L’un et l’autre format ne font que ventiler vers l’écran le plus adapté et le plus accessible sur le moment les apps et services communs de l’écosystème Apple. Logées à la même enseigne que les consoles de jeux vidéo portables, malgré leurs efforts depuis un an pour occuper un terrain ignoré par Apple, toutes les tablettes Android au format 7′ prennent instantanément un coup de vieux avec l’arrivée de l’iPad Mini. Plus lourdes, habillées tristement de coques noires et de plastiques douteux, d’écrans en densité de pixels parfois plus importante que le Mini mais aux contrastes et colorimétries farfelues, animées par un OS Android plus ou moins optimisé mais jamais au point d’offrir une ergonomie et des services fluides, les ardoises numériques Android vont devoir revoir leur plan de conquête. Car l’avantage artificiel d’un prix de vente moins élevé que l’iPad Mini, aujourd’hui, ne résistera pas aux désillusions du vécu lors de l’inévitable renouvellement de l’appareil.

Shock and awe

Contrairement au choc culturel du premier iPad, la stupeur physique et mentale provoquée par l’iPad Mini n’est pas due à son existence proprement dite et programmée par le marché. L’étonnement surgit dans la prise de conscience qu’il reste encore des actes à jouer, que le support tablette n’a pas encore révélé tout son potentiel et que, même en mode conservateur, Apple a visiblement encore seul le pouvoir industriel de changer la donne. Que l’on s’en réjouisse ou s’en inquiète. Une chose plus certaine encore que d’autres, le prochain iPad est condamné à trouver lui aussi cet équilibre matériel improbable entre surface d’affichage, épaisseur, et poids relatif de transport. Un « sweet spot » qu’atteint du premier coup l’iPad Mini en se donnant, en plus, une allure de bijou de poche grâce à son cadre biseauté qui attrape et renvoie, comme l’iPhone 5, des éclats de lumière diamantaire.

Sans jamais vraiment se déclarer plus apte à telle ou telle pratique, sans renier ni l’iPhone ni l’iPad standard, l’iPad Mini s’installe tout naturellement en nouvelle verrière idéale derrière laquelle fouiller le terreau fertile de l’écosystème sous serre de l’AppStore. Une évidence qui fait frémir.

François Bliss de la Boissière

 


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3DS sous X L : la taille compte-t-elle ?

Ou 10 détails qui plaisent et déplaisent … et que vous n’aurez pas forcément lu ailleurs…

Il faut bien l’avouer, il est loin le temps de la manette GameCube aux formes rondes et matières caoutchouteuses. La Wiimote est devenue cet objet froid et rigide, si peu féminin dans sa prise en main. Nintendo oblige à tendre le bras et le stylet mais, au fond, ne fait plus bander. Ainsi, née nacrée, l’apparemment plus féminine 3DS peine à s’affirmer et, un an plus tard, Nintendo sort un modèle king size sobre et sec comme un recadrage d’entreprise. À l’ère des tentations Apple, même en rajoutant un X et un L, Nintendo n’est plus érotique.

3DS XL Warhol

La 3DS XL porte sur elle quelques curieuses contradictions…

Son revêtement mat la rend moins précieuse, sans doute moins prétentieuse, mais aussi plus ordinaire et passe-partout. La surface noire et aussi mate de l’intérieur met en effet mieux en avant les deux écrans mais toute cette surface assombrie apparait triste et peu high-tech. Malgré ses mensurations plus généreuses, la 3DS XL ne fait guère sexy pour un gadget à prétention haut de gamme (écrin inédit d’un relief sans lunette) du XXIe siècle.
Le son plastique des écrans que l’on touche de l’ongle ou du stylet font toc parce qu’ils n’ont pas ce rendu dur et glacé des écrans des iPhone et iPad du, désormais, standard Apple. Quand l’un s’invente objet futuriste, l’autre redevient jouet. Moitié plastique moitié verre au touché, le point de contact de la PS Vita, lui, se situe entre les deux. Et en plus, quitte à racoler un peu trop, la proposition Sony brille, elle, et se laisse tripoter dessus et dessous.
Néanmoins, de façon rationnellement incompréhensible, la 3DS XL refermée semble plus mobile et moins incongrue à transporter que la 3DS malgré taille et poids évidemment bien supérieurs. Moins angulaire, avec un capot légèrement biseauté comme un Mac Book Air, et des formes franchement plus arrondies, la 3DS XL ressemble plus à un gros portefeuille qui pourrait se glisser dans une poche intérieure de blouson là où la 3DS irait flotter en se laissant tomber jusqu’au fond comme un caillou. La suppression du glacis doit aussi inconsciemment rassurer quant à la solidité de l’ensemble. Moins compact et donc plus étendu, l’objet se rend étonnamment plus accessible. Effacée et donc pour tous ?

5 détails déplaisants…

Écrans moins lumineux
> Si le piqué de l’image semble moins sûr qu’avec la 3DS puisque la résolution reste la même pour des écrans bien plus grands, la baisse de luminosité de l’ensemble frappe plus que les éventuels effets d’escaliers et d’aliasing pas si flagrants (la console se révèle même plus agréable avec les jeux DS que son prédécesseur DSi XL). Les deux écrans affichent des images plus ternes, notamment celui du bas qui blanchit assez facilement dès qu’il n’est pas dans l’axe du regard. Après vérification, par défaut, le réglage de luminosité de la 3DS XL est calé à 5 sur 5 tandis que la 3DS l’était à 4 sur 5 pour un effet déjà claquant. Donc à plein régime la 3DS XL brille nettement moins et il ne sera pas possible d’augmenter sa luminosité en cas de fort éclairage autour de soi. Une déception qui n’affectera, peut-être, que les utilisateurs de la première 3DS, pas les nouveaux.

Le transfert 3DS > 3DS XL
> La présence des adorables Pikmin en courageux déménageurs ne masque pas la chose, le transfert des données d’une 3DS (et probablement de n’importe quel autre modèle de DS/i) vers une 3DS XL n’a rien d’intuitif. La procédure est assez longue et limite absconse. Nintendo lui-même réserve pas moins de 5 pages de documentation à la procédure, un record. Nous avons suivi celle-ci mise généreusement en ligne pour découvrir que la procédure conduit à tout sauvegarder sur la carte SD de 2Go de la 3DS utilisable ensuite sur la 3DS XL. Sauf que la 3DS XL est livrée avec une carte de 4Go ! Une autre page de doc Nintendo explique le transfert de données d’une carte SD à l’autre en passant par un ordinateur et un lecteur de carte SD… Reste à mettre la main sur le dit lecteur multicarte pour tout finaliser…
Dans le même ordre de lourdeur ergonomique virtuelle… dans la circulation entre les logiciels de jeux et de services (pour ne pas les appeler « applis »), la console toujours pas multitâche continue de demander au lancement de chaque nouveau jeu l’autorisation de « quitter un logiciel en suspens » pour ouvrir celui que l’on souhaite. La console réclame ainsi systématiquement à l’utilisateur de « quitter » un programme au moment même où il veut en ouvrir un. Absurde et curieux pour un produit entre les mains d’un grand public pas forcément enclin à apprécier les nuances de ces interros négations.
Et, malheureusement, à la lourdeur logicielle vient s’ajouter la lourdeur physique… Nintendo doit absolument arrêter l’effroyable habitude consistant à livrer le même packaging pour 5 pays européens dont la France. La pile de documentation en 5 langues pèse plus lourd et occupe plus de place que la console elle-même dans la boite !

Le clang! tonitruant de l’écran du haut
> La 3DS XL fait entendre 3 claquements vraiment disgracieux correspondant à chaque cran de calage pour positionner l’écran du haut là où la 3DS n’en faisait entendre qu’un seul pour la position la plus ouverte. Les signaux sonores semblent avoir apparus nécessaires à Nintendo mais l’effet est particulièrement grossier puisque, à l’usage, on change assez souvent de position selon les prises en main.
Parmi les autres détails physionomiques semblant disgracieux en l’absence de justification technique des concepteurs : le curieux jour à l’amorce des jointures gauche et droite là où la jointure de la 3DS reste pleine et fait robuste. Le cadre de l’écran du haut est désormais à fond perdu et perd le petit rebord qui le rendait intime sur 3DS. Nintendo a alors placé deux picots de chaque côté de l’œil de la caméra qui servent de butoir lors de la fermeture. Mais refermée, la console huitre semble moins protégée des intempéries.

Pas de vibration
> Qui n’en comprend pas l’avantage physique sensoriel la coupe dans les options. Qui craint pour l’autonomie de la batterie, la coupe dans les options. Dans tous les cas cette absence réaffirmée d’un mode vibration sur la 3DS XL ne s’explique toujours pas du point de vue utilisateur, celui que Nintendo lui-même a éduqué au retour sensible avec le monde virtuel pour de bon vibrant depuis la Nintendo 64. Ce manquement à la prise de possession physique du jeu vidéo vient contredire la tentative d’immersion approfondie du relief. À moins que vibrations, écran tactile et 3D ne fassent pas bon ménage ? Mais les améliorations ne devraient-elles pas être additionnelles et non soustractives ?

Pas de multitouch
> Nintendo n’allait évidemment pas changer le concept design de sa console avec le modèle XL au risque de rendre impraticable tous les projets déjà sortis ou en cours de développement. Ni changer radicalement son apparence en lui ajoutant le deuxième circle gamepad réclamé par tous (il faut racheter un modèle plus grand du Circle Pad pro). Il n’empêche, le diagnostique reste toujours valable, la console Nintendo et son écran mono touch au stylet se ressent comme limité alors que n’importe quel smartphone d’aujourd’hui supporte un contact direct et multiple. La « Nintendo différence » qui faisait de l’entreprise japonaise une pionnière non déclarée de la high-tech dans les années 90-2000 (mais que tous les amateurs avaient bien remarqué) sonne aujourd’hui comme une Nintendo défiance de toutes choses trop « modernes ».

5 détails plaisants…

Le relief, vertiges des sens
> Rien n’y fait, les contraintes et limites de la 3D sans lunettes restent toujours aussi délicates, avec toutefois un peu d’amélioration grâce à la taille XL de l’écran du haut. Comme sur 3DS, déplacer la tête ou la console de manière même infime vers la gauche et la droite crée instantanément des ombres verticales, un décrochement de l’effet de relief et un dédoublement de l’image la rendant illisible. En revanche la taille de l’écran offre plus de marge dans les mouvements verticaux. Celui-ci peut être plus ou moins incliné sans provoquer d’annulation du relief même si celui-ci s’estompe avec la diminution de l’éclairage qui va avec l’inclinaison de l’écran du haut comme du bas. Cela facilite et encourage à observer le décor en inclinant un peu l’écran de haut en bas avec la fonction gyroscopique, mais surtout pas de gauche à droite sauf à éteindre totalement l’effet relief avec la mollette. Dans tous les cas, relief à zéro, regarder autour de soi avec ce presque gigantesque écran fait partie des vertiges de ce nouveau modèle. La surface visible agrandie du décor associée à l’instantanéité de la coordination des mouvements dans l’espace réel et ceux du jeu amplifient la délicieuse sensation de fenêtre sur un autre monde. Et dans certaines limites, le grand écran autorise aussi mieux de viser en vue subjective avec, au hasard, le lance-pierre ou l’arc de Link dans Zelda Ocarina of Time.

La stéréo, auditorium de poche
> Peu le souligne et pourtant, l’espacement des deux petits haut-parleurs en façade de la 3DS originale crée une stéréo bien supérieure à sa condition mini. Les bruitages et dialogues gauche-droite se perçoivent nettement et ouvrent avec plaisir l’espace de jeu et d’écoute. Une restitution sonore de bien meilleure qualité que celle de l’iPhone et de l’iPad qui revandiquent pourtant la jouissance de la musique au premier plan. L’élargissement sonore devient pour de bon frappant sur 3DS XL. Même s’il manque bien sûr un soutien de basses, la moindre musique symphonique prend une ampleur étonnante en se propageant bien au-delà de l’écran. Effet remarquable mais aussi troublant jusqu’au risque de décalage avec, par exemple, le récent Kingdom Hearts 3D. La musique large et vraiment généreuse suggère quelque chose de bien plus grand que les visuels bien sages et polygonaux du jeu. Le point fort, et sans doute caché, de la 3DS XL pourrait se situer dans sa remarquable aptitude à la stéréo.

L’écran XL du bas, à l’œil et au doigt
> Lui aussi nettement moins lumineux, l’écran du bas – on en parle moins, également beaucoup plus large – permet plus facilement d’appuyer du pouce sur les icônes ou menus de gestion d’un Zelda comme d’un Kingdom Hearts sans changer sa prise en main générale. Les icones et points d’impacts sont nettement plus larges, se cherchent moins et nécessitent moins la pointe du stylet pour être activés. L’avantage se ressent nettement même si la réactivité du contact à l’ongle ou du bout du doigt n’a pas celui du stylet ou d’un écran multitouch Apple (voir plus bas).

La prise en mains, plus douce et moelleuse
> La console tient sans aucun doute mieux en mains, en tous cas dans celles d’adultes. Les coins arrondis laissent les angles du bas se poser dans le creux des paumes avec un certain confort et même un effet réassurant de tenue sure comme une manette traditionnelle. Curieusement, l’écran entre les mains crée une illusion d’écartement plus optique que réelle mais qui, à ce titre, mime la prise en mains de la 3DS XL avec celle de la manette tablette Wii U. Osons ce rapprochement : la convergence physique du matériel est en train de rejoindre la convergence virtuelle des programmes.
Au rayon des petites améliorations ergonomiques : la molette de variation de l’intensité de la 3D a désormais un cran pour signaler la position off totale. Le cerveau garde ainsi mieux le souvenir de la position off retenue qui rassure quand la 3D fuyante finit par lasser les yeux. Les 3 boutons de façade cette fois franchement découpés et le stylet qui se dégaine du côté droit sans effort permettent de mieux jongler avec les métas commandes. Le stylet tout noir et plastique perd lui aussi son design clinquant (on peut récupérer celui, télescopique et chromé, de la 3DS et l’insérer dans la glissière de la 3DS XL, il tient en place sur deux positions crantées !). Ultime petit détail remarqué que vous ne lirez peut-être pas ailleurs, Nintendo a installé 4 minis picots sous la console. Quatre micro pieds qui la fixent un peu sur une surface dure et l’empêche de glisser là où la 3DS dérape à qui mieux mieux.

L’envie de (re) jouer
> Il ne faut jamais le négliger et Nintendo ne l’a jamais oublié, le gamer incorrigible, même pas forcément fan de Nintendo, adore les nouvelles consoles, surtout si elles restent rétro compatibles. Le goût du neuf plus le plaisir de redécouvrir tout son catalogue sous un nouvel éclairage créent une dynamique que Sony et Microsoft ont un peu oublié avec leur plan de consoles sur 10 ans. Le choc général visuel du double écran de la 3DS XL provoque sans aucun doute cet effet nouveauté. Dès la laborieuse maintenance de lancement terminée, l’envie insatiable de relancer tous les jeux DS, 3DS ou DSiWare de sa collection occupe pleinement les premières heures. Et l’effet grands écrans jouent à plein. Sans aucun doute cette 3DS XL reste perfectible et en dessous de ce que l’on croit pouvoir attendre du légendaire Nintendo. Mais tout aussi sûrement, le plaisir de redécouvrir ses jeux préférés, anciens ou tout récents, devient vite viscéralement plus important que toutes les réserves critiques que la raison veut trouver.

François Bliss de la Boissière

3DS XL, sortie officielle 28 juillet 2012, prix généralement constaté environ 200 € sans chargeur (celui de la 3DS est compatible mais pas le socle)

Illustration © Bliss : Nintendo + Andy Warhol

 


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Gunman Clive : Le nouveau (rétro) western

Chacun le sait, en l’absence de budget les idées comptent davantage. Essentiellement graphique, la radicalité conceptuelle de Gunman Clive redonne à jouer le classicisme d’un jeu de plate-forme et de tir sous la forme d’un dessin animé au crayon évoquant les origines de l’animation. Malin, le contexte western pas si usité, suggère en parallèle le côté pionnier de la démarche.

Gunman Clive close up

Bien masqué par le trait quasi monochrome, le game design déroule de gauche à droite les grands classiques du jeu de plate-forme 2D. Entre hommage et simple décalque, il met en scène un petit cow-boy qui doit esquiver les balles des autres cow-boys embusqués qui derrière une caisse, qui sur le toit du saloon. Les ennemis humains, bientôt rejoints par des animaux, se contentent de faire des allers-retours sur une portion du décor tout programmés qu’ils sont pour gêner le parcours (canards), agresser frontalement (pumas) ou du ciel (cigognes larguant des explosifs), ou lancer des bâtons de dynamite (humains). Le parcours d’obstacle exploite avec logique le décor minimaliste d’une ville de western et de ses cactus parfaitement mis en valeur par la vue de profil et le scrolling horizontal. Très vite cependant les clichés du jeu vidéo reprennent la main : piles improbables de caisses, échelles allant nulle part plaquées contre les murs, plateformes suspendues et mobiles, trappes au rez-de-chaussée comme dans les étages d’où surgissent des tireurs, et cow-boys géants surarmés en boss avec lesquels il faudra danser rien qu’avec son six coups…

Jeu analogique

Sans trahir ni vraiment assouplir la manœuvre, le pad virtuel à gauche n’autorise que le tir à l’horizontal. Même si le petit cow-boy peut s’accroupir et sauter pour essayer de caser une de ses trois balles (rafales de base ainsi limitées) dans le buffet d’un tireur caché derrière un paravent, cette contrainte se ressent comme une injustice puisque les ennemis, eux, ne se gênent pas pour viser en diagonale. Une jauge de santé permet d’encaisser quelques coups mais elle ne résiste pas longtemps à des volées de balles pas toujours faciles à anticiper. On retrouve, ou on réapprend, les réflexes consistant à s’accroupir ou sauter en tempo pour laisser passer les balles au-dessus ou en dessous avant que son pistolet soit lui-même dans l’axe de la cible. En s’évaporant, certains ennemis relâchent des items (bonbons, gâteaux…) redonnant un peu de santé ou apportant aussi des améliorations au colt. Celui-ci devient alors provisoirement capable de projeter plusieurs balles simultanément dans plusieurs directions, voire des balles aimantées qui débusquent l’ennemi planqué ou rattrapent celui qui se déplace.

B.a.-ba du jeu vidéo des années 80-90

Petit thesaurus old school du jeu vidéo de plateforme d’hier et du run’n gun light, Gunman Clive n’offre rien de très neuf dans le gameplay. Ses raideurs font écho à celles de la première génération de jeux d’arcade, y compris dans l’échec qui renvoie implacablement au début du niveau, certes pas très long, ou à des checkpoints intermédiaires éloignés nécessitant de refaire inlassablement des portions périlleuses. Retour à la case départ dans tous les sens du terme : logiques de parcours et d’épreuves, réapparition des ennemis à distance, notamment quelques pas derrière soi, répétition, apprentissage par l’erreur. Néanmoins, le troisième essai du jeune développeur suédois, responsable, dans des registres bien différents, de propositions toutes aussi conceptuelles (Helium Boy et Trouser Trouble fait cette fois mouche en osant plaquer un tel style visuel rétro moderne sur un gameplay d’hier. Culotté, réussi notamment grâce aux animations très fluides des personnages, Gunman Clive gifle d’un geste apparemment négligé des années et des kilomètres de dessins et décors clichés du jeu vidéo. Au titre de cette audace artistique, d’une réalisation technique soignée (contrôles et visuels alternatifs intéressants dans les Options), d’une appli petit prix universelle iPhone/iPad (mais pas de sauvegarde partagée), et de la sincérité nostalgique de son gameplay, Gunman Clive mérite un coup de chapeau et une salve d’honneur.

Par François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Le trait et l’animation crayonnés
  • L’adéquation pionnière du western et du « sépia »
  • Retour aux sources gameplay 8 bits
  • Le western et son cow-boy

Les moins…

  • Difficulté old school rageante
  • Pas possible de tirer en diagonale
  • Les ennemis reviennent même derrière
  • Boucle musicale et bruitages trop maigres
(Publié le 18/05/2012 sur Hitphone.fr)

 


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Vectrex : Retour de la console atypique des années 80

La première console de salon à déporter le jeu vers un 2e écran n’est pas la Wii U de Nintendo mais la Vectrex distribuée par General Consumer Electric en… 1982 ! Et parce que la Vectrex était équipée de son écran, l’appli du même nom est la première à totalement reproduire sur iPad l’expérience non seulement des jeux mais de la machine elle-même !

Avec son écran incorporé, sa manette intégrée (elle se rangeait DANS le casier de la console/écran) et sa technologie vectorielle dépouillée radicale osant se détourner du graphisme bitmap brouillon mais coloré popularisé par la fameuse Atari 2600 et tous ses suiveurs (Intellivision), la console Vectrex avait dû surprendre à son époque par son audace, son culot même, et son prix forcément plus élevé. Elle avait tellement d’avance sur son temps que le design de son boitier incluait l’équivalent d’une poignée pour la transporter, détail pratique que l’on verra deux ans plus tard sur le tout premier ordinateur tout en un, le Macintosh d’Apple et même, 28 ans plus tard, sur le fameux tout en un, iMac du même Apple. Mais du coup, comme toutes les choses un peu singulières et un peu rares (distribution hasardeuse des jeux à l’époque en France), elle n’a pas dû manquer de faire l’objet d’un culte.

Culte jusqu’au fétichisme

C’est d’ailleurs la première conclusion à laquelle conduit l’appli Vectrex compatible iPhone mais qui prend vraiment sa mesure sur iPad standard. Car celle-ci ne se contente pas de copier à l’identique le catalogue de jeux. Elle va jusqu’à reproduire avec un mimétisme confondant toute l’expérience visuelle, sonore, et ergonomique de la machine. On ne glisse pas une cartouche dans l’iPad pour lancer un jeu mais c’est tout comme. Des photos hautes résolutions montrent une étagère où s’alignent les boites de jeux au-dessus d’une console posée sur un bureau. Un touché du doigt affiche en gros plan un scan de la boite du jeu retenu avant de plaquer sur l’écran de la console un des fameux caches en plastique associé à chaque jeu. L’expérience est troublante de fidélité et de soin. Nous sommes dans une zone de qualité affective allant bien au-delà des besoins techniques de reproduction. Plus qu’un fac-similé fétichiste, il y a là une sorte de volonté de réhabilitation, de refaire vivre toute l’expérience singulière de la console d’alors et pas seulement des jeux. Parce que l’expérience de chaque jeu Vectrex était intimement liée à la technologie, à l’ergonomie de la console et au rapport intime qu’elle générait avec son écran individuel.

L’arcade à domicile

Seule dans sa catégorie grâce à son écran et à sa technologie d’affichage vectorielle, la Vectrex reproduisait à domicile une expérience de salle d’arcade que les autres consoles de salon de l’époque reliées aux télévisions ne pouvaient vraiment dupliquer. L’écran vertical et autonome face à soi, la manette équipée à la fois de quatre boutons bien alignés et d’un mini stick analogique, la vitesse d’affichage et de déplacements des éléments à l’écran qu’autorisaient les formes vectorielles minimalistes moins gourmandes en calcul… autant de détails singuliers que l’adaptation presque littérale sur iPad réussit à faire renaître. Notamment, on l’imagine, en utilisant le mini cabinet iCade compatible (hélas non testé). En l’état, simplement avec la vitre de l’iPad, le choc est déjà grand. Parce que, tout en respectant la haute définition d’aujourd’hui, les fameuses lignes vectorielles s’affichent avec une clarté exceptionnelle sans adoucir leurs raideurs originales. Les écrans de chargement de la console ou de chaque jeu se calent, semble-t-il, aussi sur le même rythme que la console de 1982 qui était là aussi plutôt performante.

Émulation tactile impossible

Puisque d’un point de vue visuel, sonore et environnemental, l’appli duplique sans faillir les conditions originales, le vrai challenge consiste à tenter de reproduire aussi les conditions de contrôle. Le résultat, malheureusement, convainc moins. Le bas de l’écran totalement occupé par l’image du jeu affiche en surimpression les 4 boutons de la manette et sur la gauche un cercle tentant de symboliser le contrôle analogique du stick. Fixes, les 4 boutons chevauchent le cache en plastique du jeu (l’overlay en anglais) et gâche un peu l’esthétique d’ensemble. Comme dans la proposition des années 80, le cache devant l’écran sert à donner quelques couleurs (ici éclatantes) à l’image vectorielle monochrome et, dans certains jeux, à esquisser ou embellir des contours de terrain. L’appli permet d’enlever ce fameux revêtement plastique transparent à volonté et les 4 boutons semblent alors mieux intégrés sur la ligne horizontale du cadre. En revanche, leur espacement réduit complique lourdement la fidélité des contacts sur une vitre lisse sans repère. Car les jeux plaquent sur chacun d’eux des actions parallèles la plupart du temps (tir, accélération, téléportation instantanée, boost…). Et contrairement aux boutons des pads de consoles qui se pratiquaient plutôt avec les pouces, la manette Vectrex se posait sur la table pour être manipulée comme un piano avec quatre doigts de la main droite. Une prise en main proche aussi de l’arcade ou des micro-ordinateurs pilotés au clavier.

Position arcade sinon rien

L’iPad tenu en mains, ce sont les pouces qui sont sollicités et il faut quitter l’écran des yeux pour trouver leur marque. À moins de jouer en posant l’iPad sur une table, ce qui semble peu probable puisque le Vectrex avait adopté un format vertical. Mais le plus incontrôlable reste encore le stick analogique virtuel sur la main gauche. Très souvent celui-ci sert à faire tourner sur son axe le vaisseau, tel celui de MineStorm perdu au milieu de son champ d’astéroïdes, ou de Solar Quest aspiré par l’attraction du soleil, mais sans repère tactile, le doigt glisse désespérément d’un bord à l’autre dans l’espoir de trouver le point de réactivité. Le fait que l’icône du stick puisse être placée n’importe où sur l’écran embrouille la manœuvre au lieu de la faciliter. Curieusement, bien que tous les éléments graphiques soient bien trop petits à l’écran, le compromis de la prise en main sur iPhone fonctionnerait presque mieux puisque les 4 boutons occupent tout le bas de l’écran et obligent cette fois à utiliser le pouce droit tandis que le gauche se place n’importe où pour actionner les contrôles analogiques.

Rythme et raideur des années 80 inclus

Même si, de mémoire, chaque jeu est plutôt ramassé et donc court par rapport aux standards d’aujourd’hui (modes deux joueurs alternatifs originaux inclus), le niveau élevé des challenges reste associé à la raideur ergonomique des années 80 (et aux besoins goulus des machines à sous qu’étaient les bornes des salles d’arcade). À quoi s’ajoute involontairement la translation impossible sur des contrôles virtualisés à l’écran. Pour jouer vraiment pour de bon, aller au devant du score, l’afficher sur un joli tableau noir aux côtés de ceux de ses amis (fonctions non actives sur version, par ailleurs complète, fournie par le développeur), il faudra vraiment se diriger vers l’accessoire iCade qui fera grimper la facture (100 euros environ).

Vectrex Regeneration

L’appli Vectrex 2012 se présente presque comme un écosystème contemporain. L’appli est offerte avec le jeu MineStorm, un très efficace clone d’Asteroids d’Atari qui était justement inclus directement dans l’OS de la machine. Allumer la console lançait automatiquement le jeu ! Inévitablement pour prolonger l’expérience il faudra passer à la caisse en achetant un premier pack à 5,99 euros contenant 17 des jeux les plus connus et réussis de la console : WebWars (une fuite en avant dans un tunnel que l’on retrouvera plus tard en niveau spécial d’un Sonic, précurseur de la série WipeEout), Starhawk, Star Ship (tir en vue tellement subjective dans l’espace que si un vaisseau ennemi franchit le tir de barrage du joueur, la vitre de la console/cockpit se brise !), Star Castle, Spike (un hilarant détournement de Donkey Kong avec un personnage et sa dulcinée criant au secours grâce à un procédé de synthèse vocale que l’on imagine rare, voire inédit, à l’époque), Solar Quest, Scramble (quasi identique à celui de Konami – alors que la marque n’est pas créditée – tout premier modèle de shoot à défilement horizontal), RipOff, Pole Position, Hyperchase, Heads Up, Fortress of Narzod, Cosmic Chasm (un contre la montre curieusement tempéré dans un jeu de labyrinthe qui exploite la mémoire et les nerfs), Blitz !, Berzerk, Bedlam, Armor Attack (jeu de cache-cache incroyable entre tanks et hélicoptères vu du dessus).

Proof of life

Sur d’autres étagères qui s’affichent d’un glissement horizontal du doigt sur l’écran, l’appli met en scène un espace cassettes VHS avec plusieurs pubs internationales d’époque (dont une française !), une galerie de polaroïds et un court rappel historique de la console (hélas en anglais). Les étagères n’étant pas remplies, la passion et le soin visibles de l’ensemble laissent deviner qu’elles se complèteront dès que l’équipe de développement aura de nouveaux éléments vintage à présenter. Loin de se contenter de devenir le musée virtuel de référence qui se crisperait sur le passé, l’expérience Vectrex va encore plus loin puisque l’équipe développe ou fait développer à une communauté d’enthousiastes des jeux inédits. Pas forcément beaucoup plus accessibles ou inventifs que ceux des origines, mais preuves tangibles d’une envie commune. Quatre d’entre eux sont inclus dans le premier pack à 5,99 euros.

Noblesse de l’émulation

Il ne s’agit pas de prétendre que tous ces jeux vintages soient réellement jouables aujourd’hui sans d’incommensurables efforts. Comme beaucoup de leur cousins des années 80-90 ils ont surtout valeur d’énormes curiosités historiques, pour la nostalgie, l’étude ou, le plus important finalement comme l’a démontré l’exposition de prestige Game Story à Paris en 2011 : la mémoire historique et culturelle du jeu vidéo. À ce titre, l’appli Vectrex est non seulement exemplaire mais indispensable.

On aime…

  • L’expérience Vectrex globale reproduite à 99 %
  • Soin et respect absolus dans la présentation
  • Évolutif avec prochains packs vintage et jeux inédits

On aime moins…

  • Rotation à 360° du stick analogique virtuel très problématique
  • Pour jouer sérieusement il faut investir dans le cabinet iCade
  • À terme, l’addition peut devenir salée

Note : 4/5

Vectrex

Plate-forme : iPhone & iPad
Editeur : Rantmedia Games Ttd
Développeur : Rantmedia Games Ttd
Version testée : 1.1.0 (24/11/2012)
Langue : Anglais
Taille : 131 Mo
Prix : Gratuit + pack intégré 5,99 €

François Bliss de la Boissière

(Publié en mai 2012 sur Hitphone.fr)

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2012 : Les grands rendez-vous du jeu vidéo (que le voyage commence)

Que serait une année jeux vidéo sans d’abord une année de désirs et d’anticipations. La chambre d’écho d’Internet le confirme tous les jours, le jeu vidéo fait couler beaucoup d’encre virtuelle avant même d’être joué. On soupçonne même qu’une majorité en parle avec la même passion frénétique qu’un pratiquant quotidien sans forcément y jouer encore (le temps, l’argent, les responsabilités…). Un peu comme le sexe quoi. Il faut aussi avouer que, capable d’entretenir le suspens pendant deux ou trois années autour d’une production respectant à priori son calendrier (Bioshock Infinite, et ça commence tout juste pour The Last of us), l’industrie du jeu vidéo est passée maître du teasing. Un suspens qui devient plus délicat à entretenir positivement quand les jeux à auteur et à hauteurs (ça marche dans les deux sens) repoussent sans cesse leurs dates de sortie. Ainsi d’un insaisissable Last Guardian qui finit par se transformer en nouvelle arlésienne quand producteur et créateur quittent, ou presque, le navire, ou même d’un Journey ou d’un Amy dont les vocations artisanales-dématérialisées provoquent à moindre échelle (les mois remplacent les années des grosses prods) la même fuite en avant. Planifié ou pas, le buzz des jeux vidéo reste une histoire sans fin. Et s’il faut poser, en priant que tout se passe bien, son regard plein de désir sur les incontournables de 2012 en esquivant les trop télégraphiés (pourquoi les citer, ils seront au rendez-vous pour sûr, eux), voilà les bons repères sur lesquels compter… *
 

> Les grosses productions

Alan Wake’s American Nightmare : Comme on a l’impression de ne pas avoir été au bout du potentiel d’une histoire d’écrivain maudit perdu dans les forêts nord-américaines, il y a de quoi replonger. Surtout, que presque qualifiable de jeu d’auteur – voir ci-dessous – les gars de Remedy y mettent certainement tout leur cœur.

– Darksiders II : Le nouveau et plus sombre design à la Soul Reaver ne rassure pas sur la direction artistique mais le premier jeu n’était pas visuellement novateur. Par contre le gameplay complet du premier donne toute confiance dans une suite.

– Aliens : Colonel Marines : Après le énième échec du dernier jeu Aliens (vs Predators) et les réussites inégales de Gearbox (Borderland ok, Duke Nukem pas ok), plus aucune raison de se faire d’illusions sauf que, si, on croira toujours possible un jeu Aliens réussi (il y en a bien eu deux au moyen-âge du jeu vidéo : sur 3DO et SuperNintendo). Et puis c’est l’année de Prometheus.

– Asura’s Wrath : Pas certain que le gameplay, trop techno-jap, suive le délire de la mise en scène, mais c’est tellement énorme qu’il faut y aller.

Catherine : Il paraît que ça parle de sexe, de drague, et peut-être d’amour ? Si seulement ça pouvait vraiment être jouable. C’est japonais, tout devrait s’expliquer.

DmC (Devil May Cry) : L’heure de gloire du studio Ninja Theory (Enslaved) finira bien par arriver, dommage que cela doive passer par le reboot d’une licence qui ne leur appartient pas, mais tant mieux pour Devil May Cry.

Fortnite : Epic (Gears of War) lance une nouvelle licence et ose quelque chose de différent visuellement et techniquement. Il y a du Valve dans l’air et c’est tant mieux.

– Grand Theft Auto V : Le retour dans un Los Angeles mille fois visités déçoit clairement, mais le savoir-faire et la patte RockStar restent inimitables et incontournables.

– Luigi’s Mansion 2 (3DS) : Même si réalisation et prise en main semblent très proches de l’original GameCube, limite remake, et qu’il aurait été plus judicieux de le trouver sur Wii avec Wiimote, on ne boudera pas cette suite d’un des jeux Miyamoto les moins reconnus (et à tort).

– Mass Effect 3 : Si le gigantesque bon qualitatif entre le 1 et le 2 se renouvelle avec le trois, alors toutes les bonnes raisons seront réunies pour retourner dans l’espace. Mais svp BioWare/EA, que la version originale anglaise soit incluse avec la VF (« localisation » de toutes façons inutiles > voir l’énorme succès des GTA non doublés).

– Paper Mario (3DS) : Même si on ne voit pas le rapport avec la 3D puisque de base le jeu fonctionne en aplats (mais le concept de la version Wii qui basculait de la 3D à la 2D devrait s’y retrouver), les Mario Paper abritent toujours un vivier de trouvailles graphiques ou conceptuelles.

Prey 2 : Le virage Blade Runner et ce que l’on devine du gameplay ne reflètent plus grand chose du premier Prey mais ce dernier avait des qualités et des audaces si uniques à l’époque (et mal reçues faut pas bousculer les habitudes surtout) qu’on n’aura pas le choix.

– SSX : Il y a une petite chance qu’EA réussisse à exploiter correctement l’énorme potentiel sport extrême + altitudes + gigantisme des décors, et il ne faudrait pas la laisser passer.

– Steel Battalion : Heavy Armor : Le premier Steel Battalion avait laissé une lourde trace indélébile il y a (déjà) dix ans avec son gigantesque accessoire tableau de bord. Cette fois, entre réalisme et technomégafolie, la simulation utilisera le Kinect de la Xbox 360, c’est à dire rien dans les mains ? Et le Wireless Speed Wheel alors ?

– The Last of us : Naughty Dog fatigue à chasser sur le terrain du gros cinéma, et à se lancer dans un vulgaire survival avec enfant aux prises à des loques humaines (pas des zombies paraît-il), mais Naughty Dog reste en première ligne de cette tendance. Il faut donc y être.

Tomb Raider (reboot) : Mais quand est-ce qu’ils vont comprendre qu’il faut caster Evangeline Lilly dans le rôle titre, en jeu vidéo ou en film qui se passera bien de l’A. Jolie (même si Olivia Wilde est une bonne idée aussi).

– Uncharted : Golden Abyss (PS Vita) : L’un des deux jeux qui fera la démonstration des capacités de la PS Vita. Forcément indispensable.

– WipEout 2048 (PS Vita) : Le deuxième.


> Les jeux d’auteur (avec ou sans grosse équipe derrière)

Ceux-là on les respecte avec leurs défauts et leurs qualités parce qu’ils représenteront la volonté et le travail de personnalités uniques. Dans ces jeux (et il y en aura d’autres en 2012 qu’on ne connait pas encore) de petite, moyenne et grosse échelle, des créateurs expriment en direct leur vision du monde et du jeu vidéo qu’ils commentent forcément plus ou moins explicitement. Culturellement capital.

> Amy (Paul Cuisset) : Si on se passerait bien d’un énième survival horror avec des morts-vivants dedans, on ira chercher dans le gameplay à vocation émotionnelle cette production artisanale d’un français presque célèbre couvé par un autre français à suivre : Éric Viennot devenu producteur pour l’occasion avec son studio Lexis Numérique.

– Bioshock Infinite (Ken Levine) : Une femme devant l’écran, une ville au tournant du XXe siècle, après les abysses, les cieux, Ken Levine continue son étonnant chemin politique tout en donnant à jouer des productions monumentales. Un des grands rendez-vous de l’année 2012.

– Journey (Jenova Chen) : Après flOw et Flower, le 3e jeu contemplatif et pacifiant de Jenova Chen confirmera l’indispensable singularité de sa démarche.

– The Last Guardian (Fumito Ueda) : Littéralement un des derniers représentants d’un jeu d’auteur aux choix artistiques radicaux et ambitieux. Pour nous les joueurs, et pour l’exemple, il doit réussir à aller au bout de son haletant projet.

The Witness (Jonathan Blow) : L’auteur de Braid prend son temps, comme il se doit, et devrait apporter une nouvelle pierre solide à la maison jeu vidéo même si son projet reste encore incompréhensible (ce que l’on qualifiera de bon signe).

 

> PlayStation Vita : la courageuse

Pas sortie en occident et déjà en perte de vitesse (la 3DS en a vu d’autre avant de décoller), la nouvelle portable Sony devra se découvrir en mains dès le 22 février en occident. À son crédit, l’écran OLED flashy et les contrôles multitouch recto et verso qui devront déclencher de belles trouvailles avantageuses sur la 3DS et son écran tristement monotouch. À son détriment, un prix élevé qui pourrait être revu à la baisse d’ici la sortie européenne et les Memory Card propriétaires coûteuses et pourtant indispensables. De la poignée de jeux déjà planifiée, seules deux grosses adaptations portables s’annoncent incontournables. Moins pour leur originalité que pour leur efficacité technique garantie. La suite dépendra de l’imagination des développeurs sur lesquels on peut presque toujours compter.

 

> Wii U : l’énorme joker

Si découvrir une nouvelle console Nintendo est en soit le must total en jeu vidéo et transforme déjà l’année 2012 en évènement, le meilleur doit s’abriter derrière les jeux vidéo made in Kyoto qui en feront la démonstration. Las, avec deux Mario et deux Zelda tous majeurs sortis fin 2011, il ne faudra pas compter sur eux pour défendre la Wii U à sa sortie. S’il faut craindre les jeux casuals démonstratifs à la Wii U Play/Sports/Dogs, on peut aussi espérer que Nintendo vise d’abord les core gamers et introduise de nouvelles franchises guidées par la lumière, par exemple, d’un nouveau Pikmin. Le salon E3 de cet été devrait donner le la de la U.

 

> Trois outsiders qui peuvent créer la surprise…

Minecraft (Xbox Live) : Après avoir abasourdi avec une version pourtant light sur iPad, le phénomène et réellement phénoménal Minecraft va enfin se retrouver entre les mains de la grande population Xbox 360. Le monde ne sera plus pareil après.

– Fez (Polytron) : Le magazine Edge a braqué ses feux sur cette production étrange et minimaliste qui réinterprète à sa façon l’ère 8 et 16 bits et, après observation des vidéos, il y a là en effet quelque chose de spécial à surveiller de près.

– Quantum Conundrum (Airtight Games) : Publié par Square Enix mais surtout conçu par Kim Swift, ex jeune étudiante devenu lead designer chez Valve après avoir présenté le concept de Portal, ce projet inédit de FPS puzzle game révèlera peut-être pour de bon l’auteur qui sommeille dans Kim Swift. S’il ne ressemble pas trop à… Portal.

 

> Ils feront mal à la tête

Trop télégraphiés, trop opportunistes, trop détournés, on y jouera mais on n’en n’attend rien de spécial malgré l’infernal buzz collectif qui affirme déjà le contraire… Quant aux productions japonaises, notamment la vague de beat’em up plus ou moins remixés, si on ne doute pas de leur qualité technique, il serait temps qu’elles s’arrachent aux années 90-2000…

– The Darkness II

– Max Payne 3

– Halo 4

– Syndicate

et…

– Final Fantasy XIII-2

– Soul Calibur V

– Street Fighter x Tekken

– Ninja Gaiden III

* Dans l’ordre alphabétique, sélection non exhaustive. Jeux exclusivement PC non compris, sorry.

Pour une liste presque plus complète et complaisante, voir ici

 François Bliss de la Boissière


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‘hésitez pas à lire ma Note d’intention.


 

BEST OF JEUX 2011 : L’enfance de l’art

La prouesse et le m’as-tu-vu (pyro)technique des productions AAA cachent un vide d’inspiration que révèlent un peu plus chaque jour les mille et une trouvailles des jeux dits indépendants sur IOS, XBLA et PSN. Gamer averti ou critique attitré d’aujourd’hui doivent se la jouer schizophrène, être capable d’encaisser sans vomir les roller coasters interactifs téléguidés qu’on lui jette à la face à coups de plans médias assourdissants, et garder assez d’attention pour entendre la petite musique vraiment inédite qui peut surnager dans la multitude des « mini » games. Pour ne pas avoir la tapageuse impression que tout a déjà été dit dans le jeu vidéo il faut ainsi se prendre par la main et aller chercher dans les méandres des plateformes de téléchargements la production innovante qui redonne foi au médium. Au-delà de l’entretien d’une culture noble du jeu vidéo, de 0,79 € à 70 € la proposition de jeu, en période de crise économique et artistique, le joueur, comme le citoyen, a le devoir de choisir responsable. 

Portal 2

> Jeux neufs ou presque en 2011…

Le premier Portal était un prologue, chaque Zelda une réinvention. Portal 2 et Skyward Sword (aussi le plus mauvais intitulé de la série) sont bel et bien des originaux allant chercher au plus profond de leurs entrailles leurs potentiels d’imagination et de gameplay. Au double titre de leur dramaturgie émotionnelle et intellectuelle fondues et prolongées par leurs prises en main, ils atteignent un niveau de maturité thématique et interactif inouï et unique. Quant aux clins d’œil supérieurs et irrévérencieux de El Shaddai et de Bulletstorm, ils citent ouvertement leurs inspirations avant de les imploser de l’intérieur. Du hack’n slash plate-forme élégant et arty au FPS bourrin, l’humour décalé ou flagrant dézinguent avec truculence tous ces jeux d’action décérébrés qui se prennent si au sérieux. Minecraft enfin, réinvente à lui tout seul la notion de jeu bac à sable que l’on croyait connaître. Même la version light sur iPad créé ce vacuum incompréhensible dans lequel le joueur chute dans un puis sans fin. Sans la rubrique jeux indés, cela ne ferait dont que 5 jeux originaux surnageant au milieu des suites convenues et des rééditions. Le jeu vidéo avance toujours mais en radotant à grande échelle. Et la critique suit.

1 / Portal 2 (Valve)

2 / Zelda : Skyward Sword (Nintendo)

3 / El Shaddai : Ascension of the Metatron (Ignition Entertainment)

4 / Bulletstorm (People Can Fly)

5 / Minecraft (Mojang > PC / Mac version finale / iPad version Pocket)

 

> Super redoublants ou plus en 2011…

Pourquoi Uncharted 3 ne rejoint pas ce peloton de mises à jour faisant mieux que les précédentes ? Parce qu’ici nous pleurons toujours le plus serein Uncharted 1 et qu’à force de vouloir marier cinéma et jeux vidéo Uncharted 3 franchit la ligne rouge en prenant systématiquement le pouvoir sur le gamer réduit à jouer à un descendant haut de gamme de Dragon’s Lair. Pour comprendre la plénitude d’un gameplay ouvert et fourmillant au sein d’une narration et d’une dramatisation crédible, voir tout simplement le dernier Zelda Skyward Skword qui remet les pendules à l’heure du joueur et pas seulement du spectacle.

– Dead Space 2

– Forza Motorsport 4

– Killzone 3

– Gears of War 3

– inFamous 2

– Little Big Planet 2

– Mario Kart 7 (3DS)

 

> Les créas indés, tous supports confondus…

Ce n’est plus un frémissement, cette fois l’originalité se trouve vraiment là, dans les coulisses de la Xbox 360 et de la PS3 et en pleine face sur iPad (ou en version mini sur iPhone/iPod Touch bien sûr). La première liberté retrouvée de ces productions décidées par leurs auteurs et non des plans marketings ? Une aspiration artistique (visuelle, sonore, intellectuelle) qui repousse les frontières trop balisées de l’esthétique du jeu vidéo.

Superbrothers : Sword & Sworcery EP (iPad)

– Insanely Twisted Shadow Planet (XBLA)

– Ilomilo (XBLA)

– Outland (XBLA/PSN)

Magnetic Billiards (iPhone)

 

> Les à côtés de la plaque de 2011…

Ils nous ont annoncé des réinventions, des révolutions même, et ils ont offert des banalités, des approximations techniques et thématiques… À quoi bon recopier pour faire moins bien ?

– Deus Ex Human revolution

– Child of Eden

– Resistance 3

 

> Les crashs et pire de 2011…

De patchs en DLC en autojustifications publiques, ceux là ont définitivement raté leurs objectifs (on ne parle pas des ventes) et provoquent de la douleur à tous les niveaux…

– Brink

– Duke Nukem Forever

– Homefront

– Test Drive Unlimited 2

 

> Top rééditions 2011…

On les rachète encore sans problème dans ces conditions techniques honorables… Note à Square Enix : les rééditions de jeux SuperNintendo au prix fort sur IOS c’est du mauvais jeu (Chrono Trigger) et sûrement du mauvais business.

Zelda : Ocarina of Time 3D (3DS)

Ico & Shadow of the Colossus Classics HD (PS3)

– Beyond Good & Evil (PSN/XBLA)

Another World (iPad)

World of Goo (iPad)

– Oddworld : La Colère de l’Étranger (PSN)

 

> Accessoire star de l’année 2011…

– Wireless Speed Wheel (Xbox 360) : Sans conteste le gadget gamer de l’année. Non seulement le design fer à cheval high-tech ventouse les mains mais la technologie embarquée version volant Mario Kart XXL garantit une prise en mains miraculeuse avec Forza 4. Rien à voir avec les impraticables volants à retour de force, bien mieux qu’un contrôle à la manette qu’il ridiculise, le volant sans fil Microsoft devient d’office la référence des jeux de course (même sans les boutons RB et LB qui manquent parfois dans les menus). Parfait sur Forza 4, compatible avec Dirt 3 (le jeu identifie un volant classique et permet au moins de paramétrer le nouvel accessoire) mais hélas pas Need for Speed : Shift, le Wireless Wheel qui vibre et clignote serait potentiellement parfait pour une simulation de méchas, de tanks ou d’avions de chasse… Pire, on rêverait d’en profiter sur un WipEout PS3. Mais Sony, et sa manette Dual Shock gyroscopique qui ne sert pas, s’est complètement laissé doubler à droite sur ce coup là… Coûteux au détail (50 €), il suffit de trouver les enseignes qui vendent Forza 4 en demandant un petit euro de plus pour fournir le volant avec ! Faut-il en dire plus ?

François Bliss de la Boissière

 


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Minecraft (Pocket Edition) : Forteresses de solitude

Il existe des phénomènes de jeux indés comme Minecraft dont les affolants chiffres de ventes de la version PC doivent expliquer l’intérêt. Réduite à sa plus simple expression, la version dite « Pocket », aride au pays des applis chatoyantes sur iPad, n’aide pas, de prime abord, à comprendre l’engouement généralisé. Pourtant, plusieurs heures plus tard, résidence principale et secondaire construites sur une falaise face à un océan au bout du monde, Minecraft a pris inexorablement le pouvoir sur le joueur.

Minecraft Pocket Edition

Avouons un certain scepticisme à l’approche du phénomène Minecraft comme devant tout succès populaire qui finit par imposer un consensus. Lâché en vue subjective dans un espace faussement cartésien sans indications du pourquoi ni du comment, les premières longues minutes de balades hagardes dans un décor presque sans horizon, irrémédiablement cubique et silencieux, laisse plus que circonspect. Inspiré d’un FPS, les déplacements en vue à la première personne ne donnent pas immédiatement satisfaction avec le pad virtuel à portée de main gauche sur l’écran, surtout avec le bouton saut en son centre qui ne permet pas de bien déclencher un bond en avant. Heureusement la main droite, elle, posée n’importe où sur l’écran donne la direction des déplacements et offre la liberté de regarder dans toutes les directions (option pour gaucher possible).

Un terrain vierge pourquoi faire ?

De près ou de loin, le principe semble désormais connu de tous. Le joueur désincarné se balade librement en vue subjective dans un décor de blocs façons lego assemblés au petit bonheur procédural (automatique donc). Selon le calcul aléatoire du programme, le premier monde offert (un par sauvegarde) esquisse des collines, des ravins, des pyramides peut-être, des arbres isolés, une montagne neigeuse, des dunes de sable. Un paysage de petits angles droits, de textures hideuses que l’on dirait tirées d’une version de travail d’un logiciel en cours d’élaboration. Après en avoir fait péniblement le tour, l’environnement délimité par un brouillard opportun révèle finalement sa nature limitée de grand plateau carré. Une option vue à la 3e personne avec un personnage pour de bon digne d’un Lego ou de Gregory Horror Show (excellent jeu Capcom méconnu sur PS2), reste un peu raide mais a le mérite de donner un peu de recul visuel sur les décors. Parce que, le nez toujours au ras du sol et des blocs, il n’est pas toujours facile de se positionner correctement au sein de la structure que l’on finit, inévitablement, par commencer à bâtir.

Petit OS du bâtiment

La main droite s’équipe ainsi d’un bloc de granit, de terre, de marbre peut-être, ou de bois parmi 36 disponibles dans un menu accessible instantanément. Après les avoir sélectionnés à partir de l’unique page de stock, le joueur garde ainsi sous la main en permanence trois des blocs de construction qui comprennent aussi des fleurs, une échelle, une torche, ou un bloc de lierre/feuillage. Le changement d’un matériau à l’autre est instantané, tout comme la pose du bloc sur le sol. Il suffit de placer son doigt n’importe où devant soi pour que le bloc sélectionné s’y dépose. Pour supprimer un bloc posé ou même un élément du décor déjà en place, il suffit de le viser et de maintenir la pression du doigt un moment. Une petite animation donne l’impression que la main frappe le bloc jusqu’à ce qu’il disparaisse. Comme dans un RPG, un camembert rouge, pas très visible sous le doigt, indique le seuil de résistance du matériau au fur et à mesure de sa destruction. Un détail sans véritable utilité mais qui participe petit à petit à la solidification mentale de l’environnement. Tout juste aidé par des couleurs basiques, le joueur devient peu à peu conscient de la variété des matériaux.

À quoi bon ?

Le plus étonnant ici est, presque, l’absence de mode d’emploi et, surtout, de mode d’intention. Le joueur est lâché dans cet espace presque vide et doit découvrir par lui même ce qu’il peut y faire et comment. Le but du jeu, s’il y en a un, n’est jamais indiqué. Qu’est-ce que le jeu attend du joueur, que donne-t-il à jouer ? N’y a-t-il pas au moins quelques exemples de constructions et de maquettes comme dans une boite Lego, quelques indices incitateurs ? Rien ici. Ni âme qui vive ni panneaux. Traine alors ce fantasme du jeu bac à sable, le fameux sand box qui doit laisser le joueur libre de tout découvrir et tout manipuler. Sans la réputation déjà établie du jeu sur PC, il est facile, désorienté et peu encouragé par les trois bruitages et l’absence totale de musique, de très vite lâcher prise. Par conséquent, c’est sur le web et via l’expérience des autres joueurs qu’on se cherche une raison à jouer et de découvrir qu’il s’agit d’utiliser les blocs de pierre à disposition pour dessiner son paysage, construire sa maison ou son Panthéon personnel.

À la recherche du moi

Il faut le dire quitte à froisser, l’esthétique fonctionnelle de Minecraft rappelle les mauvais jours des Micro ordinateurs d’hier. Rien ici n’évoque le pixel rétro chic de Sword & Sworcery . On en a beaucoup voulu à l’appli semi pro Home Design 3D
de construction de maisons d’intérieurs de gâcher, et justifier, ses fonctions derrière un masque trop fonctionnel de laideur. La dernière bouillie de textures pixels rétro croisée dans un jeu vidéo provenait d’un malin 3D Dot Game Heroes sur PS3 d’allure volontairement pixel art en hommage appuyé au Zelda : A Link to the Past de la Super Nintendo. Mais, il fallait s’en douter, l’aspect rude inachevé de Minecraft est au fait au service d’un jeu construction au fonctionnement unique, un algorithme ingénieux (2,9 Mo seulement sur iOS) capable de construire et déconstruire ad vitam aeternam un environnement. Si unique qu’il transcende les goûts de n’importe quel joueur, et sans doute même non joueur, le happe dans sa boulimie endémique : empiler, creuser, faire, défaire, dresser des murs, des maisons, des châteaux, esquisser des grottes, des plages, des chemins… Les textures 8 bits appliqués sur des polygones qui en voudraient plus, permettent au programme de donner au joueur une liberté totale et toujours, il faut insister, immédiate de créer et détruire des volumes qui deviennent irrésistiblement des structures. Sans le dire, avec une capacité inhabituelle de nos jours à générer un plaisir diffus et croissant, les coups de pioches virtuels de Minecraft tapent directement dans l’inconscient de chacun. Quelque part au fond d’un tunnel creusé sous la montagne, en haut de la pyramide dressée au milieu du rien, le joueur dépose quelque chose de lui, probablement d’intime. En tous cas lors de sa première grande partie, quand il arrive vierge et construit presque malgré lui quelque chose.

L’origine de la civilisation

Le jeu existe dans une sorte d’incitation à faire. D’abord douce et liée à la simple curiosité de découvrir la réaction des matériaux et les gestes possibles, puis peu à peu impérieuse quand les blocs empilés deviennent un mur, qui en appelle un autre puis deux autres pour devenir habitacle. Des blocs translucides dessinent des fenêtres, deux blocs évidés, une porte d’entrée, des blocs verts un jardin où on plantera les fleurs de la maigre sélection. En deux minutes, une maison surgit du néant comme un début de civilisation. L’effet boule de neige devient alors imparable. Et la terrasse avec vue sur mer ? La passerelle privative vers ce terrain nu qui s’annexe ? Et le solarium en bois, le mur de protection, les torchent qui chassent les ténèbres d’un tunnel ? Les blocs en équerre qui servent de canapé ? Aussi rudimentaire soit-elle, la maison, son espace intérieur et son contour extérieur, appartiennent totalement au joueur. Le système réussit à stimuler simultanément les sens créatifs et de la propriété en passant par le besoin fondamental de se créer un abri contre un monde, inhabité, mais dont la désolation crée l’inquiétude.

Faire et défaire

Malléables jusqu’à changer de fonction selon les intensions de l’apprenti bâtisseur, les blocs de construction servent eux-mêmes d’outils à la manœuvre. Pour bâtir le toit il faut se créer un escalier temporaire à l’aide des mêmes blocs. Plaquer le motif échelle tout le long d’un mur pour y installer un étage ou une fenêtre. Tomber bêtement dans le fossé creusé autour de sa tour de guet et il faut là aussi se recréer une échelle provisoire à l’aide des mêmes blocs supprimés. Il suffira alors de les éliminer une fois remonté à la surface. Chaque geste allant très vite, rien n’est jamais grave, tout peut s’improviser et se rectifier instantanément, du sol au plafond. Un joueur soigneux n’oubliera pas de détruire par la suite ses assistants provisoires, un autre laissera sans doute trainer ainsi de nombreuses esquisses comme autant d’outils abandonnés sur le chantier. Pas de problème de stock ici, toutes les matières sont en quantités illimitées. Inutile donc d’essayer d’emmagasiner du matériau en détruisant/collectant machinalement comme le voudrait l’ordinaire d’un city builder. Mais comme la sélection restreinte des 36 éléments de bases est courte, le joueur a intérêt à devenir respectueux de certaines surfaces qui, une fois détruites, ne pourront pas être recrées. Ainsi les blocs de neige n’existent que dans le décor, comme le bois du tronc de certains arbres, car cette version « light » du jeu sur iPad ne permet pas de les récupérer pour les réutiliser.

Je suis le seigneur du château

Minecraft a ce petit parfum de god game PC à l’ancienne, bien mieux disposé au contrôle clavier/souris qu’à la manette. Même s’il manque une carte générale des lieux et une possibilité de survoler le terrain, l’interface tactile directe sur la vitre de l’iPad fait des miracles. Non seulement elle se substitue sans trahir au clavier/souris mais, encore une fois, elle crée un effet de proximité assez unique. Toucher directement le sol ou un bloc de rocher pour le générer ou le supprimer en maintenant la pression finit par entretenir un véritable lien physique entre la matière du jeu et le joueur. Chaque pierre posée par un geste unique appartient alors fondamentalement au joueur comme autant d’intentions matérialisées. Méticuleusement ou de manière foutraque et improvisée, mais toujours petit à petit, brick by brick, le joueur aura fait naître une grotte, un jardin, une maisonnette, un temple, un pont, un palace, une pyramide, sa muraille de Chine, son empire de poche. Et quand il relance sa sauvegarde, se retourne sur son œuvre à jamais inachevée, il sait être chez lui, que ce petit coin du monde là lui appartient.

Distribué gratuitement sur PC sous forme partielle gratuite puis complète et payante, Minecraft s’est retrouvé en 2010 star ludique indé dans un environnement PC de plus en plus déserté par le jeu vidéo. Minecraft compte désormais 16,6 millions de joueurs et a été acheté 4,1 millions de fois. Fort de cette popularité, le tsunami cubique s’apprête à imposer sa puissance tranquille sur tous les autres supports, traditionnels avec la Xbox Live début 2012 et, malgré son prix trop élevé, là tout de suite sur iPad et iPhone.

* Mode multijoueur par connexion Wi-Fi inopérant et donc non testé. Appli universelle iPad/iPhone mais uniquement pratiquée sur le grand écran de l’iPad.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad…

Les Plus…

  • Immédiateté des commandes
  • Principe de jeu illimité et créatif
  • Possibilité d’écouter la musique stockée sur l’iPad pendant le jeu

Les moins…

  • Ni mode d’emploi, ni objectifs = déconcertant
  • Où sont les moutons et autres vies sauvages des versions PC complètes ?
  • Visuels, bruitages, menus… arides jusqu’à la sècheresse
(Publié le 21/11/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Zelda : Skyward Sword… De main de maître

La vague assommante de jeux casuals tout public lancée par Nintendo lui-même a fini par faire douter. Le maître du jeu vidéo avait-il perdu son savoir-faire ? La société Nintendo était-elle même encore intéressée à concevoir un jeu vidéo d’envergure coûteux et condamné à se vendre moins bien qu’une bête compilation de mini games familiaux ? Le nouveau Zelda offre la magistrale réponse et recadre au passage toutes les prétentions pyrotechniques volatiles des pseudos blockbusters du jeu vidéo d’aujourd’hui. Ici repose tranquillement le cœur du jeu vidéo, son articulation la plus complète.

Zelda Skyward Sword

L’évidence ne s’imposera sans doute pas sans l’avoir joué éperdument, mais passé son introduction un peu douloureuse (un chouia bavard, visuels basse définition hors d’âge, première séance de vol plané pénible) ce Zelda là doit mettre tout le monde d’accord. Cette fois, contrairement au bâtard Twilight Princess ni Cube ni Wii, Zelda Skyward Sword ne joue plus à Tolkien, au Seigneur des Anneaux de bas étages cherchant à séduire un Occident déjà égaré sur les Terres autrement plus vastes (et vides) de Morrowind puis Oblivion. Le nouveau Link ne dépend plus que de lui-même (et un peu de l’Avatar de Cameron, allez), renoue avec sa propre histoire, remet à plat sa condition pour, encore une fois, l’élever. Le vertige, d’ailleurs, est concrétisé. Comme Mario parti dans les étoiles de la Galaxie se trouver une nouvelle raison d’exister, le monde de Zelda s’installe là-haut dans un Célesbourg (toutes les francisations des noms propres valent leur pesant de trouvailles sémantiques kawaii) littéralement au-dessus des nuages. À dos de Célestriers (oiseaux montures improbables), il prend ses distances, plane plus librement encore sur la mer de nuages qu’il ne surfait déjà au-dessus de l’océan de Wind Waker.

Intimité cognitive

Ado toujours muet, ce Link là, apprenti chevalier déclaré, n’a plus le côté gamin candide de celui du Wind Waker cell shadé ou des épisodes DS. Mais il a une chambre bien à lui dans le pensionnat de l’école de chevaliers, dort sans façon dans tous les lits qu’il croise chez l’habitant, visite la salle de bain et s’assoit sur la cuvette des toilettes avant de se laver les mains. Le héros sera grand mais la route de l’apprentissage longue. Comment mieux ne pas intimider le joueur que de réduire le héros en devenir à ces petits riens qui l’humanisent. Ce qu’on appelle tutorial partout ailleurs, Nintendo le transforme en processus d’apprivoisement puis d’adoption. Le joueur semble se familiariser avec les commandes alors qu’il s’engage dans un processus affectif à travers une relation avant tout cognitive qui se tisse chaque minute, des gestes ordinaires aux grands exploits. Les petits pas non préprogrammés de Link le font ainsi chuter et rater sa cible plus qu’un jeu contemporain (au hasard : Uncharted) ne l’autoriserait. Nintendo instaure ainsi un rapport plus complexe que le simple attachement héroïque assisté entre le personnage de fiction et le joueur. Link agace en trébuchant sur une passerelle au-dessus du vide, en refusant de bien se caler devant un coffre pour l’ouvrir. Pour un peu on le giflerait comme un ami qui trahit la confiance. Mais quand il faut avancer en équilibre debout sur un rocher en roue libre ou sur une corde au-dessus du vide, le programme sait très bien compenser les limites de contrôle et de la pesanteur. Et quand vient l’heure d’abattre un colossus (l’hommage à l’œuvre de Fumito Ueda glisse comme une citation compliment entre les dieux), ce mélange d’assistance partielle et d’hésitation oblige à la concentration, force le joueur à ne plus faire qu’un avec le petit corps virtuel. Avec la Wiimote (Motion) Plus qui suit, en effet, les vrais mouvements du bras pour accompagner ceux du glaive, les tremblements du joueur et du héros virtuel s’alignent, et ordonnent la fusion *.

Relation physique contagieuse

Des doigts de la manette traditionnelle jusqu’à la main libérée de la Wiimote, la relation physique, telle une contagion, grimpe désormais jusqu’au bras. Pas d’agitation factice Wii Fit ou de sportif Resort ici, l’enjeu, toujours, se mesure à ce qu’il met en scène pour jouer. Il n’y a pas décalage entre l’action et l’intention. Les fantasmes de l’escrime, du duel de sabre, ou du vol aérien se vivent désormais aussi en partie dans le corps et expliqueront qu’il vaudra mieux se lever au moment d’affronter un boss, de devoir lui jeter avec tout le bras les fleurs-bombes dans la gueule ouverte, de porter des coups d’épée de côté, de biais, de bas en haut ou de haut en bas, avant d’achever en coup d’estoc. S’il existe une limite à cette simulation, elle se situerait dans le souvenir de la projection mentale des jeux précédents. Parce que, oui, bien que semi automatisés, les coups d’épée donnés à coups de bouton A dans les précédentes aventures de Zelda ont toujours été organisés de façon à créer l’illusion mentale que le joueur accomplissait la gestuelle complète alors qu’il n’en n’était rien. En effectuant pour de bon le geste aujourd’hui, le même joueur ne fait qu’acter ce qu’il croyait déjà exécuter. Selon toute probabilité, un néophyte total de la série recevra en revanche ce Zelda comme les joueurs d’hier et d’avant-hier ont reçu A Link to The Past ou Ocarina of Time. Skyward Sword porte en lui d’innombrables occasions de se dire «mais comment est-ce possible ?».

Clés célestes

Du village céleste où l’on se perd mille fois au-dessus des nuages, des dédales verdoyants de la forêt conduisant au Temple de la Contemplation, des mines au désert jusqu’au Temple de la Terre, la ligne droite n’existe pas dans le monde de Zelda. Ni plus vraiment d’espaces vides sur Terre. Seul le génie sans cesse renouvelé de l’architecture environnementale made in Nintendo a capacité à faire oublier et accepter le vieux rouage de cause à effet du levier qui ouvre un couloir qui donne accès à un coffre qui donne la clé qui défait le verrou de la porte géante derrière laquelle se cache presque immanquablement un donjon qui, lui aussi, rejoue l’enchainement infernal jusqu’au boss. Entre les mains de Nintendo, le procédé vieux comme le monde interactif fait de presque chaque étape la démonstration humble d’une inventivité sans fin, d’une aptitude à la remise en scène créative. Il en ressort cet étrange mélange de familiarité rassurante, de sensation insaisissable de «déjà vu», saupoudrée au-dessus d’un espace pourtant neuf, inspiré au point d’aspirer irrésistiblement vers lui, jusqu’au fin fond de lui.

Reconnaissance par le geste et le touché

Chaque lever de rideau sur une région de la carte du monde ajoute une strate inédite de gameplay. Le nouvel éclairage apporte d’abord une nouvelle complexité, géographique, mécanique et conceptuelle. Ici comme nulle part ailleurs, l’intellectualisation de l’essence encore et toujours indiscernable du jeu vidéo se joue au lieu de se verbaliser. L’abstraction succède au gameplay et non l’inverse. Après avoir agi, joué, consommé ou consumé, l’accompli prend une perspective, un relief conceptuel que l’intellect, en retard sur les mains et l’action, peine à verbaliser parce que les mots, justement, ne suffisent pas à exprimer une connaissance acquise par le geste et le touché, l’immersion topographique.

Pot pourri pour potion… magique

En revenant à la source de l’histoire du royaume d’Hyrule avec une Zelda simplement «Dame» avant de devenir princesse, Nintendo aurait pu remettre les compteurs à zéro, alléger l’équipement, reconfigurer les bases et s’adresser à la nouvelle génération de joueurs. Au lieu de ça, la Zelda Team de Eiji Aonuma se défie elle-même, garde et absorbe tous les acquis. Et dans un pur acte de folle confiance instinctive en son savoir-faire (comment expliquer autrement de telles audaces), elle y greffe des nouvelles aptitudes, parfois même fondamentales, fait évoluer à la puissance plus les précédentes. Y compris celles, serviables, d’autres jeux prestigieux de la marque dont les spécialistes retrouveront les traces (un Link prenant feu aux fesses comme un Mario, roulant sa boule comme dans Galaxy, soufflant les poussières tel un Luigi’s Mansion ou collectionnant et socialisant à coups de services rendus comme dans un Animal Crossing). Et rien n’est oublié du chef d’orchestre de Wind Waker ou du chien loup et de l’ambiance vaguement cyber de Twilight Princess. Du scarabée volant téléguidé permettant de survoler les niveaux, d’appréhender et anticiper les lieux et les mystères, les distances, les espaces et les combats avant de s’y ruer, au système de sélection des armes et accessoires en anneaux (version Wiimote des fameux menus en cercles concentriques du Secret of Mana), la refonte des commandes, du rythme d’accès aux choix, modifie grandement la prise en main et les sensations.

Profondeur insondable

Alors que les grosses productions pleines, surtout, d’esbroufe technique, se laissent saisir dès leur début, la profondeur interactive insondable de Skyward Sword refuse, comme les papillons et les insectes que Link doit attraper au filet, de se laisser capturer à la première ou énième approche. Chaque coffre ouvert, sur Terre ou dans les îles flottantes des cieux, cache la promesse irrésistible d’un autre trésor et renvoi à plus tard ou plus loin l’horizon. Les explications redondantes des dialogues – pour la première fois à réponses multiples – des aides cyber-computées de l’esprit de l’épée qui remplace les fairies et autres petits conseillers malins à dos de canin (Ocarina, Twilight…), des indices vidéo de la marche à suivre diffusés par les pierres boiing-boiing récupérées du remixe d’Ocarina sur 3DS, aucun prémâché de l’assistance à jouer ne gâche l’aventure ni même un moment de jeu. Ce Zelda, comme ses grands ascendants Ocarina et Wind Waker, se suffit à lui-même. Mieux, et stigmatisant l’ensemble du médium jeu vidéo qui singe et piétine la syntaxe cinématographique, Skyward Sword recentre toutes les notions dispersées de narration par le verbe ou des cinématiques frigides transformant le joueur en spectateur passif. Nettement plus fournie et explicite qu’Ocarina, mais aussi plus vive, plus copieuse, flirtant avec le jeu de rôle traditionnel (amélioration monnayée de l’équipement chez le forgeron), même en démarrant trop doucement, l’histoire ne plombe plus autant que Twilight Princess. Car respectueux de son concept aérien, tout en chatouillant le drame sombre et mystique, Skyward Sword se veut léger et badinant. Ce qui le sauve.

Jeu somme ?

Le jeu somme cherché en vain dans l’ombre d’Ocarina par Twilight Princess se retrouve plutôt ici, dans un Skyward Sword plus honnête avec lui-même, plus raffiné, moins pédant, enfin en phase avec son histoire, sa généalogie tactile toujours en progression. Y compris avec ses failles. L’objet, en tant que jeu vidéo d’aventure protéiforme, se révèle dans tous les cas trop énorme en densité, en variété, en durée, pour s’appréhender dans sa totalité. Skyward Sword explose les critères du raisonnable et les compteurs du moment (quantitatif, qualitatif, chronométrés, financiers). De l’ordre du marathon (avec pour preuve un Link désormais suspendu lui-même à une jauge limitée d’essoufflement qui force le joueur à tempérer pour tenir la distance), ce qu’il donne à jouer encore et encore sans presque ne pas radoter pendant des dizaines d’heures ne supporte pas la synthèse, ni la comparaison avec quoi que ce soit d’autre que sa propre généalogie, son ADN digital. Depuis toujours, le processus encyclopédique de la série qui se nourrit d’elle-même, s’appuie sur ses propres acquis et cumule d’épisodes en épisodes les accessoires et le savoir-faire, construit un univers interactif wikipédiaque sans commune mesure. À observer et ressentir la force de conviction de cet univers ludique, sa démesure non mégalomane, sa puissance écrasante et pourtant non dominante, au-delà du plaisir qu’il peut, ou pas, de nos jours, provoquer, l’aventure mérite tous les respects. Des joueurs, vétérans ou apprentis, comme des développeurs qui regarderont là, une nouvelle fois stupéfiés, ce que leur outil de travail peut vraiment accoucher.

La Wii, ultime frein de Zelda

Malgré le vent et l’azur infini, les jours et les nuits, les torsades temporelles, les pauses poétiques contemplatives, le souffle n’a toutefois pas tout à fait la même force d’évocation que les grands épisodes de référence. D’abord parce que l’impact visuel reste sur Wii bien en dessous du possible six ans après l’avènement de la haute définition. Parfois gracieuse, souvent brouillonne, l’astuce graphique transformant les textures basse résolution en aplats de peintures impressionnistes oscille entre le barbouillage baveux et le hors sujet, et n’atteint que rarement le sublime. Peut-être aussi parce que l’humain, le joueur, n’a pas physiquement la possibilité de voler et ne saura tout à fait s’identifier aux vols d’oiseaux, alors qu’il aura probablement expérimenté pour de vrai l’appel du grand large de l’esquif de Wind Waker ; parce que son âme, aussi, aura déjà été agrandie et libérée par Ocarina of Time et Wind Waker et qu’il y a hélas, en chacun et en dehors de la plume des poètes, un espace d’absorption émotionnelle limité. Même si d’aventures en aventures le nombre de cœurs réceptacles de Link et du joueur augmente, l’ivresse d’une aventure aussi ambitieuse teste d’abord les limites et la disponibilité émotionnelle de chacun. Car, c’est sûr, ce Zelda là fait déborder et le calice et le vase et pose implicitement la question : Que sont donc ces « jeux vidéo » que vous avez honoré ces dernières années ? Le vrai et unique master chief sword est de retour, ou plutôt il a toujours été là. Matrice, nombril et centre de gravité du jeu vidéo, ce nouveau Zelda renvoi tout le monde et toutes les prétentions satellites sur orbite. Le vent dans les voiles, à l’aise.

* Pour être tout à fait précis et transparent : le jeu a été joué sur une version de travail officiellement complète qui a néanmoins provoqué des bugs de reconnaissance des mouvements avec une Wiimote Plus qui ont disparu après avoir changé de… Wiimote Plus (pas d’explication rationnelle sous la main). La version vendue en magasin devrait, en toute logique scrupuleuse Nintendo, avoir éliminée ce problème.

François Bliss de la Boissière

(Publié en novembre 2011 sur Chronicart.com)

 


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Les Pickford Bros : Artisans du jeu vidéo, et fiers de l’être

Étonnants vétérans du jeu vidéo en activité depuis les années 80, les frères John et Ste Pickford ont traversé presque toutes les époques. Après s’être frottés aux plus grands studios et éditeurs, ils ont décidé que leur place était désormais sur la scène indépendante où ils peuvent créer ce qu’ils entendent. Avec, comme le prouve l’excellent Magnetic Billiards, un talent et une originalité qu’ils cultivent farouchement.

Pickford Bros

Bliss : Vous avez créé autour de l’origine de Magnetic Billiards une fiction qui aurait 123 ans… Est-ce une façon de dire « nous sommes encore neufs » dans ce business du jeu ?

Ste Pickford : Fiction ? Mais c’est totalement vrai ! Magnetic Billiards : Blueprint (de son nom complet, NDR) est le premier jeu que nous ayons réalisé après avoir trouvé le plan (le blueprint du titre, NDR) et les notes griffonnées de notre arrière-arrière grand-père. Depuis nous avons avancé dans le déchiffrage de son écriture déglinguée et nous utilisons ce que nous avons découvert pour concevoir un nouveau jeu Magnetic Billiards plus fidèle encore à son projet original. Cela inclut plusieurs éléments de gameplay que nous avons redécouverts et l’atmosphère et les sensations d’une salle de billard au tournant du 20e siècle.

Bliss : Combien de gens ont travaillé sur Magnetic Billiards et en combien de temps ?

Ste Pickford : Tout le jeu a été conçu et développé par John (frère et partenaire de Ste qui répond aux question pour eux deux, NDR) et moi-même, à part l’audio. La version iOS a pris dix mois environ à développer, mais nous étions nouveau sur la plate-forme à ce moment là. Nous avons également travaillé au coup par coup sur le game design et le concept pendant deux ans auparavant, depuis que nous avons déniché les papiers et les plans de notre arrière-arrière grand-père. Nous avons d’abord fait des prototypes sur PC où nous avons expérimenté les mécaniques de gameplay et les systèmes de contrôle ainsi que les visuels. Aucun n’a été commercialisé mais tout cela a formé la base pour le jeu sur iOS et les prochains titres pour cette plateforme sur lesquels nous travaillons. Cela représente beaucoup de temps à travailler sur un seul jeu contrairement à la majorité des autres développeurs sur ces machines, mais c’est parce que nous inventons vraiment des mécaniques de jeu de toutes pièces et créons un gameplay inédit. Il est absurde de travailler avec des dates de sortie arbitraires si vous faites de la recherche de cette façon.

Bliss : Pourquoi avoir choisi ce design graphique retro comme dessiné à la main plutôt qu’un aspect brillant high-tech plutôt attendu de nos jours ?

Ste Pickford : John et moi sommes des professionnels du jeu vidéo depuis plus de 25 ans. Quand nous avons commencé, les résolutions d’écrans étaient très basses et les visuels primitifs et rudimentaires, un personnage de jeu vidéo pouvait être dessiné en 16×16 pixels en seulement deux couleurs. Mon travail en tant qu’artiste a toujours été d’obtenir les meilleurs résultats possibles en un tout petit nombre de pixels. Nous essayions toujours de rendre les graphismes un peu plus réalistes et un peu plus brillants et lustrés de façon à dépasser les limites du hardware. Il y a environ cinq ans nous avons pris conscience que le hardware moderne nous permettait de concevoir des visuels aussi réalistes et clinquants que nous voulions, il n’y avait plus de limitations à dépasser. En parallèle, pratiquement tous les jeux autour de nous avaient une apparence high-tech et brillante. Ce n’était plus un challenge technique mais un standard. Mais après 20 ans, nous étions lassés de ces jeux aux visuels clinquants. Nous avons alors décidé d’essayer d’utiliser la puissance du hardware moderne d’une façon différente et d’y incorporer visuellement notre propre personnalité en essayant de capturer mon style de dessin.

Bliss : Le touché du gameplay de Magnetic Billiards est très précis et technique et en même temps très doux et plaisant. Comment avez-vous atteint cet équilibre et à quel point est-ce proche de votre objectif initial ?

Ste Pickford : Nous avons obtenu cela en prenant beaucoup de temps à prototyper et designer le jeu avec énormément d’itérations du contrôle du jeu. Cela implique de coder la façon dont le jeu se contrôle, d’y jouer beaucoup, de parler de ce que nous aimons ou pas, puis de le réencoder avec des changements. Encore et encore et ainsi de suite. La même procédure a été appliquée à toutes les autres caractéristiques et mécaniques du jeu. Le processus n’est pas rapide, mais nous pensons que c’est la seule façon de faire un vrai bon jeu, de ne pas copier des mécaniques de jeu à partir d’autres existantes.

Bliss : L’ambiance générale du jeu est plutôt décalée et peut-être risquée d’un point de vue commercial, comment en êtes-vous arrivé là ?

Ste Pickford : Après 20 ans à travailler pour les éditeurs et devoir constamment changer notre jeu pour répondre aux caprices des gens du marketing, ou pour s’aligner sur la tendance du moment, ou pour copier tel ou tel hit de l’année passée, nous sommes passés « indés » de façon à suivre nos propres idées et designs. Nous ne tentons pas de créer les jeux les plus commerciaux possibles ou de copier la mode du jour. Nous essayons de créer les jeux que nous ressentons le besoin de faire, et de suivre nos propres instincts et sensations. En conséquence, nos jeux sont souvent un peu différents du standard. Mais nous pensons qu’en y injectant notre propre personnalité cela peut aider à ce qu’ils se distinguent et soient davantage mémorables.

Bliss : Vous avez inclus beaucoup de pages de règles et d’aide dans le jeu… Vous n’avez pas craint de décourager les joueurs même si elles sont facultatives à lire ?

Ste Pickford : Probablement si, cela a été une préoccupation. Mais nous ne voulions pas ajouter un tutorial fastidieux qui aurait laborieusement forcé le joueur à absorber des tonnes de nouvelles règles en commençant à jouer. Il fallait réussir à ce que le joueur soit d’abord surpris dans le sens où le jeu ne soit pas ce à quoi il s’attendait sans, si possible, le décevoir. Ensuite le joueur est autorisé à découvrir les complexités des mécaniques et des règles selon son propre rythme au fur et à mesure qu’il joue. Nous voulions que le joueur réalise par lui-même les astuces utiles à atteindre un high-score plutôt que de lui imposer dans un tutorial. Néanmoins, nous voulions aussi expliquer les mécaniques du jeu aux joueurs qui aiment lire les manuels, et la meilleure méthode consistait à inclure des instructions complètes, mais sans forcer personne et permettre à ceux qui ne veulent pas lire des instructions de les éviter complètement.

Bliss : Les rayures qui identifient les boules en plus des couleurs sont conçues de façon à être identifiables par des daltoniens. C’est une idée qui s’est imposée après ou l’avez-vous voulue dès le départ ?

Ste Pickford : C’était définitivement délibéré. J’ai pris en compte les gens souffrants de daltonisme en dessinant les boules mais le retour que nous avons eu depuis la sortie indique que nous n’avons pas tout à fait réussi. Des couleurs que les daltoniens peuvent facilement confondre ont aussi des motifs assez similaires. Nous avons demandé davantage de feedback via notre blog, et avons obtenu des rapports utiles des joueurs et dans la prochaine mise à jour nous intervertirons les couleurs et motifs un peu. Il y aura aussi l’option de placer des symboles uniques sur chaque boule de façon à s’assurer que les gens qui ne distinguent pas bien les couleurs n’aient aucun problème pour jouer.

Bliss : Votre frère et vous-même apparaissez en personne dans le jeu sous forme de personnage de bande dessinée. Est-ce la première fois et le referez-vous ?

Ste Pickford : C’est notre première fois et, oui, nous le referons. La plupart des jeux, y compris ceux réalisé par des équipes d’une ou deux personnes, essaient de donner l’impression qu’ils ont été faits par un super studio et une grosse entreprise sans visage. C’est barbant. Nos jeux sont faits à la main par deux types dans leurs bureaux à domicile et nous voulons refléter cela dans le jeu. Nous voulons que l’utilisateur sache que le jeu est réalisé à la main, par qui il est fait et qu’il pense aux développeurs en tant que vraies personnes avec des personnalités, en tant que créateurs, d’auteurs même.

Bliss : Vous offrez 20 tables pour 0,79 euro, voire gratuitement lors de journées de promotion. Ne craignez vous pas que cela suffise aux gens et personne ne paie une somme supplémentaire pour davantage de contenu ? Le modèle freemium convient-il à vos projets ?

Ste Pickford : Oui, c’est une inquiétude. Le prix bas des jeux iOS en général est un souci mais nous avons découvert que le modèle freemium marche plutôt bien. Nous avons un taux de conversion décent. Plus que tout nous voulons que les gens jouent nos jeux, alors passer gratuit de temps en temps n’est pas un problème, nous ne considérons pas ça comme de l’argent perdu, parce que nous touchons de nouveaux fans ! Notre petite entreprise va bien. Nous ne gagnons pas de grosses sommes d’argent ni rien de la sorte mais nous savons que nous faisons de supers jeux et c’est notre objectif numéro un.

Bliss : Vous avez un plan strict de sortie des mises à jour ? Comment organisez-vous votre travail ?

Ste Pickford : Nous avons un planning mais la qualité du jeu doit venir d’abord. Nous sortons un jeu seulement quand nous avons vraiment fini. Comme nous nous spécialisons dans la recherche et le développement et inventons des nouvelles mécaniques de gameplay, notre processus comprend de nombreuses variations du programme, et nous y travaillons jusqu’à ce que cela nous apparaisse comme fun.

Bliss : Quelle est la suite pour Magnetic Billiards, des nouvelles options liées à iOS 5 ? Le jeu peut-il apparaître sur d’autres plateformes de téléchargement comme le Xbox Live ou le PlayStation, Network ?

Ste Pickford : Nous avons beaucoup de projets pour Magnetic Billiards (voir encadré ci-dessous). Dans les prochaines semaines nous aurons une mise à jour avec de nouvelles options. Le jeu pourrait apparaître sur PSN ou XBLA dans le futur, mais nous n’avons pas de plans immédiats. Aucune des deux consoles n’est très aimable avec les petits indés comme nous, alors nous nous concentrons sur iOS pour l’instant.

Bliss : Presque 30 ans de collaboration entre deux frères semble assez rare. Comment vous répartissez vous les tâches ?

Ste Pickford : Curieusement, les duos de frères sont assez communs dans l’industrie du jeu vidéo anglaise : les frères Stamper de Rare (fondateurs qui ont revendu Rare à Microsoft en 2002, NDR), les frères Darling chez Codemasters, les jumeaux Oliver chez Blitz, etc. De notre côté, John arrive avec les nouvelles idées de mécaniques de jeu ou un système de contrôle ou tout simplement un ressenti qu’il veut inspirer au joueur. Nous discutons ses idées, les trions, travaillons la faisabilité, puis John code le prototype pendant que je travaille sur les visuels et les données. Une fois un projet lancé nous avons tendance à décider ensemble le game design général du jeu, avec des discussions constantes et même des disputes sur la façon dont les choses devraient fonctionner ! Nous sommes tout le temps en désaccord, principalement à propos des petits détails des règles du jeu. Nous avons tendance à tirer chacun dans une direction opposée avec moi voulant un gameplay dépendant de données bien contrôlées et John préférant un gameplay algorithmique plus ouvert. Les produits finis se retrouvent quelque part au milieu.

Bliss : Vous avez travaillé avec des entreprises du jeu vidéo connues pour leur très grand savoir faire comme Nintendo ou Rare. Quel est votre sentiment sur ces collaborations et qu’avez-vous gardé de cette culture ?

Ste Pickford : Nous adorons collaborer avec d’autres designers de jeu et nous avons eu de bons moments au début avec Rare, mais la plupart du travail effectué avec des grosses entreprises n’étaient pas des collaborations mais des commandes dictées par des départements marketings cherchant à imiter d’autres jeux bien vendus. Nous en avons eu assez de travailler dans cet environnement, sans la possibilité de nous exprimer nous mêmes ou nos idées, ou de pouvoir faire des jeux avec une personnalité et quelque chose d’unique. C’est pourquoi nous avons viré indé où personne ne peut nous dicter ce que nous avons le droit de faire.

Bliss : Vous avez travaillé sur 86 jeux ! Quels sont ceux dont vous êtes le plus fier, et ceux qui ont eu le plus gros succès commercial ?

Ste Pickford : Les jeux dont nous sommes les plus fiers sont ceux les plus proches de notre vision originale, avec le moins d’interférence des comités marketing des éditeurs. Notre premier jeu indé, Naked War, est probablement le jeu le mieux designé que nous ayons jamais faits, et sans doute celui dont nous sommes le plus fier. Nous travaillons en ce moment même avec quelqu’un en vue de sortir Naked War sur iOS. Avant ça, Wetrix est un autre jeu dont nous extrêmement fier (). Nous avons conçu le jeu nous mêmes comme une démo auto financée, avant de vendre le produit presque fini à Ocean, alors il n’y a pas eu trop d’interférence de l’éditeur sur ce coup là, et c’est pour cela que le résultat final était si bien ! Nous sommes aussi très fiers de Plok! sur Super Nintendo qui était un autre jeu commencé comme un projet auto-financé où nous nous sommes arrangés pour mettre en place les mécaniques de jeu et le gameplay avant l’implication de l’éditeur. J’ai aussi un faible pour Zub, Feud, Solar Jetman, Tin Star et Equinox. Nos plus grands succès commerciaux ont sans doute été Maximum Carnage, un jeu Spider-man sur Super Nintendo et Ken Griffey Major League Baseball développé pour Nintendo sur Super Nintendo. Feud sur machines 8 bit a aussi été un grand hit à l’époque.

Bliss : Vous êtes dans l’industrie du jeu vidéo depuis sa renaissance juste après son crash des années 80, êtes-vous surpris du parcours de cette industrie en 30 ans et comment la voyez-vous encore évoluer ?

Ste Pickford : Je ne suis pas étonné que l’industrie du jeu vidéo soit encore prospère, mais je suis déçu à quel point elle est si peu créative. Plus encore que les films, les livres ou la musique, les jeux vidéo ont tendance à être dominés par la mode du moment et le seul intérêt commercial avec très peu d’espace pour l’expression artistique et individuelle. Il y a de formidables projets créatifs mais, essentiellement dans la scène indé, ils ne représentent qu’une portion congrue du paysage du jeu vidéo contrairement à d’autres médias. Je ne crois pas que les critiques de jeux vidéo aient d’ailleurs fait un bon travail en encourageant le copié-collé commercial facile du jeu vidéo mainstream plutôt que l’originalité et la créativité. La situation est sans doute quand même mieux qu’elle n’a jamais été depuis la fin des années 80, avec iOS et les jeux téléchargeables qui offrent un canal où les indépendants s’expriment et où la créativité peut enfin obtenir un peu de reconnaissance.

Propos recueillis (et traduits) par François Bliss de la Boissière

Magnetic Billiards évolue

L’application Magnetic Billiards s’apprête à connaître plusieurs évolutions dans les semaines qui viennent. « Nous avons deux pages de tables supplémentaires en développement dans la partie Classic Game comprenant deux nouvelles aptitudes : Pegged Balls avec des boules collées à la table et qui ne peuvent pas bouger, et Struts qui imposent des connexions rigides entres les boules de couleurs différentes », expliquent les frères Pickford. « Elles ajoutent une nouvelle dimension au Classic Game. Nous avons aussi une option « prototype » sous forme de bonus au mode Skeleton Key qu’auront achetés certains joueurs et qui inclura des prototypes de gameplay sur lesquels nous travaillons. Ce sera une forme d’avant-première qui donnera l’opportunité aux joueurs de nous donner leur avis. La prochaine mise à jour comprendra ainsi deux prototypes : Squish qui est un nouveau jeu d’arcade avec un gameplay radicalement différent à base de gravité où toutes les boules s’empilent en bas de l’écran, et I Sent My Monkey To The Moon (ISMMTTM), un principe de jeu totalement nouveau sur lequel nous travaillons. Nous inclurons également un mode Annulation qui permet de rembobiner les mauvais coups, de revoir les bons coups et de sauvegarder les meilleurs coups réussis pour les revoir à volonté. Nous y travaillons encore et cela pourrait inclure un système pour rejouer une partie et la possibilité de redémarrer un jeu interrompu sur de plus vieux modèles de Smartphones comme l’iPhone 3GS qui actuellement interrompt la partie quand on appuie sur le bouton principal. Une fois cette mise à jour en ligne, nous regarderons ce que nous pouvons ajouter sous iOS 5. Envoyer des coups et des parties à des amis est une possibilité, ainsi, à terme, qu’un éditeur de table. Nous travaillons également sur une deuxième Magnetic Billiards, avec des visuels plus réalistes, qui vous emmènerait dans le monde d’une salle de billard du début du siècle. Il inclurait des personnages de l’époque de notre arrière-arrière grand-père, avec une toute nouvelle option de gameplay qui changera grandement le potentiel des scores de chaque table. Nous avons également encore au moins deux autres idées de jeu Magnetic Billiards que nous voulons explorer, si nous trouvons le temps ! »

Pour connaître l’ampleur de l’impressionnante carrière des frères Pickford, un passage sur leur site est hautement conseillé, notamment à cette page.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 04/11/2011 sur Hitphone.fr)

 


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ICO : la Playstation 2 a trouvé son âme

Préambule relecture 2011…

L’introduction ci-dessous le disait alors, au-delà de la tristesse provoquée par le cataclysme tombé sur New York en septembre, l’année jeux vidéo 2001 avait été particulièrement fructueuse. Ico arrivait en sourdine au milieu d’un jeu vidéo bien occupé à autre chose qu’à traverser en silence une forteresse désertée et presque monochrome. Convaincre alors par le texte et la critique qu’il se passait là quelque chose d’inhabituel et même de capital n’a pas été chose aisée. Il fallut prendre sur soi et ses propres congés pour jouer le jeu jusqu’au bout. Les discussions allaient bon train dans la rédaction à cette époque et il a aussi fallu passer en force cet énorme compliment parmi une population de gamers, majoritaire ici ou ailleurs, guère réceptive à toutes les nuances, sans doute féminines, de Ico. Le 9,5 sur 10 alors imposé contre tous a sonné comme une hérésie, et même une trahison. Aujourd’hui, alors qu’Ico et sa suite Shadow of the Colossus appartiennent au patrimoine du jeu vidéo mais aussi de l’humanité et que la double réédition en HD et 3D rend à nouveau accessible les deux chef d’œuvres de Fumito Ueda, le rédacteur savoure aujourd’hui doucement, et sans plus de fierté qu’il n’en faut, le bien fondé de la petite lutte intellectuelle qu’il a alors mené dix ans plus tôt pour essayer de projeter le jeu dans la lumière qu’il méritait. En attendant, le temps qu’il faudra, The Last Guardian qui reviendra éclairer un jeu vidéo de plus en plus égaré, pour ne pas dire hagard.

Voilà ce que ce rédacteur énamouré disait alors d’un Ico qui vaut encore toutes les louanges aujourd’hui dans sa version 3D qui recrée un nouveau vertige des sens.

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ICO : la Playstation 2 a trouvé son âme

Passionnant, poétique, profond, léger, inattendu, singulier, fascinant, harmonieux, délicat, subtil et surtout hyper jouable, l’Emotion Engine de la Playstation 2 porte enfin bien son nom. En un mot : chef-d’œuvre.

Préambule obligatoire : Bons jeux, la rançon du succès

Quelle année 2001 pour les jeux vidéo ! Mais c’est une chose d’anticiper la tempête, et une autre d’être dedans. Jouer d’une traite à Final Fantasy X, Gran Turismo 3, Devil May Cry, Max Payne, Silent Hill 2, Super Monkey Ball, Wave Race Blue Storm, Commandos 2, WRC, Luigi’s Mansion, a de quoi donner le vertige. Même à un professionnel qui en a vu d’autres. Tous des jeux uniques, formidables, totalement différents les uns des autres, incontournables pour les consommateurs et la culture jeu vidéo. Un concentré vidéo ludique qui excuse toutes les erreurs passées de l’industrie, les attentes vaines, les promesses non tenues. Que dire ensuite pour attirer l’attention sur un jeu qui, lui non plus, ne ressemble pas aux autres ? Un jeu qui réussit l’exploit de scotcher à l’écran un joueur qui, depuis quatre mois, a le privilège de pratiquer les meilleurs jeux de la planète ? La spirale de la surenchère verbale que provoque cette production 2001 ne va-t-elle pas finir par nuire à nos propos ? Sans doute, mais que voulez-vous, après des dizaines de critiques amères les années précédentes, on ne va pas faire la fine bouche au moment où le paradis des jeux est à portée de main. Et puis, quand on rencontre des chef-d’œuvres il n’y a pas photo. Un critique de jeu vidéo n’est qu’un vecteur. Il doit faire passer l’information avec le plus de justesse et de précision possible, et la passion doit transiter par le raisonnable pour rallier les suffrages. C’est le standard que nous nous efforçons de maintenir, et même si les cotas de jeux extraordinaires sont en train d’exploser sur Overgame, et que l’incrédulité gagne même les rangs des professionnels, nous sommes bien obligés de témoigner du marché. Et l’information du jour c’est que ICO est un phénomène.

Mais d’où sort ce #@!?$* de bon jeu ?

Retenez bien ce nom : Fumito Ueda. Il est le Directeur et Game Designer de ICO. Entouré d’artistes forcément de haut niveau, dans une équipe apparemment nouvelle chez Sony Computer Japon, il semble être le responsable d’un jeu qui dépasse largement son statut de loisir pour rejoindre – lâchons le mot puisque le débat est ouvert sur Overgame * – celui d’œuvre-d’art. Il faut dorénavant surveiller les projets de cet homme car un jeu comme ICO ne survient pas simplement sur un carnet de commandes. Il faut bien un artiste avec une vision pour réussir un tel projet. Au cas où le doute s’infiltrerait affirmons dès cet instant que ICO est un véritable jeu vidéo. Aucun doute là-dessus. C’est bien le joueur qui est en contrôle, l’interactivité est à son maximum. Et si ICO réussit à faire vivre une aventure émotionnelle subtile et forte jusque là inédite dans les jeux vidéo, ce n’est pas ICO qui sort du cadre, c’est toute l’industrie qui est tirée vers le haut. Quand on parlera d’émotions dans un jeu vidéo, d’émotions subtiles qui ne s’appuient pas grossièrement sur la peur, le stress et l’hystérie, il faudra faire référence à ICO. Là où Silent Hill 2 rend adultes les sentiments de peur surexploités dans les jeux vidéo, ICO invente les rapports amoureux platoniques, où deux êtres apprennent à se découvrir en pleine adversité. L’angoisse existentielle de Silent Hill 2 est tournée vers l’intérieur, à l’autre bout du spectre émotionnel, l’interrogation existentielle d’ICO est tournée vers l’extérieur, vers l’autre personne, vers un décor vu du dehors, énorme et énigmatique. Pour trouver les réponses, l’un, introverti pousse son héros à se ronger de l’intérieur tandis que l’autre conduit vers l’extraversion à la conquête de son environnement. Silent Hill 2 creuse la nuit, ICO construit (édifie) le jour.

Parlons peu, parlons bien, parlons du jeu

Sur le jeu proprement dit il n’y a pas grand chose de plus à ajouter à notre avant-première. Non pas qu’ICO ne se laisse pas raconter, mais en l’absence de menu de gestion, de carte des lieux, de jauge de santé, d’accessoires, de magies, d’armement et de tout attribut habituel aux jeux vidéo, les explications sont forcément courtes. ICO est un petit bonhomme qu’il faut diriger à travers le labyrinthe d’une énorme forteresse médiévale. A sa disposition : un bâton pour se défendre, et une agilité reflétant son jeune âge et sa silhouette allongée. Emmuré vivant par les membres de son propre village parce que né avec des cornes, ICO s’arrache de justesse au tombeau où il doit mourir à petit feu pour croiser une autre victime de l’énorme prison. Le destin de sauveur devient inéluctable dès qu’on aperçoit la silhouette féminine gracile enfermée dans une cage suspendue plusieurs dizaines de mètres au-dessus du vide. Surtout que sans elle, pas de fuite possible. Les destins de la jeune princesse Yorda et de ICO sont dorénavant liés à la vie à la mort. Car pour s’arracher au tombeau de pierre il faudra l’agilité et l’esprit du garçon et la magie mystérieuse de la jeune fille pour ouvrir les portes… magiques. Plus simple et cliché est impossible, et pourtant, quel voyage !

La Forteresse de la solitude

Yorda et ICO sont les seuls êtres humains de cette aventure. Une troisième présence omniprésente hante pourtant le jeu : la forteresse qui les retient prisonnier. Ce château nordique et oublié par ses habitants est construit comme un véritable édifice. À une échelle gigantesque. Il y a le donjon où sont enfermés les nouveaux tourtereaux, la bâtisse principale et menaçante, corps central du monstre de pierre, les tours annexes, gardiennes symétriques qui permettront de déverrouiller les portes monumentales de l’enceinte, et des surprises… Quand les deux héros traversent les salles et autres jardins, cela n’a rien à voir avec une succession de niveaux artificiels mis bout à bout. Chaque salle, chapelle, tombeau, cour intérieure a une place justifiée dans l’architecture. On a vraiment l’impression de visiter une forteresse géante issue de l’habituel délire mégalomaniaque de l’homme. Pour dire : la conformité apparente de cette architecture rend les donjons de Zelda totalement artificiels en comparaison. Dépouillés et vides comme un château médiéval déserté, ce sont les différentes roches et architectures qui donneront une identité aux lieux. En sachant que l’échelle des salles continue dans le gigantisme. ICO et Yorda sont aussi petits dans le décor qu’un pèlerin au centre de la cathédrale de Chartres (par exemple). Crédible jusque dans ses arrières salles ou ses installations obscures, cette architecture grandiose n’a plus rien à voir avec l’habituelle conception de niveaux, prétexte à créer des embûches au joueur. Les deux héros reviendront d’ailleurs plusieurs fois sur leur pas (possible de faire complètement demi tour à n’importe quel moment en théorie) pour trouver leur chemin jusqu’à la sortie. L’impression d’écrasement et de menace est ainsi permanente. Et, quand à la véracité des lieux s’ajoute des éléments ésotériques énigmatiques, pas besoin d’un message en clair pour comprendre qu’il vaut mieux fuir.

« The incredible machinerie »

En cherchant la porte de sortie, ICO devra déclencher de curieux mécanismes. Rien de beaucoup plus étrange que ceux qui déclenchent un pont-levis ou une herse, et toujours logique avec le décor du moment (moulin à vent décrit, cascade d’eau intérieure, tombeau et, plus généralement, portes et pont-levis…). À une époque où poulies, poids et contre poids faisaient office d’énergie à la place de l’électricité, il est vite logique d’avoir à les déclencher. Même si le nombre de mécanismes plus ou moins directs est un peu plus élevé que la réalité ne le voudrait. L’important, et cela fait partie des grandes qualités de cette aventure, est que chaque élément est cohérent avec le suivant et qu’on y croit. Pour sortir de chaque espace il faut beaucoup observer les lieux (la caméra distante est contrôlable pour de magnifiques panoramiques et, en plus, le bouton R2 permet de zoomer à n’importe quel moment !), prendre des risques, essayer. La solution n’est jamais loin, jamais très compliquée, à condition de rester concentré.

Des cornes au naturel mais pas de magies artificielles

Nul besoin de super pouvoirs, à son âge ICO est souple et agile comme un gymnaste. Avec ce qu’il faut d’hésitation et de maladresse pour être humain (ICO trébuche, perd l’équilibre au bord du vide pour se rattraper in extremis), le petit personnage saute par dessus des précipices (la forteresse est construite à même la roche d’une falaise au bord de la mer), grimpe le long de chaînes (et s’y balance), se suspend aux corniches naturelles, nage. Son énergie est telle que la vitesse avec laquelle il tire ou pousse des caisses métalliques renvoie tous les autres habitués au royaume des escargots paraplégiques. Chaque geste et posture adoptée est d’une justesse effarante. Il faut remonter à Prince of Persia, Flashback et Heart of Darkness pour retrouver une telle précision dans l’animation. Il y a tellement de phases intermédiaires entre les gestes clés que ICO devient très vite une entité vivante. Il ne faut pas hésiter à zoomer sur lui dès que l’occasion d’une caméra rapprochée se profile, car ICO est aussi fignolé de près que de loin. Les ombres sur son corps réagissent en fonction de l’éclairage, du soleil, les mouvements de ses vêtements suivent la direction du vent, des mèches de cheveux frémissent, et ses yeux clignent naturellement. Tant de détails pour un personnage contrôlable la plupart du temps à distance est un des indices de l’amour du travail bien fait qui se dégage de ce soft.

Des personnages qui émeuvent pour de bon

La princesse Yorda est le premier personnage virtuel à exprimer tant de vie. Le joueur ne la contrôle jamais et, honnêtement, telle une vraie femme dans la vraie vie, le joueur masculin et le garçon ICO se demanderont tout le long de l’aventure ce qui la dirige, ce qui l’habite. Une fois libérée de sa cage, la lumineuse (elle cache un secret forcément) Yorda prend vie. Livrée à elle-même, elle se promène dans les salles. Hésitante, parfois capricieuse, elle rejoint quand même ICO quand celui-ci l’appelle. En insistant elle prend la main du garçon qui l’entraîne dans sa course. Et il faudra l’entraîner fermement d’une salle à l’autre pour survivre, quitte à être un peu brusque. Seulement comme elle n’a pas le même stamina que le jeune garçon, elle se fait un peu prier. Le contact entre les deux êtres est de ce point de vue, et de bien d’autres, remarquable. Yorda ne suit pas ICO dans sa course avec constance lorsqu’ils se tiennent par la main, du coup leur contact se relâche parfois, ICO est tiré malgré lui en arrière, ou bien elle est bousculée vers l’avant. Le lien grandissant qui les unie se tisse au fil des périls, au fur et à mesure que le joueur apprend à gérer le tempérament un peu lunaire de Yorda. Quand, après avoir franchit un précipice tout seul, ICO se retourne et tend la main vers la jeune fille pour qu’elle l’attrape en sautant dans le vide, le pouvoir émotionnel du jeu décolle littéralement.

Un seul bâton contre les ombres noires

L’essentiel du jeu demande jugeote et agilité, observation et adresse. ICO devra toutefois protéger Yorda en se battant avec son bâton (qui deviendra une épée bien plus tard). Les esprits esclaves de la forteresse n’ont qu’une idée : récupérer la princesse et la remettre dans sa cage. À intervalles irréguliers, des esprits, des ombres noires comme l’encre, surgissent de failles spatio temporelles dans le sol (de sombres portails magiques, si vous préférez). Changeant de forme sans arrêt, n’ayant pas vraiment de substances, ces esprits aux yeux fous (effets de bougés extraordinaires) tantôt araignées, tantôt goules, tantôt sortes de diables volant, chercheront inlassablement à arracher Yorda de la protection d’ICO. Des grands coups de bâton les réduiront à l’état de fumée noire, mais faut-il encore réussir à les toucher, car ils savent très bien esquiver. Les accrochages avec ces ombres sont aussi formidables que le reste du jeu. Et faciles, car il suffit d’être prudent et patient pour éloigner la menace. Il s’agit autant d’un jeu d’esquive que d’anticipation. Quand une goule réussit à mettre Yorda sur son épaule et à l’entraîner dans l’affreux trou noir du sol, in extremis, ICO peut toujours lui tendre la main pour l’arracher aux ténèbres ! Ça se complique quand les monstres, silencieux et animés comme une matière noire en mutation, se mettent à voler à travers une énorme pièce. Si jamais l’un deux arrive à kidnapper Yorda et à la transporter à l’autre bout de la salle gigantesque, il y a peu de chances que ICO ait le temps de la rattraper. Il faut donc soit empêcher totalement qu’une ombre lui mette la main dessus, soit positionner ICO près du trou où elle risque d’être absorbée. Un peu de tactique ne fait de mal à personne. Sinon c’est Game Over. Et on recommence la séquence à l’entrée de la dernière pièce (pas vraiment pénalisant). D’une manière générale il ne fait pas bon laisser Yorda seule trop longtemps, surtout pas dans une autre pièce. Sinon ICO entendra son petit cri, la longue note métallique caractéristique de l’apparition des esprits et il faudra la rejoindre au plus vite. Qui a dit que la vie à deux était facile ?

Une histoire qui survole les autres

Parmi les audaces du jeu, la façon indirecte et elliptique dont est racontée (non racontée) l’histoire est exemplaire. Les scénaristes se sont volontairement effacés derrière une forme abstraite de récit. Une façon qui convient parfaitement à un jeu vidéo puisqu’elle ne se juxtapose pas à l’interactivité. De la courte scène d’introduction utilisant le moteur 3D (pas de cinématiques ici, et c’est tant mieux), aux brèves « cut-scenes » éparpillées ici et là, ce sont surtout les longs et larges mouvements de caméra qui racontent. Quand ICO et sa compagne rentrent dans une nouvelle salle, la position de la caméra n’est jamais anodine. Presque à chaque fois, la vue d’ensemble hiérarchise (inconsciemment) les éléments architecturaux dans l’espace, soit pour justement donner un peu plus d’indices sur le grand « schéma » où sont plongés nos héros, soit pour commencer à donner une indication sur le problème qu’il va falloir résoudre. Alors que le jeu semble progresser tranquillement, chaque nouvelle vision architecturale, chaque sculpture nourrit le joueur tout en l’intriguant. Et la soif d’en savoir plus, de voir plus loin, devient inextinguible. À l’image de cette narration qui montre sans dire, Yorda parle parfois à ICO dans une langue étrange, inconnue. Les sous-titres affichés à l’écran révèlent une langue hiéroglyphique mystérieuse. Les sentiments passent dans le ton de la voix mais pas les faits. Un équilibre audacieux et, nous en sommes encore étonné, totalement réussi.

D’où vient le vent, hein ? D’où ?

Dedans, autour, par dessus et par dessous, l’autre entité qui habite l’aventure avec une force peu commune est le son. La musique éthérée est rare, elle laisse la place aux bruits d’ambiance qui n’ont jamais été mixés avec autant de réalisme. Les bises s’ajustent à la taille des pièces, à leur réverbération. Dehors, le vent souffle en fonction des endroits : quand les héros sont dans une cour à ciel ouvert ou sur la crête d’une falaise, l’air ne souffle pas de la même façon. Des oiseaux crient, et cela justifie les colombes et autres pigeons qui se posent ici et là et laissent des plumes s’envoler. Les mécanismes qui se déclenchent couinent de tous leurs métaux rouillés. L’eau paisible ou en cascade rend l’air humide et l’oreille confirme ce que l’œil perçoit. À ce titre, le bruissement des arbres accompagne les plus beaux feuillages (mobiles) qui nous aient été donnés de voir dans un jeu vidéo.

Le soin et le brio avec lequel le monde est recréé n’ont d’égal que dans sa capacité à rendre poétique l’ensemble. Ambiance écologique sans être bêtement new age, le pouvoir d’évocation du son rejoint l’image pour un spectacle émotionnel à couper le souffle.

Un soft optimisé pour l’éternité

Une fois le livre d’ICO refermé il reste dans le cœur et dans la bouche un double sentiment. Celui d’une aventure si prenante que l’on voudrait continuer encore et encore (10 heures en moyenne, soit tout de même, pour donner un ordre d’échelle : 2,5 fois des films fresques comme Ben-Hur ou Autant en Emporte le vent), et celui d’avoir terminé l’histoire comme il le fallait, comme l’histoire le réclamait, comme le voulait les auteurs. La sensation d’accomplissement au terme de l’aventure est presque sans équivalent. En puissance évocatrice elle dépasse même les satisfactions pourtant célébrées des jeux les plus lyriques, comme, encore et toujours, Zelda ou les Final Fantasy. À peine grandiloquent, totalement cohérent, fermant la boucle d’une histoire dont on ne connaîtra jamais les deux bouts, la conclusion d’ICO entraîne le jeu vidéo sur un rivage qu’il n’a jamais accosté.

Chef-d’œuvre inattendu, pour comprendre la finesse du propos de l’aventure, il suffit peut-être d’expliquer que, pour sauvegarder la partie, nos deux héros doivent trouver un banc de pierre, s’y asseoir ensemble et s’assoupir un instant avant de se réveiller, de renaître ensemble. Même à l’abri dans son canapé moelleux, le joueur ne pourra s’empêcher de partager le destin tragique et beau de ICO et Yorda. Sans doute la première idylle crédible du jeu vidéo.

François Bliss de la Boissière

(Publié sur Overgame le 24/10/2001)

 


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Magnetic Billiards : Le génie de la réinvention

Inutile de faire des ronds de jambe littéraires, en se réappropriant les principes du billard classique, ce petit bijou interactif créé à lui tout seul un nouveau « fondamentaux » du jeu vidéo. Le glissement discret des règles et des lois physiques du billard pose de nouvelles bases interactives comme un Pong ou un Tetris en leur temps. En adoptant en plus une interface graphique comme dessinée à la craie sur un fond bleu de plans d’architecture (blueprint), le jeu se donne une allure durable, impossible à dater, à l’image de son gameplay à la fois moderne et classique.

Magnetic Billiards

Billard détourné par twists créatifs

Pour aller à l’essentiel, le jeu se pratique plutôt comme un billard français (sans poche) mais avec un nombre de boules variable et sans boule blanche de référence. Les boules de même couleur doivent être projetées les unes contre les autres en évitant le contact avec les autres. Une fois agglomérées en grappes de tailles variables, celles-ci s’évaporent automatiquement et le joueur peut s’atteler à une autre série de couleurs. Le but de la partie consiste à faire disparaître toutes les boules de la table, et celui des concepteurs à réinventer sans cesse des dispositions de base qui obligent à bien agir et à réfléchir. Gros ajout interactif malin au jeu de rebonds qu’il faut d’habitude deviner, le jeu permet de visualiser la trajectoire probable de la boule avant de lâcher son coup. Mieux, en cas de réussites successives, cette prévisualisation d’abord limitée augmente et permet d’anticiper la trajectoire complète de la boule. Une facilité qui semble d’abord gâcher le jeu d’adresse avant de finir par faire partie intégrante du gameplay puisqu’il faut générer le plus grand nombre de rebonds possibles pour atteindre un score maximum. Le trajet entre deux boules isolées sur une table ne doit jamais être une ligne droite. Et le système virtuel de visée anticipée devient un vrai jeu tactile quand il faut bien se caler sur l’angle qui va permettre 20 rebonds successifs avant le contact.

Règles de premier et de second plan

Puisqu’elles dérivent du billard, rien n’oblige à assimiler les règles pour se lancer. Et heureusement, parce que les créateurs, bavards et drôles, se sont amusés à les faire longues et qu’elles ne s’affichent qu’en anglais. Le joueur apprend assez vite et spontanément ce qu’il a le droit de faire ou pas en jouissant d’abord de l’excellent moteur physique, puis des bruitages et animations chargés en références entre bande dessinée, flipper traditionnel et psychédélisme doux. Deux vies, ou essais, autorisent deux échecs avant de devoir recommencer la table et, même si des menus/onglets en papier déchiré s’incrustent un peu trop souvent pour relancer la partie, les transitions restent rapides et fluides. D’un mode à l’autre, d’une table à l’autre, d’une explication – qui se propose en cas d’échecs répétés – à l’affichage arc-en-ciel d’un super score, tout ce qui constitue le logiciel disparaît dans une mise en scène graphique habile et toujours adaptée à la bonne ambiance. Les subtilités et la sophistication du gameplay qu’il faut absolument maitriser pour atteindre un score supérieur et déverrouiller une autre table (progression non linéaire laissée au libre choix du joueur) demande en revanche la consultation des règles avancées.

Jeu adulte fondamental

Derrière son apparence presque enfantine, Magnetic Billiards cache un jeu adulte. Le principe de visée et de contrôle des rebonds plus ou moins attendus dissimule, à moyen terme, un vrai jeu de réflexion. Tel le jeu de damier Othello qui se complique au fur et à mesure, ce néo billard se transforme en jeu de stratégie quand le nombre de boules à l’écran augmente (et il augmente jusqu’à étouffer tout l’espace !). Chaque coup devient précieux. Les trajectoires entre les boules « ennemies » et celles qui doivent se rencontrer deviennent périlleuses (bien frôler ajoute des points). Le système de viser tactile très novateur (avec deux variations optionnelles à essayer) permet de maîtriser finement la force de propulsion. Rien n’empêche de déclencher un chaos rageur dans la foule trop bien rangée des boules ou de se la jouer subtile et d’amortir chaque trajectoire jusqu’à ce que les boulent s’effleurent. L’apprentissage sera rude et les récompenses surprises qui surgissent lors d’un délai de réflexion allongé ou lors de la consultation de la 25ème page (chiffre non contractuel, la doc en contient 29, ou plus, les auteurs communiquent en effet de manière facétieuse avec leur public) indiquent bien que s’appliquer et prendre son temps comptent autant que de bien viser ou bien intuiter.

Héritages multiples

Décalées et chics, les mélodies ragtime au piano de ce Magnetic Billiards décidemment surprenant, évoquent un tripot au tournant du XXe siècle tandis que les bruitages puisent dans l’âge d’or des salles d’arcade des années 70-90 (le jeu s’invente d’ailleurs un historique remontant à 1888 !). Un mash-up sonore culotté rejoint par le greffon visuel entre BD et dessins industriels. L’ensemble oscille ainsi entre le sérieux et l’ironie. Ce que confirme la présence dessinée à la Robert Crumb des deux vétérans du jeu vidéo à l’origine de cette pépite, les frères John et Ste Pickford déjà habitués au détournement (au hasard d’une ludographie de plus de 80 jeux depuis 1983 : l’excellent et sous-estimé Wetrix dérivé aquatique de Tetris datant de 1996).

Précision et confort des sens

Magnetic Billiards réussit ce rare mélange effectif de gameplay pointu, presque technique, et de ressenti douillet propre au confort des sens. L’échec ne se perçoit pas comme une punition. Un score moyen encourage intellectuellement à rejouer sans faire appel aux ressorts habituels de frustration. Signe en général ultra positif de satisfaction, quand l’appli propose, sans chantage, de nouvelles tables ou de nouveaux modes de jeu en payant in app (de 0,79 € le mode bonus à 2,99 € la Skeleton Key qui donne accès à tout : 20 tables supplémentaires en niveau de difficulté supérieur et 3 modes dit d’arcades – contre la montre, « furie », etc), l’utilisateur a simplement envie de dire merci aux créateurs en payant pour davantage de contenu. Le houleux modèle freemium se déploie ici au mieux de ces avantages. Plaisir des sens et de l’intellect, aussi habile à faire parler les doigts que les neurones, Magnetic Billiards transforme le vieux en neuf avec un flair artistique et un brio technique qui prend à l’improviste. Et c’est tant mieux.

François Bliss de la Boissière

Sur iPhone et iPad…

Les plus…

  • Réalisation et ambiance inédites épatantes
  • A la fois novateur et roots (multi référenciel)
  • Gratuit (20 tables de jeu)

Les moins…

  • Aides et humour hélas en anglais uniquement
  • Achat in app un peu confus du contenu additionnel
  • Position verticale seulement
(Publié le 17/10/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Another World : Jeunesse éternelle

Qui aurait imaginé un jour que les plateformes mobiles Apple deviendraient des supports privilégiés pour revivre et donc archiver l’histoire du jeu vidéo ? Après les Final Fantasy, Secret of Mana japonais, les Prince of Persia et Myst américains, le Flashback français, c’est au tour du tout aussi historique Another World du, alors très jeune, développeur Éric Chahi d’être adapté sur iPad et iPhone.

Another World

Jeu immersif avant l’heure

Il ne le savait pas en créant le jeu tout seul en 1991, mais commençait peut-être à vraiment le mesurer en 2007 lors de la réédition 15ème anniversaire sur PC. Aujourd’hui, à l’occasion d’une nouvelle ressortie cette fois pour les 20 ans du titre (ça ne nous rajeunit pas !, ndlr) sur les très tendances appareils tactiles d’Apple, l’auteur-développeur Éric Chahi ne peut plus douter que son jeu vidéo appartient à la grande Histoire de l’industrie interactive. Celle, culturelle, qui la définit à travers les âges. Car, étonnamment, Another World se révèle un condensé de concepts utilisés aujourd’hui à grands renforts de budgets et de moyens techniques inimaginables il y a 20 ans. Premier jeu empruntant au cinéma un découpage de scènes non interactives (très très brèves), l’aventure de ce jeune scientifique propulsé par accident sur une planète hostile est aussi la première esquisse de jeu collaboratif quand il se fait aider par un gentil extra-terrestre local. Le qualificatif « immersion », revendiqué à toutes les occasions aujourd’hui, prévalait d’emblée dans un Another World mystérieusement silencieux, sans parole, sans texte, avec à peine de la musique. Les bruitages, capitaux dans leur économie, devenaient le guide pour survivre aux périls, et donnaient vie à cette planète rocheuse hors champ.

Mise à jour graphique respectueuse de l’original

Que peut faire de plus une réédition contemporaine sans dénaturer le jeu original ? Le moins possible. Lisser les contours en escaliers de la grossière définition des années 90, ajouter quelques coups de pinceaux (très réussis dans les grottes en sous-sol), transformer les pixels carrés en vrais aplats de couleurs. Exercice redoutable de retouche qui doit trouver l’équilibre entre l’original, difficilement regardable ou jouable de nos jours, et un reconditionnement high-tech qui risquerait de perdre l’essence de l’œuvre initiale (préfère-t-on jouer aujourd’hui aux éditions classiques de Prince of Persia ou au remake 3D du jeu de plateforme original ?). Cette édition iPad/iPhone, tout comme celle sur PC d’il y a quelques années, reste donc très prudente, limite conservatrice, et ne fait que raffermir le souvenir forcément enjolivé gardé en mémoire. Preuve permanente de la présence de l’original en coulisses, il suffit de glisser deux doigts vers le bas sur la vitre à n’importe quel moment pour rebasculer aux visuels d’alors, et inversement. Belle leçon technique à travers les âges.

Contrôles tactiles à la hauteur de l’enjeu

C’est entendu, malgré tous les efforts des développeurs, le contrôle aux pads virtuels sur iPhone ou iPad ne remplacera jamais celui d’une vrai croix directionnelle ou d’un pad analogique. Dans le cas d’Another World cependant, le contrôle original basique ne demandait pas vraiment une pure agilité des doigts. Il fallait surtout savoir exactement quel pas ou quel geste effectuer et cela se vérifie aujourd’hui malgré les 3 modes de difficultés dont un Normal plus facile que l’original, selon l’éditeur. Une fois compris ce qu’il faut faire, l’exécution est assez simple. Les deux modes optionnels de contrôle, tactile direct sur la vitre (n’importe où pour faire marcher ou courir son personnage vers la droite ou la gauche, dans les coins bas droite et gauche de la vitre pour qu’un frottement déclenche le saut et une pression fasse tirer le pistolet) ou fixe à l’aide de deux pads virtuels à afficher où l’on veut sur l’écran, donnent toute satisfaction. C’est à dire que mourir et recommencer cent fois fait partie de la méthode de progression. Inutile d’accuser les contrôles, le jeu a été construit comme cela à l’époque. Parfois pénible, ce système d’épreuves par l’échec avait, et a toujours, la vertu de participer à l’anxiété du héros jouant sa vie dans une fuite en avant perpétuelle.

Un précurseur à revisiter

Jeu total avant l’heure, Another World inventait dès 1991 un savant mélange qu’il n’est pas certain que les blockbusters d’aujourd’hui aient encore trouvé. Jeu d’aventure, de réflexion, d’action, éventuellement de contemplation, l’essai interactif du jeune Éric Chahi générait une émotion jusqu’alors inédite dans le jeu vidéo. Aujourd’hui, écouteurs aux oreilles, les sobres décors bleutés aux aplats désormais d’allure arty, les cent morts et répétitions d’actions (courir, sauter, tirer, et même nager) se visitent comme un musée vivant d’un jeu vidéo qui meurt et ressuscite autant de fois que nécessaire pour être qualifié d’éternel.

François Bliss de la Boissière

Sur iPad et iPhone

Les plus…

  • Retrouver une légende du jeu vidéo
  • Le lifting graphique respectueux de l’original
  • Les 13 « Réalisations » (trophées) GameCenter rajoutées

Les moins…

  • Le principe de progression par l’échec
  • Sobriété visuel et sonore un peu aride de nos jours
  • Prix un peu élevé
(Publié le 22/09/2011 sur Hitphone.fr)

 


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Être plus : l’instinct interactif

La pratique du jeu vidéo s’apparente fort à l’apprentissage d’un futur virtuel indéfini mais de plus en plus inexorable. Prothèses malhabiles d’hier, les claviers, souris, joypads et stylets sont-ils autre chose que des mains tendues entre le monde virtuel et l’homme ?

Être plus ou l'Instinct interactif

Sommes-nous génétiquement codifiés pour l’au-delà virtuel ? Infatigable et inconscient explorateur, l’homme du XXIe siècle touche presque du doigt l’espace digital encore planqué derrière la vitre. À tel point que la place – la géolocalisation – du réel peut être remise en question comme jamais depuis la révolution copernicienne et les Lumières. Une nouvelle théorie signée du physicien Nikodem Poplawski laisse entendre que notre univers existerait à l’intérieur d’un Trou Noir installé dans un autre méga univers. Ce que l’homme observe autour de lui ne serait que la fille, le rejeton anecdotique, d’un univers Mère. Un au-delà cosmique pour toujours inaccessible qui expliquerait, à coups de torsions spatio-temporelles, notre perception forcément subjective du temps et de la matière. À moins que le monde mathématique en phase de gélification numérique accélérée depuis 20 ans ne permette à l’homme de perméabiliser les deux univers.

Les enfants : l’inconscient cognitif

Si un enfant de 2, 3 ou 4 ans passe devant un écran où un jeu vidéo est en train de se déployer, il se mettra en arrêt comme un chien de chasse ayant aperçu son gibier. Il suffit de lui montrer la manette, la souris ou le stylet tenu entre les mains de l’adulte puis ce qui se passe dans l’écran pour que, instinctivement, le gamin y saisisse une relation de cause à effet. Il semble moins découvrir les principes de l’interactivité que les reconnaître. Un inconscient cognitif s’éveille en lui et déclenche une familiarité, une prédisposition, voire un savoir-faire, quasi préenregistré. Qu’on lui glisse une manette entre les mains et très vite elle lui deviendra indispensable. Au point de déclencher une frustration primale s’il ne parvient pas à manipuler ce qui se passe à l’écran. Dans un foyer où les jeux vidéo sur consoles ou PC sont accessibles, la poussée de l’instinct de jeu électronique est aussi forte chez un enfant que celle de vouloir marcher tout seul. Depuis qu’il existe, le jeu vidéo s’est installé sans ménagement en tête de liste des outils prioritaires de conquêtes d’autonomie et de puissance de l’enfant. Celui-ci donne l’impression de développer au contact des jeux vidéo une potentialité larvée, comme si, une fois déclenché, un marqueur de départ ouvrait une porte vers un infini. Les enfants savent-ils quelque chose que les adultes ignorent et qui émerge aujourd’hui ? Sont-ils préprogrammés, avons-nous toujours été programmés pour le jeu vidéo, ou plutôt pour les mondes virtuels auxquels ceux-ci nous préparent en passant par le divertissement ?

Papa : réalité augmentée et pénétrée

De Tron à Matrix, toujours, de Harcèlement, où Michael Douglas visite en 1994 le vault d’une entreprise avec un gant virtuel, à Minority Report en 2002, du combattant virtuel d’arcade de The Last Star Fighter, recruté par les E.T. dès 1984, à l’armée réelle couchée dans des simulateurs de Clones (Surrogates) en 2009, voilà longtemps déjà que le spectateur se projette de l’autre côté du miroir argentique dans un monde simulé. Une fatale attraction qui va jusqu’à tolérer d’insupportables intermédiaires mécaniques. Dans les salles d’arcade de Piccadilly Circus, les premiers casques de réalité virtuelle ont créé l’attraction pendant des années malgré leur inconfort et leurs effets discutables. Les grossiers cabinets de simulation automobile ou de ski animent encore les salles d’arcade pourtant ringardisées par l’irruption intimiste du virtuel dans les foyers. Depuis le début il est inconsciemment question de chercher un passage, de justifier une juxtaposition entre les mondes physiques tangibles et immatériels projetés par les ordinateurs. Toujours à la recherche de puissance, la relation fonctionne encore sur le mode du coït. Mais là où l’homme croit voir une réalité augmentée, celle-ci serait plutôt pénétrée. Monde tangible, monde dématérialisé, qui sait qui fonde l’autre ?

Maman : langage des signes

Après la course à la puissance, l’évolution de l’informatique passe désormais par ses mutations ergonomiques. Un chemin déjà défriché par le jeu vidéo dont le succès a toujours dépendu des capacités évolutives de ses manettes. Mais les interfaces judicieuses d’hier révèlent de plus en plus vite leur obsolescence. À l’heure du touché et des effleurements tactiles sur les « Magic » Track Pad, Mouse ou vitres les plus transparentes possibles d’appareils mobiles aux surfaces lisses presque invisibles, les célèbres manettes de jeu multiboutonneuses et autres claviers perforés et souris à roulettes révèlent brusquement leur incongruité. Comme à bord des caravelles du XVe siècle ou des fusées du XXe, la découverte et l’abordage du nouveau monde se sont placés sous les signes habituels de la masculinité qui domine : écrans verticaux dressés devant l’utilisateur, joysticks simulateurs de pouvoir et de maîtrise. Aujourd’hui ils disparaissent au profit d’interfaces horizontales, planes et pacifiques. La discussion engagée par la force entre l’homme et la machine devient négociation et diplomatie interactive féminine. La machine alors s’efface et révèle sa vraie nature de portail vers l’autre monde.

1 ou 0 : l’origine de l’homme

Avant de savoir écrire, un môme peut compléter n’importe quel jeu Nintendo avec un stylet sur console DS. Un symptôme marquant de l’élan constitutif et peut-être vital de l’homme vers le virtuel. S’il réfléchissait encore au XXIe siècle, Schopenhauer entendrait-il dans les appels des sirènes des mondes virtuels un prolongement de la Volonté dans la nature ? Le Surhomme réclamé par Nietzsche ne trouve-t-il pas enfin son développement dans la conquête du virtuel ? Au lendemain de l’ère industrielle on pouvait imaginer, comme Jules Vernes, Philip K. Dick, ou James Cameron, que l’homme (cyber) mécanique succéderait à l’homme biologique, que la biosphère chère à James Lovelock accoucherait sans dommage d’une high-technosphère (cf  Connected people 2.0). Depuis la naissance de l’intelligence artificielle puis de l’espace virtuel, la technosphère, l’esquisse d’un monde cybernétique gibsonien bâtard, se réduit à son tour à une étape vers une nouvelle mutation vaguement identifiée par les projections de l’esprit numérique. Le nouvel horizon du darwinisme ou de l’évolution créatrice de Bergson devra mélanger ADN, 0 et 1. Quand la Chapelle Sixtine sera entièrement numérisée, que voudra signifier le doigt de Dieu tendu vers Adam qu’a peint Michel-Ange ? Quand le sage désigne la lune, l’idiot regarde le doigt, dit le proverbe. Que fait l’homme quand il valide, clic, appuie, touche et effleure les outils numériques sinon se familiariser de façon rudimentaire avec une nouvelle condition humaine.

François Bliss de la Boissière

(Publié en juin 2011 dans Chronic’art)

 


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Jeux vidéo : Japon made in USA

À la dérive depuis plusieurs années, le jeu vidéo japonais essaie de se réinventer en s’appuyant sur l’efficacité technologique de l’Amérique du Nord et de l’Europe. Comment le Japon, bien aimée force vive du jeu vidéo mondial ressuscité au milieu des années 80 grâce à la première console Nintendo en est-il arrivé là ?

drapeau-japonais

« Je crois que le marché du jeu vidéo japonais finira bientôt comme l’industrie du film japonais« , dénonçait le développeur star de la Team Ninja, Tomonobu Itagaki, en 2009. « Ce que fait actuellement l’industrie japonaise du jeu vidéo est une forme moderne de sakoku (politique isolationniste du Japon du XVIIe siècle, NDR). » Voilà plusieurs années déjà que le déclin de la puissance fédératrice du jeu vidéo japonais est amorcée. Aujourd’hui, le jeu made in Japan représente moins de 10 % quand il pesait encore 50 % du marché mondial en 2002 ! Les causes sont multiples : débarquement massif de l’américain Microsoft dans le marché du jeu sur consoles qui a imposé à coup de budgets marketing et de développement le règne du blockbuster (Lire à ce sujet : Call of Duty Modern Warfare 2, 550 M$ de recettes : le triomphe à retardement de l’ère Bush) ; petit pas de côté d’un Nintendo affaibli au début des années 2000 qui a encouragé des productions économiques plus vite rentables sur DS et Wii ; conservatisme chronique des développeurs de jeu vidéo japonais au service d’un public insulaire imperméables aux productions venues d’ailleurs.

Ni Xbox 360, ni PlayStation 3

En 2007, l’atypique producteur Atsushi Inaba (Steel Battalion, Viewtifull Joe, Okami…) commençait à exprimer le malaise, tiraillé entre deux consoles nouvelles générations surpuissantes : « Travailler pour la Xbox 360 peut conduire à un succès aux USA mais pas au Japon où la console ne se vend pas » regrettait-il, « Le pouvoir de la marque PlayStation est bien en place au Japon mais la PS3 n’est pas répandue ailleurs« . Devant le foudroyant God of War américain au « goût de jeu japonais sans l’être », Inaba stigmatisait déjà un savoir-faire en perdition : « Vous ne voyez pas beaucoup de jeux japonais avoir du succès à l’étranger. » À la même époque le producteur et compositeur de Silent Hill, Akira Yamaoka, avouait son admiration pour les développeurs américains développant sous sa supervision l’épisode 5 du survival horror : « Leurs aptitudes graphiques et technologiques sont incroyables » disait-il alors. Handicap bêtement trivial : les puissants moteurs graphiques américains de plus en plus répandus dans les grosses productions 3D (Quake, Unreal…) étaient difficilement accessibles aux développeurs japonais parce que non traduits en japonais ! « Pendant qu’on attend la traduction, nous prenons une étape de retard par rapport à ceux qui comprennent l’anglais« . Fin 2009, Keiji Inafune, la star de Mega Man et Onimusha, enfonce le clou au Tokyo Game Show : « Le Japon est fini. Nous sommes fichus. Notre industrie est finie« . « Le Japon a au moins 5 ans de retard sur l’ouest » diagnostique ainsi le responsable de la recherche et du développement de Capcom.

Citoyen-Japonais du monde

Pour réussir dans le jeu vidéo aujourd’hui « il faut être un terrien d’abord et un japonais ensuite » affirme Tomonobu Itagaki. Même si les effets ne se font pas encore sentir, l’industrie japonaise a commencé à réagir. De façon spectaculaire avec l’acquisition en 2009 de l’éditeur britannique Eidos (Tomb Raider, le prochain Deus Ex…) par le méga éditeur Square-Enix jusque là grand spécialiste des jeux de rôles japonais (Final Fantasy, Dragon Quest). Et plus discrètement avec des éditeurs nippons envisageant sérieusement l’achat d’équipes occidentales ayant fait leurs preuves. Capcom vient ainsi de devenir majoritaire dans le studio canadien Blue Castle développeur de la suite de Dead Rising qui a réussi l’exploit de se vendre à 2 millions d’exemplaires en un mois. Échaudé par l’échec technique et commercial de Dark Void, une création, et de Bionic Commando, une re-création contemporaine, délégués à des studios respectivement américains et suédois, le même Capcom annonce en mai dernier qu’il ne confiera désormais que des suites de franchises bien établies à des studios occidentaux. Réincarné dans un héros aux cheveux noirs d’encre qui a choqué les puristes de la série, le prochain Devil May Cry est en cours de réalisation au sein du talentueux studio anglais Ninja Theory (Enslaved : Oddyssey to the West). Une méthode de collaboration est-ouest que Nintendo, là aussi précurseur, avait déjà tenté et réussi dans les années 90 et 2000 avec les anglais de Rare (GoldenEye 007, Donkey Kong…) et les texans de Retro Studios sur la série Metroid Prime et le prochain Donkey Kong Country Returns sur Wii. Aujourd’hui sur les étalages, à côté du transfuge Dead Rising 2, le nouveau Castlevania : Lords of Shadow de Konami a été réalisé par les espagnols de Mercury Steam sous la supervision de la star japonaise Hideo Kojima (Metal Gear Solid).

Néo cross-over

La mutation s’avère plus douloureuse du côté des développeurs japonais ambitieux encore indépendants. Malgré de gros efforts d’occidentalisation de leurs nouvelles créations. Les très américanisés Mad World de PlatinumGames et No More Heroes de Grasshopper ont fait un four sur Wii. Et il faudra guetter l’accueil mondial de l’étonnant, mais bâtard, Vanquish qui greffe, jusqu’à frôler la parodie high-tech, le modèle Gears of War à des affrontements mécha japonais. Son auteur, justement, l’insaisissable Shinji Mikami, a accepté de rejoindre l’éditeur américain Zenimax/Bethesda en compagnie de son studio attitré tokyoïte Tango Gameworks. L’auteur de Resident Evil côtoie ainsi les créateurs de Doom et Quake. Une situation inédite qui annonce peut-être une migration opportuniste vers l’ouest de quelques pointures japonaises courant après un vrai succès international. La crise identitaire du jeu vidéo à la japonaise s’apprête ainsi à donner naissance à un nouveau melting-pot économique et culturel américano-japonais sans que l’on sache très bien à qui il va profiter.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2011 dans Chronic’art)

 


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Connected people 2.0

Un multi connecté d’aujourd’hui participe activement à une transformation qui concerne l’humain, sans doute, mais aussi physique au sens large, et donc, inévitablement, métaphysique.

Matrix connected people

L’accélération technologique nous rapproche chaque minute d’un éventuel nouvel indice répondant aux grandes énigmes cosmiques et existentielles du comment et du pour qui ou quoi. Son emballement incontrôlable peut par exemple conduire à l’éventuelle « singularité » technologique envisagée par quelques penseurs qui provoquerait une mutation brusque de l’évolution grâce à l’intelligence artificielle. Ou elle peut simplement nous permettre de regarder le monde avec de nouveaux yeux.

W.I.P digital

L’utilisation quotidienne de tous les outils connectés aujourd’hui fait participer l’humain ordinaire à un énorme work in progress. Il le place sur le cadre mouvant d’une œuvre en devenir que personne n’est en mesure d’imaginer. Nul ne sait où conduit la révolution numérique. Le jeune Mark Zuckerberg refuse de prendre le risque de verrouiller son projet Facebook en appliquant les modèles économiques classiques parce qu’il ne sait pas encore lui-même ce qu’est Facebook, jusqu’où et en quoi ce germe de réseau social planétaire peut évoluer. Hier l’exponentielle puissance informatique faisait rêver à des super androïdes rêvant, eux, de moutons électriques. Aujourd’hui la contagion numérique dématérialise rapidement toutes les couches du réel que l’on croyait jusque là tangible et repousse encore l’horizon. Les rouages digitaux qui se développent et se structurent à grande vitesse, des puces aux logiciels, de l’archivage des données aux réseaux sociaux en temps réel, ne sont que les petits jalons d’un autre monde en construction pour l’instant caché derrière un écran. Le basculement du monde observable vers une autre manifestation du réel est amorcée depuis une poignée de décennies seulement. Après avoir augmenté les capacités intellectuelles de l’homme avec l’ordinateur, le numérique se propage en un espace non quantifiable qui duplique le monde réel. Là, quelque part de l’autre côté de l’écran se retrouve notre vie familiale en photos ou en vidéo, notre travail, passivement stocké ou actif sous forme de programme invisible ou d’interactivité de surface. Vingt ans seulement après sa naissance, le nouvel océan numérique a déjà la capacité d’absorber toutes les images et tous les sons, la parole et la musique, l’intelligence et la bêtise humaine. Concrètement, la musique n’existe plus dans l’univers physique que par habitude. L’image et les livres ont aussi permuté. Le transfuge des corps est imminent. Les grossiers avatars d’aujourd’hui proposés par les jeux ou les réseaux sociaux vont vite être remplacés par des doubles numérique plus sérieux. Les techniques de motion-capture du cinéma et du jeu vidéo s’y emploient sans le revendiquer. Comme toutes les formes vidéoludiques d’interactivité et la récente 3D stéréoscopique. Bienvenue à la Google Earth.

Trou noir numérique

Que les idées soulevées par Matrix ou Avatar fassent l’objet de thèses pourraient faire sourire si les astrophysiciens les plus sérieux ne conceptualisaient pas eux-mêmes à coups de calculs mathématiques des phénomènes de SF comme les trous noirs impossibles à observer. Un gouffre où la matière disparaît pour muter en… anti-matière ? Où va donc l’humanité et ses accessoires en se projetant d’abord psychiquement puis de plus en plus physiquement vers le numérique dématérialisé ? Qui sait vraiment comment naît un trou noir ? Ce glissement vers un monde miroir amorce peut-être l’éternel retour Nietzschéen devenu un Big Crunch entre les mains des scientifiques. Ceux-ci déduisent qu’après le Big Bang expansif, une contraction physique symétrique de l’univers redistribuerait une nouvelle fois les cartes cosmiques. Un jeu de rôle à répétition. L’éclosion introspective digitale a déclenché une fuite de la matière du monde vécu vers un espace mathématique de plus en plus abstrait, de moins en moins observable de notre point de vue purement biologique. Ce nouveau monde là se manifeste pour l’instant à l’homme sous forme horizontale, à plat, et justifie la multiplication des écrans, seule interface à notre portée. Encore plus depuis qu’ils deviennent tactiles et permettent de garder encore le contact en l’effleurant du doigt.

Vivre le futur

Là, maintenant, la multiplication des objets intelligents communicants, ceux qui relient intimement les êtres humains en faisant circuler entre eux et sans délai leur production intellectuelle, anticipe sur l’internet des objets où tout matériau sera en mesure de communiquer d’une manière ou d’une autre. Instrument de cette hyper réalité, l’homme va ainsi donner aux objets inertes de son choix ce qu’il cherchait déjà dans l’eau ou la roche : au minimum une mémoire, au plus une intelligence contextuelle. Comment ne pas voir dans cette explosion de communications multidirectionnelles, réellement transgenre, transclasse, transmatériaux et intentions, le bouillonnement d’un cerveau d’enfant où l’on sait que naissent des millions de nouvelles connexions synaptiques par seconde. Nombres d’entre elles ne servent à rien mais des routes s’ouvrent, des passerelles et des raccourcis se modélisent chaque seconde de façon à ce que le cerveau devienne cet organe capable de comprendre, apprendre, communiquer, imaginer et donner naissance à une forme d’auto-conscience.
Pour devenir vraiment consciente, la biosphère hippie de James Lovelock va peut-être devoir passer par une étape technosphère. La croute technologique de mère Gaïa protègerait temporairement un noyau numérique infinitésimal où serait condensée l’activité humaine. Une fois tombée, la chrysalide technologique révélerait une nouvelle entité numérique. Un transhumain pourrait en sortir. Ou, plus probablement puisque la Terre n’est pas plate ni l’humain central, un nouveau phénomène cosmologique qui n’aura fait qu’utiliser l’homme-outil pour exister. Avant d’en arriver là, si les 6 milliards de SMS envoyés depuis le début de l’année ne ressemblent pas pour vous, comme les mails avant eux, puis le tchat instantané, à de la télépathie assistée, alors oui, déconnectez-vous comme l’ordonne Douglas Rushkoff et continuez de parler tout haut sur la place de votre village. Le brouhaha et l’oreille du monde sont désormais numérique et globaux. Se déconnecter est devenu impensable. à moins de fermer la porte à l’évolution et à un futur de plus en plus proche.

François Bliss de la Boissière

(Publié en avril 2011 dans Chronic’art)

 


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Superbrothers : Sword & Sworcery EP : Hommage avant-gardiste classieux aux jeux 8 bits

Quand on aime et pratique le jeu vidéo, on peut être à la fois enthousiasmé et agacé par le débat stérile cherchant à (dis)qualifier le jeu vidéo en tant qu’art. Les gamers et curieux savent déjà qu’il n’est guère utile d’attendre une institutionnalisation du médium pour croiser dans le jeu vidéo ce qu’on appelle universellement de… l’expression artistique.

Sword_and_Sworcery

Tout en se donnant à jouer, le mélange d’étrangeté et de familiarité de Sword & Sworcery en est un nouveau bel et singulier exemple. Sur iPad*, en plus, où l’interface de jeu mélange point’n’click à l’ancienne, mais en direct sur la vitre, et action temps réel, la démarche aborde de nouveaux territoires. Hybride, le projet est d’ailleurs l’enfant d’un ensemble de talents canadiens, des stylistes de Superbrothers, du studio de développement Capy, et du musicien-compositeur Jim Guthrie qui réalise là un hypnotisant et riche mixe environnemental, rock, synthé (à la John Carpenter des années 80), médiéval sérieux et touches humoristiques décalées**.

Le rejeton expérimental oscille ainsi entre rétro gaming et avant-gardisme audiovisuel interactif. Marchant sur les œufs pixélisés de la référence et de la citation, Sword & Sworcery se sous-titre lui-même « le jeu d’aventure archétypal » et cite littéralement Zelda, avec notamment les triangles de la Triforce omniprésents. En effet archétypal, le chevalier équipé d’un sac à dos, suivi ou précédé par un bucheron et son chien, ne nécessite aucune généalogie explicative. Parce que la démarche artistique joue à part égale avec le principe de « jeu » interactif, tout ce qui s’apparente directement à un jeu vidéo lui-même peut sembler perfectible, voire un rien rustique. Le contrôle des déplacements au double tapotement (baptisé « tip tap » par les créateurs) ou en maintenant le doigt pressé sur la vitre se confond parfois avec le déplacement au doigt du décor, ou au tip tap sur un élément du décor contenant une information textuelle. Malgré des jeux de couleurs, de lumières et de particules qui dirigent le regard, l’observation du décor à la recherche d’indices ou de pixels à cliquer semble plus compliqué que nécessaire. La première « difficulté » du « jeu » se situerait plutôt là, dans une raideur tactile qui, au fond, rappelle elle aussi les premiers jeux animés bit par bit.

Entre rétro gaming et modernité, une expérience visuelle et sonore unique et singulière

En réalité, chaque élément tactile et mobile prend une dimension émouvante grâce à sa maladresse et au travail extrêmement sensible sur chaque bruitage, aux inserts très pointus de musique et l’hommage/clin d’œil aux jeux d’antan. L’aventure prend de la valeur parce qu’elle fait référence à un certain nombre de codes clés archis connus du jeu de rôle et d’action médiéval. La modernité s’impose au milieu des bouillies de pixels monochromes parce que le projet ne garde qu’un essentiel squelettique pour mieux le transcender. Sa palette graphique minimaliste mais chic, son enrichissement sonore contemporain impossible à l’époque de référence évitent à l’expérience de sentir la naphtaline au contraire du récent, et malgré tout captivant, 3D Dot Games Heroes sur PlayStation 3. L’ombre cubique des Another World, Flashback, premiers Zelda 8 bits et même des œuvres de Fumito Ueda (Ico, Shadow of the Colossus) ne s’impose pas et ne sera d’ailleurs perceptible que dans l’écho des souvenirs de chacun.

Définitivement « ailleurs » tout en cherchant à maintenir le contact avec la culture gamer, Sword & Sworcery ouvre un nouvel espace intriguant quand l’aventure demande de prendre l’iPad en position verticale lors des combats. Le rituel typique du jeu de rôle japonais consistant à faire basculer automatiquement les combats dans un espace-temps temporaire est ici mis physiquement en scène entre les mains du joueur. Une fois en position verticale, la caméra zoom sur le chevalier toujours aussi pixélisé et affiche en bas de l’écran l’icône d’une épée à droite et, le cas échéant, de son bouclier à gauche. Les combats contre des loups ou des entités d’outre-tombe pratiqués avec le pouce de chaque main évoquent alors un timing de coups et de blocages à la Prince of Persia (l’original), tout en restant sur une position fixe. Plus tard, l’accès aux informations enregistrées dans le grand livre demandera aussi d’orienter la tablette en position verticale via un culotté système de rayons lumineux à aligner. Le jeu ne rate jamais une occasion de s’amuser avec les codes bien connus du jeu d’action-rôle et de rendre le joueur complice de ce regard amusé et respectueux sur le passé.

Du côté de la propagation virale qui sied parfaitement à un Sword & Sworcery définitivement atypique, un bouton Twitter accessible en permanence permet de poster à volonté les étonnants échanges, tantôt courts dialogues ou phrases narratives, jouant avec les mots et les tournures entre poésie, vieil anglais ou novlangue (hélas pas de version française qui serait, avouons le, bien difficile à retranscrire sans trahir). On ne s’étonnera ainsi pas de savoir que le célèbre Peter Molyneux (Populous, Black & White, Fable) s’est laissé séduire lui-même et qu’en grand mégalomane du jeu vidéo que nous aimons tous, il a choisi de poster le succès de sa première quête qui s’écrit, pour lui comme pour les autres, après avoir réussi à tromper un démon cornu embusqué dans un temple oublié : « We got The Megatome & we are the smartest ». « Nous avons obtenu le Megatome et nous sommes le plus malin ».

Superbrothers : Sword & Sworcery EP, de son nom complet aussi prétentieux et plein d’auto dérision que sa bible auto proclamée, « The mythopoetic psychocosmology », a décidemment tous les atouts pour devenir culte.

* Version iPhone/iPod Touch prévue pour avril.
** L’album de la bande son, Jim Guthrie’s Sword & Sworcery LP : The Ballad of the Space Babies sortira sur iTunes prochainement.

Sur iPad / Capybara Games


Les plus…

  • Le design pixel art radical chic
  • Bruitages et musiques sincères et arty
  • La revisitation respectueuse et amusée des jeux de rôle-action
  • L’ambiance générale et la démarche artistique

Les moins…

  • Visuels dépouillés arides et parfois brouillons
  • Pas tout à fait multitâche (on repasse par l’écran de sauvegarde auto et check-points)
  • Un peu trop ésotérique surtout à cause de l’anglais obligatoire
  • Prix élevé pour une expérience qui peut déconcerter

François Bliss de la Boissière

(Publié le 28/03/2011 sur Hitphone.fr)

 


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World of Goo : Chef-d’œuvre gluant

World of Goo fait partie de ces petites merveilles interactives sur iPad qui provoque, une fois croisée et pratiquée, le sentiment d’appartenir à un club d’initié. Il y a les chanceux éclairés ayant joué le jeu sur PC, Mac puis sur Wii, qui savent que World of Goo existe. Et les autres, encore dans l’ignorance, dont le seul avantage est d’avoir devant eux le futur plaisir de découvrir, à leur tour, un des jeux les plus malins et les plus étonnants de la scène indépendante ou, allez, du jeu vidéo en général.

world_of_goo

Quels que soient les mots écrits ici ou là, le plaisir éprouvé à jouer World of Goo dépasse largement sa condition de puzzle-game. Avant de vraiment réussir les épreuves de plus en plus sophistiquées, la circulation dans les menus, la lecture hilarante (hélas en anglais) des petits panneaux de bois indicatifs, les pistes musicales entre émotion et ironie (cinéma grand spectacle, jazzy…) et la manipulation des matières molles envoient un nombre incalculable de signaux agréables et douillets. Un « comfort game », sans doute mais un jeu cruel aussi, dans tous les sens du terme. Le joueur peut plancher de longues minutes sur un niveau, à construire un édifice de fortune avant que celui-ci ne s’effondre juste quand le but à atteindre est à quelques centimètres. Fragiles, ô combien fragiles, les petites créatures – en boules de gomme dirons-nous à défaut d’autre description – qu’il faut rapatrier vers la sortie, croisent les dents d’acier mortelles des scies circulaires, disparaissent dans des marées noires de pétrole, s’enflamment pour d’ultimes adieux. Derrière ses graphismes cartoons et bon enfant et ses manipulations toutes aussi arrondies et spontanées se cachent bien toutes les douleurs et les satisfactions d’un jeu vidéo totalement fidèle à sa nature.

Physique caoutchouc sophistiquée

World of Goo épate parce qu’il trouve un équilibre tout à fait personnel entre principe élaboré de jeu à base d’une physique caoutchouc sophistiquée, manipulations simplissimes et échafaudages, à l’écran et dans la tête, d’une belle complexité. Irrésistiblement attiré par les petites boules qui avancent toutes seules dans le décor, le doigt cherche automatiquement à en toucher une. En maintenant la pression et en déplaçant la boule, le joueur réalise que celle-ci s’étire de façon élastique avant de se solidifier, ou presque, en ce qui ressemble à une branche en caoutchouc. Chaque boule ainsi déplacée et étirée forme un échafaudage flexible à l’élasticité incontrôlable entre construction d’allumettes et Tour Eiffel miniature. Les petites créatures se déplaçant en aveugle et sans jamais s’arrêter le long des branches de caoutchouc ainsi collées de bric et de broc, le joueur tente d’assembler un fragile édifice vertical ou horizontal vers la sortie où elles se rueront automatiquement en poussant des craquants soulagements de joie.

Un casse-tête génial qui colle aux doigts

La pesanteur joue un grand rôle et toute tour montée à la verticale sans consolidations sera amenée à s’effondrer sous son propre poids ou bousculée par les vents. Il faut donc penser à appuyer l’édifice en construction sur les éléments de décors naturels, en évitant les traquenards du trajet : précipices, piques, marée noire, puits, cheminées, flammes… Le but étant de faire sortir du niveau un nombre précis, ou plus, de petites créatures, toute la difficulté consiste à ne pas en utiliser trop pour construire son échafaudage vers le salut. Chaque boule devenue branche étirée reste en effet condamnée à ne pas être sauvée. À moins de croiser une rare espèce verte aux capacités spéciales. Le joueur doit calculer le sacrifice de quelques uns pour le bien de la majorité. Faut-il y percevoir une dimension politique ? Sans doute. Parce qu’entre les panneaux indicatifs aux messages subversifs, et les infernaux pièges de la World of Goo Corporation qui s’étalent sur une little big planète aussi ronde et naturalia que dangereuse et pleine d’embuches industrielles, il semblerait bien que le joueur touche ici de son doigt divin un monde d’exploités en quête d’un sauveur.

L’héritage Lemmings

Descendant des Lemmings, bien sûr, World of Goo ne passe cependant par aucun menu ou options et se contente juste du contrôle direct au doigt du matériau élastique. Tout juste peut-on croiser des insectes volant dans le décor qui offrent, une fois touchés, une option « crtl/Pomme Z » qui annule la dernière manipulation ou des ballons roses gonflés à l’hélium qui serviront à entrainer les créatures vers une sortie hors de portée tout là haut dans le ciel.

Que l’on soit joueur inconditionnel ou simple amateur, il faut absolument jouer à World of Goo pour, d’une part, s’offrir un des grands plaisirs sensoriels du jeu vidéo, et d’autre part, mesurer, et apprécier l’imagination artistique dont est capable le jeu vidéo sans pour autant tomber dans de la prétention. Devant les yeux, un cartoon très soigné. Dans les oreilles des partitions où, entre des compositions féériques à la Danny Helfman (les films de Tim Burton) et des hymnes western classique, des saxophones, des chœurs ou des accordéons enrichissent l’expérience. La version Wii du jeu (à télécharger sur Wiiware) garde à se titre un avantage, celui de pouvoir apprécier cette musique à travers un ampli. Sur Wii également, le geste de saisie des créatures avec la Wiimote reste un must inégalé. Mais, entre nous et entre tous, aucune version de World of Goo n’élimine l’autre. Déjà jouée ou pas, cette pépite interactive mérite d’être toujours dans la poche, sans cesse rejouée et, c’est là peut être aussi l’avantage sur iPad, d’être montrée à ses amis. Ils n’y résisteront pas, et cette découverte qui leur apportera une bonne dose de bonheur et de sourires transformera le démonstrateur en bienfaiteur.

Par François Bliss de la Boissière

Sur iPad…

Les plus…

  • Tenir les petites boules avec le doigt
  • Le déplacement rapide au doigt du décor pour observation
  • Modèle physique et design intelligent des niveaux
  • Les musiques exceptionnelles (et les bruitages)

Les moins…

  • Le doigt cache le décor où il doit interagir
  • Ne pas pouvoir déplacer le décor avec un 2e doigt, pas de fonction pinch
  • Il faut tâtonner et progresser par l’échec
  • Textes et aides humoristiques non traduits en français
(Publié le 21/01/2011 sur Hitphone.fr)

 


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La petite musique des jeux vidéo

De ses débuts il y a tout juste 30 ans jusqu’à aujourd’hui, le jeu vidéo a évolué très vite, techniquement et artistiquement. La musique illustrant les jeux vidéo est par exemple passée des sons bip bip 8-Bits de ses débuts aux compositions orchestrales d’aujourd’hui. La technologie a suivi cette évolution mais pas toujours la législation. Surtout en France où l’exception culturelle qui protège les auteurs-compositeurs au risque de compromette l’équilibre budgétaire nécessaire à la conception d’un jeu vidéo.

L’âge adulte artistique

Bien que restitués avec des moyens techniques alors limités à sa naissance dans les années 70 aux années 90, les thèmes musicaux des premiers jeux vidéo ont acquis une célébrité jusqu’à devenir des classiques et être interprétés par des orchestres symphoniques. L’apparition du support CD sur ordinateur, puis la première console PlayStation de Sony, a changé les choses au milieu des années 90 en permettant d’illustrer l’environnement sonore et musical des jeux avec une qualité optimale de reproduction. Habitué à concevoir des musiques synthétiques plus économiques à produire, l’industrie dans son entier n’a pas immédiatement basculée vers des compositions acoustiques. Aujourd’hui néanmoins, les mélodies que l’on entend sur les derniers jeux Mario sur Wii (Super Mario Galaxy…) ont été enregistrées par un vrai orchestre symphonique et s’apprécient dans toute leur grâce pendant que le joueur saute de planètes en planètes. 

Avec l’arrivée des ambitieuses consoles PlayStation 2 et Xbox dans les années 2000, les jeux vidéo ont commencé à se mettre en scène et à se dramatiser avec des partitions musicales dignes de productions hollywoodiennes. Certains compositeurs travaillent d’ailleurs dans les deux industries. Un des plus connus, Harry Gregson-Williams, a composé la musique du jeu Metal Gear Solid et des films Shrek, Narnia, Kingdom of Heaven… Immédiatement identifiables, les thèmes des séries de jeux japonais Dragon Quest, ou Final Fantasy, composé par le respecté Nobuo Uematsu, et américains, Halo composé par Martin O’Donnell, génèrent, comme ceux des films Star Wars, Indiana Jones ou Superman un culte lié à toute l’émotion que les notes de musique peuvent provoquer.

La musique de jeux vidéo en tournée

Depuis 2005, un orchestre symphonique dirigé par la baguette de deux chefs d’orchestre compositeurs de musique de jeux, Tommy Tallarico (Earthworm Jim, Prince of Persia…) et Jack Wall (Myst III et IV, Splinter Cell, Mass Effect 1 et 2…), interprète en public dans les plus prestigieuses salles de concert du monde les thèmes d’une sélection de jeux vidéo célèbres. Déjà passée deux fois à Paris, la dernière prestation de la tournée Video Games Live a eu lieu dans le Palais des Congrès de la capitale le 17 décembre dernier avec un nouveau chef d’orchestre, l’italien Emmanuel Fratianni, compositeur co-crédité sur le jeu Advent Rising. Ponctuellement, des invités rejoignent les prestations live. Kinuyo Yamashita, la compositrice japonaise du jeu Castlevania a par exemple participé aux concert donnés à Newark aux USA fin décembre 2010. Lors de la première représentation à Paris en 2009, le créateur français du jeu Rayman, Michel Ancel, est monté sur scène avec deux musiciens pour jouer en live le thème de son prochain jeu Beyond Good and Evil 2. Une captation du concert existe en CD Audio et il est possible d’écouter des extraits gratuits en streaming sur Deezer.

L’élite des OST

Réservés à une élite de passionnés qui devaient acheter à prix d’or des versions imports, les OST (Original Sound Tracks), ou bandes originales de jeux vidéo, ont commencé à être éditée en CD Audio. D’abord au Japon grâce aux compositions très appréciées sur les jeux de rôle des éditeurs Square et Enix, puis, peu à peu dans le reste du monde. De nos jours, les OST ne sont plus rares et se trouvent presque facilement dans le commerce en France. À commencer par les magasins de musique dématérialisée accessible sur les stores d’Amazon ou d’Apple. La musique des jeux Mass Effect 1 et 2 signée Jack Wall est par exemple disponible en 6 albums sur iTunes. Le store Apple référence également 10 OST des jeux vidéo japonais Final Fantasy : des bandes originales complètes ou des réinterprétations orchestrales ou au piano.

Musique étouffée en France

En pleine effervescence, la création de musique pour jeu vidéo est freinée en France par une situation juridique aujourd’hui bloquée. Encore considéré comme un simple logiciel informatique, le jeu vidéo ne peut pas s’appuyer sur un réel statut législatif et culturel. Un trouble légal qui peut créer des situations dramatiques comme le raconte Emmanuel Forsans, un ancien producteur de jeux vidéo en France, actuellement responsable de l’Agence Française pour le Jeu Vidéo (AFJV).

« Les sociétés de jeux vidéo français ne veulent plus faire travailler les compositeurs français pour des raisons de droits d’auteurs inquantifiables à payer » explique Emmanuel Forsans. « Le jeu vidéo étant depuis son origine considéré juridiquement comme un logiciel et non une œuvre, l’usage jusqu’ici avait été de payer le travail d’un compositeur de musique de jeu vidéo une somme forfaitaire nette. Mais il y a quelque temps, un compositeur français est revenu sur cette convention et les tribunaux lui ont reconnu, comme pour les compositeurs de musique de films, un droit de propriété intellectuelle sur sa musique qui l’autorise à percevoir des droits d’auteurs, c’est à dire un fort pourcentage sur les ventes du jeu. Le studio de développement qui l’avait déjà payé une somme nette a été obligé de lui régler une somme rétroactive si élevée que l’entreprise a été mise en grande difficulté financière. Depuis, dans le milieu, plus personne n’ose faire travailler un musicien français. Même si la loi n’a pas été modifiée et que du côté de la Sacem (l’organisme qui collecte et redistribue les droits d’auteurs aux artistes), le jeu vidéo reste un logiciel, ce premier cas peut faire jurisprudence.« 

Musique de chambre entre le CNC, le SELL, le SNJV et la SACEM

Depuis plusieurs années et encore à ce jour, des discussions sont en cours entre la Sacem et le SELL (instance de représentation des éditeurs de jeux et de logiciels) autour de la définition du jeu vidéo et de ses composantes artistiques. Donnent-elles, ou pas, droit, à des rémunérations spécifiques liées à la propriété intellectuelle ? Déjà engagé dans le dossier jeu vidéo, le CNC (Centre National de la Cinématographie) arriverait un peu mieux plus à faire avancer les choses selon Emmanuel Forsans. Au cœur de cette négociation, c’est la définition même de ce qu’est le loisir interactif qui se pose. « Le jeu vidéo est un ensemble hétéroclite d’images, de sons, d’interactions » expliquait en 2009 Nicolas Gaume actuel Président du SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo), « il n’a pas de statut juridique mais des jurisprudences contradictoires« .

« On a un peu surprotégé les musiciens en France« 

Programme informatique composé d’éléments rudimentaires animés et bruités à ses débuts, le jeu vidéo a évolué vers un ensemble composite faisant appel à des talents dans de nombreuses disciplines, en plus des programmeurs informatiques : illustrateurs, graphistes, animateurs, scénaristes, dialoguistes, acteurs, cascadeurs, compositeurs et musiciens. Avec sa singularité interactive, l’assemblage des disciplines autour de la création d’un jeu vidéo ressemble de plus en plus à son grand frère le cinéma. Pour cet ancien producteur de jeux néanmoins, « on a un peu surprotégé les musiciens en France« . Dommage collatéral de ce flou juridique qui gèle les relations de travail, les éditeurs de jeux vidéo font appel à des compositeurs résidant ailleurs qu’en France. Installé dans de nombreux pays, le français Ubisoft utilise par exemple, sur sa série de jeux Assassin’s Creed, le talent du compositeur danois Jesper Kid installé à New York. Un imbroglio juridique autour de la notion d’auteurs et de leurs droits sur le point de se complexifier avant d’être résolu en France. Les jeux les plus récents commencent à faire participer le joueur dans la création de contenu utilisable à l’infini par d’autres joueurs en ligne (LittleBigPlanet2 sur PS3 par exemple). Le joueur participatif devient, de fait, co-auteur. Sera-t-il un jour en droit de réclamer des droits d’auteur ?

Note complémentaire : La chance aux chansons

Le succès des jeux de rythme musicaux Guitar Hero et Rock Band a créé une nouvelle économie florissante entre l’industrie musicale et le jeu vidéo. Chaque chanson pop ou rock incluse dans les jeux ou vendue au détail sur les magasins PlayStation ou Xbox en ligne rapporte quelques centimes aux auteurs. Pas de quoi changer la carrière des stars de la musique sauf que, les musiciens concernés, dont des rockeurs un peu oubliés, ont eu la satisfaction de voir naître un regain d’intérêt pour leur albums grâce aux jeux vidéo musicaux. Les comptes semblent ici bon pour tout le monde jusqu’à ce qu’un éditeur de jeu ait eu la curieuse idée d’utiliser les silhouettes des dites stars de la musique en omettant d’obtenir leur autorisation et donc de payer cette présence célèbre par avatar interposé. Des procès de plusieurs millions de dollars sont maintenant en cours. Mais c’est une autre chanson.

François Bliss de la Boissière

(Enquête publiée (ou pas) dans le mensuel Comment ça Marche #9 de mars 2011)

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BEST OF JEUX 2010 : Une sélection militante

Le jeu vidéo repose sur des formules, des concepts et des gameplays qui évoluent beaucoup plus lentement que les technologies qui les supportent. La stabilisation hardware du côté des consoles en place depuis 4-5 ans permet aux studios de mieux finaliser leurs productions et, parfois, d’ouvrir la porte vers de nouvelles expériences…
 

Militant comme toujours ici pour un jeu vidéo digne de lui-même, on s’obstinera à ne vouloir reconnaître que dans les premiers jets les jeux les plus légitimes. Même si elles sont techniquement supérieures au premier essai, les suites numérotées sont toujours coupables de naître d’un plan d’amortissement sur plusieurs années et non d’une pure volonté artistique. Si le jeu n°2 est « enfin » abouti cela implique que le premier été commercialisé sans l’être. Si le jeu n°3 révèle enfin le potentiel de la série c’est que les créateurs ont échoué à bien s’exprimer dans le premier. Que l’on entende bien, le work in progress artistique est tout à fait admissible, même s’il prend le joueur en otage de ses recherches et errements. En revanche, le procédé économique qui consiste à transformer le consommateur payant plein pot en béta testeur (un métier normalement rémunéré) ne devrait pas exister. Ce qui est vrai pour un artiste-concepteur comme Jonathan Blow qui a consacré deux années pleines à finaliser la mécanique du gameplay de son Braid alors que le jeu aurait pu être commercialisé bien avant, devrait l’être pour des grosses productions avec des budgets colossaux. Le modèle freemium aujourd’hui généralisé dans les jeux sociaux sera peut-être celui du jeu vidéo tout court demain.

Best of 2010 : Les jeux originaux

1 / Limbo (Playdead/Xbox Live) : Pourquoi ce jeu dit « indépendant » en tête de tous les jeux cette année et non Braid, flOw ou Flower les années précédentes ? Parce que contrairement aux propositions mettant en scène un gameplay/concept à la limite de l’abstraction, Limbo place l’humain au cœur du projet. Limbo ne se présente pas comme un pur objet interactif mais comme une œuvre qui réussit à intégrer l’interactivité à un ensemble de moyens d’expressions artistiques. Du noir et blanc expressionniste à la bande son minimaliste et enveloppante à la David Lynch, de l’absence de mode d’emploi aux mouvements discrets de caméra vers l’avant ou l’arrière, chaque élément appartient à une même sphère narrative émotionnelle et cérébrale. Le participant pénètre dans un univers complet de conte macabre par les yeux d’un petit garçon qui se réveille et dont l’éveil au monde, en quelque sorte, est naturellement fantasmatique et craintif. Un exemple parmi d’autre de la maîtrise artistique intime, aussi importante que le reste, la mise à mort chronique du personnage suggère elle aussi un commentaire à plusieurs niveaux. La lenteur de la fermeture au noir qui la conclut a déjà valeur d’ultime expiration et sert, comme le reste, à rythmer les palpitations du récit muet. Sa répétition cruelle et inévitable, chagrinante d’un point de vue émotionnel, mais non pénalisante en terme de jeu, distille un commentaire tragicomique sur ce principe mort/résurrection si fondamental au jeu vidéo tel qu’il existe depuis 30 ans. L’échec éventuel, la perplexité devant les décors en forme d’impasse ou de gouffre génèrent du récit. Ce temps de réserve individualise la relation psychique et somatique qu’entretiennent le joueur et le petit garçon à l’écran. Limbo fait preuve d’une énorme maturité d’expression physique et métaphysique non pas parce qu’il a le culot de mettre en scène des petits enfants suicidaires, mais parce qu’il réussit à concrétiser et à projeter devant nous la psyché sans garde-fou d’un enfant. Complètement référentiel (on pense à Another World), mais aussi tourné vers le futur artistique du jeu vidéo, Limbo n’est plus que du « jeu ».

2 / Heavy Rain (Quantic Dream/PS3) : Encore bancale et trop consciente d’elle-même en tant que jeu dans l’obligation de faire jouer, l’expérience ciné-interactive Heavy Rain laisse néanmoins une marque indélébile dans la mémoire du participant et la généalogie du jeu vidéo en général. Comme dans Fahrenheit, articuler le récit sur une histoire de psycho killer reste une solution bien racoleuse en direction, sans doute, des gamers, et finalement hors champ quand l’essentiel qualitatif se joue dans l’ordinaire des relations des personnages avec leur environnement proche. A ce titre, Heavy Rain réussit pleinement son pari de générer un suspens psychologique à la minute avec des choses banales et à créer une densité émotionnelle entre les personnages et le joueur.

3 / Enslaved : Odyssey to the West (Ninja Theory/PS3, Xbox 360, PC) : En quelques minutes explosives, Enslaved donne vie à deux personnages charismatiques, et à un monde complet avec ses ruines inédites, ses robots et drôles de machines tout aussi inoubliables. Enslaved s’approprie avec intelligence beaucoup de clichés avec une volonté de les transcender et de se rendre accessible à tous. Frustrant un moment pour un gamer averti, les rognages qui enlèvent du gameplay (esquisses de QTE à la God of War avec les boss, survol automatique des drones qui pourraient être pilotés par le joueur) sont autant au service de grand public que d’un récit initiatique qui ne doit pas s’arrêter en si bon chemin. Ce qui n’empêche pas de tomber sur des séquences retorses et des zones de creux. D’une manière générale, le chic et l’élégance, la générosité et l’envie d’en découdre avec les décors, le gameplay, le jeu des acteurs et la mise en scène, envoient mille signaux de bienvenue en direction d’un jeu vidéo respectueux et en quête de réinvention.

4 / Darksiders (Vigil Games/PS3, Xbox 360, PC) : L’outsider qui cache sans doute un des gameplay les plus complets et les plus sophistiqués de l’année derrière un design D&D trop souvent vu. Exploration, simili plate-forme, vol, combats à l’épée hack’n slash, progression des pouvoirs et gestion manuelle des améliorations, absolument chaque rouage du gameplay donne satisfaction aux bouts des doigts et du mental comme un jeu Rare ou Nintendo. C’est cette présence tactile fiable et stimulante au fil d’environnements et d’architectures sophistiqués qui permet de supporter le contexte gothico-démoniaque grandiloquent.

5 / Kirby Au fil de l’aventure (Good-Feel, Nintendo/ Wii, disponible USA, sortie 25 février Europe) : La Wii ne se porte jamais aussi bien que quand elle joue en 2D à réinventer les chartes graphiques normatives et oublie (hélas ?) les fonctionnalités de reconnaissance dans l’espace de la Wiimote. Bien plus qu’un simple décor qui ferait tapisserie, les fils à couture, cordages, boutons, fermetures éclairs et autres tissages (dessinés et non photo réalistes comme dans LittleBigPlanet qui l’inspire un peu) donnent prétexte à une multitude de trouvailles graphiques au service du gameplay. Devenu petite voiture ou tank géant, le transformiste Kirby continue un parcours de plate-forme à mi-chemin de l’expérimental et du grand public. Un grand classique comme le restent encore Yoshi’s Story sur Nintendo 64 ou les (Super) Mario Paper sur GameCube et Wii.

6 / Alan Wake (Remedy/Xbox 360) : Encore une grande envie de réconcilier cinéma et jeu vidéo qui n’arrive pas à proposer mieux qu’une cohabitation alternée. Mais, assez bien jouée et mise en scène, la tentative est ici belle et prenante parce qu’elle s’appuie sur un environnement naturel particulièrement bien restitué. Personnage central du jeu, la forêt nord-américaine, ses ombres, son vent, sa brume, ses chalets en bois et ses rivières dégagent une présence organique inédite. La puissance d’évocation est si forte qu’elle rend crédible les situations les plus gauches.

7 / Red Dead Redemption (Rockstar San Diego/PS3, Xbox 360) : Le jeu de l’année choisi par la majorité des édiles du jeu vidéo, Red Dead Redemption impressionne surtout parce qu’il réussit quelque chose que l’on croyait impossible : un GTA western où les paysages horizontaux remplacent ceux des buildings verticaux. Cette prouesse technique admise il reste un jeu d’aventure en manque flagrant de personnalité. RDR décline tous les clichés du western classique qu’on ne supporterait plus au cinéma, comme si le western spaghetti des années 70 n’était pas passé par là. Habité de beaucoup trop de figures génériques (et de raideurs et de bugs décidemment indécrottables des free roaming games), ce premier western interactif démontre surtout qu’il va être possible – une fois cette surprise passée – d’en créer bientôt un avec une vraie personnalité.

8 / Bayonetta/Vanquish (PlatinumGames/PS3, Xbox 360) : Il faut regrouper ces deux jeux dans le même bouillonnement créatif halluciné du « jeune » studio PlatinumGames qui balance sur le marché à une cadence improbable des jeux fous et énormes qui demanderaient des années à n’importe quelle autre équipe japonaise ou occidentale. Hyper racoleur, les deux projets manquent de finesse mais pas d’imagination. Toujours au service d’un gameplay fouillé à la japonaise malgré des compromis d’accessibilités plus ou moins bien amenés, les tourbillons graphiques et sonores sexués et ultra fétichistes entrainent le joueur dans un spectacle interactif proche de l’ivresse.

9 / Sports Champions/The Shoot (Zindagi Games/Sony/PS3) : Il fallait faire la preuve de la pertinence du PlayStation Move, vis à vis de la Wiimote de Nintendo qu’il plagie, par le jeu et non par un plan de communication massif. Et ce sont justement deux jeux d’allure modeste qui font totalement l’affaire. Tennis de table où le gamer retrouve ses tics et faiblesses de vrai joueur de ping-pong, lancé de frisbees hyper raffiné et, surtout, tir à l’arc incroyablement tangible, offrent une précision de jeu HD dans la compile Sports Champions qui renvoie l’approximatif Wii Sports à ses balbutiements de nouveau né. Quant aux supers plateaux de cinéma thématiques de The Shoot et son accessoire ultra kitsch PS Move Zapper, ils développent un superbe jeu de tir sur rails que le tir au canard de Wii Play n’avait fait qu’esquisser sans concrétisation sérieuse il y a déjà quatre ans. Le jeu à reconnaissance dans l’espace trouve ici la maturité technique qui va permettre aux gamers de se livrer avec confiance à de sérieux jeux comme le prochain Killzone 3.

Best of 2010 : La suite au prochain numéro

– Super Mario Galaxy 2 (Nintendo/Wii ) : La concession commerciale du chiffre 2 fait mal chez un Nintendo qui ne cache plus son jeu marketing. Totalement vertigineux et sans doute intimidant pour tous les créateurs du monde, le jeu laisse sur place toute la concurrence d’une galaxie à l’autre.

– Mass Effect 2 (Bioware/Xbox 360, PC, PS3 le 23 janvier) : Avec une partie action cette fois vraiment travaillée en accord avec ses visuels somptueux et son histoire fouillée, et non intrusive, Mass Effect 2 devient le jeu d’aventure total entrevu dans le premier épisode. Gros point noir : en l’absence d’option alternative, la VF insupportable oblige les anglophiles à mettre la main sur un exemplaire en VO (en provenance d’Angleterre par exemple).

– Rock Band 3 (Harmonix/PS3, Xbox 360) : Le clavier musical est une merveille (bien que trop cher) même si l’apprentissage difficile. Comme les modes pro qui entrainent les joueurs vers un véritable apprentissage des instruments de musique. Peut-être le chant du cygne du genre musical en désamour, mais quel chant !

– God of War III (Santa Monica Studio/PS3) : L’énorme sens du spectacle fait avaler un gameplay solide qui ne change pas plus que les enjeux.

– Halo Reach (Bungie/Xbox 360) : C’est léché, fluide, efficace, toujours bien accompagné musicalement mais enfin, combien de campagnes faut-il avant de passer à autre chose ? Bungie a en tous cas compris et change justement de camp. Ce qui n’empêchera pas de continuer à voir débarquer des jeux Halo…

Best of 2010 : Jeux indépendants (ou presque)

– Les Mésaventures de P.B. Winterbottom (XBL, PC) : Héritier direct des concepts mentaux de Braid mélangeant espace et temps et manipulations au millimètre, mais pas suiveur, ces mésaventures là se la jouent burlesque comme un film muet avec un cachet et un raffinement artistique qui en dit à son tour long sur les possibles audaces artistiques du jeu vidéo.

– Super Meat Boy (XBL, PC) : Une vivifiante revisitation de la mécanique de précision des jeux de plate-forme au touché aussi impeccable que l’humour moitié trash moitié gamin. Adulte sans le dire.

– 3D Dot Game Heroes (PS3) : Commercialisé en boite et en magasin, ce vibrant hommage à Zelda a Link to the Past aurait aussi bien pu se vendre directement en ligne dans la catégorie indé. Inégal mais à voir absolument, ce duplicata en pixel art du monde de Zelda souligne, en passant, combien un vrai Zelda innovant manque au monde du jeu vidéo depuis The Wind Waker.

– Lazy Raiders (XBL) : Une grande folie concentrée que ce puzzle-game plate-forme qui mélange design à l’ancienne, gameplay tourneboulant bien plus fouillé qu’il n’en a l’air, et animations à faire craquer toutes les générations.

– And Yet it Moves (Wiiware, aussi sur Mac) : Limite aride, presque trop sec, mais innovant, le concept aperçu sur Mac d’un jeu de plate-forme en papier froissé où il faut faire tourner le décor pour que le personnage progresse, est enfin devenu presque jouable grâce à la Wiimote.

– Saving Private Sheep (iPad, iPhone, iPod Touch) : Angry Birds par ci, Angry Birds par là, dans la même catégorie puzzle-destruction des décors on peut préférer les bêlements irrésistibles des moutons casqués et les regards hilarants du loup aux aguets.

Le meilleur du pire 2010 : les déceptions

– Gran Turismo 5 (PS3) : Psychorigide jusqu’à l’absurde, interface étouffée par une gaine d’un autre âge, techniquement en retard sur la concurrence (Need for Speed : Shift notamment), GT5 stigmatise, avec FFXIII, tout le retard technique et culturel pris par les développeurs japonais face à l’occident. La fin d’un mythe.

– Final Fantasy XIII (PS3) : Un autre symbole majeur du jeu vidéo japonais s’effondre. 15 ou 20 heures de jeu en couloir où les combats au tour par tour se pratiquent en boucle avant d’apprécier un jeu qui s’ouvrirait d’avantage ? Les aficionados patients de la série acceptent aveuglément cette aberration mais le marché, lui, ne suit pas, et il a cette fois raison. 6 mois plus tard, tristesse, le jeu se brade déjà au tiers de son prix initial. (On ne classera pas le MMORPG Final Fantasy XIV sur PC dans cette liste mais les innombrables problèmes techniques au démarrage confirment de graves déficiences de conception chez Square Enix).

– Epic Mickey (Wii) : Survendu par un vétéran du jeu vidéo PC qui n’a pas su recréer le touché interactif des modèles Nintendo qu’il visait.

– Steam sur Mac : Un mariage contre-nature qui ne prend pas encore (voir détails ici).

– Wii Party (Wii) : La laideur passe-partout et les innombrables messages expliquant en longueur des séquences de jeu qui ne durent que quelques secondes laissent plus que perplexe : indifférent.

– Dark Void (PS3, Xbox 360, PC) : Encore un des jeux ambitieux et totalement ratés téléguidés à l’extérieur par Capcom qui oblige l’éditeur à se replier au Japon.

– Sonic the Hedgehog 4 : Episode 1 (PSN, XBL, WiiWare) : La différence avec tous les jeux Sonic annuels est que tout le monde a cru à la réussite de celui-là. Et patatras.

– Game Room (XBL) : La salle d’arcade virtuelle façon PlayStation Home rétrogaming promise par Microsoft sur Xbox 360 se retrouve plombée par des interfaces laborieuses et une ambiance sans âme. Voir une première visite ici.

– Lost Planet 2 (PS3, Xbox 360, PC) : Capcom a autant de problèmes à piloter ses productions à l’étranger (cf Dark Void cette année) qu’en interne au Japon. En voulant chasser sur ses terres le gamer occidental supposément fan des jeux multijoueur, Lost Planet 2 perd une grande partie de ce qui faisait la qualité du premier jeu.

– Split/Second Velocity / Blur (PS3, Xbox 360, PC) : Ratage presque total de repositionnement pour deux studios spécialistes de la simulation d’arcade qui tentent des jeux de courses purement arcade et sans sens de la simulation. On s’y ennuie sans savoir vraiment pourquoi.

– Crackdown 2 (Xbox 360 ) : Une déception inattendue tellement le premier jeu assurait bien ses arrières. Comme quoi les suites peuvent parfois faire moins bien, techniquement et conceptuellement.

– Metroid Other M (Wii) : Encore un exemple d’une réussite japonaise originale qui perd son essence à vouloir s’occidentaliser. Quelle mauvaise idée de (mal) scénariser les péripéties, d’automatiser la visée et de transformer en bonne idée sur le papier en exercice pénible le changement de prise en main de la Wiimote (vue subjective/vue à la 3e personne) en plein combats de boss. Et visuellement, ce projet Wii n’est pas non plus à hauteur de la série.

– Dante’s Inferno (PS3) : Du culot, de l’effronterie même à vouloir arracher de force un gameplay à L’Enfer de Dante, sauf que le gameplay ressemble comme deux gouttes de sang à God of War. Les gamers qui connaissent depuis longtemps l’enfer mais pas la Divine Comédie ne se sont pas laissés impressionner.

– Aliens vs Predator (PS3, Xbox 360 PC) : L’aura des monstres et le capital interactif de leurs mondes restent si grands qu’on veut y croire à chaque fois, et puis, comme pour Sonic de l’autre côté du spectre : patatras. À ce niveau de ratages systématiques, on peut parler de malédiction.

Best of 2010 : Rééditions

Ils le méritaient bien, surtout de si belle manière…

– Grand Theft Auto : Chinatown Wars HD (iPad)

– God of War Collection (PS2 > PS3)

– Hydro Thunder Hurricane (Dreamcast > XBL)

– ChuChu Rocket HD ! (Dreamcast > iPad)

– Prince of Persia Retro (iPad)

– Sly Trilogy (PS2 > PS3)

Hors concours en 2010 :

Le PC et sa galaxie Blizzard, StarCraft II, WoW Expansion

– COD Black Ops, Medal of Honor, Battlefield Bad Company 2 : RAS same players shoot again and again (voir ici pour les échauffourées)

DS et PSP : Totalement effacées par les mobiles Apple, de l’iPod Touch à l’iPad. La relève est indispensable, et vite.

François Bliss de la Boissière

 


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2010 : The iPad Experience

Quand l’iPad a débarqué au domicile, elle s’est moquée, comme souvent, avant de hausser les épaules et de regarder ailleurs. Entre l’iMac géant sur le bureau familial, l’iPhone mini tout le temps dans les mains et le PowerBook lourdaud mais encore actif, cette histoire de tablette ne pouvait avoir un intérêt que pour les geeks chroniques et les habituels fans Apple. C’est vrai qu’elle est joliment plate cette tablette, que les photos rendent bien sur l’écran, et qu’elle ne fait pas de bruit, mais enfin, elle fait double, triple ou quadruple emploi avec les autres gros gadgets de la maison. « Les hommes ont toujours besoin d’un nouveau joujou » soupire-t-elle en pardonnant.

SteveJobs iPad

Miroir, joli miroir, dis moi qui est la plus belle…

Six mois plus tard, il y a deux iPad en circulation dans la maison. Le partage de plus en plus conflictuel d’une seule tablette n’était plus tenable et Noël a été la bonne occasion. Elle ne l’avouera jamais, pourtant le premier iPad arrivé en mai dernier est devenu très vite sa chose. Après les premiers jours rigolos où elle a négligemment apprivoisé l’engin dans le désordre, comme tout le monde, elle a commencé à privilégier la tablette pour regarder ses mails. Le soir d’abord, puis, peu à peu, le matin aussi. Jusque-là, elle ne le faisait qu’occasionnellement avec l’ordinateur.

Ce n’était que le début d’une longue liste de nouveaux comportements et de besoins qui ont peu à peu révélé que, malgré son abord convivial et universel, l’iPad appartient en réalité à la sphère des objets individuels, personnels, tel une sorte d’assistant numérique personnel haut de gamme. Regarder à plusieurs des diaporamas ou des vidéos ou faire passer la machine de mains en mains, pour essayer un jeu ou lire une page de magazine, prouve d’abord que la tablette que l’on partage appartient bel et bien à une personne et n’est communautaire que le temps de quelques démonstrations. Faites la tourner, et elle revient immanquablement à son propriétaire, attitré ou symbolique. Quand elle s’est abonnée à l’édition numérique du quotidien Libération qu’elle peut enfin recevoir (télécharger donc) tous les matins à domicile, il était devenu clair que l’iPad, aussi devenu liseuse, ne la quitterait plus jamais longtemps.

Impact transgénérationnel

Une des surprises fut de découvrir que l’iPad était devenue pour elle une machine à jouer. Ou, plutôt, une machine à faire jouer ensemble. Elle ne s’est pas transformée du jour au lendemain en gameuse à cause de l’iPad mais, tel un aimant social, la machine et ses jeux lui ont permis de développer de nouveaux liens privilégiés transgénérationnels. Elle a réalisé par exemple que les jeux vidéo installés dans la tablette attiraient immanquablement son petit neveu de 5 ans. Comme il ne sait pas encore lire et respecte encore l’ordre adulte, il l’a sollicite régulièrement pour lancer les jeux et se faire expliquer tel ou tel mode d’emploi. Elle découvre ses aptitudes innées au jeu vidéo et l’enfant et l’adulte, réunis autour d’un même espace-temps digital qui se touche, apprécient tous les deux cette complicité et l’intimité du jeu partagé avec l’iPad entre les mains ou sur les genoux.

Plus inattendu encore, elle a découvert que sa grand-mère était capable de s’intéresser plus que sérieusement au vénérable Scrabble relifté sur l’iPad. Non seulement cette grand-mère s’amuse toute seule sans problème à lancer des parties de Scrabble sur la tablette mais elle a la patience et l’envie de participer à la connexion des iPhone et iPod Touch devenus chevalets qui permettent de jouer à plusieurs. Ce n’est plus une vue de l’esprit d’un gourou de la Silicon Valley ou un vœu pieux marketing : autour du jeu et de son hypnotique écran à portée de mains et du coeur, l’iPad cautérise les fractures numériques et comble les gouffres générationnels.

Services à la personne

Des mails aux réseaux sociaux, il n’y qu’un pas que l’iPad a réduit d’un ou deux effleurements de la main. Puisque quelques légers gestes tactiles suffisent pour basculer de l’appli Mail à Safari, elle a fini par prendre l’habitude de consulter et publier presque aussi régulièrement sur Facebook. Elle contemple le soir les photos qu’elle a postées à partir de son iPhone dans la journée. Nul doute que le fait de pouvoir regarder intimement son profil Facebook, sans craindre un regard par dessus son épaule comme sur l’ordinateur, a décuplé sa présence sur le réseau social. En haut de son profil, les trottoirs enneigés de Paris et la Seine au bord de la crue ont remplacé les feuillages automnaux et l’iPad est sa tribune populaire.

Après insistant conseil extérieur cette fois, parce qu’il lui était difficile d’imaginer se séparer de ses prestigieux tirages photographiques constituant son book photo professionnel, l’iPad est enfin devenu son book numérique idéal. Fini les visites dans les galeries et agences encombrées de gigantesques cartons à dessin. Tendance, discret et surtout, aussi réactif sous les doigts que démonstratif, l’iPad est devenue sa meilleure carte de visite. Sans en avoir l’air.

TV réinventée

Parmi les pratiques inimaginables avant qu’elles se concrétisent, la consultation de programmes vidéos a été beaucoup plus loin que prévu avec l’iPad. Bien sûr, elle s’est fait un peu aider au début pour se familiariser aux différentes astuces de synchronisation entre iTunes et l’iPad mais depuis, merci tout va bien, elle n’oublie jamais de louer un film ou quelques épisodes de séries TV sur l’iTunes Store avant de prendre le train vers le Sud. Bien sûr, également, chaque soir, les dernières vidéos trouvailles Youtube ne manquent pas de tourner sur le canapé. Parfois remplacées par les archives de la télévision française d’hier ou d’aujourd’hui puisées sur Dailymotion. Mais le choc et le vrai glissement est apparu en même temps que les applis diffusant des programmes de télévision en direct live sur l’iPad grâce au Wi-Fi. Au début simple curiosité anecdotique, la TV sur iPad devient chaque jour plus indispensable non seulement pour les infos en direct mais aussi pour les fonctions de TV de rattrapage, comme celle que propose l’appli M6 notamment.

Avec l’iPad, il y a désormais une télévision dans la cuisine, à l’heure des repas ou, dans le lit, avant l’extinction des feux. Une télévision réinventée, de proximité, que l’on touche physiquement du doigt pour faire taire, les pubs par exemple, que l’on pose n’importe où, négligemment même, à côté de soi, proche de soi si l’on veut. Plus rien à voir avec l’objet lourd et fixe qui trône au-dessus des meubles et diffuse ses programmes d’un ton docte et distant. Cette nouvelle intimité créé un nouveau lien, complice et décontracté, fidèle mais pas autoritaire. Quand elle se déplace d’une pièce à l’autre avec le programme TV en cours entre les mains grâce à l’iPad, il s’agit moins d’une dépendance que d’une nouvelle forme de contrôle. Et de toutes façons, regarder un film, une émission de variété ou un talk show en le tenant entre ses mains et, éventuellement, en marchant, réintroduit de la magie dans une pratique que l’on croyait aussi surannée que l’ORTF.

L’avenir entre ses mains

Chaque mois, l’iPad génère de nouveaux usages. Tantôt provoqués par l’apparition de nouvelles applis que l’on ne concevait pas hier, tantôt parce que l’iPad s’ouvre à toutes sortes de personnalités venues à lui. La tablette Apple ne contient pas une liste magique de fonctionnalités qui serviront à tout le monde. L’iPad se situe au-dessus de ça, en amont même. Son universalité repose sur le fait qu’il permette de consommer sans effort, voire, il faut le revendiquer, paresseusement, du contenu numérique. Il permet d’oublier la grosse case ordinateur, son clavier, sa souris, son écran vertical intimidant, son fauteuil plus ou moins bien ajusté. Littéralement et au figuré, l’iPad remet tout à plat. Oui, en 2010 – cela tombe bien pour lancer une décade vers le futur – l’iPad est entré dans nos vies comme une tornade douce qui dépoussière chaque jour nos vieilles habitudes. Maintenant qu’elle a le sien propre, avec ses mots de passe, ses petits secrets et le confort de savoir qu’elle en est bien la propriétaire mais aussi le maître, ce n’est plus elle qui dira le contraire.

Note : Ce texte agrège les pratiques réelles de plusieurs personnes et non d’une seule.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 31/12/2010 sur Hitphone.fr)

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King Kong : mariage mixte

Le cinéaste Peter Jackson a fait appel à un game designer français pour réaliser le jeu vidéo tiré de son film King Kong. Une alliance créative avant d’être commerciale.

King Kong

Peter Jackson, le réalisateur hirsute désormais mythique de la trilogie du Seigneur des Anneaux et du prochain remake de King Kong, parle aux médias par vidéo interposée : « Pendant les tournages je trouve toujours un moment pour jouer aux jeux vidéo. Dernièrement, le jeu Beyond Good & Evil m’a tellement plus que j’ai demandé à son auteur de réaliser le jeu tiré de mon film King Kong« . Cocorico ! Michel Ancel, l’auteur en question, est français ! Son éditeur Ubisoft, français aussi. Du jamais vu, les licences de films sont habituellement entre les mains des gros éditeurs américains. Mieux, alors que, en faillite, l’essentielle de la scène française du jeu vidéo s’est expatriée, Michel Ancel continue de travailler à Montpellier.

Credo : essayer d’imaginer un « film interactif »

Répétons-le, au risque de lasser : les jeux vidéo tirés de films sont rarement recommandables. Produits marketings aux qualités interactives discutables, ils ne font qu’exploiter la notoriété d’un blockbuster cinématographique. La situation s’améliore pourtant peu à peu, grâce aux énormes progrès technologiques et à l’implication d’une génération de cinéastes imprégnés de la culture jeu vidéo. Ainsi, Peter Jackson qui, non seulement a eu le bon goût de repérer un jeu d’aventure où l’héroïne est féminine, mais a poussé la délicatesse jusqu’à choisir de collaborer avec son auteur. « Peter Jackson a l’habitude de travailler avec des créatifs, explique Michel Ancel. À partir du moment où il a senti que nous étions dans l’esprit du film, il nous a laissé travailler librement ». Un seul credo : essayer d’imaginer un « film interactif » où l’immersion du joueur serait totale. L’écran n’affiche à cet effet aucune des indications techniques habituelles des jeux vidéo. Tout le design de l’aventure du jeu décalque celui du film. « Nous avons eu accès aux croquis préparatoires dessinés par Jackson lui-même, s’enthousiasme le producteur du jeu Xavier Poix. Nous avons ainsi utilisé tout le bestiaire, y compris des animaux non retenus pour le film« .

Projet commencé avant le film

Le développement d’un jeu vidéo ambitieux peut occuper des centaines de gens pendant plus de quatre ans. Celui de King Kong a démarré aussitôt le feu vert début 2004. « Comme la réalisation du jeu a commencé avant celle du film, les équipes de Weta Digital (studio d’effets spéciaux de Peter Jackson) ont eu la surprise de voir s’animer leurs créatures avant de les avoir eux-même créées« , s’enorgueillit Xavier Poix. La musique (interactive) devant être introduite au plus tôt dans la réalisation du jeu, un compositeur différent du film a été choisi. Une décision heureuse puisque, à six semaines de la sortie du film (14 décembre), le compositeur James Newton Howard remplace sans préavis Howard Shore ! Les cris effrayants de King Kong et des T-Rex ont aussi été fabriqués de toute pièce pour le jeu. L’écho déchirant de leur rage raisonnant encore dans la tête longtemps après l’avoir entendu, il n’y a pas à regretter la VO animalière du film. Surtout que les acteurs du film ont prêté leurs vraies voix aux dialogues additionnels (disponibles en VOST au côté d’une VF) et que les cris de détresse eux, sont bien assurés par Naomi Watts, la nouvelle fiancée du grand singe.

Spielberg d’abord

Si l’alliance artistique du jeu vidéo et du cinéma accouche d’un succès avec King Kong, la cohabitation des deux médias pourra s’autoriser une orientation plus créative. Les cinéastes interviendront d’avantage sur le développement des jeux inspirés de cinéma. On le sait peu, l’indémodable Steven Spielberg a par exemple initié, à partir de son film Il Faut Sauver le Soldat Ryan et le jeu Medal of Honor, le genre, depuis répandu, des simulations de guerre réaliste. D’ailleurs, son intérêt relancé par l’arrivée d’une nouvelle génération de consoles de jeux (Xbox 360, PlayStation 3) qu’il qualifie de prometteuse, le réalisateur d’E.T. vient de signer avec l’éditeur Electronic Arts pour concevoir trois jeux vidéo originaux, c’est à dire des jeux inspirés par aucun autre média ! Peter Jackson, enfin, dont la boulimie de travail a fini par avoir raison de son surpoids, s’est déclaré producteur exécutif du film Halo, un blockbuster du jeu vidéo dont il supervisera la montée jusqu’au grand écran.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 26 octobre 2005 dans TéléCinéObs)

 


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Les nouvelles frontières du jeu vidéo

Nul n’est censé ignorer le largage public du jeu Halo Reach par Microsoft le 14 septembre dernier pas plus que celui de Mafia II de Take-Two qui a pris la tête des affichages kiosques et des charts pendant trois semaines. Entre les deux Nintendo a mis le paquet médiatique sur la sortie de Metroid : Other M et aujourd’hui Sony agite les bras à qui mieux mieux pour accompagner la sortie de son nouvel accessoire PlayStation Move. Oui, les drapeaux blancs sont en berne, la saison des blockbusters du jeu vidéo est ouverte et, comme l’année dernière, elle s’étendra jusqu’au premier trimestre 2011. Dans la ligne de mire : les gamers toute catégorie. DÉCRYPTAGES…

Enslaved

C’est entendu, depuis le succès presque inattendu du premier trimestre 2008, l’industrie du jeu vidéo a pris note de deux phénomènes assez importants pour devenir méthodologie. Toujours privilégiée en terme de ventes, les fêtes de fin d’année ne sont plus tout à fait le seul moment où le jackpot se ramasse. Surtout que Noël peut aussi signer la mort de titres essayant de se frayer une place au milieu des licences déjà connues. Il y a encore quelques années, un jeu ratant le rendez-vous de Noël se voyait peu à peu repoussé jusqu’à la fin du printemps. L’hiver était mortel. Désormais, la sortie en janvier, février, ou mars (avant la fin de l’exercice fiscal annuel des sociétés) de titres forts devient alternative marketing crédible. Prévu pour le mois de novembre, et donc Noël, le jeu éminemment festif LittleBigPlanet 2 sur PS3 vient d’être reporté par exemple à janvier 2011 (pour raisons créatives) et non à mai-juin comme le voulait l’usage. Dans le jeu vidéo, la saison des « fêtes », et des affrontements, court désormais sans temps mort de septembre à mars. Soit, finalement 7 mois sur 12. Un progrès par rapport à la concentration sur environ trois mois des décades précédentes.

Le gamer le couteau sous la gorge 

L’exercice, pour le consommateur gourmand, reste dramatique. Contrairement à un passionné de cinéma qui peut assouvir sa passion de façon relativement économique avec un abonnement mensuel de 20 € donnant accès à un nombre illimité de films en salles, le passionné de jeux ne peut sérieusement envisager de jouer à tous les bons ou jeux importants sur une telle période. La location de jeux vidéo reste interdite en France (autorisée aux USA), le gamerphage ne peut que se rabattre sur le marché de l’occasion, non régulé, et proche d’un racket national. Une passion encore plus ruineuse, si, en gamer averti, le consommateur s’est équipé progressivement des consoles concurrentes au fur et à mesure de leur sortie ou de leurs baisses de prix. Seule condition pour accéder à des exclusivités associées à chaque marque comme, cette année, les attendus Epic Mickey sur Wii, Fable III sur Xbox 360, Dragon Quest IX sur DS, Halo Reach sur Xbox 360, Gran Turismo 5 sur PlayStation 3. La convergence des services audio-vidéo et interactifs lissent bien un peu plus chaque jour les différences entre chaque console, mais il reste encore des poignées de productions incontournables exclusives à chaque marque. Même si, depuis que le parc de machines vendues s’uniformisent (PS3 et Xbox 360 vont atteindre peu ou prou ensemble la barre des 40 millions d’unités vendues, la tendance s’inverse. Certains studios, Quantic Dream (Heavy Rain), Bungie (Halo) ont notamment repris leur liberté après avoir fourni leur exclusivité à quand console : Heavy rain sur PS3, Halo Reach sur Xbox 360. Eux et quelques autres ne voient plus l’intérêt de rater une grande partie du public gamer en ne sortant pas sur toutes les consoles.

Blasons & écussons

Certains jeux clés continueront néanmoins d’être exclusifs parce qu’au delà même du succès commercial, ils marquent le territoire de chaque fabriquant de consoles ou de chaque éditeur. Même si les mascottes des années 90 comme le Sonic de Sega ont perdu leur fonction de locomotive, Mario reste l’icône indétrônable de Nintendo. Alors qu’aucun jeu Mario ne fait l’actualité de cet automne, la société japonaise qui a pourtant bien d’autres cordes à son arc depuis la Wii, cherche à créer l’événement médiatique en saluant les 25 ans, non pas de la naissance du plombier moustachu sorti de la cuisse de Donkey Kong en 1981, mais du premier jeu phénomène à part entière Super Mario Bros commercialisé en 1985. Avec le nouveau et dernier Halo signé par le studio Bungie signataire de la série, Microsoft saisit à bras le corps, quitte à forcer le trait, l’occasion de le brandir en étendard de la marque (surtout à domicile, aux USA). Et de prendre les devants sur les sorties imminents des FPS (First-Person Shooters) militaires concurrents en annonçant quelques records dont les mises en perspectives auto satisfaites restent aussi discutables que celles de la concurrence les années précédentes. Halo Reach aurait ainsi rapporté 200 millions de $ de recettes le jour de sa sortie là où Halo 3 en avait gagné 170 millions en 2007. Sans qu’aucune allusion à l’inflation des prix, aux coûts de développement et de marketing n’y soit associée. Microsoft consolide ainsi sa base de hardcore gamers avant d’attaquer, au mois de novembre, le public familial avec son procédé de jeu sans manette Kinect.

L’étendard sanglant est levé

Situé entre les deux extrêmes que sont devenues la Xbox 360 pro gamers, et la Wii, pro grand public, la PlayStation 3 choisit de commencer par aller chercher d’abord le public familial avec la manette PS Move, fac-similé de Wiimote, et sa gamme de jeux touts publics (Sports Champions, Start The Party, Eye Pet…) copiant là aussi le catalogue Wii. Sony consolidera sa base tout de suite après avec l’hyper ambitieux jeu de course Gran Turismo 5 (sur la ligne de départ depuis au moins 5 ans) en novembre, puis Killzone 3 en février 2011 puisque, encore une fois, le 25 décembre n’est plus une frontière. Du côté des purs éditeurs de jeux qui ventilent leurs productions sur toutes les consoles du marché, la bataille des plus importants va se jouer aussi sur quelques titres devenus iconiques, à défaut d’être toujours recommandables. Totalement dominant le champ de bataille des FPS avec la série Call of Duty, Activision va chercher à recréer l’événement de 2009 avec l’épisode Black Ops en novembre bien que les créateurs originaux aient pris bruyamment le maquis cette année. En 2010 cependant, le concurrent direct Electronic Arts, ex numéro 1, cherche à reprendre la main sur le terrain militaire en redonnant vie à la série Medal of Honor originale mise en sommeil depuis plusieurs années. Bien décidé à retrouver une place sur le podium des campagnes militaires, Electronic Arts ne fait pas dans la demi-mesure et avance ses soldats/pions en plein Afghanistan. En allant au devant des polémiques – tout à fait officieusement parce que les porte-paroles nient en bloc toute intention maligne – l’éditeur américain compte bien attirer les regards, et le porte-monnaie des gamers toujours à l’affut d’un nouveau terrain d’affrontement en ligne.

Noël rock’n roll

La trêve de Noël n’aura donc pas lieu dans le jeu vidéo bien que le calendrier des sorties soit presque immaculé en décembre. Même les pacifiques jeux musicaux vont devoir s’affronter. Pour faire face à un Rockband 3 particulièrement novateur d’Electronic Arts (introduction d’un clavier, d’une presque véritable guitare et rapprochement avec un vrai logiciel d’apprentissage musical), Activision radicalise le 6e Guitar Hero en mettant en scène des « Warriors of Rock », avec Philippe Manœuvre en bateleur, et cherche à passer en force à coups de beats et de mashups son DJ Hero 2 dont la première tentative n’avait pas pris en 2009. Particulièrement singulier, le premier trimestre 2010 se retrouve en position de chanter un deuxième couplet vers le succès pour des jeux reconnus par la critique lors de leur première exploitation sans que le public n’ait suivi en masse. De janvier à mars, le chiffre 2 derrière Dead Space 2, LittleBigPlanet 2, inFamous 2 et Portal 2 devrait guider, en deux temps comme cela réussit à Uncharted….2, les consommateurs frileux devant l’inconnu et valider financièrement le talent des équipes à la tâche.

Nouveaux héros

Au milieu de cet interminable débarquement où même Les Sims seront de la partie sur consoles de salon (Les Sims 3), et un historique Civilisation V essaiera de raviver jeu sur PC, les outsiders, inconnus hier, auront encore une fois bien dû mal à exister, voire à s’imposer, quelles que soient leurs qualités. Pourtant, grâce aux démos jouables offertes sur consoles, le joueur consommateur n’a plus guère l’excuse de se laisser conditionner par les plans médias en oubliant de partir lui-même en reconnaissance, manettes en mains. Pour un énième Call of Duty ruminant, Star Wars radotant (Le Pouvoir de la Force II), Assassin’s Creed bégayant (Brotherhood), Fable III fabulateur, ou Sonic tournant en rond (Sonic Colours), combien de courageux et étonnants Vanquish (Sega), Epic Mickey (Wii), Kirby’s Epic Yarn (Wii) ou, notre grand favori 2010 : Enslaved : Odyssey to the West (Namco-Bandai) se casseront les dents ? Bien qu’ils s’appuient encore sur des repères fondateurs rigides, les éditeurs de jeux vidéo ont quand même entendu la rumeur publique des années passées et ont assoupli leur règle du jeu. Aux gamers maintenant de saisir les nouvelles opportunités et d’inventer de nouveaux horizons, de jeux, de consommation et d’attention.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 24 septembre 2010 sur Electron Libre)

 


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Lara Croft and The Guardian of Light : Vue de haut

L’aventurière la plus célèbre du jeu vidéo revient avec une double surprise dans son sac à dos : un partenaire pour l’aider à traverser les temples oubliés et une toute nouvelle interface de jeu.

Ainsi, au lieu d’épouser ses acrobaties au cœur de l’action comme d’habitude, ce jeu uniquement disponible en téléchargement réinvente un mode de contrôle à l’ancienne beaucoup plus simple inspiré des jeux « indépendants » actuellement en vogue. Toujours au dessus et à distance des décors, la vue englobe à la fois une bonne partie des décors et les déplacements de l’héroïne. Ce choix drastique au début volontairement déconcertant avec Lara Croft a aussi comme objectif de faire jouer une autre personne en même temps, sur le même écran TV (mode en ligne à venir). Au contrôle d’un indigène familier des lieux, le deuxième joueur aide Lara Croft à franchir les obstacles et à abattre les nombreuses créatures mythologiques. Qu’on ne s’y trompe pas, les décors apparemment simplifiés cachent autant de pièges retors et de chausse-trappes que d’habitude. L’exploration des salles est beaucoup moins libre qu’auparavant mais chacune d’entre elle abrite assez d’énigmes pour que le mélange d’action, de gymnastique et de réflexions maintienne sans cesse l’intérêt. Plus concentrée, mieux équilibrée, jouable à deux, cette aventure parallèle baptisée Lara Croft au lieu de Tomb Raider fait mieux que sortir de la cuisse de la série habituelle, elle ouvre une aristocratique nouvelle lignée.

  • Supports (téléchargement) : Xbox 360 (testée), PS3 et PC
  • 1 à 2 joueurs
  • PEGI * : à partir de 12 ans
  • Square-Enix
  • Prix : 15 € env.

François Bliss de la Boissière

(Avis publié en octobre 2010 dans le mensuel Comment ça marche)

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Limbo : Le cauchemar chef d’oeuvre

Le sombre et délicat Limbo a tout les atouts du chef d’œuvre. En mettant très simplement en scène un petit garçon qui doit sortir seul d’une dangereuse forêt pendant une nuit qui n’en finit pas, Limbo réussit l’improbable miracle d’offrir une vraie mécanique de jeu vidéo au service d’un monde mystérieux inoubliable. Parmi ses audaces, le jeu est en noir et blanc ! La bande son, elle, sans musique, créé un incroyable espace sonore à partir de sophistiqués et minimalistes bruitages (pluie, vent, craquements…). Mûrement conçue, et plutôt destinée à un public adulte tellement l’isolement du petit héros muet intimide, l’aventure s’apparente à un jeu de réflexion où il faut franchir méthodiquement les obstacles et les périls cruellement mortels. Gouffres, étangs, insectes géants, usine abandonnée, le parcours façon jeu de plateforme ne cesse de surprendre. En osant mélanger les contes de Grimm ou de Perrault (Le Petit Poucet) pour l’histoire, et le cinéma expressionniste allemand pour la forme, Limbo apporte de nouvelles dimensions culturelles, poétiques et émotionnelles au jeu vidéo que chacun appréciera à son niveau.

L’humain d’abord

Contrairement aux propositions mettant en scène un gameplay/concept à la limite de l’abstraction, Limbo place l’humain au cœur du projet. L’aventure ne se présente pas comme un pur objet interactif mais comme une œuvre qui réussit à intégrer l’interactivité à un ensemble de moyens d’expressions artistiques. Du noir et blanc expressionniste à la bande son minimaliste et enveloppante à la David Lynch, de l’absence de mode d’emploi aux mouvements discrets de caméra vers l’avant ou l’arrière, chaque élément appartient à une même sphère narrative émotionnelle et cérébrale. Le participant pénètre dans un univers complet de conte macabre par les yeux d’un petit garçon qui se réveille et dont l’éveil au monde, en quelque sorte, est naturellement fantasmatique et craintif. Un exemple parmi d’autre de la maîtrise artistique intime, aussi importante que le reste, la mise à mort chronique du personnage suggère elle aussi un commentaire à plusieurs niveaux. La lenteur de la fermeture au noir qui la conclut a déjà valeur d’ultime expiration et sert, comme le reste, à rythmer les palpitations du récit muet. Sa répétition cruelle et inévitable, chagrinante d’un point de vue émotionnel, mais non pénalisante en terme de jeu, distille un commentaire tragicomique sur ce principe mort/résurrection si fondamental au jeu vidéo tel qu’il existe depuis 30 ans. L’échec éventuel, la perplexité devant les décors en forme d’impasse ou de gouffre génèrent du récit. Ce temps de réserve individualise la relation psychique et somatique qu’entretiennent le joueur et le petit garçon à l’écran. Limbo fait preuve d’une énorme maturité d’expression physique et métaphysique non pas parce qu’il a le culot de mettre en scène des petits enfants suicidaires, mais parce qu’il réussit à concrétiser et à projeter devant nous la psyché sans garde-fou d’un enfant. Complètement référentiel (on pense à Another World), mais aussi tourné vers le futur artistique du jeu vidéo, Limbo n’est plus seulement du « jeu ».

François Bliss de la Boissière

(Digest d’un avis publié dans Comment ça marche en octobre 2010 et en Best of des jeux 2010 ici)

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Yoji Shinkawa : L’ART au service du jeu

L’illustrateur vedette de la série de jeux Metal Gear Solid et collaborateur intime de la star japonaise Hideo Kojima a exposé ses dessins à Paris * à l’occasion de la sortie de l’épisode Peace Walker sur PlayStation Portable.

Bliss : Ne vous sentez vous pas trahi par le jeu vidéo ? Ne rêvez-vous pas d’un épisode de Metal Gear Solid (MGS) plus original qui utiliserait directement votre trait presque abstrait comme Okami de Clover Studio l’avait osé ?

Yoji Shinkawa : J’aime par-dessus tout que mes dessins participent à la création animée d’un jeu. Nous avons déjà eu l’occasion d’essayer de donner vie à mes dessins, notamment dans Metal Gear Solid 2. Le test a été intéressant mais nous avons préféré continuer à utiliser les dessins comme base de travail artistique. Néanmoins, dans Peace Walker, les cinématiques habituelles ont été remplacées par des approches graphiques très stylées. Grâce notamment à la participation d’Ashley Wood (illustrateur et auteur de comic books australien qui a travaillé sur des digital comics MGS, ndr) qui a adapté mes différents dessins. L’idée a été de trouver un subtil équilibre entre un jeu vidéo et des cinématiques dessinées qui donnent une certaine authenticité et un parti pris assez original. Je considère Metal Gear Solid : Peace Walker comme une bande-dessinée animée jouable.

Bliss ; Comment l’équipe artistique a-t-elle approché sans frustration les contraintes de travail sur PlayStation Portable (PSP) après avoir pu se lâcher sur l’ambitieux MGS 4 sur PlayStation 3 ?

Yoji Shinkawa : Notre équipe constituée de vétérans, de nouveaux arrivants, de M. Kojima (auteur de la série MGS, ndr), ou moi-même, sommes des gens passionnés dont l’objectif principal est de mettre en œuvre ce qui doit l’être pour concevoir un MGS. Toutes ces personnes exigeantes ont envie de faire partager leur point de vue, leurs idées et leurs passions à travers une réalisation artistique collective. L’objectif n’est pas d’essayer de retranscrire les besoins artistiques de chacun. Dans le cas de MGS Peace Walker les éléments de création d’origine sont en haute définition semblable à ce qui existe sur les consoles du moment à partir desquels nous avons retranchés des éléments pour s’adapter aux capacité de la PSP. Nous avons pris ces contraintes comme une sorte de jeu, de challenge.

Bliss : Vous avez utilisé les traits d’une personne réelle dans le jeu (cf encadré). Y-t-il des précédents dans la série ?

Yoji Shinkawa : Ce genre de procédé a été utilisé pour la première fois avec MGS 4. Les quatre personnages féminins emblématiques du jeu connus sous le nom de Beauty and the Beast ont été conçus à partir de femmes réelles. En observant, lors d’un casting, l’évolution physique des personnages à partir des maquillages et coiffures, nous avons commencé à envisager ce procédé. Au-delà de ces cas précis notre inspiration provient de sources variées, de la culture occidentale que nous aimons beaucoup. Dans Peace Walker Cécile est le seul personnage réel.

Bliss : Les bandes-annonces et jeux MSG s’amusent beaucoup aux private jokes et lectures à plusieurs niveaux. Participez-vous à ce petit jeu ?

Yoji Shinkawa : M. Kojima est seul à l’origine de tous ces clins d’œil décalés. L’humour dans les MGS peut s’expliquer par le fait que nous sommes originaires de la région de Kansai au Japon. De la même façon que les français ont un regard particulier sur tout ce qui est artistique, la mentalité naturelle des gens aux alentours d’Ôsaka ou Kyôto a toujours été un peu plus rigolarde que celle des gens issus de la région de Tokyo. C’est peut-être une des explications de cette attention particulière à l’humour.

Bliss : Cette dérision ne manque-t-elle pas de respect à votre trait qui n’a rien à voir avec du cartoon ?

Yoji Shinkawa : Notre objectif est d’imaginer la façon dont les dessins seront animés. Je me réjouis de l’humour à partir des machines ou des personnages dessinés. Cela me paraît une évolution naturelle parce que la finalité reste le plaisir du consommateur.

Bliss : M. Kojima est devenu célèbre pour annoncer régulièrement son départ de la série. N’éprouvez-vous pas aussi de la lassitude ?

Yoji Shinkawa : Je ne connais pas la satisfaction que l’on peut ressentir à avoir accompli une œuvre dans son intégralité après y avoir mis tout ce qu’on souhaitait. Peut-être que si je suis amené un jour à prendre la direction d’un projet et que je vais au bout de mes idées j’éprouverais la sensation que M. Kojima a peut-être de temps en temps.

Bliss : En tant qu’artiste, n’aspirez-vous pas à traiter d’autres thèmes que ceux associés au jeu, militaires notamment ? On sent votre trait capable d’aller traiter d’autres thèmes…

Yoji Shinkawa : Je suis passionné par ce que je fais. Je vis comme un ordre naturel de creuser le champ lexical de tout ce qui est militaire par exemple. J’aime beaucoup les méchas, robots et voitures. Peut-être qu’un jour dans le cadre d’un projet précis je me concentrerai davantage sur ces domaines qui me tiennent à cœur.

Bliss : Comme cela devient souvent le cas au Japon, la réalisation technique de MGS pourrait-elle être confiée à des studios occidentaux sous votre supervision artistique ?

Yoji Shinkawa : La rivalité que vous évoquez entre les développeurs japonais et occidentaux se fait également au niveau de l’implication, de la persévérance, de l’authenticité de la retranscription de la vision des choses. Nous avons eu l’occasion à de nombreuses reprises d’impliquer des développeurs étrangers ou des personnes qui avaient une vision un peu différente sur MGS. Mais leur vision était différente et ne retranscrivait pas nos attentes. Si un jour MGS était amené à tomber entre les mains d’occidentaux, j’ai la conviction que ce ne serait pas un MGS à la M. Kojima.

Bliss : Qu’elle est la place de MGS au milieu des jeux d’action et de guerre maintenant que Call of Duty ou Battlefield ont pris la vedette des médias et des joueurs à l’ouest du Japon ?

Yoji Shinkawa : Pour rappel MGS est à l’origine un jeu d’infiltration. L’objectif n’est pas de sortir son arme, d’abattre des gens et d’avancer. Le concept général est sans doute plus noble et spirituel que les gens ne peuvent le comprendre ou l’assimiler. Dès le premier MGS, Liquid, le boss final, parle directement au joueur en s’adressant au héros Solid Snake. Il lui demande : « Alors, la guerre est un jeu pour toi ? C’est comme ça que tu t’amuses ? » Dans tous ces jeux je souhaiterais que les gens se posent cette question : Pourquoi tu sors ton arme ? C’est le message que nous aimerions que les joueurs méditent grâce aux jeux Metal Gear Solid.

* Dans 11 Fnac Paris/Province du 8 juin au 7 juillet 2010

Propos recueillis le 15 juin 2010 par François Bliss de la Boissière

(Publié en 2010 dans Chronic’art)

Comète Mario à l’approche : une 3D toujours prisonnière de la 2D

Les 2 Super Mario Galaxy ont beau jouer avec les perspectives et les volumes comme nulle part ailleurs sur cette planète, ils s’attellent à contraindre Mario, et le joueur, dans de grands couloirs, ou des petites bulles. En 2008 nous pointions du doigt ce concept camouflé en regrettant la perte de liberté goutée avec Super Mario 64 et Super Mario Sunshine. En 2010 Shigeru Miyamoto en personne avalise la notion (merci à lui) et explique tout haut ce concept de gameplay 2D encapsulé dans un monde visuellement en 3D…
Mario Galaxy 2

En pleine euphorie consensuelle autour du premier Super Mario Galaxy en 2008, nous avions jugé nécessaire de lancer un débat qui n’avait pas lieu en qualifiant le jeu de « meilleur jeu 2,5 D de tous les temps ». Nous écrivions alors…

Mario Galaxy enlève au joueur la liberté d’explorer que lui avait donné Mario Sunshine et même, dans une moindre mesure, Mario 64. À ce titre, Mario Galaxy se donne visiblement le même objectif que Zelda Twilight Princess sur Wii : reconquérir coûte que coûte le cœur et les mains des gamers fidèles dont les variations 3D un tantinet relâchées ont fini par perturber, et donc décevoir. Un revirement à double tranchant. Les parcours hyper concentrés et pratiquement sans détour des niveaux de Mario Galaxy sont bien dignes des versions 2D. Mais après Mario Sunshine il s’agit d’un retour en arrière. Depuis toujours, les jeux Mario, Zelda et Metroid cumulent à chaque épisode les acquis des précédents. Une véritable gageure réussie par Nintendo de la 2D à la 3D. Pourtant, l’Observatoire de l’espace de Mario Galaxy n’est qu’un petit carrefour fonctionnel à côté du château de Mario 64 et de l’île Delfino de Mario Sunshine regorgeant de secrets. Quelques uns des niveaux de Mario 64 laissaient déjà un peu d’espace à une exploration vraiment libre (avant la sortie du jeu et en regardant les screens, les observateurs se demandaient déjà en quoi ces espaces «vides» auraient une pertinence ludique et interactive !). Puisque la 3D était acquise et les moyens d’occuper l’espace virtuel aussi, un bon nombre des niveaux de Mario Sunshine permettait de se «promener», de visiter les décors tout en allant à la découverte des surprises dissimulées. Une liberté d’aller et venir qui semblerait ne pas avoir tout à fait convenu à la majorité. Dans Mario Galaxy les parcours sont tous explicitement des trajets d’un point de départ (sans retour en arrière possible) à un point d’arrivée. Les quelques rares planètes permettant un peu de flânerie sont bien trop petites pour dégager un sentiment d’exploration. En réalité, un niveau (une «galaxie») est fragmenté en plusieurs mini planètes dont l’ensemble n’est jamais préhensible ni à pieds ni d’un regard (ce qui fait partie du charme et du mystère). Mario est redevenu le champion, certes tarabiscoté, du parcours A-B.

Cherchant à comprendre pourquoi, dans l’évolution de Mario, Nintendo avait jugé bon de brider la liberté de la 3D, nous poursuivions…

Pour reconquérir son public, Zelda Twilight Princess ramenait Link dans les lieux du jeu référent Ocarina of Time et compilait toutes les aptitudes précédentes. Dans Mario Galaxy, le retour aux valeurs sûres se fait en supprimant la liberté de déplacement du petit bonhomme en salopette et en inhibant le contrôle de la caméra dans une grande majorité de situations. Sans clairement identifier pourquoi, la pensée dominante considère donc que Mario Galaxy a retrouvé toutes ses qualités originales (que n’avait apparemment pas Mario Sunshine), qu’il est même le vrai descendant de Mario 64.

Avant de nous indigner…

Est-ce à dire que Mario ne s’exprimait pas comme il faut dans l’espace 3D plus ouvert de Sunshine ? Qu’il s’éloignait trop de son essence ? Que la réalisation était mal adaptée ? Ne serait-ce pas plutôt le public qui n’a pas su ou voulu suivre l’évolution de Mario vers plus de liberté et de responsabilité ? Car dans Sunshine Mario ne faisait pas que courir après la Princesse Peach. Condamné à tort au nettoyage de l’environnement, par les autorités de l’île où il comptait passer ses vacances, le plombier oisif se retrouvait avec des responsabilités écologiques et civiques. Le pistolet à eau donnait au Jump Man de Miyamoto une prise sur le monde qu’il n’avait jamais eu auparavant. Pour la première fois Mario pouvait impacter sur son environnement avec d’autres outils que son ventre, quand il glisse, son postérieur et sa tête, quand il saute. L’opinion générale a donc rejeté ce Mario presque administré, libre de circuler mais, interdit de vacances, enfin utile. Alors, rejeté par une humanité encore primitive qui n’a pas voulu de lui parmi elle, Mario, le petit prince déguisé en crapaud depuis toujours, s’est arraché à la pesanteur terrestre et s’en est allé tout là-haut voir si son destin ne serait pas finalement plus cosmique que terre-à-terre.

Puis de rendre hommage au talent…

Le génie total de Nintendo est de (presque) réussir à faire oublier que Mario Galaxy est un retour en arrière par rapport à Mario Sunshine. Le vire-voltage permanent du personnage d’une planète à l’autre – et cette fois il vole vraiment comme Superman, mais sans le contrôle du joueur –, la constante impression de sens-dessus-dessous, la folie visuelle provoquée par toutes sortes de mécanismes aux lois physiques autonomes, alimentent une ivresse jouissive, fiévreuse et aveuglante. Mario s’agite beaucoup mais pris dans un perpétuel effet d’entrainement il ne contrôle rien. Quand il a l’opportunité de courir librement, il tourne littéralement en rond sur de petites planètes dont il fait vite le tour. Les seules vraies occasions de franchir du terrain, ou plutôt de l’espace, sont automatisées. Quand le joueur a la main, il est merveilleusement et inexorablement guidé vers un objectif. Sauf à croiser le chemin de planètes « blagueuses » plus challenges, les parcours se font sans chronomètre, il reste donc possible de prendre son temps, de regarder alentour. Sauf que la caméra garde souvent une position prédéterminée et fixe et que la vue subjective, elle aussi pas systématiquement possible, ne laisse pas voir grand-chose puisque les petites surfaces des planètes sont courbes. Au mieux peut-on observer quelques amas de planètes suspendues dans le vide lointain comme le petit Link de Wind Waker repérait au loin une île perdue dans l’immensité de l’océan. Link pouvait alors décider de s’y rendre, Mario lui, doit subir le diktat du jeu.

Et de conclure…

Si la raison d’être ontologique de la 3D virtuelle est d’offrir un espace à arpenter ou posséder, à l’instar d’un Pandemonium ou d’un Crash Bandicoot, Mario Galaxy et ses parcours fléchés dans le cosmos ne serait-il pas le summum du jeu 2D camouflé dans un environnement 3D ? Est-ce que cela lui enlève ses qualités, son inventivité, sa folie ? Non, bien sûr.

Aujourd’hui, Super Mario Galaxy 2 prolonge et sans doute surclasse Galaxy 1. Et au moment où, à nouveau, personne ne soulève la question d’une 3D téléguidée allant chercher dans un monde en volume l’essence d’un gameplay en 2D, Shigeru Miyamoto explique publiquement son projet d’accommoder la 3D à un gameplay en 2D. Voici quelques extraits de son échange avec Satoru Iwata désormais disponible en bonne VF…

« Jouer un jeu en 3D comme s’il s’agissait de 2D »

Satoru Iwata : J’ai l’impression que les gens disent souvent “J’ai tendance à me perdre dans un Mario en 3D alors que ça ne m’arrive jamais avec les jeux en 2D ” ou encore “Les Mario en 3D sont plus difficiles que les Mario en 2D, je ne peux pas y jouer”. J’ai le sentiment que vous avez voulu attaquer ce problème de front.

Shigeru Miyamoto : Oui, mais je pense aussi que nous avons résolu certains problèmes liés aux Mario en 3D avec le premier Mario Galaxy. Vous arpentez des sphères, par conséquent, si vous marchez tout droit, vous finirez toujours par revenir à votre point de départ.

Satoru Iwata : Vous ne pouvez pas vous perdre.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Nous avons remarqué autre chose durant le développement de Mario Galaxy 2. On parle souvent des jeux Mario en 3D, mais en fait, c’est simplement le monde qui vous entoure qui est en 3D. Les aspects les plus amusants du gameplay sont liés à la 2D.

Satoru Iwata : Qu’entendez-vous par là ?

Shigeru Miyamoto : Eh bien, même si le terrain est en 3D, il contient de nombreux objets ainsi que le personnage de Mario. Si vous observez le terrain du dessus, il est plat.

Satoru Iwata : Ah, je vois. Si la caméra est placée au-dessus de votre tête ou sur le côté, vous pouvez y jouer comme s’il s’agissait d’un titre en 2D.

Shigeru Miyamoto : Voilà. Contrairement aux Mario en 2D qui ne proposent qu’une vue de côté, les jeux en 3D offrent un changement bienvenu, car ils ne comportent pas seulement une surface plane, mais incluent également de la profondeur.

(…)

Satoru Iwata : Le monde est en 3D, mais vous avez mis de côté tous les aspects propres à la 3D qui risquaient de dérouter ou de déstabiliser le joueur. Vous avez consciemment développé le jeu pour que la 2D soit son principal atout.

Shigeru Miyamoto : Oui, c’est pour ça que je pense qu’il est facile à prendre en main.

François Bliss de la Boissière


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Gameloft, 10 ans de mobilité et en quête d’identité

En mai 2010, Gameloft fêtait en grandes pompes à Paris ses 10 années d’exercice. La presse était conviée et j’en avais fait un rapport mi figue mi raisin en ligne. À tel point qu’il m’avait valu par la suite une conversation avec les représentants médias de l’entreprise sans doute surpris que leur plan de communication ne suscite pas que des articles 100 % positifs. Rien de grave, tout le monde faisait à l’époque en âme et conscience son travail.
Au moment où, 6 ans et un mois plus tard, Vivendi, le groupe de Vincent Bolloré, prend le contrôle hostile de Gameloft et que la démission de son PDG  Michel Guillemot est attendue, il me semble intéressant de revisiter ce que représentait alors l’entreprise au faîte de sa gloire.

Compte-rendu publié en mai 2010…

Pour fêter ses 10 ans, la société française spécialiste du développement de jeux vidéo sur supports mobiles a investi la Cité de la Mode et du Design. Un espace encore vierge amarré au quai d’Austerlitz et toujours en attente d’inauguration officielle qui ressemble, sans que cela soit prémédité, à la société Gameloft qui l’occupe un soir. Une coquille vide où une entreprise en quête de reconnaissance vient chercher à grands renforts d’invitations franco internationales et d’une balade sur la Seine, une nouvelle identité et, peut-être, un nouvel horizon. ABORDAGE…

Avec ses 330 millions de jeux vendus par téléchargement à travers 80 pays, ses 4000 employés répartis à travers le monde, après avoir essentiellement occupé l’agenda de l’industrie du téléphone mobile, la succès story Gameloft commence tout juste à prendre une place significative dans le paysage jeux vidéo. La soirée anniversaire de ce jeudi soir 6 mai 2010 semblait valider, certes les 10 premières années de prospérité de l’entreprise, mais aussi le passage à une nouvelle étape vers un futur peut-être plus noble. Les jeunes commerciaux faisant la démonstration sur place des jeux sur iPhone, téléphone Android ou, en exclusivité, sur iPad, le concèdent silencieusement face à une nouvelle audience cette fois plus avertie. La plupart des jeux du catalogue ne fait que cloner des titres forts du monde du vrai jeu vidéo, celui qui se joue sur les historiques consoles de salon ou portables. Cela passait et à fort bien réussi à l’entreprise pour nourrir les millions de téléphones mobiles au public peu exigeant en matière de jeux vidéo. Cela devient flagrant et chaque jour plus embarrassant en se rapprochant de la véritable industrie interactive.

Des titres de noblesse achetés

En ne ratant pas le virage Apple, en développant très vite sur iPhone et iPod Touch (65 titres) puis, maintenant, leader sur iPad avec 15 jeux (les ventes sur appareils mobiles Apple comptent pour 21 % des ventes de l’entreprise au premier trimestre), Gameloft gagne chaque jour de nouvelles lettres de noblesse. Une poignée de jeux déclinés aussi sur les DSiWare et WiiWare Nintendo, sur Xbox Live Arcade et PlayStation Network, participe à une irrésistible montée en réputation. Quand bien même son catalogue continue de fourbir des copies de jeux à succès et des licences de films sans plus d’intérêts que celles des autres acteurs du marché. Mais la création de jeu singulier ou à teneur artistique fait encore défaut. La première force vive de cette société continue d’être la fuite en avant vers l’innovation. En 10 ans Gameloft a dû s’adapter à plus de plateformes que le reste de l’industrie du jeu vidéo pourtant elle aussi habituée à se renouveler fréquemment. Dans son communiqué, la société annonce ainsi se positionner au plus vite sur les nouveaux Smartphones, les tablettes et les interfaces 3D à l’arrivée imminente.

L’entreprise à la fête

C’est à la fin du discours, ponctué de vidéos auto satisfaites, de l’attachant PDG Michel Guillemot que la réunion nocturne révèle sa vraie nature. Les médias, à la présence tout à coup déplacée, participent à une soirée d’entreprise où les employés sont majoritaires, hurlent en reconnaissant les collègues intervenants en vidéo et lèvent leurs verres de champagne à la santé d’un bien qui leur semble commun alors qu’un seul homme a droit à un podium et aux projecteurs. Le speech aimablement dit dans un anglais très français, se contente de saluer l’entreprise et son parcours sur 10 ans. Le message plus galvanisateur que médiatique vise les salariés. Un discours dont la gentille insignifiance ressemble à peine étrangement au catalogue de l’éditeur. Lisse, sans personnalité, reprenant des formules existantes à droite et à gauche, ou tout simplement dans l’espace public. Au détour de ces propos sans aspérité lu sur un iPad discrètement posé sur un pupitre, lui aussi translucide, Michel Guillemot tente de présenter un nouveau logo Gameloft, symbole d’un nouvel élan, qui tombe à son tour à plat.

Entre deux eaux

À l’ombre des grands du jeu vidéo, jumeau officieux d’Ubisoft tenu par son frère Yves Guillemot, Gameloft a clairement besoin d’une identité. Un nouveau logo est un début. D’évidence, des jeux vraiment originaux et solides que le public associerait sans équivoque à la marque pourraient suffire tellement la société contrôle déjà tout le reste de sa chaine de fabrication et de distribution. Bien que très générique, le FPS N.O.V.A. développé pour iPhone puis upgradé sur iPad a déjà fait tourner la tête des gamers. Pour l’instant les jeux les plus prestigieux du catalogue Gameloft copient celui du frère Ubisoft : l’Avatar de James Cameron (développé, nous affirme-t-on, indépendamment de la version Ubisoft), Assassin’s Creed, Prince of Persia, Tom Clancy’s HAWX. Mais, frère ou pas, Ubisoft semble déjà engagé dans la reprise en main de ses licences et devrait développer lui-même des versions portables de ses titres les plus prestigieux. Même si c’est énorme en âge techno-numérique, à dix ans seulement, qu’elle le souhaite ou non, poussée en avant, entre autre, par le nouveau vent Apple, l’embarcation Gameloft va devoir totalement s’émanciper, se trouver un vrai écusson à coudre sur son pavillon, quitter les bords de la Seine et prendre pour de bon le grand large si elle veut rejoindre les côtes mythiques où s’affrontent déjà les géants du jeu vidéo.

François Bliss de la Boissière

Photo de Une © Bliss : Michel Guillemot et le nouveau logo Gameloft

(Publié le 11 mai 2010 sur Electron Libre)

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Game Room Microsoft : rien ne va (déjà) plus

Inauguré il y a tout juste un mois sur Xbox 360 et PC avec des petits problèmes techniques inattendus au sein de services en ligne Microsoft réputés exemplaires, le projet Game Room ne donne aucun significatif signe de vie autre que le licenciement des équipes y ayant contribué. GROS PLAN…

GameRoom Microsoft

Fusion sans honte du service Console Virtuelle de Nintendo qui permet de télécharger et jouer sur Wii à des jeux anciens, et du Home de Sony, où les avatars 3D des joueurs se rencontrent dans des espaces virtuels thématiques, façon Second Life sur PlayStation 3, la Game Room de Microsoft s’est révélée problématique dès les premières minutes de sa naissance fin mars. Bugs à l’allumage reconnus et plus ou moins corrigés depuis par Microsoft et, plus ennuyeux parce que durables, une accessibilité et une ergonomie des plus discutables pour un service qui se voulait convivial et tout public. Un mois plus tard, Microsoft ne donne aucune nouvelle franche sur son service, son fonctionnement, son taux de fréquentation, ses mises à jour et n’encourage guère, depuis son lancement, à télécharger l’application au-delà d’une newsletter envoyé aux abonnées Xbox Live mi avril. Un silence incongru un mois après le lancement d’un nouveau service à vocation populaire qui, en l’absence de traces et surtout de communiqués triomphants comme le milieu en a l’habitude quand tout se passe bien, laisse deviner un probable mini fiasco.

Silence, on ne tourne pas

Un échec présumé lors de ce premier acte manqué qui se rattrapera peut-être si Microsoft porte à bout de bras et contre vents et marées son projet, comme Sony continue vaillamment à entretenir un Home dont les médias parlent peu, qui a lui aussi fait flop au lancement fin 2008 et qui peine toujours à trouver ses marques et le large public envisagé. Le millier de jeux rétro promis d’ici trois ans sur la Game Room, à raison de 7 nouveaux titres par semaine, se résume pour l’instant à 30 titres laborieusement accessibles édités entre 1978 et 1987 par Atari, Intellivision et Konami. L’arrivée prévue de nouveaux titres fin avril a été repoussée sans date. En attendant de savoir jusqu’où Microsoft va pousser sa propre expérience, les seules nouvelles sérieuses en provenance de la Game Room se réduisent au licenciement d’une grande partie de l’équipe australienne ayant développé l’espace virtuel au nom de Microsoft. Après une première série de licenciements entrepris en novembre déjà par le studio australien Krome comprenant 400 personnes réparties en trois équipes dont celle de Brisbane travaillant en quasi exclusivité sur la Game Room pour Microsoft, entre 30 et 50 personnes parmi l’équipe de Brisbane auraient ainsi été remerciées cette semaine.

Mauvaises aptitudes

Selon un site spécialisé jeux vidéo australien, la mauvaise réception critique des derniers jeux conçus par Krome et ses équipes aurait conduit le groupement australien d’entreprises à la perte de la licence d’un prochain jeu Star Wars (The Force Unleashed 2) et à trop dépendre de fonds gouvernementaux en l’absence de liquidités. La raideur inattendue de l’espace Game Room et les problèmes techniques au lancement, et encore persistants selon des tests spécialisés, semblent correspondre aux aptitudes techniques bancales de l’équipe de développement. À prendre sous condition, plusieurs témoignages dans un forum de salariés, ou de personnes au courant de la situation, dénoncent des problèmes de management et de prises de décision au sein de Krome Studios. Comme beaucoup d’autres entreprises du jeu vidéo, celui-ci fait partie de ces équipes presque anonymes qui déclinent à la commande des versions multiplateformes de jeux créés par d’autres studios. Les équipes de Krome Studios ont ainsi développé des adaptations sans âmes de Viva Pinata (Rare), Spyro Le Dragon (Insomniac Games) ou de Star Wars The Clone Wars : Les Héros de la République (LucasArts). Et Microsoft leur a confié le développement de cette Game Room au coming out peu convaincant.

Les mystères de la dématérialisation

Assez inhabituellement sur un secteur de ventes dématérialisées peu ou pas documentées par les éditeurs et les développeurs, une étude externe crédite des ventes records dans la section dite « Arcade » du Xbox Live au mois de mars 2010. Selon ces estimations (que Microsoft ne veut confirmer ni dans un sens ni dans l’autre), boostée par une opération commerciale virtuelle baptisée House Party sur Xbox Live pendant le mois de mars, des jeux récents comme Toy Soldiers auraient été vendus et donc téléchargés 209 000 fois, et Perfect Dark, le remixe HD de la légende de la Nintendo 64, à 161 000 exemplaires. Loin derrière, des valeurs sûres tels Trials HD ou Battlefield 1943 s’écouleraient encore à 53 000 et 37 000 exemplaires. Le téléchargement, elle gratuite, de l’application Game Room se classerait juste après, mais sans chiffre de référence. Selon Microsoft tout de même, les activités en ligne de la Game Room (pas de parties en multijoueur mais des publications de scores et visites virtuelles des espaces entres « amis » connectés) se situerait au 20e rang derrière les batailleuses locomotives habituelles Halo, Call of Duty ou Battlefield.

À la dérive

Sans davantage donner de chiffres exacts, le dernier relevé officiel des ventes hebdomadaires des jeux sur Xbox Live du 19 avril place les ventes cumulées de parties de rétro jeux de la Game Room en 2e position derrière le jeu After Burner Climax de Sega. Au total, les téléchargements XBL auraient représentés 10,6 millions de $ en mars, soit une progression de 41 % par rapport à mars 2009. Au milieu de ce bouillonnement apparemment progressiste pourtant, la Game Room respire bien timidement sa nostalgie oldies. Encore balbutiante, elle dépend de mises à jour régulières dont on ignore l’utilité alors que le Game Pack 2 continue de se faire désirer « prochainement ». Avec la disparition d’une grande partie de sa famille d’adoption australienne et l’absence d’améliorations tangibles ou d’augmentation du catalogue dans les délais prévus, le nouveau né virtuel semble déjà souffrir de déréliction.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 30 avril 2010 sur Electron Libre)

 


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BIOSHOCK 2 : Aquabon ?

Faut-il ou non replonger dans Rapture ? Même en avançant avec humilité et respect, l’opportunisme mercantile peut-il reconditionner sans dommage une œuvre assez marquante pour mériter d’exister sans suite ? Faut-il cautionner une nouvelle descente en apnée dans un enfer unique tout juste maintenu à distance par les eaux de l’Océan ? En gros, Bioshock 2 nous fait-il boire la tasse et prendre les vessies d’une redite pour les lanternes d’un premier jeu brillant ?
 Bioshock 2
Phénomène totalement inhabituel, des développeurs américains jusqu’aux attachés de presse stagiaires délégués pour présenter le jeu, l’essentiel de la communication de Bioshock 2 s’est articulée sur le thème de la modestie. L’ordinaire de la communication du jeu vidéo à suite surjoue habituellement la surenchère. Uncharted 2, Assassin’s Creed 2 et Mass Effect 2 n’y ont récemment pas échappé. Leurs suites devaient corriger les « approximations » (aveux à postériori transformés en un nouvel argument de vente), améliorer les conditions de gameplay, décupler l’impact audiovisuel et tactile. Pas Bioshock 2.

Prenant le taureau par les cornes, l’éditeur 2K Games a préféré désamorcer en amont les procès d’intention. Rien n’égalera le premier jeu. La suite ne doit pas altérer le souvenir de l’original, ni brusquer son univers, ses appétences intellectuelles, ses codes esthétiques et interactifs. Rarement propagande aura pris autant de précaution à faire savoir qu’une suite ne cherchera pas à « faire mieux » et se contentera de prolonger un univers qui, sous entendu, ne nécessitait, « nous sommes tous d’accord », ni revisitation ni réhabilitation. Bioshock 2 a donc été conçu pour les fans du 1. Comprendre : ceux parmi les fans qui ne peuvent s’empêcher de réclamer une nouvelle casserole d’un plat qu’ils apprécient. Les autres fans, ceux qui pensent qu’un jeu vidéo devrait se suffire à lui-même comme un livre, une BD ou un film, ceux-là, devront s’incliner devant les fans affamés qu’il serait odieux de priver. L’éditeur vient d’annoncer que Bioshock 2 s’était déjà vendu à 3 millions d’exemplaires en un mois quand le premier Bioshock atteint un joli 4 millions en deux ans et demi de commercialisation. Si l’univers peut se réduire à une équation, nulle doute qu’un jeu vidéo peut se légitimer par une addition.

Recette salée
Sans tabou ni trompette mais avec quelques suspicions quand même, Bioshock 2 vient donc servir la soupe. Salée, toujours, puisque l’océan, plus présent que jamais autour d »une cité au bord de l’implosion, et le sang mêlé aux flaques d’essence, continuent de suinter et couler des sols craquelés aux plafonds fissurés. De choc il n’y a plus. L’onde du bang original fut néanmoins si forte que son écho rebondit encore sans effort des couloirs vitreux aux halls majestueux de la métropole engloutie. Une ville souvenir d’elle-même dans le premier jeu, une ville souvenir du premier jeu dans le deuxième. Assez littérale et forcément non préméditée, la mise en abîme fonctionne. Le scénario sonne juste aussi, bien qu’il se cogne aux logiques de gameplay. Ainsi, l’idée d’endosser le scaphandre d’un Big Daddy (Protecteur en VF) serait complètement bonne si elle avait joué le jeu jusqu’au bout de l’identification. Mais puisqu’il est impensable de laisser le joueur durablement enfermé dans la carapace 20 000 lieues sous les mers de gros gardes du corps, mahousse costauds mais lourdauds, et lents d’esprit, les injections de Plasmides et autres Fortifiants devront suffire à justifier qu’il bougeât très vite comme un athlète. Et donc trahir l’image et la pesanteur trainées par les intimidants Big Daddy de Bioshock 1.

Trivialités
Le Rapture d’Andrew Ryan se voulait un espace de liberté individuelle, mais Flèche pointeuse et portes verrouillées tracent un chemin rigide et sans finesse dans les ruines au bord de l’apoplexie finale. Le vagabondage architectural se justifie moins que le reniflage trivial des recoins. Par un mécanisme de transfert mental automatique, l’espace au fond plutôt vide, se densifie artificiellement avec la multitude de pseudos objets à collecter dans chaque coffre oublié, caisse enregistreuse, bars et autres planques. Et bien sûr, avec toujours le même mauvais goût qui empêche ce jeu vidéo, comme le premier, de s’élever vers la noblesse qu’il frôle, en dépouillant les cadavres d’humains mutants aux corps disloqués, brûlés, mitraillés, électrifiés… La brutalité physique s’impose toujours. Malgré la belle sélection d’armes et de pouvoirs, bien décrites, désignées et mises en scène, les combats font plus brouillons que jamais. Les adversaires aux capacités physiques variées, telles les nouvelles Grandes Soeurs, ne se déplacent pas en respectant des lois physiques que l’on peut appréhender ou anticiper. Ils sautent dans toutes les directions, s’éloignent ou s’approchent à des vélocités inattendues ou restent bêtement à portée de coups de crosse comme les maniaques suicidaires qu’ils sont. Le décor fracassé où le joueur ne peut jamais vraiment anticiper les distances, cachettes et surplombs, offre toujours aux adversaires l’avantage, même passé la surprise. Seules les plus habiles réussiront à jouer avec le décor plutôt que contre. L’outillage mécano-magique relativement sophistiqué ne conduit ainsi généralement qu’à des affrontements pratiqués à l’instinct, au réflexe. Des bagarres qui finissent, dans tous les cas, en carnages incontrôlables.

Pour et contre
Dès que l’on cesse de discutailler le bien fondé de cette suite, l’ensemble fait la blague. Surtout quand il se contente de décliner respectueusement l’univers original. Lorsque Bioshock 2 tente de s’envoler de quelques encablures inédites, l’absence de Ken Levine, le visionnaire à l’origine du premier choc, se fait sentir. Bonne idée sur le papier, les passages sous l’eau que permet le scaphandre du Big Daddy manque, par exemple, singulièrement d’envergure visuelle et matérielle. Les malignes récréations cérébrales des phases de piratages du premier Bioshock, ont été remplacées ici par un jeu de réflexe métronomique bien réducteur. Là encore, paraît-il, il s’agit de répondre aux réclamations des « fans ». Mais où s’exprime donc cette majorité qui impose ses lois appauvrissantes aux amateurs satisfaits et silencieux ? Assagis, les visages des Petites sœurs ont ainsi perdu l’étrangeté, digne mais franchement perturbée, du premier jeu. Ils sont lissés de toute aspérité subversive tout comme les moments originellement si importants où le joueur décide d’épargner la Petite Sœur ou de lui soutirer tout l’Adam quelle possède. Ces instants dramaturgiques cruciaux ont perdu tout impact. Ils reflètent une des grandes carences d’un jeu revu et corrigé pour plaire à un plus grand nombre encore : la mise en scène. Rien ne remplace ici l’introduction du premier jeu ni aucune des scènes poignantes de Bioshock 1. Si le contexte physique peut faire illusion, sa mise en situation tombe à plat.

Les larmes se perdent dans l’océan
L’éditeur 2K Games a bien de la chance. La richesse de l’univers visuel, auditif, et scénaristique du premier Bioshock a marqué si profondément qu’il entraine de facto un désir d’y retourner. A-t-on bien tout vu dans le premier épisode ? A-t-on tout compris d’une fiction aux ramifications complexes et au thème politique majeur ? C’est grâce à ce sentiment de jeu plus grand que sa condition qu’un Bioshock 2 trouve sa place. Dès les premières notes profondes du lancinant violoncelle, les craquements des vieux gramophones crachant de vieux tubes du début du XXe siècle ou des magnétophones où s’expriment cette fois des femmes à leur tour emportées par les folies de l’utopie Rapture *, tout un univers sensible se réactive. Le monde écroulé de Bioshock se nourrit d’un passé régurgité qu’un Bioshock 2 même fatigué n’a aucun mal à ruminer. Même en partie dévitalisée, la dimension artistique du jeu perdure et se laisse visiter, armes à la main bien sûr, comme une gigantesque galerie in situ. Assumons notre faiblesse collective pour les gouttes d’Adam et d’Eve qu’il reste à téter et laissons les Petites Sœurs orphelines se charger de sangloter sur l’autel du premier Bioshock.

* « Si le monde moderne avait été un de mes patients, j’aurais diagnostiqué un profil suicidaire… En cela, Andrew Ryan avait raison. Rapture… est une délivrance ». Sofia Lamb, politicienne et psychiatre qui a pris la place d’Andrew Ryan.

François Bliss de la Boissière

 


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Factice, la 3D d’Alice ne fait pas des merveilles

Devant la brusque conversion à la 3D de films déjà tournés en 2D, James Cameron avait prévenu : n’embrouillez pas le spectateur avec des effets de relief de mauvaise qualité parce qu’il ne saura pas si le problème provient des lunettes, de l’écran (cinéma ou à domicile), ou de l’utilisation du relief par les responsables du film. La 3D réalisée en postproduction d’Alice aux pays des merveilles actuellement en salle n’est ainsi pas sincère. MISE EN RELIEF…

Alice aux pays des Merveilles de Tim Burton

Malgré sa fougueuse campagne d’affichage et médiatique donnant rendez-vous, après Avatar, avec l’Alice au pays des Merveilles de Tim Burton en 3D, celui-ci n’a pas été tourné en relief. Pour sa première réalisation en majorité numérique, le réalisateur d’Edward aux Mains d’Argent a utilisé des caméras 35 mm et des caméras numériques haute définition mais aucune exploitant la technologie stéréoscopique à double objectif permettant d’enregistrer les images pour l’œil droit et l’œil gauche. La 3D d’Alice a été réalisée en post production, et cela se voit. Avatar, lui, a été conçu, filmé et projeté en relief. Et, sans forcément bien comprendre pourquoi, le public a massivement plébiscité le spectacle devant ses yeux.

Public bluffé

En tournée promotionnelle, le responsable des effets visuels du dernier stupéfiant délire de Tim Burton, Ken Balston, affirme que la 3D réalisée sur Alice en postproduction « est aussi bonne que celle d’un tournage original en 3D mais obtenu plus rapidement pour beaucoup moins cher ». Et les spectateurs, en effet, ne semblent pour l’instant y voir que du feu. Malgré une chute de fréquentation de 47 %, le film tient la tête du box office américain depuis 3 semaines avec 265,8 millions de $ de recettes (565,8 M$ dans le monde, le film vient seulement de sortir en France). Mais la satisfaction est-elle autant au rendez-vous ? L’arbre du design brillant de cette Alice revisitée par l’imagination visuelle sans limite de Burton, réussit-il aussi bien à cacher la forêt d’un film à la 3D artificielle ?

Une 3D avertie en vaut 2

Le public, jugera en son âme et conscience. Le critique, averti et capable d’identifier la gêne pendant la projection, devra refuser ce compromis bancal qui va propager, comme le dit Cameron, un relief de mauvaise qualité, qu’il qualifie de 2,8D « jamais aussi bonne que la vraie 3D ». Un relief bancal susceptible de provoquer un malaise vague aux spectateurs qui, à moins d’être prévenus, ne sauront pas en identifier la cause. Sous entendu, seront d’abord accusés les acteurs en première ligne, à savoir les salles de cinéma et les fabriquant d’écrans et de lecteurs de Blu-ray 3D. Bien avant le producteur et le réalisateur qui auront fait ce choix douteux. La projection d’Alice pourtant une heure plus courte que les 2h40 d’Avatar paraît plus longue et fatigue davantage les yeux. Les effets faciles de fête foraine – là aussi à la hauteur d’un cinéma n’exploitant le relief qu’en version parc d’attraction – avec de nombreux projectiles jetés vers les spectateurs signalent que la 3D d’Alice a bien été pensée pendant le tournage 2D, mais ne rend pas le spectacle ni le Wonderland fou fou fou de Tim Burton plus fluide, plus crédible ni aussi tangible que celui de Pandora d’Avatar. Les yeux semblent faire plus d’effort à la vision du film.

La leçon d’Avatar

Avatar a éduqué le spectateur. La profondeur de champ jamais prise en défaut du film de Cameron ne donne aucun doute sur l’effet fenêtre à la profondeur infinie que provoque la 3D. Trait caractéristique des films au relief conçu mécaniquement en post production, la profondeur de champ d’Alice existe à peine. Les personnages et les éléments de décors n’ont pas vraiment de volume. Ils se détachent, certes, de temps en temps les uns des autres, comme appartenant à des distances différentes. Mais leur volume n’est pas assuré. Ils évoquent ces décors de théâtre faisant appel à des planches de dessin placées les unes derrière les autres pour créer des effets de perspectives. Le plus souvent, décors et personnages plats se présentent comme des pancartes détachées les unes des autres. Une illusion de 3D qui ne passe plus depuis Avatar.

3D du pauvre

Les conversions tardives à la 3D du Choc des Titans de Louis Leterrier (7 avril), puis du Robin des Bois de Ridley Scott (19 mai et ouverture du festival de Cannes) n’offriront rien d’autres que cette 3D en parallaxe trompe l’œil. Un travail de post production au coût estimé (en baisse chaque jour) entre 7 et 5 millions de $ qui fait sourire quand on sait qu’une puce dans les écrans TVHD 3D comme ceux de Samsung, dans le commerce fin avril, sont déjà capables de créer artificiellement cet effet 3D à partir de n’importe quelle source 2D. Une 3D du pauvre qui permettra d’assouvir la curiosité et l’appétit du relief des earlys adopters mais qui ne saurait se substituer bien longtemps au relief conçu à la source. Les retransmissions sportives projetées en 3D dans des salles de cinéma en France comme la récente finale du Tournoi des 6 Nations puis bientôt sur des écrans plats, dans les pubs londoniens, grâce à la chaine dédiée de Sky TV 3D, ou à domicile aux USA avec les canaux sportifs en 3D de ESPN, participeront à l’éducation sensitive du public. James Cameron, toujours, mètre étalon en toutes choses ciné technique qui a récemment filmé en live et en 3D un concert de Black Eyed Peas à Times Square, le dit clairement : « Il faut 6 mois à un an pour faire correctement une conversion 3D en post production ». Décidé à la dernière minute, Le Choc des Titans n’a eu droit qu’à 8 semaines.

Situation d’urgence

Soyons optimiste. Cette 3D de rattrapage, cette 2,8D, existe à cause de la brutalité avec laquelle Hollywood bascule dans le relief. À part un Tarantino qui jure face au tsunami numérique préférer se donner la mort le jour où il ne pourra plus utiliser de pellicule (voir le final d’Inglorious Basterds pour comprendre le pouvoir quasi religieux qu’il accorde à la pellicule), et un Christopher Nolan qui a filmé au difficile format de pellicule IMAX (2D) son prochain Inception et ne trouve des limites d’un tournage en 3D que dans l’obligation d’utiliser des caméras vidéo numériques, comment douter que les prochains films originaux de Ridley Scott, Tim Burton et de tous les entertainers jonglant avec des gros budgets ne seront pas désormais tournés nativement en relief ? [1] Puisqu’il existe deux 3D, une vraie et une préfabriquée, pour être raisonnable et participer à l’éducation sensorielle du public il serait plus honnête que les distributeurs de films laissent savoir dans leur campagne d’affichage si un long métrage a été filmé en 3D stéréoscopique originale tel Coraline et Avatar, ou si la 3D a été réalisée grâce à un astucieux traitement informatique à postériori. Il serait malheureux que cela soit encore un public pris en otage qui doivent payer sans savoir, de sa poche et avec des migraines, la période de transition pendant laquelle Hollywood va chercher ses marques.

Au spectateur de trancher

La revisitation en relief va-t-elle s’imposer mieux et avec moins de procès en hérésie que la colorisation des films en noir et blanc sur les films antérieurs ? Les projets les plus discutables, ou les plus excitants vont en tous cas parvenir dans les salles ou jusqu’à nos écrans plats. Le remixe 3D concerne déjà les deux premiers Toy Story de chez Pixar, les Star Wars de George Lucas, et même le clip Thriller de Michael Jackson que son auteur John Landis verrait bien passer à la 3D. Comme d’habitude, devant tant de promesses de réjouissances high-tech, ce seront les votes des consommateurs qui décideront, à terme, du programme qu’Hollywood adoptera. À eux de lui donner le relief souhaité.

[1] Les projets de tournage en 3D ou de remixe 3D s’empilent, des séries A, B ou Z : reboot du héros Buck Rogers par le très inquiétant Paul W Anderson, Saw 3D… D’ici la fin de l’année Warner aura sorti 10 films en 3D et en prévoit 9 en 2011. Les deux derniers épisodes d’Harry Potter (et les reliques de la mort) sortiront en 3D. Les prochains Superman et Batman seront également concernés comme tous les films de super héros. Spider-Man 4 (un reboot de la série sans l’équipe précédente), c’est sûr, sera tourné en 3D pour une sortie le 3 juillet 2012. Parmi les remixes 2D > 3D plus ou moins pertinents d’anciens films ou de nouveaux : les Star Wars et Toy Story, puis 300 (dont la suite envisagée, Xerxes, pourrait fort bien se concrétiser directement en 3D). Mais là encore, il faudra guetter le travail de James Cameron lui-même sur un upgrade 3D de son Titanic prévu aux alentours du printemps 2012 et du centenaire du naufrage du bateau.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 27 mars 2010 sur Electron Libre)

 


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DSi XL : Nintendo essaie de voir grand

Ce week-end en France, Nintendo lance une version géante de sa console à double écran. Une DSi XL qui aurait avalé, comme Mario, un champignon décuplant sa taille et ses capacités. Une affiche publicitaire joue ce clin d’œil gamer et contourne ainsi tout blabla technophile. Plus grande, donc plus efficace, devra suffire comme message. Et tant pis si on ne sait pas vraiment à qui s’adresse ce produit king size d’une autre époque. GROS PLAN…

DSi XL

Vraiment comme Apple, le business modèle hardware de Nintendo fonctionne dans une logique autonome. Les deux entreprises se créent pratiquement ex nihilo des marchés que les autres entreprises n’imaginent pas. Des modèles écono-créatifs, des écosystèmes si efficaces que tous les challengers-copieurs s’y écrasent à postériori comme un insecte sur le pare-brise d’une voiture lancée sur une voie unique. Les concurrents à la Game Boy Advance furent nombreux à échouer. La PlayStation Portable existe et se vend (56 millions/monde) dans l’ombre de la DS toujours vedette. Nintendo s’est succédé à lui-même avec la console Dual Screen dont les 3 modèles déclinés en six ans se sont vendus à 125 millions d’exemplaires faisant de la DS la console la plus répandue dans le monde derrière la PlayStation 2 qui vient de fêter ses 10 ans et 140 millions vendues.

Effet de loupe

L’upgrade de la DSi Xl n’est cependant que cosmétique. Processeurs et résolutions d’écrans (256×192 pixels) restent identiques. L’écran original de 3,25’ passe à 4,2’, la dimension générale de 13,7 cm à 16,1 cm et le poids de 214g à 314g. Seule amélioration technique tangible, moyennant 3h au lieu de 2h30 de charge, la batterie de la DSi XL doit tenir 13 à 17h contre 9 à 14 h pour la DSi (en mode éclairage réduit). Nintendo fournit ainsi ouvertement tous les chiffres comparatifs. Mais ils ne disent pas tout. Entre les mains la DSi XL se révèle un monstre, une aberration par rapport à la miniaturisation des appareils électroniques. Au point que l’engin ne peut sérieusement pas envisager une vie de console itinérante. Ce n’est d’ailleurs pas sa vocation puisque Nintendo la décrit comme une « console portable de salon ». Elle vise les jeux familiaux à plusieurs avec la console posée sur une table, et les adultes, pour ne pas dire séniors, plus à l’aise avec des écrans plus grands.

Réalisme social

Le premier réflexe serait de voir dans cette DSi extra large une opportuniste concurrente à l’iPad qui vient dangereusement jouer sur son terrain du jeu mobile. La DSi XL est en réalité vendue depuis novembre 2009 au Japon, bien avant l’annonce de l’iPad. Et le projet d’une DS géante circule depuis plusieurs années dans les labos de R&D de Nintendo qui attendait juste le bon moment pour la commercialiser. Le bon timing, c’est à dire celui que Nintendo estime, comme Apple, par rapport à sa propre clientèle, ses propres courbes de vente et sa force de pénétration de marché. Et non par rapport à la concurrence. Rétrograde au premier abord, la géante DSi XL peut faire ricaner ou laisser sceptique. Comme l’iPad dont une majorité ne voit pas l’intérêt. En réalité il s’agit là de sauts dans le vide. Ces produits sont lancés sans référents et n’utilisent comme tremplin que le savoir-faire et l’instinct socio-industriel de l’une et l’autre entreprise.

Populisme haut de gamme

Vendue 180 €, 20 € de plus que la DSi standard, le modèle géant de DSi, comme la Wii, n’embarque plus aucune technologie coûteuse. Non seulement Nintendo ne perd pas d’argent avec chaque console vendue comme nombre de ses concurrents, Sony en particulier, mais en gagne dans les grandes largeurs. Ce que les technophiles savent et calculent avant d’acheter ou de rejeter un produit « high-tech », le grand public l’ignore et base son achat, dans le cas de Nintendo, à partir d’une côte de popularité contagieuse. Toute l’intelligence de Nintendo consiste à entretenir et faire payer ce sentiment haut de gamme populaire. Populiste, Nintendo appâte néanmoins sans tromper sur la marchandise. Si le matériau brut ne vaut plus son prix aujourd’hui, l’ergonomie de ses consoles et l’accessibilité tout terrain tout public n’ont pas de prix. Les millions de la concurrence cherchent encore le vocabulaire d’un langage ludo-interactif aussi universel. Telle une crème anti rides, une lotion adoucissante aux vertus magiques, l’ergonomie effacée des produits Nintendo renvoie à chaque utilisateur l’impression flatteuse d’être maître de son jeu.

Alternatives XL

Coincée chez soi, l’imposante et peu engageante DSi XL va permettre d’enfin se perdre sur les terres d’Hyrule du dernier Zelda, de décrypter les énigmes de l’adorable Professeur Layton, de lire sans effort les livres de la cartouche 100 Livres Classiques disponible ce jour. Et tant pis si la nouvelle surface rêche de la console irrite comme l’image agrandie devenue rugueuse ou anguleuse, et si, quitte à entériner le confort du jeu chez soi, Nintendo aurait pu préférer à la DSi XL un accessoire à la Game Boy Player qui permettait de jouer aux jeux Game Boy sur son écran de télé en passant par la GameCube. Ou, mieux encore aujourd’hui, de récupérer par la boutique en ligne Wii les jeux DS de façon à les jouer sur son écran plat.

L’eau qui dort

Peu d’observateurs avisés ou attitrés ont vu venir les succès colossaux de la DS, de la Wii, pas plus que de l’iPod ou de l’iPhone. Diagnostiqué agonisant au début des années 2000, Nintendo a fait le nécessaire pour aller chercher un public qui ignorait son appétit pour le jeu vidéo. L’anachronique DSi XL a la même vocation. Il faut laisser le bénéfice du doute au géant de Kyoto qui doit voir dans la population un besoin larvé. Déjà il devient difficile de revenir aux petits écrans de la DSi pour jouer. Et rien ne fait ici obstruction à la naissance d’une DS 2, dont on ne sait rien, avant la fin de l’année. Méfions-nous de la stratégie de l’humble. Pour voir grand, Nintendo commence toujours par jouer petit.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 6 mars 2010 sur Electron Libre)

 


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Daniel Ichbiah : « Steve Jobs est insupportable. Mais avec l’iPad, il a créé l’appareil universel »

Biographe, auteur de nombreux ouvrages sur la musique, les nouvelles technologies et le jeu vidéo, éditorialiste au mensuel SVM Mac pendant plusieurs années, Daniel Ichbiah publie une biographie express de Steve Jobs qui inaugure une nouvelle collection de petits livres didactiques vendus en kiosque faisant le tour d’un sujet en « 52mn ». L’occasion de faire le point sur le gourou d’Apple, sur les i de iPad et jeux vidéo. INTERVIEW…

Daniel Ichbiah

Bliss : Vous qualifiez le Macintosh, l’iPod ou l’iPhone de « légendes », voire même d’ »œuvres »… Ces termes ne sont-ils pas un peu forts pour des produits de consommation, des utilitaires numériques éphémères par nature, aussi brillants soient-ils ?

Daniel Ichbiah : Si on compare le tout premier Macintosh sorti en 1984 avec les micro-ordinateurs de l’époque, le Commodore 64, le TRS-80 de Tandy…, la différence d’approche était totale. D’un côté il y avait des produits fonctionnels, comme l’IBM PC bien sûr, et de l’autre un objet conçu avec un sens de l’esthétique. Je n’arrive même pas à utiliser le mot « produit ». Quand on parle avec des programmeurs du Macintosh, on voit qu’il s’est dégagé une véritable intelligence dans la façon dont les programmes communiquaient entre eux, ou même le matériel. On peut vraiment parler d’une œuvre pour l’iPod. Il a été frappant dès le départ de remarquer qu’il s’agit là d’un objet impossible à brusquer. La molette est tellement souple qu’on se sent obligé d’être doux avec. Il a un côté zen. Depuis que le Mac peut lancer Windows, on voit des gens équipés des deux machines, PC et Macintosh. Et alors que le PC est traité comme un produit sans soin particulier, le Mac en revanche est placé dans une armoire, recouvert d’une petite laine (rires). L’iPod a créé un attachement qu’il n’y a pas d’habitude sur les objets de consommation. Avec Apple Steve Jobs a réussi à créer des objets qui ressemblent à des œuvres. Pour imposer ses choix Jobs est souvent allé à contre-courant, y compris en interne. Il se bat contre les gens du marketing. Il ne réfléchit pas en produit, ou en terme de marketing ou de recherche de ce qui a marché. Il a plutôt une vision d’artiste. Jobs a eu par exemple le flair d’aller dénicher Jonathan Ive (designer responsable du look des produits Apple depuis 1996, ndr), un artiste. Quand les journalistes lui avaient demandé s’il avait fait une étude de marché au moment de lancer le Macintosh, Jobs avait répondu : « Est-ce que vous croyez que Graham Bell a fait une étude de marché avant d’inventer le téléphone ? ». Est-ce que Léonard de Vinci a fait une enquête avant de peindre la Joconde ? Les premières équipes autour du Macintosh avaient été élevées dans l’idéologie hippie des années 70. En lançant le Macintosh ils affrontaient IBM, le « Big Brother » d’alors. On le voit dans le clip de lancement du Macintosh en 1984. Steve Jobs a réussi à garder cet état d’esprit, il se bat en permanence contre son conseil d’administration. Pendant son absence de chez Apple (entre 1985 et 1997, ndr), le niveau du Macintosh a baissé. C’est quand il est revenu en 1997 qu’il y a eu l’iMac, l’iPod. Il a une position extrêmement rare, pratiquement unique, il arrive à imposer un produit avec sa personnalité, simplement parce que ça lui plait.

Bliss : Steve Jobs apparait comme un homme peu amène ayant un caractère difficile au quotidien, presque un caractériel, pourtant il séduit à chacune de ses apparitions publiques, même hyper calibrées. Comment ces deux extrêmes peuvent-ils cohabiter ?

Daniel Ichbiah : Pour comprendre cette personnalité il faut faire le parallèle avec d’autres personnalités, comme Bob Dylan ou Picasso, ou même James Cameron. Ce sont des types pour qui l’œuvre devient une fin en soi. Comme dans le film Les révoltés du Bounty, le capitaine est prêt à sacrifier la santé de son équipage pour ramener une plante de l’île. Jobs a un petit peu ce penchant. Tout devait être fait pour que l’iPhone sorte en juin 2007, tant pis si les employés ne dorment pas, etc. Il est insupportable en privé. Mais tout comme Bob Dylan, ou Picasso, apparemment aussi insupportables dans leur vie privée. Ses collaborateurs à l’époque de NeXT expliquent que sa première réaction devant un projet consiste à dire que c’est mauvais. Alors ils ont pris l’habitude de commencer par lui faire des propositions sans intérêt qu’il puisse rejeter avant de lui présenter le vrai projet. Il est insupportable mais en même temps, pour beaucoup de gens il s’agit de travailler avec une légende. Bill Gates que je connais aussi assez bien (Ichbiah en a retracé la saga dans un livre en 1995, ndr) a également ce côté insupportable. Il va voir ses développeurs pour discuter aimablement avec eux tout en étant capable de leur faire remarquer que ce qu’ils disent est stupide. Les gens sortent complètement anéantis d’une réunion avec Gates. Ou avec Steve Jobs.

Paranoïa

Bliss : Depuis quand Steve Jobs n’est-il plus vraiment accessible, qu’il évolue dans une bulle ?

Daniel Ichbiah : Depuis son retour aux commandes en 1997 je pense. Il a donné quelques interviews mais il a développé le culte du secret devenu à la mode comme chez Google. Il a une paranoïa absolue sur les produits. Même les gens d’Apple n’osent pas discuter, ils ont l’impression qu’ils peuvent sauter pour un rien. Ce culte du secret est une arme pour beaucoup de ces sociétés. Elle entretient la paranoïa chez les concurrents.

Bliss : Si l’on peut comprendre la nécessité du secret industriel pour une entreprise, en quoi est-ce nécessaire que le PDG devienne lui-même l’objet du mystère ?

Daniel Ichbiah : Steve Jobs a déjà un mode de vie très particulier, voire étrange. Il n’a pas spécialement envie de mettre le projecteur sur lui. Quand il a eu son cancer, il a voulu se soigner par une médication alimentaire. Chez lui il y a très peu de meubles. Je cite souvent Bob Dylan (et Steve Jobs aussi en illustration musicale lors de ses conférences, ndr), parce que comme lui, il en a vraiment rien à faire qu’on l’aime ou ou pas. C’est la marque de certains grands artistes. Bill Gates avait ça aussi, je l’ai vu envoyer promener sans regret des journalistes.

Bliss : Vous n’avez pas pu inclure toutes les anecdotes souhaitées dans votre mini biographie sur Steve Jobs. Quelles sont celles que vous regrettez le plus ?

Daniel Ichbiah : Un jour, lors d’un Apple Expo, Jobs arrive devant le stand Sony où il voit un lecteur MP3 en vente et il demande à ce que le produit soit immédiatement retiré de l’étalage. Il s’agit de Sony quand même (rires) ! C’est assez révélateur de son état d’esprit.

Bliss : Suite au gigantesque succès de l’iPod puis de l’iPhone, la cagnotte d’Apple commence à se rapprocher de celle de Microsoft. Steve Jobs peut-il succéder à Bill Gates à la position d’homme le plus riche du monde ?

Daniel Ichbiah :  Je ne pense pas. Les revenus de Microsoft sont alimentés par d’autres sociétés qui travaillent pour elle. Dell, Hewlett Packard, Asus, etc, vendent Windows et versent des royalties. Microsoft a un revenu automatique. C’est une théorie que je développe dans mon livre sur Google (Comment Google mangera le monde, 2007, ndr). Beaucoup de sociétés rêvent d’un revenu automatique. Les millions de PC vendus avec Windows rapportent automatiquement des milliards de dollars chaque année à Microsoft. En 1995 Apple avait commencé à autoriser la commercialisation de clones du Macintosh et vendait Mac OS X à des sociétés tierces. Mais Jobs a complètement fermé le marché des clones dès son retour chez Apple en 97. S’ils avaient continué les clones, Apple aurait sans doute pu se générer des « revenus automatiques ».

Disparition de l’ordinateur

Bliss : Lors de la présentation de l’iPad, Steve Jobs a déclaré qu’Apple était désormais une entreprise faisant des produits mobiles. Ce basculement n’a sans doute pas été prémédité mais semble désormais assumé. Quel avenir pour les gammes d’ordinateurs de bureau ?

Daniel Ichbiah : Apple conçoit encore des produits comme le Mac Mini qui sont bien pratiques. Mais la taille des ordinateurs se réduit, leur mobilité s’accroit. La mobilité touche toutes les sociétés, autant Dell, HP qu’Apple. Je pense que Jobs doit apprécier les objets mobiles parce qu’il est peu attaché aux objets en tant qu’objet. Chez lui c’est assez dépouillé. J’imagine que l’iPad est un produit qui lui ressemble bien, assez proche de sa philosophie. La réduction de taille des ordinateurs est une mutation où l’objet physique perd son importance. Peut-être même qu’un jour il n’y aura plus besoin d’un ordinateur chez soi. Je pense que tôt ou tard tous les ordinateurs pourront devenir interchangeables.

Bliss : Assez typiquement, le projet iPad semble avoir convaincu les fidèles de la marque et laissé sceptique les autres. Quel type de succès imaginez-vous pour l’iPad et, notamment, quelle utilisation pourrait devenir la plus populaire selon-vous ? Le jeu vidéo, les livres, la presse, Internet tout simplement ?

Daniel Ichbiah : J’ai plutôt vu des enquêtes où 80 % des internautes étaient prêts à en acheter un ! Je suis assez étonné des réactions anti iPad. Je pense que c’est un objet d’une intelligence incroyable. L’iPad fait d’une pierre trois coups. Il prend le marché devenu important de l’Asus PC, il prend le marché des livres électroniques comme le Kindle d’Amazon, et c’est aussi un pavé énorme dans la marre de la console DS de Nintendo. Comme vous le savez, la DS est la console la plus vendue de tous les temps. Hors, là, Apple offre un système de jeux tactiles avec un écran beaucoup plus vaste. Et quand on voit le catalogue de jeux de l’iPod qui seront forcément réadaptés à l’iPad… Je pense que Jobs a fait l’appareil universel. Tous les usages vont s’y croiser. Le livre électronique va se développer très vite. Pour beaucoup d’adultes ce sera un usage plus bureautique, l’usage de consultation du web et du mail, etc. Difficile de dire quel usage va s’imposer le plus. Les trois catégories d’utilisateurs vont se cumuler. Il est quand même possible que l’iPad devienne la console portable n°1. Nintendo va devoir se mettre à niveau, au-delà de sa DSi XL avec ses écrans légèrement plus grands.

Bliss :  Vous avez récemment publié la 4e version augmentée de votre Saga des Jeux vidéo (publiée la première fois en 1997 sous le titre plus poétique : Bâtisseurs de rêves, ndr). En quelques mots, que pensez-vous de l’évolution du jeu vidéo ? Progresse-t-il comme on aurait pu s’y attendre ou avance-t-il encore et toujours en terra incognita ?

Daniel Ichbiah :  Vaste question. Le marché est devenu beaucoup plus prévisible que dans les années 80-90. Depuis une dizaine d’années on ne voit plus tellement apparaître de nouveaux types de jeux. L’industrie fonctionne par séries désormais. Chaque année on attend le jeu de football ou les courses automobiles encore plus précis, les déclinaisons des films qui sortent. Le jeu vidéo est devenu beaucoup plus prévisible et moins aventureux qu’à l’époque où naissaient les Sim City, les Doom… Il y a encore des accidents comme Les Lapins Crétins qui étaient des minis jeux dans un jeu Rayman lancés très vite pour accompagner la Wii et qui ont fait un triomphe au point de devenir des jeux à part entière. Le projet Natal sera peut-être intéressant. Mais un jeu ce n’est pas seulement son interface, souris, manette, Wiimote, ou son corps. Il faut un contenu et c’est peut-être pour ça que la Wii arrive un peu au bout. Ce n’est pas l’interface qui fait le jeu c’est le jeu qui fait le jeu. Je ne sais pas comment cela va évoluer dans les prochaines années mais je crois que les lieux de jeux vont se développer dans la maison. La technologie va permettre d’avoir l’impression de s’immerger dans un décor à 360°, de se battre avec des aliens ou de se balader dans la jungle chez soi. On pourrait très bien avoir une pièce entière, un cube, ou une sphère dans laquelle se déplacer. Peut-être à l’horizon 20-30 ans…

Propos recueillis par François Bliss de la Boissière

(Publié le 3 mars 2010 sur Electron Libre)

 


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HEAVY RAIN : En quête d’hauteur

En 2008, l’existence risquée de Mirror’s Edge dans un contexte jeu vidéo au fond très conservateur avait conduit à militer pour son audace et à le qualifier de « jeu indispensable ». Heavy Rain fait partie des jeux de cette trempe. Que l’on aime ou pas, ou plutôt, que l’on saisisse ou pas ce qu’il veut véhiculer ou transformer dans le jeu vidéo, il devait exister et son message interactif doit être encouragé.

Heavy Rain

Comme son jeu à mi parcours du loisir interactif et du spectacle cinématographique, son auteur David Cage avance sur le fil du rasoir. Aimer le médium jeu vidéo au point de vouloir le transformer contre lui-même et les attentes d’un public à la passion fébrile, et donc de dénoncer ses limites, relève de l’exercice kamikaze. Un simple critique habitué au pilori public numérique le sait déjà. Embarqué dans le même diagnostique, un « créateur » de jeu comme Cage a le mérite d’aller plus loin et de jouer sa chemise et quatre ans de sa vie pour le démontrer. Il concrétise sa critique théorique avec une proposition interactive qui porte en elle le message. Comme un dessin ou une musique, un jeu vidéo peut valoir tous les discours. L’atypie d’Heavy Rain par rapport aux habitudes du jeu vidéo montre par l’exemple ce qu’il est possible d’imaginer. Oui, hurle chaque goutte de pluie d’Heavy Rain, il est autorisé de faire un jeu au rythme tranquille, sans hystérie gratuite, sans obligation de répéter ad vitam nauseam les mêmes gestes, sans combos, sans game over. Le message passe très vite au cerveau et dans les doigts du joueur quand il rate trois fois de suite le geste demandé pour aider la compagne du premier personnage à porter les commissions au début de l’histoire. L’épouse se détourne naturellement de son mari en soupirant de sa maladresse, et le joueur de se retrouver, comme le personnage virtuel, piteux de ne pas avoir réussi ce minimum de galanterie. Dans un ensemble assez bien équilibré de conventions stéréotypées de la vie de tous les jours, de mise en scène entre cinéma et télé réalité, et de respiration sonore et musicale qui surjoue ce que les personnages de polygones ne peuvent encore tout à fait exprimer, Heavy Rain arrive à entrainer le joueur, au sens large, sur un territoire qu’il n’a pas encore visité.

Héritages

Exorcisons les reproches faciles. Bien sûr les histoires à choix multiples existent au moins depuis Dragon’s Lair, les QTE depuis Shenmue, puis Resident Evil 4, et les QTE combos depuis God of War. Évidemment, les pulsions sanguines de la musique à la Se7en, les typos flottantes dans le décor du générique façon Panic Room, puis l’obsession serial killer, font planer l’ombre de David Fincher sur nombre d’éléments cinématographiques d’Heavy Rain. Du côté jeu, la mélancolie et le voyage introspectif des pères et maris de Silent Hill 1 et 2 à la recherche de leur fille ou de leur femme ont aussi beaucoup marqué l’auteur. Jusqu’à la contemplation désolée du reflet dans le miroir… Et Heavy Rain, ses splits screens, ses étranges demandes d’action en temps réel descendent de Fahrenheit, le précédent jeu de Quantic Dream. Les emprunts se voient, et alors ? Cage se dédouane avec une lapalissade. Tout art découle des précédents, le cinéma a emprunté au théâtre, à la photographie… Le jeu vidéo a le droit d’emprunter à ses prédécesseurs. Les enfants miment les parents jusqu’à trouver leur propre personnalité. En tant que moyen d’expression le jeu vidéo étant toujours dans l’adolescence, quoi de plus naturel. La difficulté dans un projet ambitieux comme Heavy Rain étant évidemment de trouver la bonne distance entre influences culturelles constitutives et citations trop littérales. Une observation fragmentaire à la loupe du jeu peut révéler de nombreux copiés/collés mais pris comme un tout, Heavy Rain est bel et bien une entité pleine, autonome, et artistiquement légitime.

Jouer avec

Heavy Rain joue donc à faire du cinéma. Mais contrairement aux interminables et lourdingues impositions de cinématiques non interactives d’un Metal Gear Solid, voire même les Assassin’s Creed, le jeu n’immobilise pas le joueur. Il y a, de fait, des moments où l’histoire avance toute seule, sans intervention tactile du joueur. Mais le savoir-faire du jeu et la qualité interne de son rythme font passer inaperçus ces courts moments là. Car la réussite de la réalisation tient à la charge émotionnelle que le joueur finit progressivement par accumuler. Il devient presque aussi indispensable, voire plus, de savoir ce qu’il va se passer ensuite plutôt que de réussir la prochaine action. Et ce malgré de grosses ficelles mélodramatiques. Cage et son équipe ont trouvé un singulier milieu d’intérêt concerné entre passivité et interaction. L’inaction se vit bien parce qu’elle reste porteuse d’intensité. De son côté, et sans que l’on ressente un va et vient artificiel, l’interactivité qui provoque volontairement des ratages, s’accepte parce qu’elle enchaine toujours sur un morceau d’histoire cohérent et des comportements humains relativement crédibles au sein de la fiction.

Pause et pose

Contrairement à un film qui entraine le spectateur dans son inexorable emballement, le jeu vidéo permet à son utilisateur, un peu comme un lecteur de bande dessinée, de choisir son rythme sans interrompre le programme, sa « magie ». Les protagonistes d’Heavy Rain peuvent à volonté regarder par la fenêtre, s’assoir et réfléchir. Avec une caméra toujours instable induisant, selon les situations et l’interprétation subjective, curiosité, paranoïa ou empathie, à travers les regards imaginaires d’un voyeur, d’un espion hors champ ou, plus pénétrant encore, d’un méta point de vue plus ou moins objectif, on regarde ici les personnages penser. Hérésie pour les adeptes du jeu vidéo frénétique de naissance, avancée culturelle pour ceux qui ont vu dans le lointain Myst et ses suites une fusion exceptionnelle du récit explicite et implicite grâce à ses touches interactives chirurgicales.

Abstractions interactives

Les audaces conceptuelles et tactiles d’Heavy Rain brillent autant parce qu’elles font exploser plusieurs bulles de conventions du jeu vidéo prisonnier de lui-même. Bien amenées, des situations ordinaires comme se raser sans se couper, faire cuire une omelette pour une invitée en détresse, regarder un petit garçon triste faire ses devoirs, ou essayer en vain de le distraire en l’entrainant vers la balançoire ou un manège, peuvent générer plus d’intensité dramatique que tous les affrontements intergalactiques. La fascination provoquée par les énormes gros plans des visages animés en guise de salle d’attente entre deux chapitres ne s’épuise pas avant la fin de l’aventure parce qu’ils imposent une humanité troublante derrière leur étrangeté polygonale. Comme les séries TV US modernes, la narration chapitrée ose les ellipses de façon à laisser des moments en suspens, des petits trous narratifs qui occupent et déconcertent le joueur malgré lui. C’est grâce à cela que les énigmes puzzles plus ou moins bateau des enquêtes croisées se vivent avant tout à travers le parcours émotionnel des uns et des autres et non le déroulé arithmétique des indices. Le rébus général cherche au fond le diagramme d’un damier émotionnel. En attendant, sans doute, de trouver un échiquier plus complexe et subtil.

Le final cut moebius

Les rares scènes d’action violente où un personnage peut vraiment mourir au sein de l’histoire, et ne plus appartenir au récit qui va continuer, génèrent de fascinantes et inédites émotions. Le jeu touchant là de nouvelles strates psycho-cognitives, l’impact sur le participant ne sera pas décryptable du jour au lendemain. David Cage a beau rationnaliser à longueur d’interviews, il y a évidemment ici des choix de game design, de situations et de déclinaisons narratives qui relèvent plus de l’instinct que de la raison. Long à s’afficher parce que enregistrant le parcours singulier du joueur à travers l’histoire, le superbe et malin générique final, alors personnalisé, affiche d’une manière énergique des bribes de récit non croisés par le joueur. Une incitation futée à revivre l’aventure qui vaut bien tous les scores chiffrés du monde. Petit frère d’Avatar sur bien des points – avancées techniques et performance capture en première ligne – à moins d’un miracle, Heavy Rain, ne changera pas du jour au lendemain l’industrie du jeu vidéo comme le film de James Cameron vient de bousculer le monde du cinéma. Mais il a le potentiel de changer le regard que le monde porte sur le jeu vidéo. À chacun sa révolution.

François Bliss de la Boissière

 


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Le vrai moteur du jeu vidéo : une créativité déchaînée

En ce début 2010, joueurs ou observateurs attentifs peuvent prendre la pleine mesure d’un loisir interactif habité par une vitalité créative peu commune. Coup sur coup, dans des registres bien différents, le Bayonetta japonais, le Bioshock 2 américain, le Mass Effect 2 canadien et le Heavy Rain français déploient un savoir faire et une puissance d’évocation exceptionnelles. Le jeu vidéo a encore beaucoup à dire au-delà de son agitation. IMMERSIONS…

Heavy Rain Quantic Dream

Si, d’un point de vue économique, l’industrie du jeu vidéo fléchit à son tour et oblige les leaders du secteur à se réorganiser, le nerf de la guerre du jeu vidéo, c’est à dire son intarissable puits de créativité, continue d’alimenter en créatine un grand corps, en surface, un peu malade mais en réalité habité par une fièvre de jeunesse. Car du haut de sa trentaine d’années, les toussotements chroniques du jeu vidéo ne sont que les symptômes d’une crise de croissance toujours en cours. Même s’il inonde le marché de productions techniquement abouties et vient concurrencer les loisirs déjà en place, le jeu vidéo est encore et toujours à l’école. Il se cherche encore une vocation, un but, voire même un genre. Depuis la révélation de la Wii et de la DS, le jeu vidéo ne sait par exemple plus s’il est masculin ou féminin, adulte ou infantile, distraction ou service, défouloir ou éducatif. En trois ans à peine, le jeu vidéo déjà sans définition a embrouillé ses repères socioculturels, ses quelques certitudes commerciales. Les services marketings en perdent leur latin d’HEC. Le rayon jeu vidéo désormais occupé par une population familiale touristique, les gamers se sont vus requalifiés en hardcore gamers. Un terme peu flatteur, entre geek asocial et passionné obsessionnel et, au bout de l’étiquette, amateurs de jeux violents. Insaisissables en dehors de la culture jeu elle-même, les trois plus gros succès contemporains que sont World of Warcraft, Grand Theft Auto IV, Call of Duty : Modern Warfare 2 confortent ce statut de bande à part. Pourtant, même s’il semble parfois en voie de disparition, c’est dans ce vivier de productions visant encore les gamers traditionnels que le jeu vidéo exploite tout son potentiel technique et artistique.

Élites de masses

Les quatre jeux qui sortent du lot en ce début d’année appartiennent à cette dernière catégorie. Fondamentalement, parce qu’ils demandent un effort conséquent et font appel à un ensemble de conventions, ils ne sont lisibles et préhensibles que par les hardcore gamers. Dans un mélange flamboyant de technologies interactives et d’irruptions artistiques ils brillent pourtant au-delà du cercle d’initiés. Au premier abord le film Avatar de James Cameron s’adresse lui aussi à une population de geeks nourrie de S-F et de cybermonde. Et pourtant, sans renier son fond, le film a réussi à toucher la planète entière. Le jeu vidéo porte aussi ce potentiel et la formule qui le fera passer de phénomène réservé à spectacle universel ne dépend plus maintenant que d’un bon concours de circonstances, ou d’une approche inédite.

Heavy Rain, enfin une éclaircie

Le français David Cage (Fahrenheit) en est si convaincu qu’il a mis pendant quatre ans toute son énergie à créer un Heavy Rain à mi chemin du jeu vidéo et du cinéma susceptible de réunir les deux publics. Le suspens narratif de l’instant comme de l’ensemble, le montage et le jeu sérieux des acteurs légitiment le récit et happent même le spectateur passif. Manette en mains, les sollicitations interactives inhabituellement distillées créent un lien nouveau entre le joueur et les différents personnages qu’il contrôle à tour de rôle. Derrière le rideau de pluie d’Heavy Rain se cache à peine un auteur qui cherche à faire grandir le joueur en lui imposant une palette d’émotions, simpliste dans un film, mais inusitée dans un jeu vidéo. Du début à la fin l’expérience Heavy Rain ne ressemble à aucune autre et réussit dans le jeu vidéo, ce qu’Avatar a réussi dans le cinéma : ouvrir un nouvel horizon, émotionnel pour l’un, technologique pour l’autre.

Bayonetta, jeu vidéo fractal

Fou, hystérique, porteur de sa propre hybridation, le Bayonetta du créatif japonais Hideki Kamiya (Devil May Cry, Okami…) vient lui aussi donner des leçons. Jeu de combat morphant en jeu de danse, ou l’inverse, croulant sous les idées visuelles, Bayonetta joue au moins triple jeu. Il donne à jouer aux forcenés de la manette tout en se moquant de sa propre dynamique. Ivres d’eux-mêmes, polymorphes, le système de jeu et son héroïne sexy castratrice s’étranglent et s’étouffent sous les giclées de matières virtuelles. Le jeu absorbe tous les fondamentaux du beat’em all et du hack’n slash pour les recracher en un mash-up interactif qui ne laisse aucune place à un descendant. Esthète et vulgaire, volontairement incorrigible, Bayonetta provoque et irrite autant qu’il épate et affirme. L’excès vaut ici commentaire sur le médium qui lui donne vie. Au point de, peut-être, entériner la fin d’un cycle créatif d’une scène japonaise en mal de renouvellement.

Bioshock 2, Mass Effect 2, les mots pour le dire

Quand le jeu vidéo s’est mis à parler, le pire était à entendre. Malgré le gigantisme de leurs constructions architecturales, une cité engloutie sous l’océan dans l’un, des citadelles dans l’espace pour l’autre, les deux énormes suites aux premiers Bioshock et Mass Effect s’entretiennent par le verbe. Est-ce parce qu’ils se promènent enfermés dans des carapaces protectrices devenus caissons d’isolation sensoriel officieux – un scaphandre Jules Vernien pour le « Big Daddy » de l’un, une armure high-tech pour le commandant de vaisseau spatial de l’autre – que les héros de Bioshock et Mass Effect doivent suivre leur histoire à travers autant de messages audio off ? Quelles que soient les séquences d’action, le jeu brut ici ne se suffit ainsi plus à lui-même. Il se cherche un sens, un contexte. Il veut épaissir le joueur, lui greffer son encyclopaedia universalis passée et présente. Le joueur ne joue plus pour le présent ou la satisfaction immédiate. L’héritage qu’on lui impose l’oblige à jouer pour le futur. La magnificence visuelle et les mécaniques interactives sophistiquées des deux jeux pourraient suffire à contenter, y compris la violence toujours fantasmagorique de Bioshock. Mais non, les auteurs croient tellement en leurs univers qu’ils s’obligent à le rendre cohérent au-delà même de l’horizon accessible par le joueur. 80% actif, souvent forcé à l’écoute, le joueur devient invité d’un monde qui existe sans lui. Et le respect s’impose en parallèle aux moments de silences contemplatifs offerts.

Muet d’admiration

En 2010 le jeu vidéo va se réinventer un nouveau cycle, de nouveaux hardwares (DSi 2 sans doute, iPad sûrement…), de nouvelles façons de jouer (Arc, Natal…), ou tout simplement d’interagir (3D relief). En 2010 les regards et les médias se tourneront vers la matérialisation de ces nouvelles activités, vers ces expressions externalisées. Mais l’essence du jeu vidéo, son indéchiffrable phénoménologie virtuelle, son foisonnement créatif, sont à chercher et à vivre dans l’écran. Car le jeu vidéo est avant tout un voyage intérieur. Au moment où, pour cause de flottements économiques, acteurs et joueurs ne savent plus très bien où et comment se joue le jeu vidéo, Bayonetta, Bioshock 2, Mass Effect 2 et Heavy Rain remettent l’essentiel au cœur des enjeux. Le talent, l’ambition et l’envie contagieuse des auteurs. Quatre blockbusters qui réussissent à marier expression artistique et gros budgets. Et laissent la place aux expériences plus franchement arty comme les étonnantes Mésaventures de P.B. Winterbottom. Un jeu de plate-forme/réflexion en noir et blanc dans l’esprit burlesque et esthétique des films muets du début du XXe siècle. On reste sans voix.

François Bliss de la Boissière

(Publié le 23 février 2010 sur Electron Libre)

 


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